mercredi 15 mai 2024

Les calculs nous sauvent toujours : que nul n'entre ici s'il n'est géomètre.

 
A la base de cette affaire, il y a les "calculs", que certains nommeraient "mathématiques" (mais ce serait confondre une activité un peu mécanique, bien qu'amusante, et une activité d'exploration de structures élaborées à partir des nombres. 

Oui, les calculs nous sauvent toujours, et notamment parce qu'ils nous évitent de fastidieuses expérimentations. 

L'idée est née, en réalité sous une forme un peu mystique, avec les philosophes grecs : la seconde partie de la proposition était écrite au fronton de cet espace nommé Académie, à Athènes, où se réunissaient le philosophe Platon et ses élèves. Pour les philosophes grecs, il y avait l'idée selon laquelle le monde est régi par les nombres et, de ce fait, il y avait l'idée qu'il fallait faire des mathématiques pour comprendre le monde. Par exemple, en musique, une corde qui vibre fait un son, mais une corde plus courte de moitié fait un son plus haut d'une octave, et les différentes notes de la gamme musicale dite pythagoricienne sont celles que l'on forme avec des cordes dont la longueur est une fraction simple (1/2, 2/3...) de la longueur initiale de la corde. Le fait que l'on obtienne des sons harmonieux ou pas avec certaines fractions avaient conduit les philosophes à croire à une harmonie mathématique du monde. 

Plus tard, il en alla de même pour les astronomes, qui croyaient à des rapports simples entre les astres. Encore au temps de Johannes Kepler, alors donc que l'on découvrait les lois du mouvement des planètes du Système solaire, on associait les distances entre les astres du Système solaire à des solides platoniciens tels que le cube, le tétraèdre, etc. Le nombre aurait régi le monde. Plus tard, quand la méthode scientifique s'introduisit dans la science moderne, il en est demeuré que les scientifiques ont foi dans cette hypothèse selon laquelle "le monde est écrit en langage mathématique" (des guillemets, parce qu'il s'agit d'une phrase de Galilée). Les nombres sont remplacés par des équations, mais l'idée de base demeure. 

Aujourd'hui, alors que la méthode scientifique fondée sur cette hypothèse ne cesse de conduire à plus de connaissance des mécanismes des phénomènes, on peut s'interroger : le monde est-il construit selon les nombres ? Ou bien est-ce notre capacité de manier les nombres qui nous permet de les mettre dans les phénomènes ? 

D'ailleurs, il faut hybrider la première hypothèse (le monde est écrit en langage mathématique) avec cette idée selon laquelle toute théorie est insuffisante, ce qui nous conduit à chercher des théories plus compliquées. On est passé du nombre à l'équation, puis à l'équation plus compliquée, et l'on ira à l'infini, parce que le monde n'est peut être pas construit "exactement" en langage mathématique.

 Cela dit dans notre activité, puisque nous cherchons des théories, c’est-à-dire des groupes d'équations, nous devons avoir des compétences mathématiques pour nous épargner des expériences très longues J'ai discuté jusque ici la fondation des sciences de la nature, mais il y a le petit quotidien, lequel va avec la quantification des phénomènes. Là, pour trouver les lois, il faut maîtriser suffisamment les mathématiques. Pour les mesures, analyses, idem : le nombre est partout, et nous avons besoin de mathématiques sans cesse.

lundi 13 mai 2024

Parents indignes !


On me signale le cas d'une mère qui se plaint que son fils de 21 ans ne sache pas faire cuire des spaghettis et lui demande comment cuire la partie des spaghettis qui se trouve à l'extérieur de la casserole.
On peut bien sûr se mettre du côté de la mère et déplorer qu'un individu de 21 ans en soit encore à poser une telle question, mais je propose plutôt d'identifier que la mère n'a pas fait son travail éducatif correctement si elle a laissé son enfant atteindre l'âge de 21 ans en se posant de telles questions.
On voit bien, derrière cela,  le schéma d'une mère qui a cuisiné toute sa vie pour sa famille, excluant en quelque sorte ses enfants de la cuisine au lieu de les faire participer. On voit une mère qui n'a pas pris le temps de permettre à ses enfants de s'émerveiller des mille phénomènes culinaires qui ont lieu lorsqu'on prépare les aliments. On voit une mère qui se met dans une position de victime alors qu'elle est coupable d'avoir confisqué de la culture. On voit une mère qui a conservé son petit pouvoir culinaire au lieu de le partager.

Bref je ne me joindrai pas au concert des déplorations mais surtout, je vais inviter tous les parents à faire participer les enfants aussi rapidement aux tâches domestiques. Mettons les baby relax sur le plan de travail pour que nos enfants voient nos gestes, voient les transformations extraordinaires qui ont lieu quand on cuisine. Parlons de ce qui est en jeu : la technique, l'art, la socialité. Ne confisquons pas le bonheur de la culture technique, artistique, sociale !
 

