dimanche 8 mars 2009

Apprendre dans une école d’ingénieurs ?

Soyons simples, avant de tout compliquer. Une école d’ingénieur forme certainement des cadres, des banquiers, des hommes politiques… mais elle forme aussi des ingénieurs ! D’ailleurs, si les écoles d’ingénieurs conduisent à des postes de responsabilité importants pour la vie de la nation, n’est-ce pas, surtout, parce que sortent de ces écoles des personnes qui ont voulu acquérir, en travaillant, des connaissances opératives, des méthodes rationnelles, donc applicables dans de nombreux aspects de la vie de la nation ?
La question est compliquée. Abandonnons-là pour l’instant, et revenons au constat : les écoles d’ingénieurs forment des ingénieurs. De quoi s’agit-il ?
_____
Pour la partie « technique » du métier d’ingénieur, il y a de nombreux aspects, mais, a priori, il s’agit d'abord d’orchestrer la production et d’innover, afin que cette production se fasse dans des conditions modernes.
Oui, on peut travailler le métal à la main, mais une société qui ferait ainsi serait submergée par la concurrence, laquelle utiliserait des machines. Survivre dans le monde industriel, c’est innover… d’où l’emphase mise sur ce mot « magique » dans le monde industriel.
Une conclusion s’impose alors aux écoles d’ingénieurs : puisque les ingénieurs devront innover, qu’enseigner aux futurs ingénieurs ? A innover, notamment.
_____

Considérons les relations (simples) de la technique, de la technologie, de la science.
La technique, c’est le faire, la production : le mot techne, en grec, signifie « faire ».
La technologie (il suffit de lire le mot pour comprendre), c’est l’étude de la technique… évidemment en vue de son perfectionnement, de sa rationalisation.
La science, enfin, c’est la science, c’est-à-dire la recherche des mécanismes des phénomènes, par l’usage de la méthode scientifique.
_____

Observons que la technologie n’est pas la technique (ce qui semble clair), mais qu’elle n’est pas non plus la science.
Pourquoi, alors, les élèves ingénieurs pratiqueraient-ils la science ? La méthode de la « formation par la recherche » (tarte à la crème de l'enseignement supérieur) doit être questionnée.
Une métaphore pour commencer : l’expérience professionnelle conduit à donner des réflexes, fondés précisément sur la confrontation répétée avec des situations analogues, reconnues comme telles. En gros, on se fait des « cals » pour éviter les ampoules.
Du coup, imaginons que les élèves ingénieurs pratiquent la science au cours de leurs études, ils auraient des cals appropriés à la science (recherche des mécanismes)… mais pas à l’innovation ! Et c’est un fait que, personnellement, mes enseignants à l’ESPCI nous ont plus d’une fois répété que nous apprendrions ensuite, sur le tas. A quoi bon, alors, suivre des enseignements qui ne forment pas aux compétences nécessaires ?
Révisons la question de la science dans les écoles d’ingénieurs. S’il faut innover, il faut des connaissances pour innover, et une méthode pour transformer ce savoir en techniques, méthodes… C’est là une des branches de la technologie : le transfert technologique. Bien sûr, si l’on dispose de connaissances anciennes, il y a fort à parier que d’autres, avant nous, auront fait le transfert innovatif. Il faut donc transmettre aux étudiants des connaissances nouvelles, de pointe, afin qu’ils puissent ensuite en faire des applications innovantes, modernes.
Conclusion : c’est la science la plus moderne qu’il faut que les écoles d’ingénieurs transmettent aux étudiants.

Ce n’est pas suffisant, bien sûr : il faudra enseigner la méthode de transfert. Qui peut l’enseigner : des personnes qui la connaissent bien, ou des personnes qui ne la connaissent pas bien ? Les premières, semble-t-il ! Or les premières sont des personnes qui ont du succès, qui ont fait leurs preuves dans ce transfert. Ce sont les ingénieurs les plus remarquables que les écoles d’ingénieurs doivent inviter, en leur demander de formaliser leurs connaissances, de proposer un savoir théorisé, et non seulement des exemples.
_____

Cette réflexion s’assortit d’une réflexion sur les stages. Où faire des stages, quand on est élève ingénieur ? Si le métier d’ingénieur est dans le transfert technologique et l’innovation, alors il faut sans doute avoir fait un stage où l’on découvre des techniques de pointe, scientifiques, afin de pouvoir faire du transfert, ultérieurement, mais il faut aussi un stage industriel, où l’on découvre non pas le monde industriel, comme une tarte à la crème le dit parfois, mais plutôt du transfert !

