"Un homme qui ne connaît que sa génération est un enfant" : Cette phrase est de Cicéron, au moins, et je dois avouer que je ne comprends plus très bien pourquoi elle figure sur mon mur.
Bien sûr, dans les discussions politiques sur la pollution, la toxicité des aliments, etc., il y a lieu de considérer que jadis, et même naguère, l'humanité vivait dans des conditions bien pires qu’aujourd’hui. Nous n'avons pas le droit de ne regarder que le moment présent et considérer cet état dans l'absolu. Les évolutions sont lentes et il y a eu d'immenses progrès.
D'autre part, le mythe de l'age d'or fait beaucoup de mal, pour des raisons qui restent à analyser. Comment peut-on croire au bon vieux temps, alors que l'on mourait jeune ? Comment rêver d'un temps où les dentistes vous arrachaient les dents sans anesthésie, ou les femmes mouraient en couche ? L'hygiène n'était pas encore là, parce que la microbiologie n'était pas née. Dans un manuel de civilités qui date du 18e siècle, je lis, par exemple, qu'il ne fallait pas se laver le visage avec de l'eau, qu'il fallait se peigner une fois par semaine, et il est question de vermine : vu que le texte s'adressait à des élites, tout cela en dit long sur l'état sanitaire des populations. Les produits des campagnes ? Les animaux n'étant pas soignés, on doit considérer qu'ils étaient largement malades et que leur consommation contribuait à propager des maladies. Les végétaux n'étant pas protégés contre les insectes, les champignons, les pourritures, les bactéries, etc. , ils devaient se défendre tout seul avec des pesticides naturels, et il y a fort à parier qu'ils n'étaient pas dans le bel état que nous voyons aujourd'hui, où loi de 1905, qui réclame des produits marchands, impose aux vendeurs des quatre saisons de retirer le moindre fruit ou légume un peu abîmé. Il n'y a donc pas eu d'âge d'or, mais, pour des raisons qui restent à comprendre, je le redis, nous avons tentation d'y croire et cette tentation est néfaste collectivement. Il y a une absolue nécessité de bien enseigner l'histoire, mais peut-être moins l'histoire des guerres que l'histoire domestique des peuples !
En science (venons-y quand même, puisque, même si je ne me souviens pas de mon motif initial d'accrocher cette phrase, la discussion précédente donne quelques idées), il y a cette question de culture, et, là, c'est d'histoire des sciences dont il est question. Les travaux des grands anciens sont très éclairants à de nombreux titres.
D'abord parce qu'ils nous donnent une idée de ce que peut être notre pratique actuelle. Ils nous donnent une idée de stratégie scientifique, de méthodes. D''autre part, ils nous montrent les progrès méthodologiques effectués. Par exemple, c'est une nouveauté que de faire des répétitions des expériences, c'est une nouveauté que d'imposer des évaluations statistiques des résultats, et ainsi de suite. Je renvoie mes amis intéressés à la lecture commentée d'un texte du grand Antoine Laurent de Lavoisier ([<a>https://www.agroparistech.fr/IMG/pdf/Bouillons_Lavoisier_discussion.pdf">https://www.agroparistech.fr/IMG/pdf/Bouillons_Lavoisier_discussion.pdf->https://www.agroparistech.fr/IMG/pdf/Bouillons_Lavoisier_discussion.pdf</a>]) où l'on verra combien nous sommes des nains perchés sur les épaules des géants, combien notre époque nous porte...
Et cela a, ou devrait avoir, des conséquences sur l'enseignement supérieur. Je me souviens ainsi d'un étudiant d'un étudiant gentil, pas bête, mais insuffisant du point de vue universitaire, qui avait la volonté de faire des études scientifiques et de la recherche scientifique. Pour des raisons personnelles, il échouait régulièrement aux examens universitaires. Il a fait son stage dans notre groupe de recherche, puisque j'accepte tous ceux qui veulent apprendre, et je l'ai vu quelques années après dans un laboratoire de modélisation moléculaire, faisant les calculs de mécanique quantique : c'était la preuve que son incapacité a été palliée par le système, par son environnement, par son époque. Il ne sera pas (sans doute) un grand créateur de science, mais il pourra mettre en œuvre des outils qu'on lui aura appris à utiliser, et qu'il utilisera.
Oui, nous sommes des nains perchés sur les épaules des géants, mais les géants ne sont peut-être pas nos prédécesseurs, mais l'ensemble de ces derniers, la collectivité scientifique tout entière, qui identifie progressivement des façons de s'améliorer. Bien sûr, dans cette collectivité, il y a des hommes et des femmes plus grands que les autres, mais c'est l'ensemble qui fait ce géant sur lequel nous sommes perchés.