Ceux qui coupent la parole pour dire des choses moins intelligentes que ce qu'on va dire n'ont pas raison



Sortant d'une discussion avec un jeune homme qui me sollicite parce qu'il a besoin d'aide, je m'aperçois qu'il n'est pas capable d'attendre la fin de mes phrases et qu'il m'interrompt pour dire assertivement des choses qu'il croit que je pense et qui sont en réalité bien moins intelligentes que ce que je me prépare à dire.
Je crois que c'est vraiment une mauvaise stratégie : non seulement il n'a pas brillé, mais, pis, il est apparu à la fois prétention et pas malin.

Ce n'est pas la première fois que je rencontre un étudiant qui a un tel comportement, et je m'interroge : pourquoi certains de nos jeunes amis font-ils ainsi  ? Est-ce voulu ? Est-ce involontaire ? J'en sais certains qui ont une volonté de paraître intelligents, rapides ; j'en sais d'autres qui sont inquiets, dans un milieu familial ou universitaire qui met beaucoup de pression ; j'en sais de prétentieux ; et il y a sans doute d'autres sortes.

En tout cas,   je ne suis pas sûr que leur manière soit bonne, et j'espère que ce message leur parviendra... et qu'il sera entendu,  parce que je suis absolument convaincu que ce comportement leur nuit.

Il faut être clair !

 Relisant mon livre Précisions culinaires, je m'interroge à propos du style qui y est mis en oeuvre, car je vois dans ce texte déjà publié beaucoup d'énergie, beaucoup de vie ;  le texte nous bouscule, respire, s'agit... mais peut-être au détriment de la clarté.

 




Or c'est bien cela qui est l'essentiel :  la clarté est la politesse de ceux qui s'expriment en public. Bien sûr, dans ce livre en particulier, "j'annonce bien la couleur", mais, en disant cette dernière partie de phrase, je montre exactement les limites de mon écriture : "annoncer la couleur" est une expression imagée, mais qui me parle en réalité qu'à ceux qui la connaissent. D'ailleurs, la traduction automatique en ligne montre, par son médiocre résultat, combien cette expression peut être difficile à interpréter.
Qu'est-ce qu'annoncer la couleur ? Annoncer la couleur, cela  signifie dire à l'avance ce dont on va parler. Pourquoi ne pas le dire ainsi ? Oui utiliser l'expression "annoncer la couleur" donne de la vie, du relief, mais au détriment de la clarté.

Et c'est là un des petits symptômes du livre dont je parle. En réalité, je vois que ce livre est également un peu elliptique du point de vue culinaire, car mes analyses une fois faites sont posées mais pas expliquées. Le livre gagnerait à entrer un peu dans les détails de ce point de vue. Bien sûr, je pars de textes culinaire dont je fais l'exégèse. Mais en commençant s'est-il bien toujours ce dont il s'agit ? Pourquoi ne pas profiter de ce texte pour expliquer davantage ?

Jeudi et vendredi prochain

À  partir de mercredi après-midi, les participants du 13e International workshop on molecular and physical  gastronomy vont se réunir pour la 13e de ces rencontres. 

Le thème choisi est consistances et textures

 

C'est un fait que, pour la cuisine, la question des consistance et des textures est absolument essentielle mais il y a lieu d'expliquer la différence entre ces deux termes et cela sera fait en termes quantitatifs, formels, en début de réunion. 

 

Disons déjà la chose, en considérand une piscine plein d'eau. L'eau est un liquide qui a donc la consistance d'un liquide : il s'écoule, sa viscosité faible, et cetera. 

Si l'on plonge correctement dans la piscine, alors il n'y a pas de  bruit et l'eau s'écarte devant nous.
En revanche, si l'on fait un plat, alors qu'il y a un grand bruit et l'on perçoit comme un solide. 

Dans un cas comme dans l'autre, l'eau a sa consistance avec des molécules qui bougent d'une certaine façon, mais la texture est ce que nous en percevons selon notre interaction avec la matière. 

Il en va de même pour les aliments. Par exemple un morceau de chocolat sera fondant si on laisse si on le laisse fondre en bouche et il sera croquant si on le croque. De même pour une pâte feuilletée qui sera croustillante si on la mâche immédiatement mais qui s'amollira et perdra sa croustillance si l'on si on la consomme trop lentement. 

L'intelligence de l'artisan  et de l'artiste culinaire c'est de bien comprendre cela. Pour la gastronomie moléculaire, il y a lieu d'explorer ses phénomènes, de comprendre les consistances, et de comprendre les textures et c'est en se fondant sur des observations culinaires que nous analyserons les choses. 

