On trouvera dans l'article Célébrons Diderot (L'Actualité chimique, janvier 2014, pp. 7-10) une discussion de cette question, inspirée du livre Cours de gastronomie moléculaire N°2 : les précisions culinaires
(Editions Quae/Belin, 2012). Toutefois, ici, cela vaut la peine de
raconter une histoire vraie, éclairante... et qui ne résout évidemment
pas la question.
Cela
s'est passé dans les années 1980, lors d'un séminaire que j'avais été
invité à faire dans le Laboratoire de physique thermique de l'ESPCI. Je
présentais alors la gastronomie moléculaire, en même temps que je
faisais des expériences illustratives. Notamment je discutai ce jour-là
la question de "comment faire un oeuf dur à la sauce mayonnaise avec un
seul oeuf" : l'idée était de prélever une goutte de jaune d'oeuf à la
seringue, à cuire le reste de l'oeuf, tandis que l'on faisait une sauce
mayonnaise à partir de la goutte de jaune, laquelle contient assez de
composés tensioactifs pour faire la sauce.
Plus
exactement, sachant qu'il est toujours bon de ne jamais être en
position de faire en public une expérience qui rate, je faisais faire
les expériences à des auditeurs, me réservant le soin de discuter les
opérations... et de rattrapper les expériences éventuellement ratées. Or
c'est un fait que, ce jour-là, mon collègue qui avait accepté de faire
l'expérience la rata. Qu'à cela ne tienne : j'analysais publiquement la
chose, et, repartant de la sauce ratée, je la fis réussir, en décantant
d'abord l'huile qui surnageait dans un autre récipient, avant de
l'ajouter à nouveau au culot, en fouettant vigoureusement. Je ne dis pas
cela pour apparaître tel un Sauveur, mais seulement pour donner les
circonstances exactes de l'événement... et faire comprendre pourquoi son
souvenir est si proche : dans ces cas-là, on ne se sent pas bien.
La
sauce rattrapée, il fallut discuter ce qui s'était passé : la plupart
du temps, c'est que l'on met trop d'huile au début, ce qui contrarie la
géométrie de l'émulsion qui se fait bien avec les tensioactifs présents,
à savoir que ces derniers, qui courbent l'interface eau/huile vers une
émulsion huile dans eau, ne stabilisent que mal une émulsion eau dans
huile. Bref, l'émoi passé, je proposais une discussion sur le statut des
expériences qui ratent : une expérience qui rate n'est rien d'autre
qu'une expérience qu'on n'a pas réussi ! De même, un chateau de cartes
qui s'écroule ne condamne pas le principe des châteaux de carte, mais
seulement le doigté insuffisant de l'exécutant.On peut continuer à
gloser à l'infini, mais voici en tout cas un sain début : il y a des
recettes qui ratent parce que la latitude expérimentale n'est pas
grande. Ce n'est pas une question de méconnaissance théorique, mais
simplement d'organisation du monde : parfois, il y a des chemins de
crète, et non de larges avenues. Pour les emprunter, il faut éviter
d'aller trop sur les côtés.