vendredi 22 mai 2009

Les questions du jour

La cuisine moléculaire est-elle une cuisine chimique ?

Il se dit beaucoup de bêtises à propos de la cuisine moléculaire. Par exemple, certains disent que toute cuisine est moléculaire, puisque les aliments sont tous faits de molécules. C'est méconnaître ce qui a été nommé « cuisine moléculaire » vers 2001. À l'époque, le monde confondait la science nommée gastronomie moléculaire et ses applications en cuisine. Pour bien distinguer la science, qui produit des connaissances, et la cuisine, qui produit des mets, l'expression "cuisine moléculaire" a été introduite. Elle ne signifie évidemment pas que l'on cuisine avec des molécules, puisque toute cuisine se fait ainsi. Sa vraie définition est : une cuisine qui utilise de nouveaux ustensiles, de nouveaux ingrédients, de nouvelles méthodes.
Par exemple, le monde culinaire "clarifie" les bouillons, ce qui signifie que l'on cherche à produire des liquides parfaitement limpides à partir de bouillons de viande qui sont troubles. À cette fin, la cuisine classique utilise des blancs d'œufs qu'elle fouette et qu'elle chauffe avec les bouillons. C'est du gâchis, puisque des filtres de laboratoire permettent de clarifier les bouillons mieux que le procédé classique, et sans gâcher de blancs d'œufs. Un exemple d'ingrédients « nouveaux » : la gélatine est utilisée comme gélifiant, par exemple dans les bavarois, depuis longtemps. Toutefois, de nombreuses populations, notamment en Asie, utilisent des gélifiants extraits des algues. D'ailleurs, la Bretagne connaît bien l'utilisation de tels gélifiants. Ces gélifiants sont « nouveaux » en cuisine, mais évidemment pas dans d'autres champs, telles la cosmétique ou l'Asie.
De nouvelles méthodes ? Le « chocolat Chantilly » introduit dès 1995, est une façon d'obtenir des mousses aux chocolat sans blancs d'œufs. On voit sur cet exemple que la question n'est pas de faire de la cuisine pour riches, mais, au contraire, de se préoccuper d'économie domestique. C'est cela, la cuisine moléculaire.
Rien à voir donc avec une « cuisine chimique »... qui d'ailleurs ne peut pas exister, car qu'est-ce qu'un "produit chimique" ? L'eau est-elle un produit chimique ? On l'utilise en cuisine, mais on l'utilise aussi dans les laboratoires de chimie. Pour autant, c'est toujours de l'eau, et ainsi de suite avec de nombreux autres composés : gélatine, acide tartrique, vitamine C, éthanol... A la réflexion, on ne devrait nommer « produits chimiques » que des produits qui sont utilisés par des chimistes. Rien à voir avec les « composés », qui, eux, peuvent être utilisé ou non par les cuisiniers. Il faut dire avec force que la chimie est une science et que, de ce fait, elle ne pourra jamais être en cuisine. En effet, la science produit des connaissances, tandis que la cuisine produit des mets. On ne mettra pas des connaissances dans les assiettes, mais des mets, qui auront été préparé par les cuisiniers.
La confusion résulte sans doute de l’usage souvent inapproprié du mot « naturel ». Est naturel ce qui est présent dans la nature. De ce fait, aucun de nos aliments n'est naturel, et il faut combattre un certain marketing industriel, auquel nous devrions refuser le droit d'utiliser le mot "naturel".


Quelle cuisine appréciez-vous personnellement ?


