1. Pour présenter le bicarbonate, je propose de commencer par discuter le nom. Le mot bicarbonate est un mot chimique un peu ancien, pour un chimiste, et certainement un mot insuffisamment précis, car on peut avoir un bicarbonate de sodium, un bicarbonate de fer, un bicarbonate de calcium... Bref il y a des bicarbonates variés, même si, en cuisine, c'est le bicarbonate de sodium que l'on utilise.
Parfois certains parlent de bicarbonate tout court, ou de bicarbonate de soude, ou encore de bicarbonate de sodium : tout cela désigne un même composé, dont le nom le plus officiel est hydrogénocarbonate de sodium.
Oui la terminologie est lourde, ce qui explique que l'on abrège en bicarbonate, voire en "bicar", pour certains. Mais il s'agit toujours du même produit, qui se présente sous la forme d'une poudre blanche, indication de sa pureté.
Attention : une indication n'est qu'une indication, et pas une preuve : du bicarbonate de sodium auquel on aurait ajouté du sucre resterait sous la même forme, mais il serait impur. Pour la cuisine, nous avons besoin de bicarbonate de qualité alimentaire, food grade en anglais (d'où les initiales FG), sans impuretés dangereuses.
2. Ayant ce composé, je propose de le goûter pour nous apercevoir, une fois de plus, que la théorie des quatre saveur est fausse. D'une main, bouchons-nous donc le nez, et posons une pincée de bicarbonate sur la langue : puisque le nez est pincé, nous ne sentons que la saveur... qui n'est ni salée, ni sucrée, ni acide, ni amère... mais savonneuse, en quelque sorte, un peu salée, mais sans avoir l'agressivité du sel. Puis on libère le nez pour percevoir les odeurs... et l'on n'en perçoit pas. Le bicarbonate a une saveur seulement, et une saveur distincte des salés, sucrés, acides et amers. Comment se fait-il, alors, que certains continuent à évoquer cette théorie fautive des quatre, ou des cinq saveurs ? Je ne comprends vraiment pas !
D'ailleurs, pour ceux qui maîtrisent la chimie, je propose de répéter l'expérience avec de la soude ou de la potasse très diluées, afin de reconnaître une communauté de saveurs. Ou alors, on peut goûter un peu de cette "lessive de cendres" que les anciens utilisaient pour cuire la haricots verts, et que l'on obtient en filtrant de l'eau versée sur des cendres de bois, ce qui entraîne la potasse qui y est présente.
3. Pourquoi évoquer ensemble bicarbonate, potasse (le nom courant de l'hydroxyde de potassium) et soude (le nom courant de l'hydroxyde de sodium) ? Parce que ce sont tous les trois des bases, des "alcalis", comme on disait naguère. Ce sont le "contraire" des acides. Pourquoi le contraire des acides ? Si nous prenons par exemple un peu de vinaigre cristal, dont la saveur est manifestement acide, et un peu de bicarbonate, dont la saveur est basique, si nous mélangeons ces deux corps, alors nous verrons une effervescence et il restera une solution d'un sel, l'acétate de sodium. Ce dernier ne sera plus ni acide ni basique : c'est ce que l'on nomme un sel, tout comme on nomme sel le sel de cuisine, que l'on pourrait obtenir par le même type de réaction entre un acide une base, mais cette fois à partir de l'acide chlorhydrique et de la soude. Le sel de cuisine est le prototype des sels, et l'acétate de sodium est un autre sel.
4. A quoi bon le bicarbonate en cuisine, finalement ? Il permet de conserver la couleur vertes des légumes verts que l'on cuit ; il permet de bien cuire les légumes secs, surtout quand l'eau est calcaire, il permet de rectifier une sauce trop acide... Et tout cela sera raconté une autre fois.
Ce blog contient: - des réflexions scientifiques - des mécanismes, des phénomènes, à partir de la cuisine - des idées sur les "études" (ce qui est fautivement nommé "enseignement" - des idées "politiques" : pour une vie en collectivité plus rationnelle et plus harmonieuse ; des relents des Lumières ! Pour me joindre par email : herve.this@inrae.fr
dimanche 31 mai 2020
samedi 30 mai 2020
N'empoisonnons pas nos amis !
Cela fait deux fois en deux jours que l'on m'interroge sur des questions de microbiologie, de conservation, et même plus précisément, de traitement du saumon. On me parle de fumage, on me parle de gravlax, et l'on me demande de l'aide pour que du saumon se conserve plus longtemps. Mais on doit prendre garde à bien fournir à nos amis des aliments qui ne les empoisonneront pas, n'est-ce pas ?
Commençons par rappeler que le fumage du saumon est une méthode ancienne de conservation du poisson, non seulement parce que l'on fait croûter un peu la surface, ce qui ne laisse pas d'eau disponible pour les bactéries pathogène de l'environnement, qui ne peuvent donc pas se développer, mais aussi parce que le fumage dépose à la surface exposée des composés qui sont des bactéricides puissants.
Le fumage classique n'est pas un procédé si sain que cela : certains des composés déposés par la fumés sont cancérogènes, et cela s'observe hélas sur les populations du nord de l'Europe, qui meurent plus que les autres de cancers du système digestif, en raison de leur consommation excessive de produits fumés.
Pour la confection de gravlax, la technique est différente, puisque c'est l'usage du sel et du sucre qui, provoquant le croûtage, évite la prolifération bactérienne : ces deux composés tirent l'eau de chair par osmose, formant une croûte superficielle, tandis que l'eau qui sort forme une flaque où sel et sucre sont dissous. D'ailleurs, on observera que certains fumages sont précédés d'un tel traitement, d'une part, et l'on dira, d'autre part, que le sucre tire l'eau plus efficacement que le sel... au point que ce même sucre est utilisé dans les hôpitaux de campagne, pour éviter le développement bactérien sur les plaies.
Du point de vue de la conservation, laquelle n'a pas grand chose à voir avec le goût ni avec la sécurité chimique des aliments, tout va bien si l'on n'hésite pas à couvrir le poisson de sel et de sucre pendant un temps suffisant, de sorte qu'il y ait un bn croûtage, et si l'on fume un peu rudement de sorte que les composés susceptibles de tuer les micro-organismes soient abondants. Mais alors, le goût n'est pas bien délicat, et le produit est chargé de composés cancérogènes. C'est la raison pour laquelle mes interlocuteurs me demandaient de les aider à réduire le fumage, d'une part, et réduire le croûtage, d'autre part.
Oui, mais on ne peut pas avoir le beurre et l'argent du beurre : en l'occurrence, on ne peut pas appliquer un procédé de conservation sans l'appliquer. Si l'on réduit fumage et croûtage, le poisson n'est plus protégé, et, sauf à utiliser une autre méthode de conservation, il se colonise de micro-organismes potentiellement pathogènes.
D'ailleurs, cette question d'augmenter la durée de vie des produits alimentaires est une question non plus des cuisiniers mais des industries alimentaires, qui, précisément, doivent pouvoir fournir des aliments avec des dates de conservation aussi longues que possibles, pour que les produits puissent rester sur les rayonnages des boutiques.
Or ces question d'augmentation des durées de conservation sont difficiles. On peut conserver au sel (saumurage), au sucre (confitures), dans la graisses (confits), dans l'alcool, dans le vinaigre, au froid, on peut sécher, on peut effectuer des lacto-fermentations (yaours, choucroute...), on peut stériliser : il y a bien des façons, mais on doit toujours bien maîtriser ces techniques sous peine de tuer les convives. Et l'on aura raison de rappeler que, en 2015, une sauce au fromage artisanale a envoyé des clients au cimetière et à l'hôpital ; récemment un artisan inconséquent, criminel en quelque sorte, a intoxiqué ses clients avec des tapenades mal stérilisées... , tandis qu'il finissait en prison avec une amende, ce qui est la moindre des choses quand même car on a pas le droit de tuer autrui n'est-ce pas ?
Ne jouons pas aux apprentis sorciers. La conservation est une question de vie ou de mort, et cela ne s'improvise pas, comme le croyait très naïvement les deux interlocuteurs qui m'ont récemment consulté, confondant d'ailleurs microbiologie et chimie... ce qui doit alerter nos amis sur leur incompétence ! J'espère que le discours rigoureux que je leur ai tenu les aura dissuadés de se lancer dans les productions hasardeuses qu'ils projetaient !
lundi 25 mai 2020
Pour les jours qui viennent
Mon cours de gastronomie moléculaire de 2020 sera une série d'expérience de physique et, surtout, de chimie pour bien montrer des effets utiles à tous les cuisiniers. Nous commencerons par le plus important, ce que j'ai en avais nommé les "14 commandements de la cuisine" dans mon livre Mon histoire de cuisine.
Que sont ces "commandements" ? Non pas des ordres, bien sûr, mais plutôt des idées très simples, essentielles, pour bien faire la partie technique de la cuisine. Car on se souvient que la cuisine à trois composantes : à savoir une composante technique, une composante artistique, une composante de lien social. Dans ce cours de 2020, je ne discuterai que la composante technique, parce que là, déjà, il y a beaucoup pas dire... comme je m'en suis aperçu récemment lors d'un d'une conférence filmée de l'Académie de l'agriculture, puis d'un séminaire en ligne pour mon propre laboratoire. Dans le premier, j'expliquais qu'il fallait arrêter de parler à tort et à travers de réaction de Maillard, et, dans le second, j'expliquais comment on peut utiliser la technique d'analyse qu'est la résonance magnétique nucléaire. Dans les deux cas, j'ai voulu faire du simple, du très simple, de l'extrêment clair... et j'ai eu le plaisir de constater, par de nombreuses réactions très positives, que j'avais bien plus rendu service que si je m'étais adressé à moi-même, que si j'avais voulu en imposer par mon savoir !
Oui, décidément, la clarté est la politesse de ceux qui s'expriment en public, comme disait l'astronome François Arago, mais mieux encore : c'est la condition de communication scientifiques réussies.
Et cela me conforte dans le choix que j'ai fait, pour le cours 2020 de gastronomie moléculaire : nous partirons des commandements, à savoir des idées toutes simples du style "l'huile ne se mélange pas à l'eau", et nous les incarnerons pas des expériences, qui seront l'occasion d'en obtenir des corollaires, des conséquences, des leçons.
Oui, il y aura les 14 commandements, mais il y aura aussi bien plus, car j'ai réuni une série de petites expériences éclairantes (j'espère), pour mieux maîtriser la composante technique de la cuisine.
Reste à fixer la date, et prévoir de bien filmer tout cela, afin de le mettre en ligne.
Et puis, dans les jours qui vont suivre, faire des billets relatifs à chacune de ces expériences !
Que sont ces "commandements" ? Non pas des ordres, bien sûr, mais plutôt des idées très simples, essentielles, pour bien faire la partie technique de la cuisine. Car on se souvient que la cuisine à trois composantes : à savoir une composante technique, une composante artistique, une composante de lien social. Dans ce cours de 2020, je ne discuterai que la composante technique, parce que là, déjà, il y a beaucoup pas dire... comme je m'en suis aperçu récemment lors d'un d'une conférence filmée de l'Académie de l'agriculture, puis d'un séminaire en ligne pour mon propre laboratoire. Dans le premier, j'expliquais qu'il fallait arrêter de parler à tort et à travers de réaction de Maillard, et, dans le second, j'expliquais comment on peut utiliser la technique d'analyse qu'est la résonance magnétique nucléaire. Dans les deux cas, j'ai voulu faire du simple, du très simple, de l'extrêment clair... et j'ai eu le plaisir de constater, par de nombreuses réactions très positives, que j'avais bien plus rendu service que si je m'étais adressé à moi-même, que si j'avais voulu en imposer par mon savoir !
Oui, décidément, la clarté est la politesse de ceux qui s'expriment en public, comme disait l'astronome François Arago, mais mieux encore : c'est la condition de communication scientifiques réussies.
Et cela me conforte dans le choix que j'ai fait, pour le cours 2020 de gastronomie moléculaire : nous partirons des commandements, à savoir des idées toutes simples du style "l'huile ne se mélange pas à l'eau", et nous les incarnerons pas des expériences, qui seront l'occasion d'en obtenir des corollaires, des conséquences, des leçons.
Oui, il y aura les 14 commandements, mais il y aura aussi bien plus, car j'ai réuni une série de petites expériences éclairantes (j'espère), pour mieux maîtriser la composante technique de la cuisine.
Reste à fixer la date, et prévoir de bien filmer tout cela, afin de le mettre en ligne.
Et puis, dans les jours qui vont suivre, faire des billets relatifs à chacune de ces expériences !
À propos de changement de couleur et d'acidité
Je comprends mieux, ce matin, qu'il y a lieu de ne jamais oublier de s'émerveiller de ce qui est effectivement merveilleux, et, notamment, de toujours être à l'affût des bizarreries de notre monde, parce que ce sont elles qui sont la clé des découvertes, mais aussi des émerveillements !
Commençons par une observation, en cuisine : nous étions avec mon ami Pierre Gagnaire en train de préparer une sauce wöhler pour je ne sais plus quelle télévision, et, alors que Pierre pochait un oeuf dans cette sauce qui s'apparente à une meurette, nous avons vu la couleur de la sauce passer d'un beau pourpre à un vert brunâtre.
Là, le charme de la meurette était perdu... mais j'y voyais une merveilleuse opportunité de me souvenir que les polyphénols sont -et depuis longtemps- d'excellents "indicateurs" colorés.
Oui, dès le 18e siècle, les chymistes (quand la chimie se dégageait lentement de l'alchimie), puis les chimistes ont utilisé des "sirops de violette" pour détecter les acides et les bases. Car les fleurs, mais aussi nombre de fruits, contiennent des polyphénols, qui ont effectivement la capacité de changer de couleur en fonction de l'acidité du milieu ! Or les polyphénols qui avaient été utilisés étaient des polyphénols de raisins, et, autant ils sont rouges en milieu acide, autant ils virent quand le milieu devient moins acide, plus basique.
Mais là, il faut absolument que j'aille plus lentement pour mes amis qui ne sont pas chimistes. Oui, un récent webinaire que j'ai fait, suivi d'un séminaire que j'ai fait pour mon propre laboratoire, m'ont bien démontré que je devais toujours être très explicite, très clair, pour tous.
Allons y donc doucement : l'eau n'est ni acide ni basique, mais "neutre". Et on mesure cela avec une échelle qui va de 0 à 14 : 0 pour les acides très acides, et 14 pour les bases -ou alcalis- très alcalines, très basiques ; et 7 pour l'eau, neutre, ni acide ni basique. Cette échelle est nommée l'échelle des pH.
La soude, la potasse, le bicarbonate de sodium, dissous dans l'eau, font une solution basique, avec un pH compris entre 7 et ~14, mais la plupart des ingrédients alimentaires sont plutôt acides, avec un pH entre à et 7. Par exemple, les framboises ont -étonnamment- un pH très faibles, et c'est seulement le sucre qu'elles contiennent qui ne nous permet pas de bien apprécier gustativement que ces fruits sont très acides. Idem pour le jus de citron... mais là, on perçoit l'acidité. Ou pour le jus d'orange.
L'oeuf ? C'est une de ces merveilleuses exceptions : son pH est élevé, et il n'en fallait pas plus pour que je comprenne que la présence de l'oeuf que l'on pochait, dans une petite quantité d'eau et de polyphénols, avait fait augmenter le pH est fait virer les polyphénols.
Comment retrouver une belle couleur pourpre ? Tout simplement en ajoutant un acide : par exemple, l'acide tartrique, puisqu'il est dans le vin. Et aussitôt la couleur a retrouvé son pourpre/rouge initial. D'ailleurs, je dois ajouter que, pour m'amuser, j'ai alors ajouté du bicarbonate de sodium... pour obtenir une effervescence, et de nouveau la couleur verte. Et j'ai encore ajouté de l'acide tartrique pour revenir au rouge, et à un goût plus intéressant.
vendredi 22 mai 2020
Décidément, je m'étonne
Je vois une fois de plus des professionnels parler de "molécules" pour désigner des composés, et je m'étonne : qu'on soit ou non chimiste, une molécule, c'est une molécule, et un composé, c'est une sorte de molécules.
