Le fond est-il une indication de la forme ? Dans le travail scientifique, nous avons sans cesse à évaluer des informations qui nous sont transmises, notamment par des articles scientifiques. Le problème, aggravé par la prolifération des revues prédatrices, qui cherchent à gagner de l'argent en publiant n'importe quoi, c'est que nombre d'articles aujourd'hui publiés sont de mauvaise qualité.
Or il est essentiel de savoir reconnaître cette qualité et notamment parce que l'utilisation de données erronées risque de saper le travail que l'on ferait en les utilisant.
D'autre part, des théories fausses risquent de nous induire en erreur point et ainsi de suite.
Bref, nous sommes sans cesse à devoir évaluer, c'est-à-dire juger de la valeur d'information qui nous sont transmises. D'ailleurs les articles scientifiques ne sont pas seulement concernés : dans notre propre travail, nous devons évaluer les informations que nous fournissent nos instruments de mesure.
Le cas le plus simple et celui d'une balance sur lequel on pèse un objet dont on veut connaître la masse : comment nous assurer que ce qu'affiche la balance n'est pas n'importe quoi ? C'est pour cette raison que l'on multiplie les validations. Par exemple, pour une balance, on utilisera d'abord un étalon secondaire, à savoir une masse dont on a confronté la mesure à une masse étalon certifiée.
Mais ce que je dis là pour une mesure de masse vaut tout aussi bien pour une mesure de température, de dimensions, de courant électrique, etc. Nous devons être extraordinairement prudents quand nous faisons des analyses, sans quoi il est bien certain que les conclusions scientifiques que nous pourrions en tirer seraient fautives.
Mais revenons aux articles : à leur propos, il y a deux questions essentielles:
- la première est de savoir si la forme peut indiquer le fond,
- la seconde est de savoir quel crédit on peut accorder un article scientifique imparfait.
En vérité, la première question n'est qu'un pas sur le chemin vers la seconde, et la question est donc de savoir ce que vaut un article.
Pour caricaturer, peut-on dépister la qualité scientifique d'un texte au nombre de fautes d'orthographe que l'on y trouve ? Ainsi posée, la question semble sans intérêt, car on peut très bien imaginer qu'un auteur d'un texte médiocre ait utilisé un correcteur orthographique et n'ait laissé aucune coquille. Ou inversement, qu'une personne ait fait un raisonnement très intelligent et laissé des fautes d'orthographe dans le texte où il relate son raisonnement.
Mais il y a loin de la faute typographique au contenu en passant par l'usage des unités, par la répétition des expériences, par le traitement statistique des données, et par tout ce qui fait que la recherche scientifique est en réalité quelque chose qui doit se faire avec le plus grand soin.
C'est ainsi que la partie de Matériels et de méthodes doit être d'une précision telle que n'importe qui dans le monde puisse refaire l'expérience avec l'information qui est donnée. C'est nécessaire et non suffisant, et l'on peut se demander si, voyant un protocole insuffisamment précis, l'article vaut quelque chose, si les conclusions scientifiques qui sont tirées ont un sens, une validité...
Bref il y a lieu d'apprendre à reconnaître la qualité d'un article à partir de sa forme.
À ce propos, dans un cours c'est que j'ai publié sur cette question, les rapporteurs m'ont demandé de traiter la question suivante : la mauvaise connaissance d'une langue étrangère empêche-t-elle de bien penser quand on s'exprime dans cette langue ? Évidemment, la réponse est non : on peut bien penser et mal parler si l'on ne connaît pas les mots ou étrangers, ou si on les confond, mais on se souviendra qu'il ne s'agit pas seulement d'émettre un message mais surtout de s'assurer qu'il soit bien reçu ; o si les mots sont mauvais, le message sera certainement mal reçu. Il y a donc lieu d'être précis et de ne pas parler une langue étrangère en jargonnant en quelque sorte.
Cela étant, les manuscrits publiés par les revues scientifiques le sont au terme d'une évaluation par les pairs, avec un éditeur qui sollicite des rapporteurs, lesquels sont précisément des garde-fous, des personnes compétentes qui doivent s'assurer que les conditions d'une publication de bonne qualité sont réunies.
Si un article paraît avec une grosse imperfections de forme, c'est qu'il a été mal écrit, mais ensuite mal traité éditorialement, et cela augure mal de la qualité du texte.
Passons maintenant à la seconde question qui est de savoir ce que l'on peut faire des données dans un article médiocre. Cette question est terrible, parce que nous aimerions bien disposer de données suffisantes pour fonder nos propres travaux ; quand nous trouvons un article sur un sujet qui nous intéresse, nous aimerions avoir des informations utilisables.
Or parfois, précisément, des articles qui pourraient nous être utiles sont de mauvaise qualité et se pose véritablement la question de savoir quoi faire des données qui s'y trouvent.
J'ai bien peur que la réponse est que nous pouvons rien en faire.
Prenons l'exemple d'un article qui discuterait la question de la couleur de haricots verts, mais qui n'indiquerait pas la variété des haricots. Supposons que cet article s'intéresse à l'effet d'un traitement thermique particulier. Si la variété des haricots n'est pas donnée, alors les résultats qui seront obtenus, reliant le traitement thermique à la variation de couleur ne vaudront que pour la variété particulière qui a été utilisée, et qui, malheureusement, n'est pas donnée. De sorte que ni localement ni globalement nous n'avons d'information fiable : d'autres variétés de haricots pourraient se comporter différemment et cette variété-là, dans la mesure où elle n'est pas connue... n'est pas connue.
Pis encore, imaginons que les auteurs aient écrit dans leur article qu'ils ont lavé les haricots, et qu'ils les ont trié. Ce seront donc seulement certains haricots qui évolueront d'une certaine façon et, dans la mesure où le critère de tri, n'est pas donné, nous ne pouvons absolument pas savoir quel est l'intérêt de l'information qui est publiée.
Continuons en évoquant un traitement thermique. Imaginons que les haricots soient "cuits pendant 8 minutes" : cette fois, il y a vraiment lieu de savoir quelle est la vitesse d'augmentation de la température car si les haricots ont mis 5 minutes avant d'atteindre la température de consigne décidée pour le traitement, alors ce traitement n'aura en réalité pas été effectué pendant 8 minutes et même pire, si les haricots ont traîné longtemps à une température un peu basse, aux environs de 50 degrés, alors les enzymes du végétal auront peut-être produit des effets qui se répercuteront sur la couleur finale du haricot.
Bref, un article insuffisamment précis dans ses matériels et méthodes, avec un protocole insuffisamment précisé, ne vaut rien, et nous ne pouvons rien en faire. Il serait d'utilité publique que dans un tel cas, nous fassions une lettre à l'éditeur pour signaler aux collègues que l'article n'est pas utilisable, en espérant que cette lettre sera publiée et qu'elle conduira les auteurs de l'article initial à publier des précisions qu'ils auraient qu'ils n'ont pas données... en supposant qu'il les aient.
Ce blog contient: - des réflexions scientifiques - des mécanismes, des phénomènes, à partir de la cuisine - des idées sur les "études" (ce qui est fautivement nommé "enseignement" - des idées "politiques" : pour une vie en collectivité plus rationnelle et plus harmonieuse ; des relents des Lumières ! Pour me joindre par email : herve.this@inrae.fr
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