Amusant : la question a fait l'objet d'une discussion avec mes enfants, hier soir. Nous regardions un livre de cuisine de 1995, et nous étions étonnés de voir combien les recettes ressemblaient à celles des siècles passés. Tous les arts ont évolué, mais la cuisine était restée immuable, avant la cuisine moléculaire. Les mêmes poulets rôtis, les mêmes cassoulets, les mêmes poulardes farcies... Pourtant, il y a de la place pour le changement, cuisine moléculaire ou pas. Une préparation que j'apprécie ? Tout dépend de l'humeur, de l'heure de la journée, de la saison, de l'exercice physique que j'ai fait au nom, de l'activité que j'ai eue... Et puis, la cuisine n'est-elle pas d'abord de l'amour, avant d'être de l'art et de la technique ?
A côté de cuisines très modernes, surprenantes, j’adore la galette bretonne, complète, avec un bon jambon, avec un fromage qui ait du goût, suffisamment cuite, croustillante en surface et tendre plus au centre... Quel bonheur ! Une huître nature, une de ces toutes petites huîtres au goût de noisette... Une tranche de ce pain très noir de Fouesnant avec un peu de bon beurre salé, une goutte de citron... Quel bonheur ! A la réflexion, je ne suis pas délicat :je veux tout, le classique et le moléculaire à la fois.


La cuisine moléculaire est-elle un effet de mode ?


Oui, il ne se passe pas une journée sans qu'Internet ne nous révèle de nouvelles productions de cuisine moléculaire par un chef chinois, japonais, espagnol, russe... C'est un fait que la cuisine moléculaire est à la mode. C'est un fait aussi que Ferran Adria, en Espagne, est un cuisinier qui travaille dur et intelligemment : il n'est pas donc étonnant que ses productions soient tout à fait remarquables, éblouissantes. Est-ce de la cuisine ? Si l'on nomme cuisine l'activité qui consiste à produire des mets, alors sans hésiter, c'est de la cuisine. Est-ce une mode ? Certainement, mais il faut savoir que les modes passent. Depuis 1994, je ne cesse de me demander quel mode nouvelle succédera à la cuisine moléculaire. Et c'est ainsi que j'ai proposé le constructivisme culinaire, où il s'agit, en élaborant les mets, d'obtenir des sensations sur mesure. J'ai aussi proposé la cuisine « note à note », qui consiste à faire usage de composés pour élaborer les mets. Au-delà des modes, ces chantiers sont merveilleux parce que ce sont des invitations à travailler. En cuisine, il en va comme en littérature : l'écrivain est quelqu'un qui ne trouve pas ses mots, alors il cherche et il trouve mieux.

Travaillez-vous avec de grands chefs ?
Pierre Gagnaire est mon ami. Chaque mois, je produis « pour lui » une invention, une innovation, que je lui donne, et qu'il doit mettre sur son site Internet à la disposition de tous, gratuitement, accompagnée de recettes qui mettent en œuvre l'invention.
Autrement dit, c'est pour le monde entier de la cuisine que je travaille, et non pas seulement pour Pierre Gagnaire ou pour quelques chefs choisis. En réalité, depuis le 23 mars 1980, je ne cesse de travailler pour tout ceux qui cuisinent, à la maison, dans les restaurants, et pourquoi pas aussi dans l'industrie alimentaire. Aujourd'hui, agent de l'État (puisque je suis payé par l'INRA), je dois mon travail à la population française qui paye mon salaire et fait fonctionner mon laboratoire. Évidemment, je cherche de toutes mes forces à contribuer au développement du tourisme, au bon fonctionnement de l'industrie alimentaire, mais surtout, à l'économie domestique, pour chacun d'entre nous. Le chocolat Chantilly déjà évoqué est une façon de ne pas gaspiller inutilement des blancs d'œufs pour faire des mousses chocolat. Ce n'est qu'un exemple ; j'espère qu'il permet de comprendre que toute personne qui cuisine est mon souci essentiel.

8 commentaires:

  1. Hello, Mr This. I am a student from Malaysia and I have been doing some research on molecular cuisine for an assignment. It would be absolutely wonderful if I can get an interview with you.

    Regards,
    Yen
    chensuetyen@gmail.com

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  2. Hello Mr This. I am a student from Malaysia. I am doing some research about molecular cuisine for an assignment. It would be wonderful if I can get an interview with you.

    Regards,
    Yen
    chensuetyen@gmail.com

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  3. Bonjour Monsier This,

    Je suis très content d'avoir trouvé cet blog après avoir vu un documentaire sur votre travail avec Monsieur Gagnaire.

    Et j'ai un question a vous faire. Qu'est-ce que un investigateur comme vous puet faire pour ameilorer les conditions de vie de personnes qui ont, par exemple, des problèmes avec le gluten? et ceux diabetiques? Est-ce que de votre partenariat peut naître una gastronomie que puisse faire la vie de ces personnes plus facile?

