On me demande s'il est vrai que la cuisson à basse température du gibier le rend cotonneux. Et l'on me dit que le gibier contiendrait beaucoup d'acide lactique. On me signale enfin que cette idée aurait été soutenue par un des Meilleurs Ouvriers de France.
À ma connaissance, les meilleurs ouvriers de France sont évidemment merveilleux puisqu'ils sont meilleurs ouvriers de France, mais ils ne sont ni biologistes ni chimistes, et je préférerais que l'on me donne une référence à un travail scientifique, où l'on aurait mesuré les concentrations en acide lactique.
Car le reste n'est qu'argument d'autorité. Et je veux toujours évaluer ce que l'on me dit, ne pas gober n'importe quoi.
Il y a en effet deux questions :
1. le gibier devient-il cotonneux à basse température ?
2. le gibier contient-il plus d'acide lactique que d'autres viandes ?
L'acide lactique, pour commencer par là, est un composé qui se forme quand les muscles travaillent et c'est ainsi que naissent les courbatures, les crampes.
De sorte que l'on peut immédiatement observer qu'il y a une différence considérable entre un cerf qui aurait été chassé à courre et un faisan qui se sera envolé à l'instant : ce dernier risque de ne pas avoir beaucoup d'acide lactique dans ses muscles, contrairement au cerf, évidemment, qui aura couru beaucoup.
Autrement dit, la question avait déjà une généralité douteuse.
Mais il y a pire : à savoir que certaines viandes comme le gigot peuvent être cotonneuses à basse température sans contenir particulièrement d'acide lactique, et, inversement, j'ai fait cuire à basse température des gibiers qui avairent couru, et la chair n'a pas été cotonneuse.
Un seul contre-exemple suffisant à réfuter une loi générale, je conclus que ce que l'on me dit est faux.
En réalité, il y a derrière tout cela une pensée simpliste, qui me ramène au tout début de la cuisson à basse température, quand certains parlaient de "température idéale". Je leur répondais que l'idéal, c'est ce que je préfère, moi, ici et maintenant, et que, par conséquent, leur prétendue température idéale n'a rien d'idéal. D'ailleurs certains préféreront une viande de bœuf cuite à 67 °C, d'autres à 70 °C ; certains préféreront un gigot de mouton cuit à 75 °C et d'autres à température plus basse. Et ainsi de suite : pour chaque viande et chaque température, il y a une consistance particulière, sans compter que le temps de cuisson est essentiel.
Quand je dis chaque viande, cela signifie chaque animal car la viande du veau n'est pas celle du bœuf, celle du bœuf qui ne bouge pas n'est pas celle du boeuf qui bouge, sans compter les races, qui diffèrent, etc.
Bref, il y a autant de résultats différents que de viandes différentes, d'animaux différents, de conditions différentes d'élevage, de conditions d'abattage, de températures et de durées de cuisson. Vouloir faire une loi générale avec tout cela, c'est bien utopique.
Et ce n'est pas avec l'autorité d'un meilleur ouvrier de France que l'on pourra me faire gober ce genre de choses.
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