Pétris, depuis les bancs de l’école, de clichés d’une Alsace éperdument française, déchirée entre deux cultures mais toujours heureusement délivrée par le pays des droits de l’homme, la moindre contestation de ce mythe apparaît forcément suspecte. C’est méconnaître totalement la richesse d’une culture multiséculaire, ancrée au cœur de l’Europe que d’aucuns voudraient réduire à un folklore sympathique et commercial. Une méconnaissance à laquelle n’échappent ni les parlementaires, ni les gouvernements et ni les hauts-fonctionnaires formés à l’école de la République « une et indivisible », alors qu’un minimum de curiosité intellectuelle et d’écoute permettrait d’éviter bien de coûteuses erreurs…
« Nos ancêtres les Gaulois »
Si l’architecture, la gastronomie, les traditions font cette Alsace que viennent goûter des millions de touristes du monde entier, c’est précisément parce qu’elles n’ont rien de… Gaulois ! L’Alsace est l’héritière de tribus germaniques venues du Nord de l’actuelle Allemagne au 5e siècle en passant par le bassin de l’Elbe. Elle relève d’un ensemble culturel dont elle conserve, aujourd’hui encore, les dialectes alémaniques et franciques directement liés au Hochdeutsch (allemand standard).
Lors du dépeçage de l’empire de Charlemagne, l’Alsace est intégrée à la Lotharingie, puis, pour l’essentiel, au Saint Empire romain germanique, dont elle partagera longtemps les succès et les tourments. C’est l’historiographie officielle née après la défaite de 1870, dans la guerre franco-prussienne, qui fait naître le mythe d’une Alsace française « de toute éternité ». Autrement dit, non pas l’histoire de l’Alsace telle qu’elle est, mais l’histoire de l’Alsace telle qu’elle doit être.
Ainsi en est-il de 1648, que bien trop de livres, et notamment de mensongers ou erronés manuels scolaires, présentent comme la date de rattachement de l’Alsace à la couronne de France à l’issue de la guerre de Trente Ans. En réalité, par les traités de Westphalie, Louis XIV ne s’attribua que les possessions alsaciennes des Habsbourg, essentiellement l’actuel Sundgau, au sud de l’Alsace. Celles-ci furent alors détachées du Saint Empire romain germanique à la différence du reste de l’Alsace. Strasbourg n’a été rattachée à la France qu’en 1681 et Mulhouse en 1798.
Au moment où Napoléon III déclare la guerre à la Prusse et ses alliés, Mulhouse - jusqu’alors République libre et indépendante alliée à la Confédération Suisse - n’est donc française que depuis 72 ans !
Sous la souveraineté allemande (1871-1918), à l’issue du traité de Francfort, le Reichsland Elsass-Lothringen bénéficie d’une législation sociale très avancée et acquiert en 1911 une Constitution lui conférant une large autonomie.
Son Landtag (Parlement) est occupé actuellement par le Théâtre national de Strasbourg, place de la République, anciennement Kaiserplatz. De retour dans le giron de la France en 1918, l’Alsace conservera nombre de ses particularismes : Concordat, assurances sociales, mutuelles…
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la disparition de la génération née à la toute fin du 19e siècle et au début du 20e, quasi-exclusivement dialectophone et germanophone, marque le déclin de la culture alsacienne tandis que la génération suivante abandonnera en partie ses dialectes multiséculaires.
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