On parle beaucoup, aujourd'hui, d'oeuf moléculaire et d'oeuf parfait, et on trouve très de plus en plus fréquemment cet oeuf dans les restaurants du monde entier. De quoi s'agit-il ?
C'est une invention que j'ai faite dans les années 90, alors que je cherchais à comprendre pourquoi les œufs cuisent.
À l'époque, les physiciens prétendaient que les blancs d'oeufs cuits étaient des gel chimiques mais les chimistes disaient qu'il s'agissait de gels physiques. Finalement qu'en était-il ? C'est pour comprendre que, considérant la flèche des énergies, qui montre bien la différence entre les gels physiques (pas de liaisons covalentes entre les molécules dont l'assemblage fait un réseau qui piège le liquide) ou chimiques (des liaisons covalentes entre les éléments constitutifs du réseau), j'ai conclu que la coagulation de l'œuf était due essentiellement à des "ponts sulfure", qui lient chimiquement les protéines chauffées quand elles contiennent des groupes "thiol" ; et j'en ai apporté la preuve expérimentale en décuisant un œuf, en faisant revenir cru un œuf cuit.
Cela était donc établi, mais il y avait d'autres questions et par exemple de savoir pourquoi les œufs cuits plus de 10 minutes deviennent caoutchouteux. L'expérience qui établit le phénomène est facile à faire, et on le fait chaque fois que l'on cuit mal un œuf dur.
Or, dans la théorie que j'avais élaborée, pour décrire la coagulation des œufs, je ne voyais pas les 10 minutes. Et je ne les voyais pas parce qu'elles n'y étaient pas : ce qui apparaissait, c'était seulement la coagulation des protéines.
A l'analyse, il m'est apparu qu'il n'y a pas une seule protéine (je parle d'une catégorie de molécules, et non pas de molécules) dans le blanc d'oeuf, mais plusieurs (environ 300 pour le blancs) et que chacune a une température de dénaturation particulière.
De sorte que j'arrivais à cette prévision : si l'on cuit un œuf à 61 degrés pendant plusieurs heures il restera liquide. Mais dès que l'on dépassera 62 degrés, alors des transformations peuvent survenir et une première coagulation doit s'observer ; puis si on chauffe davantage, par exemple à 70 degrés, alors une deuxième coagulation sera visible et un changement apparaîtra, et ainsi de suite.
C'est la raison pour laquelle j'ai alors mis des œufs dans des fours à 61, 62, 63, 64, 65, 66, 67, etc. Et effectivement l'œuf à 65 degrés était tout à fait extraordinaire parce que le blanc était pris, laiteux, très tendre, tandis que le jaune restait liquide avec son goût remarquable de jaune d'œuf cru.
C'est cet oeuf à 65 degrés que j'ai nommé "oeuf parfait".
Les oeufs produits aux autres températures n'ont pas démérité, et ils sont intéressants dans différents contextes culinaires, mais ce ne sont pas des "œufs parfaits".
D'ailleurs, le mot parfait est très contestable puisque personnellement je préfère plutôt l'œuf à 66 ou 67 degrés et que, de surcroît, nos goûts peuvent changer selon les minutes de sorte que l'oeuf qui serait pour nous parfait un jour pourrait ne pas l'être le lendemain.
Mais qu'importe, le nom d'oeuf parfait a été donné à l'œuf à 65 degrés, et pas aux autres. Et je m'amuse d'ailleurs de le voir aujourd'hui surnommé œuf moléculaire.
Pourquoi pas, puisque cet œuf est effectivement advenu grâce à des matériels culinaires perfectionnés, venu du laboratoire, tels les thermo-circulateurs, et que la cuisine moléculaire correspond très justement à cette technique culinaire qui se fait avec des matériels venus des laboratoires.
En tout cas, ce n'est pas difficile à faire : on prend un œuf, on le met dans un four et l'on chauffe à 65 degrés pendant un temps qui dépend de la taille de l'oeuf, mais que l'on choisira d'une heure ou plus.
Bon appétit
Ce blog contient: - des réflexions scientifiques - des mécanismes, des phénomènes, à partir de la cuisine - des idées sur les "études" (ce qui est fautivement nommé "enseignement" - des idées "politiques" : pour une vie en collectivité plus rationnelle et plus harmonieuse ; des relents des Lumières ! Pour me joindre par email : herve.this@inrae.fr
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