mercredi 19 août 2009

Livres de référence

Sur le blog d'une revue à laquelle je collabore, on m'interroge sur des "livres de référence" pour la cuisine.

La question est épineuse, parce que les livres anciens... sont anciens, et doivent donc être considérés ainsi.

Par exemple, le Guide culinaire, écrit non par Escoffier mais par Gilbert, Fetu et Escoffier, est très "aveugle", historiquement, et il contredit souvent des auteurs comme Jules Gouffé, dont le livre est remarquable, ou comme Antoine Marie Carême, dont l'Art de la cuisine française au XIX e siècle est extraordinaire, bien qu'insuffisant (manque de temps pour le finir).

Du coup, je ne crois pas qu'il existe de livre unique qui puisse nous renseigner... et d'ailleurs, je ne suis pas certain qu'il existe un champ du savoir où ce type de document existe. C'est le vieux fantasme de la Tour de Babel, en quelque sorte.

Toutefois, il est vrai que :
- le Viandier, notamment le texte de Guillaume Tirel, dit Taillevent, est tout à fait merveilleux
- le Ménagier de Paris aussi
- la Suite des Dons de Comus, est épatante
- tout comme le livre de Nicolas de Bonnefons, Les délices de la campagne (que nous avons réédité avec Pierre Gagnaire, Rip Hopkins et Jacques Merles)
- le livre de Gouffé, comme dit plus haut
- Edouard Nignon
- La bonne cuisine de Madame Saint Ange est un bel exemple pédagogique

Plus récemment, les Editions Larousse ont réédité leur Larousse gastronomique... mais ils n'ont pas corrigé tout ce qui aurait dû l'être. Disons que c'est moins pire qu'avant, quand il était dit que les soufflés gonflaient en raison de la dilatation des bulles d'air à la chaleur (en réalité, le moteur principal, c'est l'évaporation de l'eau ; d'ailleurs, il faut combattre l'idée que "c'est l'oeuf qui fait souffler", car en réalité, c'est l'eau, et l'eau seule, en s'évaporant ; je rappelle qu'un gramme d'eau fait environ un litre de vapeur).

Finalement, un livre de référence? Il reste à faire... mais il y a du travail, parce qu'il est bien difficile, souvent, d'attribuer correctement un nom à une préparation, tant les idées ont changé au cours de l'histoire. La décision de nommer serait donc souvent arbitraire!

Et si l'on inventait à la fois des préparations culinaires et les noms qui vont avec?

mardi 11 août 2009

Ne projetons pas nos fantasmes

Quelques billets récents, "osés", de ma part, ont suscité des réactions qui montrent que mes interlocuteurs ont voulu lire ce qu'ils voulu lire, plutôt que de lire ce que j'avais écrit.

Dire que la cuisine n'est pas naturelle, c'est énoncer un fait, et un fait vrai.
Pour autant, comment sous-entendrais-je que je souhaite être empoisonné -non pas par la chimie, puisque c'est une science- par des composés introduits dans les aliments par des industriels?

Dire que la cuisine domestique, ou "traditionnelle", n'a jamais été correctement testée, contrairement à tous les "nouveaux aliments" ou " ingrédients alimentaires", c'est également un fait, et l'épreuve du temps n'est pas une garantie de sécurité : nos ancêtre sont tous morts!

Pour autant, je ne dis pas qu'il faille gober tout ce que l'on nous vend !

Opposer les gros industriels aux petits artisans? Là encore, il y a faute intellectuelle : je veux bien prendre la défense des bons petits artisans... mais pas celle des mauvais, et il y en a. Je veux bien attaquer les gros industriels qui vendent des produits minables, mais pas les gros industriels qui vendent de bons produits, et il y en a.

Nos aliments d'aujourd'hui sont ils bons? Quelque correspondants me disent que non, parce que nos aliments sont pleins de cochonneries... mais je vois qu'ils n'ont pas bien lu les journaux d'époque, ou les livres de cuisine anciens : dans les journaux, on lit sans cesse des histoires de lait coupé à l'eau, de frelatage, de sophistication... jusqu'au jus de purin utilisé pour colorer le café ! Dans les livres de cuisine, on voit des chapitres entiers destinés à aider les particuliers à reconnaître le plâtre dans la farine, etc.

N'ayons pas la mémoire si courte que nous ne connaissions que notre temps. Faisons-nous aider de nos amis historiens pour connaître un passé dont nous n'avons pas à croire qu'il était doré. Oui, l'histoire a la mission merveilleuse de nous faire grandir : "Tout homme qui ne connaît que sa génération est un enfant", disait déjà Cicéron. Et voilà (notamment!) pourquoi les sciences humaines ne sont pas des disciplines inutiles : elles sont indispensables... à condition d'être militantes... comme la chimie, d'ailleurs, mais cela, c'est une autre histoire, qui m'a valu d'être considéré comme un "savant cosinus", un "doux rêveur".

Décidément, quand l'être humain cessera-t-il de sous-estimer ses interlocuteurs ?

dimanche 9 août 2009

Retour sur la question de la toxicité

Quelques internautes envoient des commentaires que je mets en ligne quand ils ne sont pas injurieux, et où, parce que j'ai critiqué une certaine idée naïve du "bon naturel", croient que je suis pour le "tout chimique" (ce qui ne signifie rien, comme je l'ai écrit ad nauséam dans mon livre "La Sagesse du chimiste".

Pourquoi tant de manichéisme? Entre le blanc et le noir, il y a mille teintes de gris!
Pourquoi ne pas conserver le meilleur des applications de la chimie, d'une part, et, d'autre part, le meilleur de ce que produit la "nature" (en nous rappelant pourtant que la cuisine n'est pas naturelle, mais bien artificielle)?

En réalité, je me laisse aller ici à quelque chose d'inutile : on ne convainc jamais personne, et je préfère, plus positivement, dire ce qui me semble juste.

Des faits à ne jamais oublier dans nos discussions :

1. Nous sommes la première génération de l'histoire de l'humanité à ne pas avoir connu de famines, en France...

2. Mais il reste des millions de gens sur Terre qui meurent de faim

3. La question de l'alimentation mondiale n'est donc pas résolue...

4. Et ce n'est pas une agriculture naïvement "naturelle" qui nourrira tout le monde.

5. La question des sols et de l'eau devient grave.

6. Est naturel ce qui est dans la nature, sans transformation par l'homme. Nos aliments, sélectionnés depuis des millénaires, sont-ils vraiment naturels?

7. Donc la cuisine est artificielle

8. Je n'ai rien à vendre

9. Malgré tout ce que l'on dit sur les empoisonnements alimentaires qui seraient dûs à la chimie (on confond hélas, en disant cela, la chimie et ses applications), l'espérance de vie dans les pays industrialisés continue d'augmenter; de quoi est-ce l'indication?

10. Pardonnez moi de répéter l'acte de foi qui est sur mon site (http://sites.google.com/site/travauxdehervethis/ ) :


Vive la connaissance!

Le "consommateur" ? Quelle honte !

Pardon, mais je me suis surpris en train d'utiliser le mot "consommateur".

A la réflexion, c'est honteux, d'un côté, de voir ceux qui mangent comme des "consommateurs", et, de l'autre, de supporter de "consommer" !

Je propose que, si le mot ne convient pas (et il ne convient certainement pas), nous ne manquions pas d'inventivité, et que nous en changions.

Le mangeur est un mangeur. Le dégustateur est autre chose. En ces temps de plomb où l'argent tient parfois lieu de valeur morale, uttons contre un certain mercantilisme !