Cette confusion est grave, je le sais d'expérience, car elle conduit le public à ne plus rien comprendre. Et j'en ai comme indication ce souvenir d'un journaliste d'une radio nationale, qui me demandait de lui confirmer qu'il y avait 450 molécules odorantes dans le vin. Pris de doute, j'avais utilisé une précaution oratoire qui m'avait valu une réponse où il apparaissait clairement que le journaliste pensait à 450 objets- molécules, et, d'ailleurs, mon interlocuteur est tombé des nues quand il a appris qu'il y avait des milliards de milliards de molécules, pour chaque composé odorant (et oui, 400 est l'ordre de grandeur du nombre de composés odorants.
J'ajoute que le podcast d'AgroParisTech où j'explique ce qu'est un composé et une molécule est un des plus regardés ! Et que, dans une grande faculté de droit française, les professeurs confondaient également composés et molécules.
Je ne jette donc pas la pierre, mais j'espère que les explications finiront un jour par être utiles, et j'espère que les communautés où l'erreur est faite sauront se réformer, pour le bien de tous.
jeudi 21 mai 2020
Je veux bien rendre service, mais... QUEL EST L'OBJECTIF ?
De nombreuses demandes d'aide m'arrivent, chaque jour, par email, et je cherche toujours à répondre aux questions posées, mais il n'est pas inintéressant d'observer, assez souvent, que les questions sont en réalité étranges, et ce sont plutôt des analyses des questions que des réponses que je donne.
A propos de canard laqué
Par exemple, ce matin, venue de Chine la question de comment obtenir un canard laqué dont la chair serait rose et tendre, et la peau croustillante. Tel le taureau qui fonce sur le torchon rouge, je me dis qu'une cuisson à basse température conserverait la couleur de la viande, et que si cette cuisson était longue, alors la chair serait tendre. D'autre part, c'est un des 14 commandements de la cuisine que celui-ci : "un ingrédient sans liquide" est dur" ; bref, il faudrait sécher la peau, après l'avoir éventuellement enduite de quoi lui donner du goût, tel un caramel déglacé à la sauce soja, par exemple.
Mais je connais mes interlocuteurs, et je suis presque certain que celui-ci ne voudra pas séparer la chair de la peau pour les cuire à part ; il voudra arriver au résultat d'un coup, sans "assemblage". Pourquoi ?
Je me refuse à analyser les raisons pour lesquelles les assemblages sont si souvent refusés. Je me souviens, par exemple, d'une épreuve des meilleurs ouvriers de France où il fallait faire un soufflé sur une tarte. Bon, mais faisons une tarte, faisons un soufflé, et posons le soufflé sur la tarte. Non ? Car pourquoi vouloir courir en se mettant exprès des boulets aux pieds ?
Bref, je n'ai pas de temps à perdre pour aider des individus à faire des choses en dépit du bon sens.
Mais il y a pire : au fond, je comprends bien que notre ami veuille une chair de canard fondante, avec une peau bien croustillante, mais pourquoi vouloir la chair rose ? D'autant que si je lui conseillais d'utiliser du salpètre, comme pour les langues à l'écarlate, ou pour les jambons, je le vois bien me répondre qu'il ne veut pas ces composés, qu'il veut quelque chose de "naturel". Et je serai reparti dans cet engrenage de la définition du naturel, obligé d'expliquer que la cuisine n'est pas naturelle, et que la barrière entre l'admissible selon lui et selon moi est arbitraire, et je perdrais encore mon temps.
Et là, on voit que je suis retombé dans mon travers habituel : j'ai répondu à la question, au lieu de m'arrêter à "pourquoi rose ?". Oui, pourquoi passer du temps à vouloir faire une chair rose ? Sans réponse à cette question, il ne faut certainement pas chercher de réponse.
D'autant que la question n'est pas là : en cuisine, la vraie question est celle du goût, pas de l'apparence !
Et pour terminer, observons que le "canard laqué", c'est du canard laqué, produit au terme d'une préparation traditionnelle assez codifiée. Le canard rose et fondant, avec un peau croustillante, ne serait pas du canard laqué. Ce serait une autre préparation, qu'il faudrait nommer autrement.
A propos de canard laqué
Par exemple, ce matin, venue de Chine la question de comment obtenir un canard laqué dont la chair serait rose et tendre, et la peau croustillante. Tel le taureau qui fonce sur le torchon rouge, je me dis qu'une cuisson à basse température conserverait la couleur de la viande, et que si cette cuisson était longue, alors la chair serait tendre. D'autre part, c'est un des 14 commandements de la cuisine que celui-ci : "un ingrédient sans liquide" est dur" ; bref, il faudrait sécher la peau, après l'avoir éventuellement enduite de quoi lui donner du goût, tel un caramel déglacé à la sauce soja, par exemple.
Mais je connais mes interlocuteurs, et je suis presque certain que celui-ci ne voudra pas séparer la chair de la peau pour les cuire à part ; il voudra arriver au résultat d'un coup, sans "assemblage". Pourquoi ?
Je me refuse à analyser les raisons pour lesquelles les assemblages sont si souvent refusés. Je me souviens, par exemple, d'une épreuve des meilleurs ouvriers de France où il fallait faire un soufflé sur une tarte. Bon, mais faisons une tarte, faisons un soufflé, et posons le soufflé sur la tarte. Non ? Car pourquoi vouloir courir en se mettant exprès des boulets aux pieds ?
Bref, je n'ai pas de temps à perdre pour aider des individus à faire des choses en dépit du bon sens.
Mais il y a pire : au fond, je comprends bien que notre ami veuille une chair de canard fondante, avec une peau bien croustillante, mais pourquoi vouloir la chair rose ? D'autant que si je lui conseillais d'utiliser du salpètre, comme pour les langues à l'écarlate, ou pour les jambons, je le vois bien me répondre qu'il ne veut pas ces composés, qu'il veut quelque chose de "naturel". Et je serai reparti dans cet engrenage de la définition du naturel, obligé d'expliquer que la cuisine n'est pas naturelle, et que la barrière entre l'admissible selon lui et selon moi est arbitraire, et je perdrais encore mon temps.
Et là, on voit que je suis retombé dans mon travers habituel : j'ai répondu à la question, au lieu de m'arrêter à "pourquoi rose ?". Oui, pourquoi passer du temps à vouloir faire une chair rose ? Sans réponse à cette question, il ne faut certainement pas chercher de réponse.
D'autant que la question n'est pas là : en cuisine, la vraie question est celle du goût, pas de l'apparence !
Et pour terminer, observons que le "canard laqué", c'est du canard laqué, produit au terme d'une préparation traditionnelle assez codifiée. Le canard rose et fondant, avec un peau croustillante, ne serait pas du canard laqué. Ce serait une autre préparation, qu'il faudrait nommer autrement.
jeudi 14 mai 2020
Note by note cooking: explanations
If you want to lean more about note by note cooking:
An article with an audio interview :
https://latest.worldchefs.org/podcast/episode-4-is-note-by-note-the-future-of-food/?utm_source=ALLLL&utm_campaign=ca358340ed-EMAIL_CAMPAIGN_2019_11_25_12_11_COPY_01&utm_medium=email&utm_term=0_217a14193d-ca358340ed-199477805
An article with an audio interview :
https://latest.worldchefs.org/podcast/episode-4-is-note-by-note-the-future-of-food/?utm_source=ALLLL&utm_campaign=ca358340ed-EMAIL_CAMPAIGN_2019_11_25_12_11_COPY_01&utm_medium=email&utm_term=0_217a14193d-ca358340ed-199477805
mardi 12 mai 2020
Des questions à propos de cuisine note à note
Aujourd'hui, voici le message intéressant qui m'arrive :
Je me permets aujourd'hui de vous contacter, suite à un Fun Mooc intitulé "L'aromatique alimentaire au service du goût" que j'ai suivi, réalisé par Isipca, où vous intervenez.
En effet, la séquence portant sur les enjeux alimentaires de demain m'a fortement interpellée. Vous y présentez la cuisine note à note. Je suis actuellement étudiante à xxxxxx, mais je n'ai jamais entendu parler de votre concept avant aujourd'hui.
J'ai donc fait quelques recherches, et notamment regardé vos vidéos où vous créez le "dirac". Ces dernières m'ont permis de répondre à quelques unes de mes questions, mais j'en ai toujours d'autres en tête. Je vous joins aujourd'hui pour savoir si vous seriez disposé à y répondre !
1. Le "Dirac" est présenté comme une sorte de viande, mais comment peut-on avoir la même mâche en bouche avec un aliment composé uniquement de poudre et d'eau ? Est-ce grâce à une réaction purement chimique que cette texture est recréée ? La texture d'un aliment me semble importante dans la notion de plaisir de manger, d'où ma question.
2. Est-ce que tous les éléments nutritifs aujourd'hui nécessaire à l'Homme sont reproduisibles dans la cuisine note à note ?
3.Existe-t-il aujourd'hui des restaurants servant au moins un plat note à note en France, et sinon à l'étranger ? (j'ai regardé, je n'ai pas trouvé)
4.Ce type de cuisine est-il vraiment peu cher ? Je pars du postulat que toute nouveauté est souvent synonyme de prix élevés.
5.La tendance culinaire d'aujourd'hui tend vers le retour aux aliments "vrais", peu modifiés, comme les champignons, les poissons crus, les céréales telles que l'orge, le sarrasin... La cuisine note à note n'est-elle pas complètement à contre-courant des désirs actuels des consommateurs ?
6.Aujourd'hui, de nombreux maux viennent d'une alimentation très modifiée de ce qu'elle était à l'origine (blé OGM par ex). La cuisine note à note ne va-t-elle pas empirer le problème ?
7. Je n'ai que très peu de connaissances en chimie. Mais je suppose qu'afin de créer un arôme de champignons, plusieurs produits chimiques sont utilisés. Ingérés en grande quantité lors d'une consommation de cuisine note à note,ne sont- ils pas dangereux pour la santé ?
Merci à mon interlocutrice, à qui je m'empresse de répondre, en partageant la réponse à tous, puisque mon objectif est de diffuser de l'information juste, à tous (je n'oublie pas qu'agent de l'état, je dois mon travail à tous ceux qui y contribuent).
Et pour faire simple, je reprends systématiquement les phrases du message dans l'ordre, en ajoutant des commentaires et des réponses :
Je me permets aujourd'hui de vous contacter, suite à un Fun Mooc intitulé "L'aromatique alimentaire au service du goût" que j'ai suivi, réalisé par Isipca, où vous intervenez.
Je me réjouis que des étudiants en cuisine s'intéressent à des questions traitées par l'ISIPCA : il est temps que l'on dépasse l'idée naïve de la "cuisine naturelle" (une impossibilité, puisque est naturel ce qui ne fait pas l'objet d'une transformation par l'être humain), et que le monde culinaire ne se prive pas de possibilités extraordinaires.
Et puis, des étudiants qui étudient en plus de leur cursus : quel bonheur ! Mille bravos !
Et oui, j'interviens dans ce MOOC, parce qu'il est question de permettre à tous d'étudier, sans nécessaire suivre un cursus diplômant, mais, surtout, pour avoir des connaissances supplémentaires.
Et j'ai profité de mon intervention (je n'ai pas eu le temps de voir le résultat) pour :
-expliquer que la terminologie du goût était à utiliser proprement : si l'on confond les termes, on risque de faire du mauvais travail
- promouvoir des techniques vraiment modernes
- diffuser ds connaissances utiles à tous les cuisiniers (depuis 1980, ce sont les cuisiniers domestiques ou de restaurant qui m'intéressent en priorité, même si l'industrie alimentaire s'intéresse beaucoup à nos travaux
- présenter cette cuisine note à note, qui sera la prochaine grande tendance (à part elle, rien de neuf sous le soleil ; je rappelle que j'ai introduit la cuisine moléculaire il y a 40 ans ! Les cuisiniers qui font de la cuisine moléculaire sont donc très en retard par rapport à ceux qui font de la cuisine note à note, puisque je n'ai introduite cette dernière que vers la fin des années 1990).
Est-ce ceci : https://www.fun-mooc.fr/courses/course-v1:isipca+111002+session01/about ?
En effet, la séquence portant sur les enjeux alimentaires de demain m'a fortement interpellée. Vous y présentez la cuisine note à note. Je suis actuellement étudiante à xxxxxx, mais je n'ai jamais entendu parler de votre concept avant aujourd'hui.
Là, je trouve étonnant qu'une institution de formation fasse l'impasse sur une possibilité aussi importante que la cuisine note à note. Bien sûr, savoir cuisiner, c'est savoir se pencher précisément sur les casseroles, mais quand même, levons le nez un peu, et observons qu'il y aura sans doute 10 milliards d'humains sur la Terre, et qu'il faudra les nourrir. A votre avis, comment fera-t-on pour trouver de quoi nourir presque la moitié de plus que ce que nous sommes aujourd'hui ? Ne pas s'en préoccuper me semble un peu irresponsable. A qui laisse-t-on le soin de se poser ces questions, et pourquoi ?
Je propose que mes amis regardent ces séances de l'Académie d'agriculture de France, où la question est discutés : https://www.academie-agriculture.fr/actualites/academie/seance/academie/la-cuisine-note-note-questions-nutritionnelles-toxicologiques?191212
Ainsi que mon cours de 2012: http://www2.agroparistech.fr/podcast/-Cours-2012-La-cuisine-note-a-note-.html
Et je leur signale que le gouvernement de Singapour, lui, a lancé un programme national "Sustainable food without waste" : cela me semble responsable !
J'ai donc fait quelques recherches, et notamment regardé vos vidéos où vous créez le "dirac". Ces dernières m'ont permis de répondre à quelques unes de mes questions, mais j'en ai toujours d'autres en tête. Je vous joins aujourd'hui pour savoir si vous seriez disposé à y répondre !
Un étudiant qui cherche par lui-même : c'est gagné !
Le dirac : oui, c'était un exemple parmi mille, choisi pour frapper l'imagination, comme le gibbs (un soufflé en quelques secondes : cela marche toujours, dans le monde culinaire !).
Des questions qui demeurent ? Ca, c'est merveilleux : on doit sans doute préférer les gens qui se posent des questions que ceux qui sont trop sûrs d'eux, n'est-ce pas ? D'ailleurs, j'ajoute que j'ai moi-même mille questions, notamment à propos de la cuisine note à note... et j'en avais encore plus en finissant d'écrire mon livre sur le sujet qu'avant !
Disposé à répondre aux questions ? Oui, mille fois oui si...
... si mes interlocuteurs sont prêts à "entendre" les réponses. Cela semble être le cas de mon interlocutrice, mais je me souviens d'un cuisinier écossais qui était fermé à toute discussion, figé qu'il était sur l'idée que la cuisine note à note n'aurait pas été de la "vraie cuisine" : je lui ai demandé ce qu'il entendait pas vraie cuisine, mais j'attends toujours une réponse sensée de sa part;
... si je peux partager mes réponses avec tous ;-). C'est d'ailleurs cela que je fais maintenant, après avoir anonymisé la réponse
... si j'ai le temps... mais je crois suffisamment intéressantes les questions pour le prendre, même si je n'en ai guère;
... si les questions sont de ma compétences ; et l'on se souvient que j'ai fait le serment de ne plus parler publiquement de toxicité ni de nutrition, puisque (1) ce n'est pas mon métier (même si je commence à bien connaître) et (2) cela ne sert généralement à rien, puisqu'on ne convainc pas (ce qui est le cas, aussi, pour les OGM, où les positions sont braquées) : ne perdons pas des amis à vouloir donner des arguments qui ne sont pas écoutés.
1. Le "Dirac" est présenté comme une sorte de viande, mais comment peut-on avoir la même mâche en bouche avec un aliment composé uniquement de poudre et d'eau ? Est-ce grâce à une réaction purement chimique que cette texture est recréée ? La texture d'un aliment me semble importante dans la notion de plaisir de manger, d'où ma question.
Tout d'abord, je préfère parler de diracs au pluriel, et sans majuscule : comme un parmentier de pomme de terre, le terme est commun, maintenant.
Ensuite, oui, la composition moléculaire est analogue à celle de la viande, puisque c'est effectivement une copie de la viande, en terme de nutrition ; ou disons plutôt que la viande est une inspiration pour ces systèmes, à base d'eau, de protéines et de lipides, structurés.
