Que mes amis italiens me pardonnent ce titre : j'espère qu'ils seront d'accord avec moi, quand ils auront fini la lecture de ce billet, si ce sont de vrais amateurs de pâtes.
Le point de départ, c'est un oukase que l'on répète en France : il faudrait que les pâtes soient cuites al dente.
Mais on me connaît : je n'aime guère les oukases, ces ordres qui viennent d'on ne sait où et qu'il faudrait suivre sans réfléchir.
D'ailleurs, cela fait bien longtemps que je me demande pourquoi il faudrait cuire les pâtes al dente.
Et l'on verra qu'il est très fautif de considérer que les pâtes al dente sont "meilleures".
Bien sûr, mes amis italiens sont des amateurs de pâtes, parfois des connaisseurs de pâtes... mais moi aussi ! Et je vois bien mal comment on pourrait mesurer l'expertise, et, surtout, pourquoi la connaissance des pâtes devrait dicter mon goût.
Car parfois, j'aime les pâtes bien cuites, parfois je les veux al denté, parfois je les veux si cuites qu'elles se défont... Oui, mon goût est changeant, d'heure en heure, de jour en jour, de saison en saison, selon les convives, le temps qu'il fait... Et seul mon goût compte, pour ce que je mange. Si je veux des pâtes bien cuites, je me fiche de savoir que d'autres les veulent al dente, et vice versa.
Pis encore, la répétition les mêmes plats est lassante, et l'être humain, sans doute pour des raisons de biologie de l'évolution, veut des changements, sans doute parce que ces derniers garantissentqu'il mangera de façon diversifiée et qu'il évitera d'accumuler des composés toxiques qui proviendraient d'un aliment particulier. Manger varié, c'est limiter la concentration de certains composés... ce qui est essentiel, car tous les composés de nos aliments sont toxiques à haute dose.
Finalement, j'invite mes amis à ne jamais céder au terrorisme intellectuel du "meilleur" : le meilleur, c'est ce que nous préférons hic et nunc, rien de plus.
De surcroît, le conseil de cuire les pâtes al dente est est idiot parce que les pâtes ne se mangent pas seul, mais en accompagnement : a minima d'une sauce, mais aussi d'autres ingrédients, d'une viande ou d'un poisson etc., et chaque association impose une consistance particulière des pâtes.
Si l'on a une consistance de la garniture qui est celle d'une pâte al dente, alors on aurait deux fois la même consistance en appropriant la garniture de pâtes al dente. Est-ce vraiment intéressant ? Certainement pas si l'on considère que notre appareil sensoriel est biologiquement fait pour reconnaître précisément les contrastes, et les contrastes de consistance en particulier.
Mais on se souvient que le bon, c'est le "beau à manger". Et en art culinaire, comme dans les autres arts, il n'y a pas de loi.
Je reviens à mes pâtes, à mes pauvres pâtes, et j'avais bien raison de me méfier de cette loi tombée du ciel, ou plutôt de l'Italie, qui voudrait m'imposer ses goûts, nous imposer ses goûts. Nous valons mieux : cuisons les pâtes comme nous avons décidé de les cuire, agrémentons-les comme nous avons décidé de les agrémenter. Comme en musique, c'est seulement l'aléatoire, l'à peu près, qui empêchent d'atteindre le beau.
Oui, pour nos pâtes, sachons les cuire de la consistance que nous voulons, et dans le liquide que nous voulons, pour leur donner la consistance et le goût que nous aurons décidé.
Ce blog contient: - des réflexions scientifiques - des mécanismes, des phénomènes, à partir de la cuisine - des idées sur les "études" (ce qui est fautivement nommé "enseignement" - des idées "politiques" : pour une vie en collectivité plus rationnelle et plus harmonieuse ; des relents des Lumières ! Pour me joindre par email : herve.this@inrae.fr
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