C'était une expérience que je faisais en public, lors de mes conférences, il y a une vingtaine d'années : si l'on verse une cuillerée de farine dans de l'eau bouillante, alors se forment des grumeaux. Si l'on s'y prend bien, on peut obtenir, par exemple, un gros grumeau de un ou deux centimètres de diamètre. Si on le sort à l'aide d'une cuiller, on peut le poser sur le plan de travail et le couper par le milieu : on voit alors un cœur de farine sèche, entourée d'une « coque » gélifiée, de farine « empesée ».
Répétons l'expérience, en mêlant une bonne proportion (environ un tiers) de sucre en poudre à la farine, avant de laisser tomber d'un coup le contenu d'une cuiller dans de l'eau bouillante : cette fois, aucun grumeau n'apparaît. Pourquoi ?
Je faisais cette expérience pour expliquer ce qu'est la théorie de la percolation, dont le physicien français Pierre-Gilles de Gennes (1932-2007, prix Nobel de physique en 1991) fut un des pionniers. Pour comprendre la chose, commençons par examiner le percolateur du bistrot d'à côté : on tasse de la poudre de café dans le porte filtre, puis on envoie de l'eau sous pression. L'eau chemine entre les grains, dans le porte filtre... puis, soudain, une première goutte tombe dans la tasse : c'est le « seuil de percolation ».
Modélisons cela avec un grillage que l'on relie en série à une pile et à une ampoule. Le courant passe, et la lampe est allumée. Puis imaginons un petit diable qui coupe des brins du grillage au hasard. Le courant continue de passer... Puis viendra un moment où l'ampoule s'éteindra, parce qu'il n'y aura plus de chemin conducteur continu, entre le haut et le bas du grillage. Ce sera le seuil de percolation.
La même idée s'applique à la description des épidémies. Supposons un marin qui arrive en Bretagne avec une maladie, et supposons que la probabilité de contagion soit élevée : la maladie se propagera d'un bout à l'autre de la France. En revanche, avec une probabilité de contagion inférieure, on pourra éviter l'épidémie. Là encore, il y a un « seuil de percolation » (sous entendu : de la maladie dans le pays).
On le voit, cette description est très générale, et Pierre-Gilles fut un de ceux qui calculèrent les caractéristiques de réseaux variés. Revenons à notre farine et à notre sucre : la gélification de la farine, la formation d'un gel, peut se décrire par la théorie de la percolation. Pour faire un grumeau, il faut que les grains voisins se lient. En revanche, si l'on a ajouté suffisamment de sucre, alors les grains voisins seront séparés par le sucre, et ils s'empèseront de façon isolée, ce qui fera une suspension de micro-grumeaux, comme un « velouté ». Et c'est ainsi que la chimie physique est une science merveilleuse !
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