Peut-on avoir la même mâche ? Il faudrait tout d'abord savoir ce qu'est la mâche de "la" viande, car il y a mille viandes, entre l'araignée, la bavette, l'entrecôte, d'animaux jeunes ou vieux, différemment nourris, ayant différemment fait de l'exercice, entre le boeuf et l'agneau, le poulet ou le canard...
Mais pour faire simple, pourquoi craindre qu'on ne puisse pas reproduire des mâches particulières, bien définies ? En réalité, je sais que se cache, derrière la question, la crainte de ne pas avoir de "dur", mais considérons le caramel, qui est typiquement note à note : c'est dur !
Ou en termes de dirac, je ne saurais assez proposer de comparer des verres où l'on a mis respectivement 5 pour cent de protéines avec de l'eau, puis 10 pour cent, 20 pour cent et 30 pour cent : on chauffe ces verres ensemble, au four à micro-ondes, et l'on compare : la consistance passe du blanc d'oeuf sur le plat, tendre, à celle de la viande la plus dure !
Oui, on peut tout faire, et si l'on strie, on a comme du surimi, mais mieux, on peut faire foisonner, émulsionner plus ou moins, feuilleter, et à l'infini.
Et oui, la consistance (plutôt que la texture, car la consistance est ce qui est, et la texture ce que l'on sent, selon la façon de manger) est un plaisir important de la dégustation.
2. Est-ce que tous les éléments nutritifs aujourd'hui nécessaire à l'Homme sont reproduisibles dans la cuisine note à note ?
Reproduisibles ? J'aurais "reproductibles"... mais c'est parce que je suis pédant. D'ailleurs, je croyais que le mot n'existait pas en français... et le TLFi me montre qu'il existe, mais pour un sens un peu différent ("Qui peut recommencer, se répéter une nouvelle fois.") : j'ai appris grâce à mon interlocutrice, que je remercie... et en échange, je lui ai appris qu'on aurait dû écrire "reproductible".
Cela dit, il ne faut pas esquiver la question... qui, hélas, est une question de nutrition ! Or on se souvient de mon serment : je vais donc répondre sans sortir de ma compétence que, si l'on fractionne les végétaux sans rien jeter, on aura, dans toutes les fractions, l'ensemble des produits important pour la santé humaine.
D'autre part, il faut bien dire que la chimie de synthèse reproduit aujourd'hui jusqu'aux molécules les plus complexes. Et le cas de la vitamine B12 est intéressant : dans les années 1950, il a fallu 300 chimistes talentueux pour la reproduire... mais on la produit aujourd'hui par des fermentations et des extractions qui s'apparentent à de la préparation du pain ou de la bière.
Pas de problème, donc.
3.Existe-t-il aujourd'hui des restaurants servant au moins un plat note à note en France, et sinon à l'étranger ? (j'ai regardé, je n'ai pas trouvé)
Des restaurants qui font de la cuisine note à note ? Disons que la cuisine note à note pure est sans intérêt, et que c'est de la cuisine note à note pratique, tout comme cela a été le cas pour la cuisine moléculaire.
Je m'explique, en prenant les choses à rebours de la phrase précédente.
Pour la cuisine moléculaire, la définition est d'utiliser des ustensibles venus des laboratoires : évaporateurs rotatifs, sondes à ultrason pour faire les émulsions, siphons ou foisonneuses pour faire des mousses, thermocirculateurs pour cuire à température contrôlée, et j'en passe. Même les cuisiniers les plus moléculaires, si l'on peut dire, font jouxter cela avec des casseroles classiqus (hélas), et l'on voit que cela n'a pas empêché des progrès.
De même pour la cuisine note à note : pas besoin d'être un puriste, et il suffit pour mon intérêt gourmand que quelques cuisiniers sortent du classique pour que je puisse les admirer (si le résultat est bon), les aider, les encourager.
Et c'est ainsi qu'Andrea Camastra, à Varsovie, a fait des choses tout à fait extraordinaires, tout comme beaucoup de cuisiniers dont les travaux sont montrés dans le Handbook of Molecular Gastronomy que nous publions tout prochainement.
N'oubliez pas, aussi, d'aller voir les résultats des concours de cuisinier note à note... et de vous procurer des produits de la société Iqemusu, pour les tester : ils sont remarquables (www.iqemusu.com).
4.Ce type de cuisine est-il vraiment peu cher ? Je pars du postulat que toute nouveauté est souvent synonyme de prix élevés.
Cher, un mélange de protéines laitières extraites à la tonne, de l'huile et de l'eau ? Non, au contraire.
Cela dit, je veux que cela coûte cher, au début, parce que c'est la stratégie que j'utilise pour promouvoir le public : je reprends l'idée de Parmentier, qui réservait la pomme de terre au roi ! Et c'est ainsi que j'ai réussi à promouvoir la cuisine moléculaire, il y a 30 ans.
Je n'oublie pas que c'est pour tout le public, pas nécessairement fortuné, que je propose cette cuisine, qui pourra être soit bon marché, soit chère.
Mais j'ajoute aussi qu'un dessin au fusain de Picasso vaut des millions : on ne paye pas le papier ni le fusain, mais l'art de l'artiste.
Et c'est ainsi que l'on doit payer très cher la cuisine d'un grand artiste culinaire.
Non, ce n'est pas nouveauté qui doit faire le prix. Tiens, d'ailleurs, j'insiste pour dire que je ne touche pas un centime dans l'affaire, alors pourquoi pensez-vous que j'y passe tant d'énergie ?
5.La tendance culinaire d'aujourd'hui tend vers le retour aux aliments "vrais", peu modifiés, comme les champignons, les poissons crus, les céréales telles que l'orge, le sarrasin... La cuisine note à note n'est-elle pas complètement à contre-courant des désirs actuels des consommateurs ?
Oui, je sais cela... et il y a lieu de s'en inquiéter. D'ailleurs, les académies d'agriculture du monde entier s'inquiètent de cette mode un peu naïve, un peu bobo, car la nature n'est pas bonne. Les poissons crus ? Attention quand même aux parasitoses (qui se multiplient). Eviter les pesticides ? Attention quand mêmes aux mycotoxines toxiques. Eviter le nitrite des charcuteries ? Attention quand même au botulisme, et ainsi de suite : il faut avoir les moyens de nos revendications naïves.
D'autant que la vraie question est moins la sécurité sanitaire des aliments que la sécurité alimentaire, ce qui signifie produire assez pour que tout le monde sur terre ait assez à manger. Il n'est pas certain qu'il y ait assez de protéines pour tous en 2050, date à laquelle je serai sans doute mort, mais je vous pose la question à vous qui avez vingt ans : que comptez vous faire pour passer ce cap ?
Et puis, les temps changent : j'ai déjà essuyé les critiques de la cuisine moléculaire, qui s'est imposée, alors ne comptez pas sur moi pour tenir compte d'opinions changeantes du public... d'autant que je n'ai rien à vendre.
Et j'ajoute que je déteste le terme de "consommateurs", qui est un terme mercantile. Moi, je parle de citoyens et de citoyennes.
6. Aujourd'hui, de nombreux maux viennent d'une alimentation très modifiée de ce qu'elle était à l'origine (blé OGM par ex). La cuisine note à note ne va-t-elle pas empirer le problème ?
Etes-vous bien certaine que les maux viennent de la modification de l'alimentation ? Moi pas, et je vous renvoie sur les séances récentes de l'Académie d'agriculture de France où a été discutée la notion très contestable d'aliments "ultratransformés" (en gros, ce terme ne veut rien dire, comme vous le découvrirez).
Je rappelle que c'est l'abondance et un mauvais comportement qui fait l'obésité. On peut bien sûr être maigre en n'ayant pas assez, mais c'est étonnant de voir que ce sont les groupes les plus pauvres qui souffrent le plus d'obésité. Il faut enseigner à manger : équilibré, pas des frites à tous les repas, pas du gras et du sucre en excès, et ainsi de suite.
Et personnellement, je milite pour que l'on enseigne, dès l'école, à cuisiner et à manger.
Dans ce débat, la cuisine note à note n'est pas, et ne sera pas en cause. Ne confondons pas l'objet et l'usage que l'on en fait : un couteau peut aussi bien nous aider en cuisine que tuer. Idem pour la cuisine note à note.
7. Je n'ai que très peu de connaissances en chimie. Mais je suppose qu'afin de créer un arôme de champignons, plusieurs produits chimiques sont utilisés. Ingérés en grande quantité lors d'une consommation de cuisine note à note,ne sont- ils pas dangereux pour la santé ?
Faire un goût de champignons ? Rien de plus simple : le 1-octène-3-ol est merveilleux... et je l'utilise très souvent, dans ma cuisine. Faites donc l'essai avec le produit nommé Chlole d'Iqemusu.
En pratique, les aromaticiens utilisent moins de 11 composés pour faire les reproductions les plus extraordaires (j'ai ainsi de la truffe, du Haut-Brion 1985, du gewurtztraminer vendanges tardives...), mais là, avec la cuisine note à note, on redonne au cuisinier le choix de ses goût.
Dangereux pour la santé ? Ces composés sont présents dans les aliments, et ils sont en quantités infimes des parties par milliards ou par trillon !
Mais j'ai fait le serment de ne pas parler de toxicologie.
Allons, il faut conclure, et on ne va quand même pas rester sur une note négative, alors que s'offre à nous un continent de goût nouveaux !
Réjouissons-nous :
- que mon ami Pierre Gagnaire soit le premier artiste à avoir servi un plat note à note (en 2009, à Hong Kong), avec mon aide
- qu'Andrea Camastra ait bouleversé la cuisine
- que Michael Pontif ait créé cette société Iqemusu
- que la société Louis François procurent d'autres composés
- que Singapour se soit nationalement lancé sur une piste utile
- que des jeunes cuisiniers débordent leurs professeurs en s'intéressant à ce futur qu'ils doivent dès aujourd'hui construire !
samedi 9 mai 2020
Mon feuilleté de pieds de porc d'hier
Mes amis me reprochent de ne pas noter les meilleures de mes recettes, et de ne pas les partager. En voici une faite hier... et le résultat était très décent.
Feuilletés de pieds de porc
1. Commencer par laver les pieds, brûler les poils restants, laver à nouveau, puis mettre dans une grande cocotte avec de l’eau, du laurier, beaucoup de carottes et d’oignons ; cuire à tout petits frémissements.
2. Pendant ce temps, commencer la pâte feuilletée :
- sortir le beurre à température ambiante
- sur le plan de travail, 200 g de farine et 50 g de beurre, du sel
- sabler entre les doigts
- ajouter de l'eau par petites quantités pour faire une boule de détrempe homogène
- filmer et mettre au réfrigérateur pendant 30 minutes
- sortir la détrempe et l'étaler en un disque épais
- malaxer 100 g de beurre entre les doigts, puis en faire un disque plus petit que le disque de détrempe, et que l'on pose sur ce dernier
- refermer la détrempe sur le beurre, comme une enveloppe
- poser le côté replié sur le plan de travail fariné, puis étaler au rouleau trois fois plus long que large (ce "laminage" doit être très régulier : c'est une condition indispensable pour un bon feuilletage qui lève bien)
- replier en trois
- tourner d'un quart de tour, et étaler trois fois plus long que large
- replier
- mettre au frais pendant 20 minutes
- sortir, et faire deux autres tours
- remettre au frais jusqu'au moment où l'on veut faire cuire le pâté
3. Pendant ce temps, lancer la sauce:
- dans une petite casserole, une grosse noix de beurre et autant de farine
- chauffer très doucement jusqu'à coloration
- ajouter alors un gros verre de bouillon de volaille, un gros verre de vin blanc d'Alsace, un gros verre du fond de cuisson des pieds, un clou de girofle et deux baies de genièvre
- faire réduire à tout petit feu
4. Après 5 heures de cuisson,
récupérer la chair et les légumes. Attention aux tout petits os, qui échappent facilement à la vigilance (on peut écraser les chairs séparées avec le dos d'une fourchette et écouter le bruit ou sentir la pression.
5. Remettre les os à cuire avec ce qui adhère pendant quelques heures, avant de
tout finir de séparer.
6. Quand on est prêt, préchauffer le four à 180 °C
7. Puis sortir la pâte feuilletée, et faire les deux derniers des six tours. Puis abaisser la pâte
feuilletée en un grand rectangle.
8. Poser un lit d’oignons et de carottes récupérés
de la cuisson au centre de la pâte, et ajouter du pied par dessus ; refermer la pâte, souder les parties refermées, et poser le pâté en le retournant sur une plaque, pour que la soudure soit sous le pâté. Dorer au jaune d'oeuf.
9. Cuire le pâté sur plaque
pendant 50 minutes.
10. Finir la sauce :
- quand elle est bien réduite, la monter au beurre
- puis terminer avec une goutte de vin cru, rectifier
le sel, poivrer abondamment.
vendredi 8 mai 2020
Les tests des précisions culinaires : il faut les répéter.
On ne dira jamais assez que le séminaire de gastronomie moléculaire est moins fait pour résoudre définitivement les questions que nous examinons que pour donner de l'énergie à nos amis pour qu'ils répètent nos expériences, à la maison, dans les lycées hôteliers, dans les écoles, les collèges, les lycées, les universités...
Il s'agit en effet d'assurer nos connaissances, et surtout, de créer un réseau de sites où les expériences seront répétées, validées.
Prenons, par exemple, une précision culinaire testée récemment dans notre séminaire à propos des haricots blancs, dont il est parfois dit qu'ils éclatent moins à la cuisson si l'on met des bouchons de liège dans la casserole.
Théoriquement, il n'y guère de raison pour laquelle des bouchons de liège pourraient avoir un effet sur des haricots, mais j'ai appris à toujours tester les précisions culinaires sans a priori, sans penser qu'elles sont justes ou fausses, car j'ai vu trop de cas où je me trompait (ce qui ne me gêne pas, car je préfère être réfuter et progresser en observant mes erreurs, que rester dans l'erreur).
Et je vois comme parfaitement légitime le fait de tester cette précision, sans a priori, c'est-à-dire sans avoir l'idée qu'elle puisse être juste ou fausse, quels que soient les arguments théoriques. Bien sûr, en l'occurrence, je ne peux pas m'empêcher de penser que la précision des bouchons est fausse, parce que, comme j'ai dit rapidement, on voit mal quels composés libérés par le liège dans l'eau de cuisson pourraient s'opposer à l'éclatement. Mais on ne sait jamais, car après tout, le liège est une écorce, qui contient des tanins, et ces derniers pourraient donc se lier à des composés de la surface des haricots. Tout comme le liège pourrait libérer des ions divalents, tels le calcium, le cuivre, par exemple qui pourraient peuvent renforcer les paroi végétale, et éviter l'éclatement.
Mais ne perdons pas de temps initialement à imaginer des hypothèses, et faisons rapidement l'expérience, ou plutôt refaisons l'expérience qui a déjà été faite lors d'un séminaire de gastronomie moléculaire. Au cours de cette séance, nous avions commencé par faire tremper les haricots, comme cela était prescrit dans la précision culinaire que nus avions recueillie, et nous avions ensuite réparti ces haricots dans deux casseroles identiques, contenant la même quantité d'eau, chauffées de la même façon, avec la même masse de haricots. Puis, la cuisson faite, nous avons déposé les haricots sur le plan de travail, et avons compté les haricots éclatés de chaque lot.
Il était important de faire plusieurs recomptages indépendants, comme vous le verrez si vous faites l'expérience, parce que, parfois, on décide difficilement si un haricot est éclaté ou non. Et avec ces valeurs, nous avons pu faire des comparaison... et observé qu'il n'y avait pas de différence significative entre les lots.
Mais s'il est vrai qu'un contre-exemple permet de réfuter une loi générale, il est vrai que nous avons utilisé une seule variété de haricots, et une qualié d'eau particulière, des bouchons spécifiques... et il serait bon de voir si le résultat se retrouve dans d'autres conditions. De toute façon, en sciences de la nature, on répète toujours les expériences, et, j'insiste un peu, nos séminaires sont là pour déterminer une méthodologie, voir les difficultés des tests expérimentaux des précisions culinaires, et nous avons besoin de tous pour les répéter. Profitez du confinement !
jeudi 7 mai 2020
Si vous testez des précisions culinaires à la maison...
Quand on teste des précisions culinaires, il y a lieu de le faire avec la plus grande rigueur.