    Je sais qu'il ya de produits por ces malades, mais je veux dire si on est capable d'introduire dans la gastronomie des produits avec touts le saveurs qui ne les empechênt pas a ne jouir de la gastronomie. Faire un gastronomie medicalment plus democratique.

    Excusez mon français, merci et a bientôt.

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  4. Bonjour Monsieur This,

    Je suis très content de retrouver cet blog après vous avoir vu dans un documentaire.

    J'ai un question a vous faire. Est-ce que la science peut aider a des milieurs de personnes qui aient une maladie comme l'imposibilité de manger du gluten o les diabetiques que, parfois peuvent pas jouir d'un expérience et convivial complert parce que les restaurants sont pas preparés pour les recevoir?

    Est-ce que la science peut faire de produits qui puevent luer donner una experiénce avec leurs problèmes?
    Faire la gastronomie plus democratique?

    Merci beacoup a l'avance et excusez-vous mon français, s'il vous plâit.

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  5. Bonjour Monsieur This,

    Extrèmement ravi et saisi par votre conférence de mardi 26 mai aux Champs Libres à Rennes, je tenais à vous en remercier.

    Un savant mélange de chimie et d'art culinaire, de nombreuses références littéraires le tout saupoudré de quelques facéties, votre présentation pleine d'énergie est une vraie réussite et riche en enseignement pédagogique.

    En espérant une rencontre prochaine qui sait ?

    Cordialement,

    Julien
    http://www.vivelessvt.com

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  6. Bonjour Monsieur This, après tant d'années, une escapade au Japon et 15 années dans le monde de l'Industrie Pharmaceutique, vous ne pouvez pas savoir le nombre de fois où je me suis tapée sur la tête en me disant "Quelle idiote !", me remémorant le jour où je vous ai rapporté le dossier "La chimie de la cuisine", pourquoi pas en BD, parce que je n'avais pas confiance en moi"pour y aller". Et ensuite, je n'ai plus eu le courage de revenir vers vous en reconnaissant "J'ai été idiote". Mais je serais heureuse éventuellement d'échanger avec vous sur ces sujets passionnants. Le pétrole est bien loin, mais j'ai décidé de me consacrer enfin, à nouveau, à des occupations plus créatives. Je n'ai jamais oublié le bon temps du Pr Ourisson, GO. Thermie, et du guide illustré.

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  7. Bonjour,

    lors de votre conférence à l'Université de Rennes, vous avez répété plusieurs fois que les résultats de vos recherches et vos recettes étaient publics et qu'on pouvait les trouver sur le net.
    Je n'arrive pas à remettre la main sur les recettes numérotées (type 1.2.4.7).
    Est-ce normal ?
    Ont-elles été publiées dans un article, un libre, ou sont-elles réservées à P. Gagnaire ?

    Cordialement,

    JMM.

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  8. Réponse à Jean-Michel :
    Oui, tout ce que je fais est publié... ou en passe de l'être.
    Pour les résultats scientifiques, il est exact que nous devrions publier tout, et c'est évidemment notre volonté, mais il y a aussi le fait que les travaux doivent être parfaitement étayés avant d'être soumis à des revues scientifiques. Plus exactement, je ne supporte que des textes très léchés, et cela me ralentit. C'est un fait que beaucoup de nos résultats sont dans les cartons, mais nous travaillons à finaliser la chose.
    Pour la partie "applications", tout est présenté au fur et à mesure, et rien ne reste entre les mains de Pierre Gagnaire très longtemps. Là encore, dès que nous sommes prêts, les textes sont en ligne.
    Enfin, il y a les livres... et j'en publie à un rythme excessif.

    Mais il est vrai qu'il y aussi des idées... nombreuses.

    En détail, pour les recettes numérotées, tout figure dans le livre "Cours de gastronomie moléculaire 1 (science, technologie, technique culinaires : quelles relations?), à paraître fin août aux éditions Belin.
    Il y a aussi une présentation en anglais dans les actes des Oxford Food Symposium.

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