 

Voilà pourquoi nos amis vont nous rejoindre à Palaiseau bientôt

 


Le prochain séminaire

Bonne nouvelle : le Lycée Guillaume Tirel, à Paris, qui accueille les séminaires de gastronomie moléculaire, et contribue ainsi à l'avancement de l'artisanat et de l'art culinaire (en raison des résultats expérimentaux que nous y produisons) peut nous recevoir le 22 mai, de 16 à 18 heures, en remplacement du 15, qui est la date de début du 13 e IWMPG (doc joint).


1. Le 22, nous explorerons les questions suivantes :
- les roux préparés à feu très doux diffèrent-ils des roux préparés à feu très fort (à couleur finale
égale) ?
- les roux à farine torréfiée et beurre noisette diffèrent-ils de roux classiques, à ingrédients
constants ?

2. Pour vous inscrire au colloque des 15-16 et 17 (libre, gratuit, sur inscription), sur le thème "Consistances et textures", il faut envoyer : Nom, Prénom, Affialiation, Adresse, Téléphone, Email.

A quoi bon des travaux pratiques, dans les enseignements scientifiques ?

 Faut-il des travaux pratiques ? 

La question des travaux pratiques est régulièrement discutée dans l'enseignement supérieur, car ces séances pédagogiques coûtent évidemment plus cher que des cours théoriques, où l'on se contente d'un tableau, naguère noir, aujourd'hui blanc. On ne manquera pas, à ce propos, de rappeler la disparition des "préparateurs", qui étaient des assistants des professeurs, chargés de préparer les expériences qui illustraient les cours : avec la disparition de ces derniers, les professeurs ont dû faire eux-mêmes les expérimentations... qui ont finalement entièrement disparu. 

Restent donc les travaux pratiques. Sont-ils bien nécessaires ? La question s'est posée il y a quelques années, quand certaines universités anglaises ont voulu les supprimer... et il a fallu que des lauréats du prix Nobel annoncent qu'ils rendraient leur diplôme en cas de suppression des travaux pratiques pour que les universités retirent leurs projets. Mais il y a eu un chantage, et non un vrai débat. 

La question mérite d'être posée, comme d'ailleurs toutes les questions "qui fâchent" : faut-il vraiment que les étudiants fassent des travaux pratiques ? On observera d'abord que la science expérimentale est... expérimentale ! Il faut des données expérimentales pour que, ultérieurement, des élaborations théoriques puissent s'ériger. 

On observera ensuite que les étudiants font des "stages", dont l'objectif officiel (voir le site du Ministère de la recherche) est la transformation de connaissances en compétences : on pourrait alors imaginer que les entreprises soient en charge de former les étudiants aux manipulations pratiques... à cela près que cette formation est une charge considérable (souvenons-nous du point de départ : le coût), qui mobilise des personnels, et que les entreprises seraient alors en droit non pas de rémunérer les stages, mais, au contraire, de revendiquer le versement de sommes au titre de la formation qu'elles dispensent. 

On observera que les étudiants qui nous arrivent en stage, au niveau du Master, ne savent souvent pas changer un plomb, scier, visser, percer, etc., les cours de technologies des collèges et des lycées ayant échoué à leur donner ces compétences (c'est un fait, pas une critique), sauf évidemment (peut-être) dans les filières technologiques. 

Enfin, on observera, par une métaphore juste et puissante, que l'on peut avoir reçu tous les conseils théoriques du monde, on ne jouera au tennis ou au violon qu'après un très long entraînement pratique. Que notre intelligence y trouve ou non son compte, c'est ainsi : nos mains doivent apprendre, et il n'est pas vrai que la tête soit toute puissante. 

Bref, il faut donc des séances de travaux pratiques. Sur la base de cette conclusion irrémédiable, nous pouvons maintenant chercher à organiser ces derniers, pour qu'ils soient efficaces, mais on observera, en reprenant l'exemple du tennis ou du violon, que le temps passé doit être considérable. Et on se souviendra que c'est en vertu de tels raisonnements que Louis Joseph Gay-Lussac, puis son élève Justus von Liebig, organisèrent des formations pour les étudiants en chimie. 

On n'oubliera pas que le grand Antoine Laurent de Lavoisier parvint à ses avancées scientifiques par une parfaite maîtrise de ses expérimentations : la "balance de Fortin" ou son aéromètre étaient des outils célèbres dans toute l'Europe scientifique, avant que Louis Joseph Gay-Lussac ou Jons Berzélius ne deviennent les plus grands chimistes de leur temps, leurs analyses étant également bien plus précises que celles de leurs contemporains. 

 

Mens sana in corpore sano.