Prenons, par exemple, cette précision qui stipule que l'on observa un gonflement quand on met du jaune d'œuf avec de l'ail cru.
Voilà qui m'a été dit il y a peu, et cela mérite vérification.
On pourrait imaginer qu'il suffit de mettre du jaune d' œuf cru avec de l'ail, pour tester cette précision culinaire, mais l'ail doit-il être broyé ou pas ? Première chose à faire, donc : tester les deux possibilités.
Mais, il faudra un contrôle, pour être en mesure d'apprécier le gonflement éventuel, si bien que l'on aura du jaune avec de l'ail broyé, du jaune avec de l'ail non broyé, du jaune d' œuf seul, de l'ail cru entier seul, et de l'ail broyé seul, soit 5 coupelles que nous allons devoir surveiller.
Pour les premiers tests, il n'est sans doute pas nécessaire de faire des mesures précises de volume, et on pourra se contenter d'observer des changements d'éventuels, car si la précision a été donné par un cuisinier dans des conditions culinaires -et si elle correspond à un phénomène éventuel (j'insiste bien sur le si)-, alors nous devrions pouvoir l'effet sans technique particulière.
Voilà donc une expérience lancée, pour ce premier temps de la démarche scientifique, qui consiste d'abord à observer les phénomènes, à mieux les cerner, avant de passer à la deuxième étape, qui serait leur quantification... à condition que le phénomène soit avéré !
Prenons, par exemple, cette précision qui stipule que l'on observa un gonflement quand on met du jaune d'œuf avec de l'ail cru.
Voilà qui m'a été dit il y a peu, et cela mérite vérification.
On pourrait imaginer qu'il suffit de mettre du jaune d' œuf cru avec de l'ail, pour tester cette précision culinaire, mais l'ail doit-il être broyé ou pas ? Première chose à faire, donc : tester les deux possibilités.
Mais, il faudra un contrôle, pour être en mesure d'apprécier le gonflement éventuel, si bien que l'on aura du jaune avec de l'ail broyé, du jaune avec de l'ail non broyé, du jaune d' œuf seul, de l'ail cru entier seul, et de l'ail broyé seul, soit 5 coupelles que nous allons devoir surveiller.
Pour les premiers tests, il n'est sans doute pas nécessaire de faire des mesures précises de volume, et on pourra se contenter d'observer des changements d'éventuels, car si la précision a été donné par un cuisinier dans des conditions culinaires -et si elle correspond à un phénomène éventuel (j'insiste bien sur le si)-, alors nous devrions pouvoir l'effet sans technique particulière.
Voilà donc une expérience lancée, pour ce premier temps de la démarche scientifique, qui consiste d'abord à observer les phénomènes, à mieux les cerner, avant de passer à la deuxième étape, qui serait leur quantification... à condition que le phénomène soit avéré !
À propos de ce Handbook of molecular gastronomy dont nous envoyons la copie à l'éditeur dans quelques jours.
À propos de ce Handbook of molecular gastronomy dont nous envoyons la copie à l'éditeur dans quelques jours.
J'ai déjà annoncé que nous étions en grand chantier, avec la préparation d'un gros traité de gastronomie moléculaire, un ouvrage de référence, énorme, et qui réclame la compétence de nombreux auteurs. C'est un livre qui sera en anglais, comme son titre l'indique, et les auteurs ont été sollicités dans le monde entier, dans tous les laboratoires de gastronomie moléculaire et même plus. Les thèmes sont variés, car cela va des nitrites dans les charcuteries jusqu'au gonflement des soufflés, en passant par le vert des haricots, les questions de dégustation, le brunissement des viandes...
Mais je ne vais certainement pas donner la liste exhaustive, puisque nous avons plus que 160 chapitres. Oui vous avez bien lu : plus160 chapitres rédigés par des scientifiques du monde entier ! Chacun ne parle que de sa compétence, et donne une bibliographie bien choisie, afin d'aider les lecteurs à avancer dans la connaissance de cette merveilleuse discipline qu'est la gastronomie moléculaire.
Gastronomie moléculaire que l'on ne confondra pas avec la cuisine moléculaire, laquelle est une application technique, culinaire.
J'insiste un peu pour dire que la gastronomie n'est pas de la haute cuisine, que c'est la connaissance, alors que la cuisine, c'est... de la cuisine, à savoir de l'amour, de l'art, de la technique.
Mais l'éditeur nous a poussé à assortir la très grosse première partie, scientifique, de gastronomie moléculaire, de deux autres parties d'application de la gastronomie moléculaire. Et c'est ainsi que nous avons donc deux parties pour les applications de la gastronomie moléculaire : d'abord les applications didactiques, où les auteurs examinent comment utiliser les travaux de gastronomie moléculaire dans les écoles primaires, les collèges, les lycées, des universités...
Puis nous avons une partie d'application technique, c'est de dire comment la gastronomie moléculaire est utilisée en cuisine. Dans cette partie 3 du livre, il y a donc la question d'utiliser la gastronomie moléculaire en cuisine pour faire la cuisine moléculaire, c'est-à-dire utiliser des ustensiles nouveau, mais surtout pour la cuisine note à note, c'est-à-dire utiliser des ingrédients nouveaux. Cuisine moléculaire et cuisine note à note sont bien différentes, comme vous le verrez dans le livre.
Mais finalement, c'est donc un livre extraordinaire dont la préparation s'achève : comme dit précédemment, la copie sera envoyée dans quelques jours !
J'ai déjà annoncé que nous étions en grand chantier, avec la préparation d'un gros traité de gastronomie moléculaire, un ouvrage de référence, énorme, et qui réclame la compétence de nombreux auteurs. C'est un livre qui sera en anglais, comme son titre l'indique, et les auteurs ont été sollicités dans le monde entier, dans tous les laboratoires de gastronomie moléculaire et même plus. Les thèmes sont variés, car cela va des nitrites dans les charcuteries jusqu'au gonflement des soufflés, en passant par le vert des haricots, les questions de dégustation, le brunissement des viandes...
Mais je ne vais certainement pas donner la liste exhaustive, puisque nous avons plus que 160 chapitres. Oui vous avez bien lu : plus160 chapitres rédigés par des scientifiques du monde entier ! Chacun ne parle que de sa compétence, et donne une bibliographie bien choisie, afin d'aider les lecteurs à avancer dans la connaissance de cette merveilleuse discipline qu'est la gastronomie moléculaire.
Gastronomie moléculaire que l'on ne confondra pas avec la cuisine moléculaire, laquelle est une application technique, culinaire.
J'insiste un peu pour dire que la gastronomie n'est pas de la haute cuisine, que c'est la connaissance, alors que la cuisine, c'est... de la cuisine, à savoir de l'amour, de l'art, de la technique.
Mais l'éditeur nous a poussé à assortir la très grosse première partie, scientifique, de gastronomie moléculaire, de deux autres parties d'application de la gastronomie moléculaire. Et c'est ainsi que nous avons donc deux parties pour les applications de la gastronomie moléculaire : d'abord les applications didactiques, où les auteurs examinent comment utiliser les travaux de gastronomie moléculaire dans les écoles primaires, les collèges, les lycées, des universités...
Puis nous avons une partie d'application technique, c'est de dire comment la gastronomie moléculaire est utilisée en cuisine. Dans cette partie 3 du livre, il y a donc la question d'utiliser la gastronomie moléculaire en cuisine pour faire la cuisine moléculaire, c'est-à-dire utiliser des ustensiles nouveau, mais surtout pour la cuisine note à note, c'est-à-dire utiliser des ingrédients nouveaux. Cuisine moléculaire et cuisine note à note sont bien différentes, comme vous le verrez dans le livre.
Mais finalement, c'est donc un livre extraordinaire dont la préparation s'achève : comme dit précédemment, la copie sera envoyée dans quelques jours !
mercredi 6 mai 2020
Problèmes, exercices, apprentissage, science et technologie
J'avais oublié ces mots assez justes :
A great discovery solves a great problem, but there is a grain of discovery in the solution of any probel. Your problem my be modest; but if it challenges your curiosity and brings into play your inventive faculties, and if you solve it by your own means, you may experience the tension and enjoy the triumph of discovery. Such experiences at a susceptible age may create a taste for mental work and leave their imprint on mind and character for a lifetime.
THus, a teacher of mathematics has a great opportunity. If he fills his allotted time with drilling his students in routine operations, he kills their interests, hampers their intellectual development, and misuses his opportunity. But if he challenges the curiosity of his students by setting them problems proportionate to their knowlege, and helps them to solve their problems with stimulating questions, he may give them a taste for, ans some means of, independent thinking.
Also a student whose college curriculum includes some mathematics has a singular opportunity. This opportunity is lost, of course, if he regards mathematics as a subject in which he as to earn so and so much credit, and which he should forget after the final examination as quickly as possible.
How to solve it, G. Polya, Princeton University Press, Princeton, New Jersay, 1945.
Je discute toutefois la confusion entre mathématiques et calculs.
A great discovery solves a great problem, but there is a grain of discovery in the solution of any probel. Your problem my be modest; but if it challenges your curiosity and brings into play your inventive faculties, and if you solve it by your own means, you may experience the tension and enjoy the triumph of discovery. Such experiences at a susceptible age may create a taste for mental work and leave their imprint on mind and character for a lifetime.
THus, a teacher of mathematics has a great opportunity. If he fills his allotted time with drilling his students in routine operations, he kills their interests, hampers their intellectual development, and misuses his opportunity. But if he challenges the curiosity of his students by setting them problems proportionate to their knowlege, and helps them to solve their problems with stimulating questions, he may give them a taste for, ans some means of, independent thinking.
Also a student whose college curriculum includes some mathematics has a singular opportunity. This opportunity is lost, of course, if he regards mathematics as a subject in which he as to earn so and so much credit, and which he should forget after the final examination as quickly as possible.
How to solve it, G. Polya, Princeton University Press, Princeton, New Jersay, 1945.
Je discute toutefois la confusion entre mathématiques et calculs.
dimanche 3 mai 2020
Comment se lancer en cuisine note à note ?
Cet après-midi, une question sur Twitter :
"Peut-on comprendre la cuisine note à note sans comprendre la cuisine moléculaire ?"
La question est ambigüe, puisqu'il y a ce "comprendre" : j'ai l'impression que, au delà des définitions, il y a peu à comprendre pour se lancer, et vu l'échange avec mon interlocuteur, je crois deviner que la question n'est pas de comprendre, mais de faire.
Cela étant, pour "comprendre, il y a les travaux de la "gastronomie moléculaire" (je rappelle que le mot "gastronomie" ne signifie certainement pas "cuisine d'apparat", ni haute cuisine, mais seulement connaissance, et j'attire l'attention sur cela : la gastronomie moléculaire -de la science de la nature- permet d'explorer toutes les cuisines, classiques, moléculaire ou note à note).
Peut-on se lancer en cuisine note à note sans avoir pratiqué la cuisine moléculaire ?
Et la réponse est oui, parce que les deux formes de cuisine n'ont rien à voir. Rappelons ce dont il s'agit :
1. la cuisine moléculaire, c'est cette forme de cuisine qui fait usage de nouveaux ustensiles : siphons, azote liquide, thermocirculateurs, évaporateurs rotatifs...
A l'aide de ces outils, on fait la même cuisine que par le passé, avec peut-être cette différence que des agents gélifiants "nouveaux" (certains étaient utilisés depuis des siècles en Asie) sont venus s'ajouter au classique pied de veau, lequel avait péniblement cédé la place à la gélatine (en feuille ou en poudre), au début des années 1980. Les siphons ? Ils font des mousses, mais bien plus simplement que les fouets. L'azote liquide ? Il fait des sorbets, mais bien plus vite et bien meilleurs qu'avec une sorbetière. Le thermocirculateur ? Il a été introduit pour éviter le "coup de feu" qui ruinait les efforts du cuisinier qui s'évertuait à faire un braisage (mais on avait les marmites norvégiennes, après la dernière guerre). Et ainsi de suite.
Mais les ingrédients n'avaient pas changé : viandes, poissons, oeufs, légumes, fruits...
2. pour la cuisine note à note, la révolution est celle des ingrédients : si l'on fait de la cuisine note à note "stricte", plus de viande, plus de poisson, plus d'oeufs, plus de végétaux... mais seulement les composés de tous ces ingrédients, à savoir l'eau, les sucres, les polysacharides, les protéines, peptides et acides aminés, diverses sels minéraux, des acides organiques, et, plus généralement, une foule de composés pour construire la consistance, la couleur, la saveur, l'odeur, le frais, le piquant, et ainsi de suite, sans oublier les "nutriments", bien sûr. C'est une cuisine entièrement de synthèse, comme l'est la cuisine de synthèse.
Et cette cuisine se fait parfaitement à l'aide d'ustentiles classiques, tels qu'il y en a dans n'importe quelle cuisine. Bien sûr, si l'on veut aller plus vite ou plus facilement, pourquoi se priver d'outiles modernes, mais en réalité, ils ne s'imposent pas.
Donc ne perdons pas de temps, passons rapidement à la cuisine note à note, puisque c'est un nouveau continent de gourmandise qui s'offre à nous !
PS. Tout cela est largement expliqué dans mon livre
Comment connaître la qualité d'un article scientifique ?
La question de la détermination de la qualité des articles scientifiques est importante, en raison de la "loi du petit Wolfgang", laquelle stipule que, dans un groupe de personnes ou de productions humaines, environ 90 % sont de mauvaise qualité (90 % des enseignants, 90 % des étudiants, 90 % des articles scientifiques, 90 % de nous-mêmes et 90 % de moi-même).
Et parce qu'un mauvais article donne de mauvais résultats, il faut pouvoir évaluer la qualité des articles, au lieu de répéter naïvement ce qui y est écrit. On ne répétera jamais assez que quelqu'un qui cite un mauvais article sans le critiquer se fait attribuer la mauvaise qualité de ce qu'il prend pour argent comptant.
Quant à utiliser les résultats qui sont dans un tel article, c'est pire : si nos fondations sont en sable, nous nous enfoncerons ! J'ajoute, ce qui est une idée un peu différente, que "donnée mal acquise ne profite à personne" (Douglas Rutledge).
Bien sûr, il est scandaleux que certains publient des articles minables, que des rapporteurs (minables) laissent passer des articles mauvais, que des revues (minables) publient des articles mauvais, ayant sans doute procédé à une évaluation minable, mais c'est un fait de la vie, conforme à la loi du Petit Wolfgang, et cela ne sert à rien de se lamenter.
Un conseil aussi : ne faut pas simplement dire "ce papier est mauvais", sauf entre amis, mais surtout identifier clairement ce qui est mauvais, et se demander si des informations qui sont données peuvent être "rescapées" : c'est là une question très difficile, d'ailleurs.
Dans ce qui suit, sur un exemple réel mais transposé (ne cherchez pas le texte original avec Google, car j'ai transposé), nous proposons de discuter des différentes caractéristiques qui peuvent être facilement observées, afin de savoir si un article est mauvais (et dans quelle mesure). A noter que je ne discute qu'une toute petite partie des fautes présentes, car il y en a trop : presque chaque mot est l'occasion d'une erreur pour les auteurs !
"Lire un article"
Bien entendu, quand on lit un article, l'objectif est d'en extraire de l'information, ce qui signifie prendre des notes.
En conséquence, on aura toujours deux documents ouverts en même temps sur l'ordinateur (pas de papier, au 21e siècle) : l'un est la version pdf de l'article lu, l'autre les notes prises.
A noter que l'on y gagne à avoir deux écrans branchés sur une même ordinateur, avec la possibilité que le curseur aille de l'un à l'autre.
Et évidemment, on ne tapera pas de texte, mais on utilisera les touches Ctrl+C (copier) et Ctrl+V (coller), afin de copier exactement ce qui est publié, avec les références. Car une phrase impose une référence (ou plus d'une parfois).
Certains disent que faire une enquête bibliographique ne signifie pas plagiat, mais je ne suis pas d'accord : je ne veux pas que les phrases soient modifiées lors du transfert de l'article original vers le résultat bibliographique, car toute modification d'un texte en change le sens ; si quelque chose a été montré scientifiquement, c'est seulement cela qui a été montré, précisément, et rien d'autre.
Et c'est pourquoi je veux la même phrase que dans l'article original... mais bien sûr avec des références, dont la présence nous prémunit contre le plagiat.
