samedi 10 juillet 2021

A propos d'explications : le cas particulier, plutôt que le cas général

Dans la série des réflexions sur les explications, il y a une idée simple : préférer l'explication sur l'exemple que sur le cas général, au moins pour commencer.

Et je vais considérer ici deux anecdotes (véridiques) pour établir ce point.

 

 

1. Considérons tout d'abord un petit problème mathématique, celui des "heures ambigues".
On considère une montre à aiguilles, dont le diable a coupé les deux aiguilles à une même taille, afin de les rendre indiscerbables. Si l'on comprend bien certaines heures, d'autres sont ambigues, à savoir qu'elles peuvent correspondre à deux heures différentes. Combien y a-t-il de ces heures ambigues chaque jour ?
La question m'avait été posée, et, en bon algébricien, j'avais écrit les équations du mouvement des aiguilles, ce qui n'est guère compliqué :
- l'angle que fait l'aiguille des heures avec le midi est proportionnel au temps, avec une vitesse qui est de un tour par douze heures
- l'angle que fait l'aiguille des minutes avec le midi est proportionnel au temps, mais avec une vitesse qui est de un tour par heure.
A cela, on ajoute des symétries, et l'on résout le système.
Plus facile à dire qu'à faire, car il y a des redondances !
Le topologiste Bernard Morin, aveugle d'ailleurs, avait fourni une solution bien plus élégante, et toute "visuelle"  : le mouvement de l'aiguille des heures décrit un cercle, et de même pour l'aiguille des minutes ; si ces deux cercles étaient indépendants (si les mouvements des aiguilles n'étaient pas couplés), on pourrait représenter le "produit" des deux cercles comme un tore, une roue de vélo ; mais le couplace des aiguilles conduit à dire que l'heure peut être représentée par un point sur une hélice qui s'enroule sur le tore avec douze tours ; or un tore que l'on déplie est un carré ; alors que les symétries sont des droites horizontales et verticales sur ce carré ; on détermine alors le nombre d'intersection.

Pas mal... mais, ne pourrions-nous pas faire mieux, si nous cherchons à expliquer ? Car, au fond, pourquoi les complications des douze heures par demi journée ? Pourquoi ne pas considérer le cas imaginaire d'une journée de deux heures seulement ? Là, la solution est simple. Puis, enhardi par nos succès, nous passerions à une journée de trois heures, et ainsi de suite.
Oui, décidément, si l'idée est d'expliquer à nos amis, cette solution est meilleure.

 

 

2. Et j'en arrive à la seconde anecdote, qui concerne l'édition d'un article sur l'utilisation des probabilités pour mieux jouer au bridge. L'auteur de l'article avait d'emblée "lancé dans les dents" de ses lecteurs le théorème de Bayes, sur les probabilités conditionnelles, dans le cas général.
Que l'on me pardonne de ne pas entrer dans les détails, car nous nous égarerions, alors que la question est surtout de considérer des stratégies d'explication.
Bref, lors de l'édition de cet article, nous avons proposé à l'auteur de considérer d'abord le cas le plus simple, très compréhensible, et de réserver pour la fin de son exposé (voire supprimer) le cas général. Il avait accepté, et son article en était sorti considérablement simplifié !

 

 

Bref, c'est une technique que nous devrions garder à l'esprit chaque fois que nous expliquons quelque chose : commençons par du simple, avant de faire du compliqué. D'ailleurs, le compliqué est-il autre chose que le simple du simple du simple... du simple ? 


 


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