Merci de bien vouloir m'aider à corriger des idées simples ("tout ce qui est simple est faux, mais tout ce qui est juste est inutilisable").

4 commentaires:

  1. bonjour
    peut-on intégrer une école hotelière spécialisée en cuisine moléculaire? Ou prendre des cours en Lorraine ? J'ai un projet professionnel et j'aimerai en amont pouvoir avoir cette formation élémentaire.merci pour votre réponse.
    green5461@yahoo.fr

    RépondreSupprimer
  2. Oui, notre green5461 a bien raison de parler d'école hôtelière, en ce qui concerne la cuisine moléculaire.
    Toutefois, je suis bien mal placé pour répondre, parce que, s'il est exact que j'ai introduit (avec Nicholas Kurti) la cuisine moléculaire -en même temps que la gastronomie moléculaire, d'ailleurs-, je n'en fais pas, et je ne parviens pas à suivre, dans ce milieu qui n'est pas le mien. Sur mon site "travaux de Hervé This", il y a, dans la partie "Applications technologiques", une liste de sociétés ou de personnes qui font de la formation, et je sais qu'il y a notamment Cuisine attitude (ou aptitude, je ne sais plus), à Strasbourg.
    Cela dit, je crois que la cuisine moléculaire est dépassée : vive la "Cuisine Note à Note"

    RépondreSupprimer
  3. Bonjour,
    J'ai un projet de devenir ingénieur en cuisine Cuisine Note à Note afin de créer de nouvelles saveurs et de nouvelles recettes. Déjà je voudrais savoir s'il existe des ingénieurs en cuisine Cuisine Note à Note et si oui, quelle voie faut-il choisir après l'école d'ingénieur?
    Merci de votre réponse

    RépondreSupprimer
  4. Ingénieur en cuisine note à note ?
    Il y a une question :
    - créer de nouveaux goûts (voir autre billet qui explique pourquoi le mot est plus juste) : c'est une question artistique, réservée à des artistes, donc à de bons cuisiniers
    - ingénieur : c'est quelqu'un qui maîtriserait l'aspect technique, et aiderait, dans cette composante technique, à faire advenir des recettes ; par exemple, on peut imaginer une société qui vendrait des préparations toutes faites, des sortes de kits, en vue de permettre à des cuisiniers de cuisiner note à note.

    Quelle voie choisir ? Si j'avais 25 ans et que je sortais d'une école d'ingénieur, je créerais un site de vente en ligne de préparations note à note.
    Par exemple, je me fournirais en gros de certains produits, je préparerais des produits prêts à l'emploi, pour la couleur, la saveur, l'odeur, la consistance... et je préparerais des modes d'emploi bien faits.
    D'autre part, je préparerais des sessions de formation, que je vendrais à des cuisiniers que je démarcherais.
    L'investissement de tout cela est très faible... et les possibilités d'enrichissement sont considérables, sans compter l'aide qu'une telle activité pourrait apporter à la communauté (mais vous avez compris que je me place du point de vue non pas de H. This, mais de quelqu'un qui doit être un bon ingénieur.
    Et puis, il n'est pas non plus idiot de penser que la société pourrait se lancer dans du fractionnement d'ingrédients agricoles, comme montré sur les podcasts relatifs au Cours de gastronomie moléculaire 2012.

    Bon courage, n'oubliez pas de m'inviter à déjeuner dans un bon restaurant quand vous aurez fait fortune !

    RépondreSupprimer

Un commentaire? N'hésitez pas!
Et si vous souhaitez une réponse, n'oubliez pas d'indiquer votre adresse de courriel !