Quelles phrases doit-on recopier ? Très certainement le titre de l'article, avec les auteurs et la référence exacte, mais aussi le résumé (abstract).
Puis, quand tu prendras une phrase de l'article pour la recopier, assortit-la de la ou des références qui doivent accompagner cette phrase, dans la publication que tu lis... mais là, j'anticipe un peu en signalant qu'un article qui contient des phrases sans références est un mauvais article.
Et, en corollaire, je rappelle en passant que la bonne pratique est de regarder tous les article que l'on cite !
Des critiques détaillées
Examinons maintenant un résumé d'un article que nous voulons évaluer:
Abstract Thermal degradation kinetics of chlorophyll and visual colour (tristimulus L, a and b) of beans puree were studied at various temperatures (50-90 °C) for 20 min. Results indicated that the thermal degradation of chlorophyll, tristimulus colour a value (representing greenness) and Lxaxb value (representing total colour) followed first-order reaction kinetics. Activation energies for chlorophyll, green colour and total colour were 42.135, 31. 333 and 40.782 kJ/mol respectively. Higher activation energy signified higher thermal sensitivity of chlorophyll during heat processing of bean puree. A linear relationship described well the variation of total visual colour (Lxaxb) with chlorophyll content of been puree during thermal processing.
Dans la première ligne, on voit le mot "chlorophyll" au singulier, ce qui est surprenant, car les chlorophylles sont des composés qui forment une classe immense, comme l'indique bien l'I.U.P.A.C (j'ai le lien du Gold Book dans ma barre des taches, tant j'y vais souvent !): parler de "la chlorophylle" est idiot, et l'on peut seulement parler d'"une chlorophylle", car les chlorophylles sont des composés des végétaux qui donnent des couleurs à ces derniers ; mieux encore, de sont des composés qui comportent un groupe chlorine, avec d'innombrables variations, et les végétaux terrestres que nous consommons, notamment les "haricots verts" (les gousses immatures de Phaseolus vulgaris L) [https://www.sciencedirect.com/topics/medicine-and-dentistry/chlorophyll, dernier accès 2020-05-01] sont principalement les chlorophylles a, a', b, b', dont on doit d'ailleurs signaler que la couleur est également due à la présence de dérivés des chlorophylles, et de caroténoïdes.
Tu vois d'ailleurs, en passant, un moyen de citer des sources officielles, précisément (et mieux encore : je donne la date en format ISO, incriticable).
Mais déjà, à ce stade, nous voyons que l'article que nous lisons, celui dont je donne le résumé ci-dessus, est sans doute mauvais.
Bien sûr, on peut être charitable, et donner le bénéfice du doute, mais nous serons désormais vigilant. Voyons donc la suite.
A la seconde ligne du résumé, les auteurs évoquent le système colorimétrique L, a, b... mais ils semblent ignorer que le consensus international est plutôt le système L*, a*, b* ! Une deuxième information pourrie, ça commence à faire beaucoup.
Hélas, la suite ne s'améliore pas, notamment quand les auteurs prétendent que le paramètre a représente le vert. C'est inexact : a indique la position du point de couleur sur un axe vert-rouge, et pas seulement la "verdeur". Et, de toute façon, un résumé d'un article scientifique ne doit certainement pas définir des objets déjà définis par la communauté. C'est une information un peu annexe que je donne, mais on devra se souvenir qu'un article scientifique doit être aussi succinct que possible, et ne jamais répéter ce qui a déjà été publié, sauf pour les besoins de compréhensions des lecteurs.
Et puis, ensuite, on voit écrit Lxaxb, comme si c'était un produit : rien à voir avec un produit, puisque les paramètres L (ou plutôt L*), a (plutôt a*) et b (plutôt b*) sont des coordonnées dans un espace tridimensionnel : il aurait fallu écrire (L*, a*, b*). Et nous n'en sommes qu'à la sixième ligne !
Nous soupçonnons donc fortement que l'article est mauvais... de sorte que nous ne pouvons pas nous empêcher de nous demander si, vraiment, les quatre chiffres utilisés pour afficher les énergies d'activation sont "significatifs" : nos auteurs, d'ailleurs, savent-ils ce qu'est un chiffre significatif, et en connaissent-ils le maniement ? Pour la suite, nous devrons avoir un "radar" de ce point de vue. Et comme les chiffres significatifs ont un rapport avec les incertitudes de mesure, nous voyons que nous aurons intérêt à nous préoccuper du traitement des incertitudes par les auteurs, et des traitements statistiques des données qu'ils ont produites.
Puis vient la phrase "Higher activation... bean puree", qui est une tautologie révélant le texte d'imbéciles, avec une information qui, à nouveau, n'a rien à faire dans un résumé. Les auteurs sont sans doute des (mauvais) débutants.
Mais le pire arrive ensuite avec "described well" : les adjectifs et les adverbes sont "interdits", en sciences de la nature, et ils doivent toujours être remplacés par la réponse à la question "combien ?". Je m'explique : un objet de 10 cm de hauteur est-il "grand" ? La question n'a pas de sens, car il est grand par rapport à une fourmi, mais petit par rapport à une planète.
Et puis, surtout, les auteurs tombent dans la faute de vouloir "bien" décrire des données, au lieu de chercher en quoi leur théorie est fautive. C'est une faute élémentaire, qui montre que les auteurs n'ont rien compris à la nature des sciences de la nature.
Tout cela dans le seul résumé ! On voit que l'article est vraisemblablement très mauvais, mais continuons, avec l'introduction :
Introduction
Beans (Phaseolus), whose pods have an attractive colour, are consumed both boiled and sauteed. Bean puree, paste, sauce, juice and cooked pods are some of the common processed products. In developed countries, 50% of the produce is utilised for processing [1], whereas commercial utilisation of beans in the developing countries is insignificant.
Ici on observe que la première phrase est à la fois idiote, fausse, et sans référence : c'est encore un mauvais signe.
Idiote, parce que nous n'avons pas besoin d'un article scientifique pour nous dire que les humains mangent des haricots.
Fausse, parce que personnellement, je ne trouvent pas que les haricots ont une couleur "attractive" (attrayante). D'ailleurs, on voit à nouveau un adjectif, ici !
Enfin, sans référence : c'est un fait. Bien sûr, on peut imaginer que la justification de cette phrase serait dans la deuxième phrase, pour laquelle il y a effectivement une référence.... mais comment cette référence pourrait-elle justifier quelque chose de faux ?
Ce qui est pire, c'est que cette introduction est beaucoup trop générale : il y d'innombrables variétés de haricots : Phaseolus vulgaris L (qui produit les gousses immatures communément nommées haricots verts), mais aussi haricots rouges, blancs... et toutes ont des couleurs différentes. Les haricots verts sont verts, les haricots blancs sont blancs, les haricots rouges sont rouges... De quels haricots s'agit-il ici ? Cela n'est pas dit, et l'on voit aussitôt une autre faute... alors que nous n'en sommes qu'à la première phrase.
Plus positivement, la règle ici est de donner le nom latin binomial, en précisant la variété.
Passons à la suite : les haricots seraient consommés bouillis et sautés : où est la preuve de cette affirmation ?
Et, surtout, quel intérêt à encombrer la publication d'une phrase si bête ?
Ensuite, les purée, pâte, sauce, jus sont donnés sans définition, sans référence... alors que :
1. la liste n'est pas garantie exhaustive
2. ce qui est une sauce, pour une culture donnée, ne l'est pas pour une autre.
Puis vient une phrase dont je suis certain qu'elle est fausse, car tous les pays ne cuisinent pas de la même façon, ne traitent pas les haricots de la même façon (par exemple, les Japonais font des haricots un dessert). Au minimum, un intervalle se serait imposé.
Quant à la dernière phrase, elle contient encore un adjectif : "insignificant". Ce terme est... insignifiant, car la question est encore "Combien ?". Et ici, on sent bien que c'est par paresse qu'il n'y a pas de réponse à la question.
Nous en faut-il davantage pour conclure que cet article est mauvais ? Allons, une petite resucée :
of flowers, fruits and vegetables [5]. The colour of chlorophylls-containing media depends on the structure and concentration of the pigment, pH, temperature, light, co-pigments, enzymes, oxygen, metallic ions, sulphur dioxide, sugar, etc. The hydroxyl group at C-11 is highly
Qu'est-ce qu'un "medium?" Ici, impossible de le savoir. Mais oui, la couleur dépend de paramètres variés, mais où est la preuve : autrement dit, pourquoi les auteurs ne donnent-il pas de références ?
Le "etc." est particulièrement nul, car c'est bien la suite de l'énumération qui est intéressante... et que nous n'avons pas. Au fond, n'aurait-il pas été plus simple d'indiquer que l'absorption de certaines composantes de la lumière, à des fréquences caractéristiques, sont déterminées par l'environnement moléculaire des anthocyanines ?
oxide, sugar, et. The hydroxyl group at C-11 is highly significant, because it shifts the colour from green-yellow to blue. High temperature leads to the production of
Et allons donc ! Maintenant, nous trouvons un "highly significant" : l'inanité de l'adjectif est empirée par la présence de l'adverbe. Cette fois-ci, notre premier sentiment est confirmé : les auteurs ne savent pas rédiger une publication, et, pire, ils sont bêtes ou paresseux, nous prennent pour des idiots. Mais je m'arrête de le signaler, en observant toutefois que la "couleur" est pas un objet de science : il faut évoquer des bandes d'absorption lumineuses, ou des paramètres colorimétriques L*, a*, b*.
Je dis cela parce que les imprécisions conduisent à des erreurs, comme dans un passage suivant :
Generally, the pigment measurements is done spectrophotometrically. This technique does not reflect the total colour, while measuring the absorbance of the extract
L'adverbe "generally" est fautif, car "beaucoup" de scientifiques (il faut utiliser Google analytics pour avoir des statistiques font de la colorimétrie.
Et je termine avec ce passage :
The colour degradation kinetics of food products is a complex phenomenon and it models to predicts experimental colour change, which can be used in engineering, are limited; however empirical
qui contient le mot "complex" : c'est l'occasion de dire à mes amis que les mauvais collègues utilisent ce mot quand ils ne comprennent pas, ou qu'ils n'ont pas fait le travail, ou bien encore qu'ils veulent montrer combien ils sont savants, à étudier des choses si au-dessus des moyens des autres ! De la prétention, tout comme on est averti qu'on en rencontrera à la seule présence du mot "important".
Mais abandonnons l'introduction, qui est difficile à rédiger pour ceux qui n'ont pas de méthode, et arrivons à la partie Materials and Methods, qui est celle qui nous dira ce que vaut le travail rapporté. On se souviendra, ici, que les résultats d'expériences mal conduites ne valent rien.
Ici, nous pressentons que l'article est mauvais, mais pourrions-nous conserver au moins les résultats transmis par les auteurs ? Lisons.
Materials and methods
Preparation of puree. Immature green beans (Cv . Maxibel) were procured locally, washed in running tap wate and sorted. Sound pods were heated to 60 °C for 15 min and mashed in a puree. The puree was sieved (14-mesh) to obtain a product of uniform consistency. The total soluble solids and pH of bean puree were respectively...
Ah, la variété des haricots est donnée : merveilleux... mais que signifie "mature" ? Comment les auteurs le savent-ils ? Comment peuvent-ils nous ne assurer ? Et quel est leur critère de maturité ?
On lit ensuite que les haricots ont été achetés chez un épicier du coin et lavés... mais comment ont-ils été lavés ? En frottant ? Dès que les haricots ont été achetés ? Après un stockage ? Qui s'est fait comment ? Avec quelle eau ? Quels ions étaient-ils présents ? Pourquoi les auteurs de l'article n'ont-ils pas utilisé de l'eau désionisée ?
Ensuite, on parle de fruits "sains", et l'on comprend que je critique ce terme, parce que l'on ignore ce que cela signifie. Les haricots ont été "sorted" : de quoi s'agit-il ? Qui a fait quoi et comment ? Ici, il faut répéter que les parties de Materials and Methods doivent être si précises que n'importe qui, à l'autre bout du monde, doit pouvoir reproduire l'expérience, et retrouver les mêmes résultats. Il est d'ailleurs utile de savoir que certaines revues scientifiques commettent des éditeurs qui, systématiquement, reproduisent les résultats, et l'on verra dans mon article sur la reproductibilité que cela est un facteur de découverte scientifique.
Là, on comprends que nos auteurs ne seront pas meilleurs dans cette partie qu'au début du texte. Les haricots ont été chauffés à 65 °C... Comment, avec quelle montée en température ? Ils ont été broyés : comment ? On saura combien cette dernière question est essentielle quand on se reportera à des expériences effectuées sur du pistou, lors d'un séminaire de gastronomie moléculaire : les broyages de feuilles de basilic (Ocimum basilicum L. Grand vert) au mixer, ou bien au mortier et pilon, ont conduit à des couleurs entièrement différentes (vert printemps et vert sapin, désolé pas de colorimétrie), et des consistances également différentes (désolé, pas de granulométrie faite).
A propos du pH, les auteurs donnent 3 chiffres significatifs, mais je ne crois certainement pas au troisième, surtout par des scientifiques aussi médiocres ! Bien sûr, je peux me tromper, mais tout le début de cet article est si mauvais que nous aurions raison d'être prudent, non ? Nos auteurs savent-ils au minimum qu'il existe de bonnes pratiques (AOAC, etc.) d'utilisation des pH-mètres ? Savent-ils que ces appareils se calibrent avec des solutions étalon ? Savent-ils que la température se contrôle ? Ont-ils répété les mesures trois fois, afin de produire une moyenne et un écart-type ?
Nous n'avons aucune certitude que nos auteurs aient bien fait, ici, parce qu'ils ont mal fait plus loin, en ne prenant qu'une mesure de couleur par échantillon ! Et, pis encore, ils n'ont pas répété l'expérience au minimum trois fois. Décidément, il y a lieu de s'interroger : comment est-il possible qu'une revue ait laissé paraître un tel article ?
Enfin, à propos des Results je vous invite à considérer cette figure :
Ici, je n'ai pas pris les indications des abscisses et des ordonnées, mais elles y étaient : pas de lézard, à ce propos. En revanche, il n'y a pas d'indication des incertitudes sur le dosage des chlorophylles... parce qu'il n'y a pas eu de répétition ;-(. Mais le pire (disons le plus pernicieux), c'est sans doute le fait que ce diagramme était logarithmique, qui transforme presque n'importe quelle variation en une variation linéaire : c'est à la fois une mauvaise pratique personnelle, et une pratique de communication pourrie.
En passant, nous trouvons des erreurs de détail, telles des fautes de typographie :
Eq.4 described very well the degration of the b value of bean puree over the entire temperature range. The R^2; valueswere greater than 0.821 while the standard error values were less than 0.00005 in all cases.
Comment est-il possible que l'on trouve ce "valueswere" ? Manifestement l'écriture, puis l'édition, puis la relecture d'épreuves ont été bâclées.
Et ainsi de suite, jusqu'à la conclusion, où aucun mécanisme n'est proposé.
Oui, cet article est très mauvais (un adjectif, un adverbe, parce que je suis en colère)... mais il a eu le mérite de me permettre de souligner les fautes que l'on rencontre le plus souvent.
Il pose quand même la question de savoir ce que l'on peut en faire :
1. Le citer ? Ce serait lui faire de la publicité, d'une part, et, d'autre part, si nous le citons sans le critiquer, nous risquons que l'on reporte sur nous-mêmes les critiques qu'il mérite de s'attirer
2. L'utiliser ? Le travail est si médiocre que l'on aurait raison à ne croire à rien de ce qui est dit dedans. Du point de vue de la production de connaissances nouvelles, cet article est nul et non avenu, et il incite plutôt à refaire les expériences pour montrer combien les auteurs sont mauvais... ce qui ne serait ni charitable ni intéressant. On se souviendra que "données mal acquises ne profitent à personne".
Résumons
Oui, faisons maintenant un bilan, en donnant quelques pistes pour nous-mêmes, mais qui départagent aussi les bons et les mauvais articles:
- pas d'adjectifs ni d'adverbes
- toute information doit être justifiée par une ou plusieurs références
- les références doivent être celle du premier découvreur de l'information, et du dernier à avoir amendé l'information
- l'expérience doit avoir été répétée
- les mesures doivent avoir été répétées
- pas de mesure sans une indication de l'incertitude
- les diagrammes log-log sont dangereux
- les Materials and Methods doivent être parfaitement précis ET justifiés
- il ne doit y avoir aucun arbitraire
- les diagrammes doivent indiquer les incertitudes
- les résultats doivent être indiqués avec le nombre approprié de chiffres significatifs
- en cas de comparaison, un test statistique doit avoir été fait
- les discussions ne se limitent pas à un simple "on trouve comme xx ou yy"
- et bien plus : on lira avec intérêt
1. http://www.agroparistech.fr/-Les-bonnes-pratiques-scientifiques-.html
2. la toute fin des DSR (les "documents structurants de recherche", que nous utilisons dans le Groupe de gastronomie moléculaire), où je donne une liste bien plus complète qu'ici.
Et parce qu'un mauvais article donne de mauvais résultats, il faut pouvoir évaluer la qualité des articles, au lieu de répéter naïvement ce qui y est écrit. On ne répétera jamais assez que quelqu'un qui cite un mauvais article sans le critiquer se fait attribuer la mauvaise qualité de ce qu'il prend pour argent comptant.
Quant à utiliser les résultats qui sont dans un tel article, c'est pire : si nos fondations sont en sable, nous nous enfoncerons ! J'ajoute, ce qui est une idée un peu différente, que "donnée mal acquise ne profite à personne" (Douglas Rutledge).
Bien sûr, il est scandaleux que certains publient des articles minables, que des rapporteurs (minables) laissent passer des articles mauvais, que des revues (minables) publient des articles mauvais, ayant sans doute procédé à une évaluation minable, mais c'est un fait de la vie, conforme à la loi du Petit Wolfgang, et cela ne sert à rien de se lamenter.
Un conseil aussi : ne faut pas simplement dire "ce papier est mauvais", sauf entre amis, mais surtout identifier clairement ce qui est mauvais, et se demander si des informations qui sont données peuvent être "rescapées" : c'est là une question très difficile, d'ailleurs.
Dans ce qui suit, sur un exemple réel mais transposé (ne cherchez pas le texte original avec Google, car j'ai transposé), nous proposons de discuter des différentes caractéristiques qui peuvent être facilement observées, afin de savoir si un article est mauvais (et dans quelle mesure). A noter que je ne discute qu'une toute petite partie des fautes présentes, car il y en a trop : presque chaque mot est l'occasion d'une erreur pour les auteurs !
"Lire un article"
Bien entendu, quand on lit un article, l'objectif est d'en extraire de l'information, ce qui signifie prendre des notes.
En conséquence, on aura toujours deux documents ouverts en même temps sur l'ordinateur (pas de papier, au 21e siècle) : l'un est la version pdf de l'article lu, l'autre les notes prises.
A noter que l'on y gagne à avoir deux écrans branchés sur une même ordinateur, avec la possibilité que le curseur aille de l'un à l'autre.
Et évidemment, on ne tapera pas de texte, mais on utilisera les touches Ctrl+C (copier) et Ctrl+V (coller), afin de copier exactement ce qui est publié, avec les références. Car une phrase impose une référence (ou plus d'une parfois).
Certains disent que faire une enquête bibliographique ne signifie pas plagiat, mais je ne suis pas d'accord : je ne veux pas que les phrases soient modifiées lors du transfert de l'article original vers le résultat bibliographique, car toute modification d'un texte en change le sens ; si quelque chose a été montré scientifiquement, c'est seulement cela qui a été montré, précisément, et rien d'autre.
Et c'est pourquoi je veux la même phrase que dans l'article original... mais bien sûr avec des références, dont la présence nous prémunit contre le plagiat.
Quelles phrases doit-on recopier ? Très certainement le titre de l'article, avec les auteurs et la référence exacte, mais aussi le résumé (abstract).
Puis, quand tu prendras une phrase de l'article pour la recopier, assortit-la de la ou des références qui doivent accompagner cette phrase, dans la publication que tu lis... mais là, j'anticipe un peu en signalant qu'un article qui contient des phrases sans références est un mauvais article.
Et, en corollaire, je rappelle en passant que la bonne pratique est de regarder tous les article que l'on cite !
Des critiques détaillées
Examinons maintenant un résumé d'un article que nous voulons évaluer:
Abstract Thermal degradation kinetics of chlorophyll and visual colour (tristimulus L, a and b) of beans puree were studied at various temperatures (50-90 °C) for 20 min. Results indicated that the thermal degradation of chlorophyll, tristimulus colour a value (representing greenness) and Lxaxb value (representing total colour) followed first-order reaction kinetics. Activation energies for chlorophyll, green colour and total colour were 42.135, 31. 333 and 40.782 kJ/mol respectively. Higher activation energy signified higher thermal sensitivity of chlorophyll during heat processing of bean puree. A linear relationship described well the variation of total visual colour (Lxaxb) with chlorophyll content of been puree during thermal processing.
Dans la première ligne, on voit le mot "chlorophyll" au singulier, ce qui est surprenant, car les chlorophylles sont des composés qui forment une classe immense, comme l'indique bien l'I.U.P.A.C (j'ai le lien du Gold Book dans ma barre des taches, tant j'y vais souvent !): parler de "la chlorophylle" est idiot, et l'on peut seulement parler d'"une chlorophylle", car les chlorophylles sont des composés des végétaux qui donnent des couleurs à ces derniers ; mieux encore, de sont des composés qui comportent un groupe chlorine, avec d'innombrables variations, et les végétaux terrestres que nous consommons, notamment les "haricots verts" (les gousses immatures de Phaseolus vulgaris L) [https://www.sciencedirect.com/topics/medicine-and-dentistry/chlorophyll, dernier accès 2020-05-01] sont principalement les chlorophylles a, a', b, b', dont on doit d'ailleurs signaler que la couleur est également due à la présence de dérivés des chlorophylles, et de caroténoïdes.
Tu vois d'ailleurs, en passant, un moyen de citer des sources officielles, précisément (et mieux encore : je donne la date en format ISO, incriticable).
Bien sûr, on peut être charitable, et donner le bénéfice du doute, mais nous serons désormais vigilant. Voyons donc la suite.
A la seconde ligne du résumé, les auteurs évoquent le système colorimétrique L, a, b... mais ils semblent ignorer que le consensus international est plutôt le système L*, a*, b* ! Une deuxième information pourrie, ça commence à faire beaucoup.
Hélas, la suite ne s'améliore pas, notamment quand les auteurs prétendent que le paramètre a représente le vert. C'est inexact : a indique la position du point de couleur sur un axe vert-rouge, et pas seulement la "verdeur". Et, de toute façon, un résumé d'un article scientifique ne doit certainement pas définir des objets déjà définis par la communauté. C'est une information un peu annexe que je donne, mais on devra se souvenir qu'un article scientifique doit être aussi succinct que possible, et ne jamais répéter ce qui a déjà été publié, sauf pour les besoins de compréhensions des lecteurs.
Et puis, ensuite, on voit écrit Lxaxb, comme si c'était un produit : rien à voir avec un produit, puisque les paramètres L (ou plutôt L*), a (plutôt a*) et b (plutôt b*) sont des coordonnées dans un espace tridimensionnel : il aurait fallu écrire (L*, a*, b*). Et nous n'en sommes qu'à la sixième ligne !
Nous soupçonnons donc fortement que l'article est mauvais... de sorte que nous ne pouvons pas nous empêcher de nous demander si, vraiment, les quatre chiffres utilisés pour afficher les énergies d'activation sont "significatifs" : nos auteurs, d'ailleurs, savent-ils ce qu'est un chiffre significatif, et en connaissent-ils le maniement ? Pour la suite, nous devrons avoir un "radar" de ce point de vue. Et comme les chiffres significatifs ont un rapport avec les incertitudes de mesure, nous voyons que nous aurons intérêt à nous préoccuper du traitement des incertitudes par les auteurs, et des traitements statistiques des données qu'ils ont produites.
Puis vient la phrase "Higher activation... bean puree", qui est une tautologie révélant le texte d'imbéciles, avec une information qui, à nouveau, n'a rien à faire dans un résumé. Les auteurs sont sans doute des (mauvais) débutants.
Mais le pire arrive ensuite avec "described well" : les adjectifs et les adverbes sont "interdits", en sciences de la nature, et ils doivent toujours être remplacés par la réponse à la question "combien ?". Je m'explique : un objet de 10 cm de hauteur est-il "grand" ? La question n'a pas de sens, car il est grand par rapport à une fourmi, mais petit par rapport à une planète.
Et puis, surtout, les auteurs tombent dans la faute de vouloir "bien" décrire des données, au lieu de chercher en quoi leur théorie est fautive. C'est une faute élémentaire, qui montre que les auteurs n'ont rien compris à la nature des sciences de la nature.
Tout cela dans le seul résumé ! On voit que l'article est vraisemblablement très mauvais, mais continuons, avec l'introduction :
Introduction
Beans (Phaseolus), whose pods have an attractive colour, are consumed both boiled and sauteed. Bean puree, paste, sauce, juice and cooked pods are some of the common processed products. In developed countries, 50% of the produce is utilised for processing [1], whereas commercial utilisation of beans in the developing countries is insignificant.
Ici on observe que la première phrase est à la fois idiote, fausse, et sans référence : c'est encore un mauvais signe.
Idiote, parce que nous n'avons pas besoin d'un article scientifique pour nous dire que les humains mangent des haricots.
Fausse, parce que personnellement, je ne trouvent pas que les haricots ont une couleur "attractive" (attrayante). D'ailleurs, on voit à nouveau un adjectif, ici !
Enfin, sans référence : c'est un fait. Bien sûr, on peut imaginer que la justification de cette phrase serait dans la deuxième phrase, pour laquelle il y a effectivement une référence.... mais comment cette référence pourrait-elle justifier quelque chose de faux ?
Ce qui est pire, c'est que cette introduction est beaucoup trop générale : il y d'innombrables variétés de haricots : Phaseolus vulgaris L (qui produit les gousses immatures communément nommées haricots verts), mais aussi haricots rouges, blancs... et toutes ont des couleurs différentes. Les haricots verts sont verts, les haricots blancs sont blancs, les haricots rouges sont rouges... De quels haricots s'agit-il ici ? Cela n'est pas dit, et l'on voit aussitôt une autre faute... alors que nous n'en sommes qu'à la première phrase.
Plus positivement, la règle ici est de donner le nom latin binomial, en précisant la variété.
Passons à la suite : les haricots seraient consommés bouillis et sautés : où est la preuve de cette affirmation ?
Et, surtout, quel intérêt à encombrer la publication d'une phrase si bête ?
Ensuite, les purée, pâte, sauce, jus sont donnés sans définition, sans référence... alors que :
1. la liste n'est pas garantie exhaustive
2. ce qui est une sauce, pour une culture donnée, ne l'est pas pour une autre.
Puis vient une phrase dont je suis certain qu'elle est fausse, car tous les pays ne cuisinent pas de la même façon, ne traitent pas les haricots de la même façon (par exemple, les Japonais font des haricots un dessert). Au minimum, un intervalle se serait imposé.
Quant à la dernière phrase, elle contient encore un adjectif : "insignificant". Ce terme est... insignifiant, car la question est encore "Combien ?". Et ici, on sent bien que c'est par paresse qu'il n'y a pas de réponse à la question.
Nous en faut-il davantage pour conclure que cet article est mauvais ? Allons, une petite resucée :
of flowers, fruits and vegetables [5]. The colour of chlorophylls-containing media depends on the structure and concentration of the pigment, pH, temperature, light, co-pigments, enzymes, oxygen, metallic ions, sulphur dioxide, sugar, etc. The hydroxyl group at C-11 is highly
Qu'est-ce qu'un "medium?" Ici, impossible de le savoir. Mais oui, la couleur dépend de paramètres variés, mais où est la preuve : autrement dit, pourquoi les auteurs ne donnent-il pas de références ?
Le "etc." est particulièrement nul, car c'est bien la suite de l'énumération qui est intéressante... et que nous n'avons pas. Au fond, n'aurait-il pas été plus simple d'indiquer que l'absorption de certaines composantes de la lumière, à des fréquences caractéristiques, sont déterminées par l'environnement moléculaire des anthocyanines ?
oxide, sugar, et. The hydroxyl group at C-11 is highly significant, because it shifts the colour from green-yellow to blue. High temperature leads to the production of
Et allons donc ! Maintenant, nous trouvons un "highly significant" : l'inanité de l'adjectif est empirée par la présence de l'adverbe. Cette fois-ci, notre premier sentiment est confirmé : les auteurs ne savent pas rédiger une publication, et, pire, ils sont bêtes ou paresseux, nous prennent pour des idiots. Mais je m'arrête de le signaler, en observant toutefois que la "couleur" est pas un objet de science : il faut évoquer des bandes d'absorption lumineuses, ou des paramètres colorimétriques L*, a*, b*.
Je dis cela parce que les imprécisions conduisent à des erreurs, comme dans un passage suivant :
Generally, the pigment measurements is done spectrophotometrically. This technique does not reflect the total colour, while measuring the absorbance of the extract
L'adverbe "generally" est fautif, car "beaucoup" de scientifiques (il faut utiliser Google analytics pour avoir des statistiques font de la colorimétrie.
Et je termine avec ce passage :
The colour degradation kinetics of food products is a complex phenomenon and it models to predicts experimental colour change, which can be used in engineering, are limited; however empirical
qui contient le mot "complex" : c'est l'occasion de dire à mes amis que les mauvais collègues utilisent ce mot quand ils ne comprennent pas, ou qu'ils n'ont pas fait le travail, ou bien encore qu'ils veulent montrer combien ils sont savants, à étudier des choses si au-dessus des moyens des autres ! De la prétention, tout comme on est averti qu'on en rencontrera à la seule présence du mot "important".
Mais abandonnons l'introduction, qui est difficile à rédiger pour ceux qui n'ont pas de méthode, et arrivons à la partie Materials and Methods, qui est celle qui nous dira ce que vaut le travail rapporté. On se souviendra, ici, que les résultats d'expériences mal conduites ne valent rien.
Ici, nous pressentons que l'article est mauvais, mais pourrions-nous conserver au moins les résultats transmis par les auteurs ? Lisons.
Materials and methods
Preparation of puree. Immature green beans (Cv . Maxibel) were procured locally, washed in running tap wate and sorted. Sound pods were heated to 60 °C for 15 min and mashed in a puree. The puree was sieved (14-mesh) to obtain a product of uniform consistency. The total soluble solids and pH of bean puree were respectively...
Ah, la variété des haricots est donnée : merveilleux... mais que signifie "mature" ? Comment les auteurs le savent-ils ? Comment peuvent-ils nous ne assurer ? Et quel est leur critère de maturité ?
On lit ensuite que les haricots ont été achetés chez un épicier du coin et lavés... mais comment ont-ils été lavés ? En frottant ? Dès que les haricots ont été achetés ? Après un stockage ? Qui s'est fait comment ? Avec quelle eau ? Quels ions étaient-ils présents ? Pourquoi les auteurs de l'article n'ont-ils pas utilisé de l'eau désionisée ?
Ensuite, on parle de fruits "sains", et l'on comprend que je critique ce terme, parce que l'on ignore ce que cela signifie. Les haricots ont été "sorted" : de quoi s'agit-il ? Qui a fait quoi et comment ? Ici, il faut répéter que les parties de Materials and Methods doivent être si précises que n'importe qui, à l'autre bout du monde, doit pouvoir reproduire l'expérience, et retrouver les mêmes résultats. Il est d'ailleurs utile de savoir que certaines revues scientifiques commettent des éditeurs qui, systématiquement, reproduisent les résultats, et l'on verra dans mon article sur la reproductibilité que cela est un facteur de découverte scientifique.
Là, on comprends que nos auteurs ne seront pas meilleurs dans cette partie qu'au début du texte. Les haricots ont été chauffés à 65 °C... Comment, avec quelle montée en température ? Ils ont été broyés : comment ? On saura combien cette dernière question est essentielle quand on se reportera à des expériences effectuées sur du pistou, lors d'un séminaire de gastronomie moléculaire : les broyages de feuilles de basilic (Ocimum basilicum L. Grand vert) au mixer, ou bien au mortier et pilon, ont conduit à des couleurs entièrement différentes (vert printemps et vert sapin, désolé pas de colorimétrie), et des consistances également différentes (désolé, pas de granulométrie faite).
A propos du pH, les auteurs donnent 3 chiffres significatifs, mais je ne crois certainement pas au troisième, surtout par des scientifiques aussi médiocres ! Bien sûr, je peux me tromper, mais tout le début de cet article est si mauvais que nous aurions raison d'être prudent, non ? Nos auteurs savent-ils au minimum qu'il existe de bonnes pratiques (AOAC, etc.) d'utilisation des pH-mètres ? Savent-ils que ces appareils se calibrent avec des solutions étalon ? Savent-ils que la température se contrôle ? Ont-ils répété les mesures trois fois, afin de produire une moyenne et un écart-type ?
Nous n'avons aucune certitude que nos auteurs aient bien fait, ici, parce qu'ils ont mal fait plus loin, en ne prenant qu'une mesure de couleur par échantillon ! Et, pis encore, ils n'ont pas répété l'expérience au minimum trois fois. Décidément, il y a lieu de s'interroger : comment est-il possible qu'une revue ait laissé paraître un tel article ?
Enfin, à propos des Results je vous invite à considérer cette figure :
Ici, je n'ai pas pris les indications des abscisses et des ordonnées, mais elles y étaient : pas de lézard, à ce propos. En revanche, il n'y a pas d'indication des incertitudes sur le dosage des chlorophylles... parce qu'il n'y a pas eu de répétition ;-(. Mais le pire (disons le plus pernicieux), c'est sans doute le fait que ce diagramme était logarithmique, qui transforme presque n'importe quelle variation en une variation linéaire : c'est à la fois une mauvaise pratique personnelle, et une pratique de communication pourrie.
En passant, nous trouvons des erreurs de détail, telles des fautes de typographie :
Eq.4 described very well the degration of the b value of bean puree over the entire temperature range. The R^2; valueswere greater than 0.821 while the standard error values were less than 0.00005 in all cases.
Comment est-il possible que l'on trouve ce "valueswere" ? Manifestement l'écriture, puis l'édition, puis la relecture d'épreuves ont été bâclées.
Et ainsi de suite, jusqu'à la conclusion, où aucun mécanisme n'est proposé.
Oui, cet article est très mauvais (un adjectif, un adverbe, parce que je suis en colère)... mais il a eu le mérite de me permettre de souligner les fautes que l'on rencontre le plus souvent.
Il pose quand même la question de savoir ce que l'on peut en faire :
1. Le citer ? Ce serait lui faire de la publicité, d'une part, et, d'autre part, si nous le citons sans le critiquer, nous risquons que l'on reporte sur nous-mêmes les critiques qu'il mérite de s'attirer
2. L'utiliser ? Le travail est si médiocre que l'on aurait raison à ne croire à rien de ce qui est dit dedans. Du point de vue de la production de connaissances nouvelles, cet article est nul et non avenu, et il incite plutôt à refaire les expériences pour montrer combien les auteurs sont mauvais... ce qui ne serait ni charitable ni intéressant. On se souviendra que "données mal acquises ne profitent à personne".
Résumons
Oui, faisons maintenant un bilan, en donnant quelques pistes pour nous-mêmes, mais qui départagent aussi les bons et les mauvais articles:
- pas d'adjectifs ni d'adverbes
- toute information doit être justifiée par une ou plusieurs références
- les références doivent être celle du premier découvreur de l'information, et du dernier à avoir amendé l'information
- l'expérience doit avoir été répétée
- les mesures doivent avoir été répétées
- pas de mesure sans une indication de l'incertitude
- les diagrammes log-log sont dangereux
- les Materials and Methods doivent être parfaitement précis ET justifiés
- il ne doit y avoir aucun arbitraire
- les diagrammes doivent indiquer les incertitudes
- les résultats doivent être indiqués avec le nombre approprié de chiffres significatifs
- en cas de comparaison, un test statistique doit avoir été fait
- les discussions ne se limitent pas à un simple "on trouve comme xx ou yy"
- et bien plus : on lira avec intérêt
1. http://www.agroparistech.fr/-Les-bonnes-pratiques-scientifiques-.html
2. la toute fin des DSR (les "documents structurants de recherche", que nous utilisons dans le Groupe de gastronomie moléculaire), où je donne une liste bien plus complète qu'ici.
samedi 2 mai 2020
Deux fois en deux jours : des consultations à propos de gélifications !
Deux fois en deux jours : des consultations à propos de gélifications !
1. Depuis deux jours, l'intérêt pour les gélifications se fait entendre, et l'on me demande des "consultations" à ce propos. Quand je dis "on", ce sont des professionnels, qui veulent régler des questions techniques, telles que "Comment faire un gel avec un liquide dont je ne connais pas l'acidité ?" ou "Comment faire un gel qui tient à chaud ?", ou encore "Quelles sont les différentes sortes de gélatines végétales y a-t-il ?"...
2. Et cela me conduit -avant de répondre ici à tous, et non pas à ces deux personnes en particulier- à deux observations :
1. cette question des gélifiants est l'une de celles que j'agitais dès les années 1980 ! Ayant observé que l'on pouvait gélifier avec bien plus que le pied de veau, j'avais proposé à mes amis cuisiniers d'utiliser des gélifiants variés, pour des résultats très divers : il en va de l'avancement de l'art culinaire !
2. les échanges des derniers jours me donnent un argument, contre les quelques roquets qui n'ont pas compris qu'il y a lieu d'aboyer contre autre chose que la cuisine moléculaire, et qui, en conséquences, m'attaquent périodiquement (il y a même des imbéciles malhonnêtes qui écrivent que je serais un faux-nez de l'industrie chimique), à savoir que les "consultations" que j'ai données sans attendre étaient entièrement gratuites : d'une part, je suis agent de l'Etat, payé par le contribuable, de sorte que je me dois d'aider ce dernier, et notamment les petites entreprises (artisans) qui n'ont pas les moyens de se payer un service de recherche, et c'est bien ce que je fais.
Mais oublions les roquets, et levons le nez pour voir le bleu du ciel. Comment gélifier ? Nous allons voir que mille possibilités se présentent, avec beaucoup de simplicité.
3. Commençons par observer que gélifier un liquide, c'est lui donner une consistance "solide", qui ne coule pas (sans quoi on parle d'épaississement, et pas de gélification).
Les gélifiants sont des composés qui peuvent provenir :
- d'animaux
- de végétaux
- de micro-organismes
- de transformations moléculaires.
4. Les plus courants sont :
- pour les gélifiants animaux : la gélatine, mais aussi les protéines du lait, de l'oeuf, des viandes et des poissons ;
- pour les végétaux : diverses protéines végétales, mais aussi des "polysaccharides" tels que l'amylose et l'amylopectine de l'amidon, ou les pectines des fruits, par exemple, sans compter, pour les algues, les agar-agar, alginates, et certains carraghénanes, également
- pour les micro-organismes, également des polysaccharides, et l'on pensera notamment à la gomme xanthane, produite par une fermentation
- pour les gélifiants provenant de transformations moléculaires : la méthylcelluose, et ses cousins.
5. Mais pour les "cuisiniers " (je regroupe ici tous ceux qui préparent des aliments), c'est moins l'origine de ces produits qui importe que leurs caractéristiques fonctionnelles, et là, il est souvent utile de distinguer les gélifiants qui sont "thermoréversibles" et ceux qui ne le sont pas.
Par exemple, la gélatine est soluble à chaud, mais, à froid, elle fait prendre un liquide en une gelée qui fondra si on la réchauffe. Ce gel est thermoréversible, tout comme ceux qui sont obtenus par des pectines (pensons aux confitures)
En revanche, de la poudre de blanc d'oeuf ajoutée à un liquide (par exemple, un jus de betterave) et chauffée conduira à un gel analogue à du blanc d'oeuf dur, qui ne reliquéfiera pas ensuite, qu'on le chauffe ou qu'on le refroidisse : ce gel est irréversible.
6 . Dans tous les cas, la règle d'utilisation est environ la même : on fera bien de commencer avec une proportion d'agent gélifiant de 5 pour cent en masse. Puis, si l'on juge le résultat trop "dur", on testera une dose deux fois inférieure, jusqu'à avoir le résultat voulu. Inversement, si le liquide ne prend pas, on pourra doubler la quantité.
7. La teneur en sucre du liquide ? Elle est principalement importante dans le cas des pectines, pour lesquelles une quantité de sucre d'environ 50 pour cent est nécessaire.
L'acidité du liquide ? Là, il y a des gélifiants, tel l'alginate de sodium, pour lesquels cette question est importante, et devra conduire à modifier l'acidité, par exemple avec de l'acide citrique pour acidifier (on ajoute bien du jus de citron pour faire prendre les confitures) ou du citrate de trisodium pour remonter le pH d'une liquide trop acide (ou du bicarbonate !).
La teneur en alcool : bien souvent, les gélifiants précipitent dans un alcool trop concentré, de sorte que, pour ce cas particulier, s'imposent des stratégies (simples) qui dépassent le cadre de ce billet.
8. Une réminiscence d'un passé pas si lointain : je me souviens m'être émerveillé, dans les années 1980, d'un plat préparé par un cuisinier, où se trouvait une gelée chaude. J'observe aujourd'hui que nous nous sommes habitués, car à l'époque, quand ne régnait que la gélatine du pied de veau, les gelées fondaient quand on les chauffait... sauf pour les gels faits de protéines animales telles que les actines et myosines des muscles animaux : d'ailleurs, quand on fait une terrine, ce sont ces protéines, et leur coagulation, que l'on met en oeuvre pour gélifier des liquides.
Et, en l'occurrence, dans les gels chauds qui m'avaient émerveillés, il y avait de l'oeuf pour faire tenir le gel : les protéines de l'oeuf sont du même type que celles des muscles.
9. J'observe aussi que, dans le lait, les protéines nommées caséines permettent de faire du fromage à partir du lait : il s'agit encore d'une gélification, mais elle est provoquée par une enzyme (dans la présure), et non pas par la température. Même question pour la coagulation du sang, par exemple.
Finalement, il y aurait trop à dire pour expliquer toutes les coagulations une à une, et notamment l'emploi de l'alginate de sodium et des sels de calcium pour produire des "degennes", à savoir ces caviars artificiels... mais cela a été déjà publié mille fois !
10. Non, il faut mieux terminer en observant que certains gels sont transparents et d'autres opaques, certains gels sont fondants (gélatine, confitures) et d'autres cassants, ou caoutchouteux. Aucun n'est mieux qu'un autre, pas plus qu'un sol n'est mieux qu'un do ou un fa, pas plus que le jaune ne serait mieux que le rouge ou le vert... Non, il y a seulement des ingrédients appropriés pour chaque cas bien identifié... et c'était d'ailleurs la teneur essentielle des consultations que j'ai données : dites-moi d'abord votre objectif, et c'est seulement, alors, que je pourrai répondre à votre question technique !
Parce que ma brioche feuilletée de ce matin était PARFAITE..
Je vous en donne la recette :
1. mettre environ
200 g de farine dans le bol du robot pétrisseur
2. ajouter un demi
verre de lait, sur un bord, et mettre la levure dans le lait (un demi sachet de levure lyophilisée, ou une petite demi cuillerée à café de levure fraîche ; cela n'a pas grande importance)
3. attendre que
l’on voit une mousse apparaître dans le lait
4. pétrir vitesse
1, avec :
- 60 g de sucre en
poudre
- 2 œufs
- 1 petite
cuillerée à café de sel
5. Si la pâte est
trop liquide, ajouter de la farine. Il faut arriver à une
consistance un peu ferme, mais encore collante
7. Pétrir 15 à
30 minutes
8. Laisser lever
en posant un torchon sur le bol du robot
9. Sur une planche
à pâtisserie largement farinée, déposer la pâte (qui colle,
donc).
10. Bien malaxer
100 à 150 de beurre
11. Quand il est
bien mou partout, sans parties dures, étaler la pâte en un disque
épais
12. Déposer le
beurre en galette épaisse, comme pour faire une pâte feuilletée
13. Refermer en
enveloppe, puis faire un tour simple et un tour double.
14. Etendre la
pâte très précautionneusement, et la rouler à partir du bord
supérieur
15. Couper des
tronçons que l’on place les uns à côté des autres, axe
vertical, dans un moule anti-adhésif
16. Laisser
fermenter sous un torchon.
17. Mettre au
frigo pour la nuit
18. Sortir du
frigo, dorer au jaune d’oeuf, et sucrer la surface.
19. Cuire pendant
32 minutes à 160 °C.
20. Laisser
refroidir avant d’y toucher (le plus dur)
vendredi 1 mai 2020
Questions de toxicité
Chers amis
Cette fois-ci, il faut que je vous parle de quelque chose qui sort de mon domaine. Cela ne signifie pas que je n’y connaisse rien, puisqu’il sera question de chimie, mais les matières évoquées ne font pas l’objet de mes travaux personnels. Je lis les « bons auteurs », dans des « revues sérieuses », afin de bien comprendre les faits, et d’en tenir compte dans mes études, mais mon intérêt est ailleurs.
Cette précaution prise, permettez-moi de commencer en évoquant le cas extraordinaire de la controverse entre deux cuisiniers espagnols : Santi Santamaria (décédé) et Ferran Adria.
Les faits d’abord, avant les interprétations : Santamaria, qui se disait fils de paysan et attaché au « terroir » (qu’entendait-il par ce terme ?), avait attaqué la cuisine moléculaire par voie de presse, en accusant Ferran Adria de servir à ses clients plusieurs grammes de méthylcellulose et d’autres additifs néfastes pour la santé. L’attaque était grave : en gros, Adria et les cuisiniers moléculaires auraient été des empoisonneurs. On a fait des procès retentissants pour moins que cela.
Les interprétations, maintenant, avant que je ne fournisse les données pour savoir si, oui ou non, il y a des dangers à utiliser des additifs, comme cela est périodiquement dit par des factions variées. Mon interprétation principale est la suivante : je trouve troublant que Santamaria ait fait cette attaque au moment même où il publiait un livre. N’est-ce pas le meilleur moyen de se faire une extraordinaire publicité (et ça a marché : la preuve, nous en sommes à en parler) et de vendre son livre ?
Effaçons vite de notre esprit la pensée de personnages que je n’estime pas en raison de leurs actes que je condamne, pour examiner la question passionnante de la toxicité, en cuisine. Oui ou non les additifs sont-ils mauvais pour la santé ? Et, inversement, y a-t-il des aliments « bons pour la santé », comme une certaine industrie ne cesse de nous le dire ?
La question des additifs
Commençons par la méthylcellulose : c’est un additif alimentaire autorisé par l’Union européenne, sous le numéro E 461. C’est une poudre blanche, qui forme un liquide visqueux et qui gélifie à chaud. D’où sort-elle ? L’industrie qui la fabrique part de cellulose, matière qui se trouve dans toutes les plantes et qui, à l’état pur, forme le coton hydrophile. C’est une matière qui n’est pas assimilables par les êtres humains, parce que ceux-ci ne sont pas des ruminants, dont les micro-organismes intestinaux fermentent le produit. On dit que c'est une "fibre".
Toutefois, la cellulose n’est pas soluble dans l’eau. Aussi, l’industrie a-t-elle appris à rendre la cellulose soluble (mais toujours non assimilable) en la modifiant moléculairement. Oui, moléculairement : est-ce grave ? Nous y reviendrons.
La méthylcellulose est sans danger, au point que l’industrie pharmaceutique la préfère aujourd’hui à la gélatine, pour faire ses enrobages. En outre, les quantités nécessaires pour faire des gels sont infimes, parce que c’est un très bon agent gélifiant. Les gels obtenus sont amusants, culinairement parlant : à l’inverse de la gélatine, ils prennent à chaud, et se défont à froid.
Et si l’Union européenne considère la méthylcellulose comme utilisable par l’industrie alimentaire, c’est que la méthylcellulose a passé un grand nombre de tests de toxicologie, et qu’elle les a passés avec succès… comme les autres additifs.
Additifs ? J’ai déjà évoqué le code E 461 de la méthylcellulose ; c’est un cas particulier d’une liste qui comprend tout aussi bien des gélifiants que des colorants, des agents antioxygène, des conservateurs… Bref, de ces produits que les « gens du terroir » (à nouveau, de quoi s’agit-il ?) détestent, parfois par méfiance, par prudence dirons-nous en étant charitable, parfois par idéologie (ces produits sont souvent utilisés par l’industrie alimentaire, laquelle, pour certains, est un démon capitaliste à abattre, avec des multinationales tentaculaires), parfois par conviction, parfois…
Sans prendre parti, pour l’instant, explorons la liste. Elle est très hétérogène, puisqu’elle comprend par exemple le caramel (E 150), ou le rocou (E 160b), colorant alimentaire largement utilisé en Amérique du sud, le lycopène (E 160d), qui est le colorant des tomates, le dioxyde de titane (E 171), colorant blanc utilisé par les pâtissiers… De même, dans la catégorie des conservateurs et agents antioxygène, on trouve l’acide benzoïque (E 210) à côté du métabisulfite de sodium (E 223), de l’acide lactique (E 270), de l’acide ascorbique (E 300), qui n’est autre que la vitamine C… Les agents de texture ? L’amidon fluide (E 1400) est dans cette catégorie, à côté du tartrate de calcium (E 354, les cristaux au fond des bouteilles de vin), de l’agar-agar (E 406), de la gomme adragante (E 413), qui était préconisée dans les livres de cuisine du 19e siècle comme fixateur de la crème chantilly…
Au total, ce qu’il faut remarquer, c’est que les composés sont très divers. Certains sont d’usage classique et courant, en restauration ou en cuisine domestique. D’autres sont inhabituels et pourraient le devenir. D’autres encore n’ont pas de raison de figurer.
Ne jamais chercher à convaincre
Au total, ces produits sont-ils dangereux ? Ne comptez pas sur moi pour le dire, ni pour dire l’inverse, car je ferais alors quelque chose d’inutile. L’expérience m’a montré qu’il est complètement inutile, inefficace, idiot même, de vouloir convaincre ceux qui ne veulent pas l’être. Par exemple, cela fait des années que, questionné à propos d’OGM, je réponds la chose suivante : soit mon interlocuteur et moi-même les jugeons sans danger, ou les jugeons dangereux, et cela ne sert à rien d’en parler ; soit l’un de nous les trouve dangereux et l’autre les trouve admissibles, et une réponse de ma part ne convainc pas, mais me fait perdre un ami. Alors, à quoi bon ?
Pour la question des additifs, il en va de même. Si j’en prenais le parti, je perdrais des amis sans convaincre personne. D’ailleurs, pourquoi en prendrais-je le parti ? Parmi ces produits, certains sont intéressants et d’autres sont inutiles ! Par exemple, il est connu que le métabisulfite de sodium, pourtant utilisé par nombre de vignerons, n’est pas aussi anodin que l’agar-agar. Je n’ai aucune raison de préconiser son usage en cuisine… mais les vignerons me diront souvent que les vins blancs sont fragiles, microbiologiquement, et que l’emploi du produit s’impose. D’ailleurs, il est amusant de voir certains partisans de la biodynamie refuser à tout prix ce produit… et mécher les tonneaux avec du soufre ! Le soufre qui brûle engendre le dioxyde de soufre, qui a la même toxicité que le métabisulfite de sodium, mais il est bien plus difficile à doser.
Donc je ne prendrais pas inutilement le parti de tous les additifs, car cela me vaudrait une fois de plus d’être considéré comme un suppôt de l’industrie chimique, ce que je ne suis pas. Je ne cherche pas à convaincre : je cherche seulement à distribuer des connaissances pour que chacun se détermine personnellement, pour que chacun fasse des choix éclairés.
La nature n’est pas une garantie
Par exemple, je trouve insensé que certains cuisiniers utilisent des huiles essentielles avec si peu de discernement. Par exemple, autant l’estragon est utilisable en cuisine, autant l’usage d’une huile essentielle d’estragon serait critiquable, parce que l’estragole que contient l’estragon, tératogène (il engendre des malformations des fœtus) et cancérogène, concentré dans l’huile essentielle, est alors dangereux. De même pour des huiles essentielles de noix muscade, de laurier, mais aussi de bien d’autres plantes.
La concentration est-elle la caractéristique qu’il faut redouter ? Non : j’ai récemment rencontré un cuisinier qui faisait des infusions de grappes de tomate. Oui, l’odeur est plaisante, fraîche, mais je préfère ne jamais manger dans le restaurant de ce professionnel. Ce serait la même chose pour quelqu’un qui abuserait des peaux de pomme de terre, des haricots verts crus, des haricots blancs crus…
L’origine « naturelle » des produits n’est pas une sécurité : pensons à la cigüe, à l’amanite phalloïde. Renseignons-nous bien avant de faire manger des produits nouveaux, dont nous ignorons la toxicité.
Et je répète que les additifs ont été testés et retestés : l'Académie d'agriculture de France a organisé une séance publique, l'an passé, pour discuter cette question, présenter publiquement les méthodes et les résultats.
La tradition n’est pas une garantie
Si l'on craignait ou si l'on craint les additifs, faut-il alors se réfugier dans la tradition ? Hélas, ce refuge n’est pas sûr ! N’oublions pas que nos ancêtres ne savaient rien des effets à un peu long terme des produits. Ils voyaient bien si quelqu’un était aussitôt malade en consommant des produits, mais ils n’avaient aucun moyen épidémiologique pour estimer l’influence à long terme des consommations alimentaires.
Par exemple, il a fallu de nombreuses études pour montrer que le fumé est dangereux… au point que les populations nordiques, qui mangent plus d’aliments fumés que les autres Européens, ont plus de cancers digestifs. Là, il n’y a pas de doute : les benzopyrènes qui viennent se déposer sur les viandes ou poissons fumés sont cancérogènes de façon certaine ! Le danger est, pardonnez-moi d’y revenir, considérablement plus grand que celui de la méthylcellulose. Il est avéré, certain, mesuré, étudié…et nous continuons de consommer des viandes grillées au barbecue. Et le risque est réel. Au fond, nous sommes bien hypocrites : quand cela nous arrange, nous refusons la consommation de produits, mais nous n’hésitons pas à manger du sucre, du saumon fumé, des grillades au feu de bois…
Que manger ? Que cuisiner ? Je crois que la profession a besoin d’informations qu’elle n’a pas suffisamment. C’est un des objectifs de la Fondation Science & Culture Alimentaire que de mettre en ligne, pour le monde culinaire, des informations fiables, sur ces questions. Il ne s’agit pas de convaincre, mais d’informer.
Cette fois-ci, il faut que je vous parle de quelque chose qui sort de mon domaine. Cela ne signifie pas que je n’y connaisse rien, puisqu’il sera question de chimie, mais les matières évoquées ne font pas l’objet de mes travaux personnels. Je lis les « bons auteurs », dans des « revues sérieuses », afin de bien comprendre les faits, et d’en tenir compte dans mes études, mais mon intérêt est ailleurs.
Cette précaution prise, permettez-moi de commencer en évoquant le cas extraordinaire de la controverse entre deux cuisiniers espagnols : Santi Santamaria (décédé) et Ferran Adria.
Les faits d’abord, avant les interprétations : Santamaria, qui se disait fils de paysan et attaché au « terroir » (qu’entendait-il par ce terme ?), avait attaqué la cuisine moléculaire par voie de presse, en accusant Ferran Adria de servir à ses clients plusieurs grammes de méthylcellulose et d’autres additifs néfastes pour la santé. L’attaque était grave : en gros, Adria et les cuisiniers moléculaires auraient été des empoisonneurs. On a fait des procès retentissants pour moins que cela.
Les interprétations, maintenant, avant que je ne fournisse les données pour savoir si, oui ou non, il y a des dangers à utiliser des additifs, comme cela est périodiquement dit par des factions variées. Mon interprétation principale est la suivante : je trouve troublant que Santamaria ait fait cette attaque au moment même où il publiait un livre. N’est-ce pas le meilleur moyen de se faire une extraordinaire publicité (et ça a marché : la preuve, nous en sommes à en parler) et de vendre son livre ?
Effaçons vite de notre esprit la pensée de personnages que je n’estime pas en raison de leurs actes que je condamne, pour examiner la question passionnante de la toxicité, en cuisine. Oui ou non les additifs sont-ils mauvais pour la santé ? Et, inversement, y a-t-il des aliments « bons pour la santé », comme une certaine industrie ne cesse de nous le dire ?
La question des additifs
Commençons par la méthylcellulose : c’est un additif alimentaire autorisé par l’Union européenne, sous le numéro E 461. C’est une poudre blanche, qui forme un liquide visqueux et qui gélifie à chaud. D’où sort-elle ? L’industrie qui la fabrique part de cellulose, matière qui se trouve dans toutes les plantes et qui, à l’état pur, forme le coton hydrophile. C’est une matière qui n’est pas assimilables par les êtres humains, parce que ceux-ci ne sont pas des ruminants, dont les micro-organismes intestinaux fermentent le produit. On dit que c'est une "fibre".
Toutefois, la cellulose n’est pas soluble dans l’eau. Aussi, l’industrie a-t-elle appris à rendre la cellulose soluble (mais toujours non assimilable) en la modifiant moléculairement. Oui, moléculairement : est-ce grave ? Nous y reviendrons.
La méthylcellulose est sans danger, au point que l’industrie pharmaceutique la préfère aujourd’hui à la gélatine, pour faire ses enrobages. En outre, les quantités nécessaires pour faire des gels sont infimes, parce que c’est un très bon agent gélifiant. Les gels obtenus sont amusants, culinairement parlant : à l’inverse de la gélatine, ils prennent à chaud, et se défont à froid.
Et si l’Union européenne considère la méthylcellulose comme utilisable par l’industrie alimentaire, c’est que la méthylcellulose a passé un grand nombre de tests de toxicologie, et qu’elle les a passés avec succès… comme les autres additifs.
Additifs ? J’ai déjà évoqué le code E 461 de la méthylcellulose ; c’est un cas particulier d’une liste qui comprend tout aussi bien des gélifiants que des colorants, des agents antioxygène, des conservateurs… Bref, de ces produits que les « gens du terroir » (à nouveau, de quoi s’agit-il ?) détestent, parfois par méfiance, par prudence dirons-nous en étant charitable, parfois par idéologie (ces produits sont souvent utilisés par l’industrie alimentaire, laquelle, pour certains, est un démon capitaliste à abattre, avec des multinationales tentaculaires), parfois par conviction, parfois…
Sans prendre parti, pour l’instant, explorons la liste. Elle est très hétérogène, puisqu’elle comprend par exemple le caramel (E 150), ou le rocou (E 160b), colorant alimentaire largement utilisé en Amérique du sud, le lycopène (E 160d), qui est le colorant des tomates, le dioxyde de titane (E 171), colorant blanc utilisé par les pâtissiers… De même, dans la catégorie des conservateurs et agents antioxygène, on trouve l’acide benzoïque (E 210) à côté du métabisulfite de sodium (E 223), de l’acide lactique (E 270), de l’acide ascorbique (E 300), qui n’est autre que la vitamine C… Les agents de texture ? L’amidon fluide (E 1400) est dans cette catégorie, à côté du tartrate de calcium (E 354, les cristaux au fond des bouteilles de vin), de l’agar-agar (E 406), de la gomme adragante (E 413), qui était préconisée dans les livres de cuisine du 19e siècle comme fixateur de la crème chantilly…
Au total, ce qu’il faut remarquer, c’est que les composés sont très divers. Certains sont d’usage classique et courant, en restauration ou en cuisine domestique. D’autres sont inhabituels et pourraient le devenir. D’autres encore n’ont pas de raison de figurer.
Ne jamais chercher à convaincre
Au total, ces produits sont-ils dangereux ? Ne comptez pas sur moi pour le dire, ni pour dire l’inverse, car je ferais alors quelque chose d’inutile. L’expérience m’a montré qu’il est complètement inutile, inefficace, idiot même, de vouloir convaincre ceux qui ne veulent pas l’être. Par exemple, cela fait des années que, questionné à propos d’OGM, je réponds la chose suivante : soit mon interlocuteur et moi-même les jugeons sans danger, ou les jugeons dangereux, et cela ne sert à rien d’en parler ; soit l’un de nous les trouve dangereux et l’autre les trouve admissibles, et une réponse de ma part ne convainc pas, mais me fait perdre un ami. Alors, à quoi bon ?
Pour la question des additifs, il en va de même. Si j’en prenais le parti, je perdrais des amis sans convaincre personne. D’ailleurs, pourquoi en prendrais-je le parti ? Parmi ces produits, certains sont intéressants et d’autres sont inutiles ! Par exemple, il est connu que le métabisulfite de sodium, pourtant utilisé par nombre de vignerons, n’est pas aussi anodin que l’agar-agar. Je n’ai aucune raison de préconiser son usage en cuisine… mais les vignerons me diront souvent que les vins blancs sont fragiles, microbiologiquement, et que l’emploi du produit s’impose. D’ailleurs, il est amusant de voir certains partisans de la biodynamie refuser à tout prix ce produit… et mécher les tonneaux avec du soufre ! Le soufre qui brûle engendre le dioxyde de soufre, qui a la même toxicité que le métabisulfite de sodium, mais il est bien plus difficile à doser.
Donc je ne prendrais pas inutilement le parti de tous les additifs, car cela me vaudrait une fois de plus d’être considéré comme un suppôt de l’industrie chimique, ce que je ne suis pas. Je ne cherche pas à convaincre : je cherche seulement à distribuer des connaissances pour que chacun se détermine personnellement, pour que chacun fasse des choix éclairés.
La nature n’est pas une garantie
Par exemple, je trouve insensé que certains cuisiniers utilisent des huiles essentielles avec si peu de discernement. Par exemple, autant l’estragon est utilisable en cuisine, autant l’usage d’une huile essentielle d’estragon serait critiquable, parce que l’estragole que contient l’estragon, tératogène (il engendre des malformations des fœtus) et cancérogène, concentré dans l’huile essentielle, est alors dangereux. De même pour des huiles essentielles de noix muscade, de laurier, mais aussi de bien d’autres plantes.
La concentration est-elle la caractéristique qu’il faut redouter ? Non : j’ai récemment rencontré un cuisinier qui faisait des infusions de grappes de tomate. Oui, l’odeur est plaisante, fraîche, mais je préfère ne jamais manger dans le restaurant de ce professionnel. Ce serait la même chose pour quelqu’un qui abuserait des peaux de pomme de terre, des haricots verts crus, des haricots blancs crus…
L’origine « naturelle » des produits n’est pas une sécurité : pensons à la cigüe, à l’amanite phalloïde. Renseignons-nous bien avant de faire manger des produits nouveaux, dont nous ignorons la toxicité.
Et je répète que les additifs ont été testés et retestés : l'Académie d'agriculture de France a organisé une séance publique, l'an passé, pour discuter cette question, présenter publiquement les méthodes et les résultats.
La tradition n’est pas une garantie
Si l'on craignait ou si l'on craint les additifs, faut-il alors se réfugier dans la tradition ? Hélas, ce refuge n’est pas sûr ! N’oublions pas que nos ancêtres ne savaient rien des effets à un peu long terme des produits. Ils voyaient bien si quelqu’un était aussitôt malade en consommant des produits, mais ils n’avaient aucun moyen épidémiologique pour estimer l’influence à long terme des consommations alimentaires.
Par exemple, il a fallu de nombreuses études pour montrer que le fumé est dangereux… au point que les populations nordiques, qui mangent plus d’aliments fumés que les autres Européens, ont plus de cancers digestifs. Là, il n’y a pas de doute : les benzopyrènes qui viennent se déposer sur les viandes ou poissons fumés sont cancérogènes de façon certaine ! Le danger est, pardonnez-moi d’y revenir, considérablement plus grand que celui de la méthylcellulose. Il est avéré, certain, mesuré, étudié…et nous continuons de consommer des viandes grillées au barbecue. Et le risque est réel. Au fond, nous sommes bien hypocrites : quand cela nous arrange, nous refusons la consommation de produits, mais nous n’hésitons pas à manger du sucre, du saumon fumé, des grillades au feu de bois…
Que manger ? Que cuisiner ? Je crois que la profession a besoin d’informations qu’elle n’a pas suffisamment. C’est un des objectifs de la Fondation Science & Culture Alimentaire que de mettre en ligne, pour le monde culinaire, des informations fiables, sur ces questions. Il ne s’agit pas de convaincre, mais d’informer.