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mercredi 4 septembre 2019
Qui est scientifique ?
Dans la revue Chemistry World, un article paraît sous le titre Am I really a scientist?, et il discute la question de la "science participative", si à la mode aujourd'hui. En substance, on aurait intérêt à n'exclure personne de la dénomination "scientifique", et il ne faudrait pas refuser ce titre à ceux qui ont fait un temps de la science, sans quoi les pauvres chéris seraient ennuyés (on voit que je me moque). Et de nous ajouter ceux qui sont parents d'enfants handicapés et qui ne peuvent pas aller au laboratoire (un argument de type violons et sanglots), ou bien de confondre la technologie et la science, sans parler des femmes des pays intégristes, qui seraient privées de la possibilité d'être scientifiques.
Je trouve cet article très mauvais, donc, parce que je propose de bien conserver à l'idée que nous sommes ce que nous faisons : si nous faisons de la science (recherche scientifique), nous sommes scientifiques, mais si nous ne faisons pas de science, nous ne sommes pas scientifiques.
Faire de la politique ? Faire de la direction ? Faire de la communication ? Cela n'est pas faire de la science, et l'on aura intérêt à bien relire Albert Einstein :
" Le Temple de la Science se présente comme une construction à mille formes. Les hommes qui le fréquentent ainsi que les motivations morales qui y conduisent se révèlent tous différents. L’un s’adonne à la Science dans le sentiment de bonheur que lui procure cette puissance intellectuelle supérieure. Pour lui la Science se découvre le sport adéquat, la vie débordante d’énergie, la réalisation de toutes les ambitions. Ainsi doit-elle se manifester! Mais beaucoup d’autres se rencontrent également en ce Temple qui, exclusivement pour une raison utilitaire, n’offrent en contrepartie que leur substance cérébrale! Si un ange de Dieu apparaissait et chassait du Temple tous les hommes qui font partie de ces deux catégories, ce Temple se viderait de façon significative mais on y trouverait encore tout de même des hommes du passé et du présent. Parmi ceux-là nous trouverions notre Planck. C’est pour cela que nous l’aimons.
Je sais bien que, par notre apparition, nous avons chassé d’un coeur léger beaucoup d’hommes de valeur qui ont édifié le Temple de la Science pour une grande, peut-être pour la plus grande partie. Pour notre ange, la décision à prendre serait bien difficile dans grand nombre de cas. Mais une constatation s’impose à moi. Il n’y aurait eu que des individus comme ceux qui ont été exclus, eh bien le Temple ne se serait pas édifié, tout autant qu’une forêt ne peut se développer si elle n’est constituée que de plantes grimpantes! En réalité ces individus se contentent de n’importe quel théâtre pour leur activité. Les circonstances extérieures décideront de leur carrière d’ingénieur, d’officier, de commerçant ou de scientifique. Mais regardons à nouveau ceux qui ont trouvé grâce aux yeux de l’ange. Ils se révèlent singuliers, peu communicatifs, solitaires et malgré ces points communs se ressemblent moins entre eux que ceux qui ont été expulsés. Qu’est-ce qui les a conduits au Temple? La réponse n’est pas facile à fournir et ne peut assurément pas s’appliquer uniformément à tous. Mais d’abord en premier lieu, avec Schopenhauer, je m’imagine qu’une des motivations les plus puissantes qui incitent à une oeuvre artistique ou scientifique, consiste en une volonté d’évasion du quotidien dans sa rigueur cruelle et sa monotonie désespérante, en un besoin d’échapper aux chaînes des désirs propres éternellement instables. Cela pousse les êtres sensibles à se dégager de leur existence personnelle pour chercher l’univers de la contemplation et de la compréhension objectives. Cette motivation ressemble à la nostalgie qui attire le citadin loin de son environnement bruyant et compliqué vers les paisibles paysages de la haute montagne, où le regard vagabonde à travers une atmosphère calme et pure, et se perd dans les perspectives reposantes semblant avoir été créées pour l’éternité.
A cette motivation d’ordre négatif s’en associe une autre plus positive. L’homme cherche à se former de quelque manière que ce soit, mais selon sa propre logique, une image du monde simple et claire. Ainsi surmonte-t-il l’univers du vécu parce qu’il s’efforce dans une certaine mesure de le remplacer par cette image. Chacun à sa façon procède de cette manière, qu’il s’agisse d’un peintre, d’un poète, d’un philosophe spéculatif ou d’un physicien. A cette image et sa réalisation il consacre l’essentiel de sa vie affective pour acquérir ainsi la paix et la force qu’il ne peut pas obtenir dans les limites trop restreintes de l’expérience tourbillonnante et subjective. »
Cela ne signifie pas que l'on refuse à quelqu'un qui a eu une formation scientifique d'avoir eu une formation scientifique... mais :
1. imaginons un plombier qui ait une formation en science : il est plombier, pas scientifique. Plus généralement, si nous nommons scientifiques tous ceux qui ont eu des cours de physique ou de chimie, ou de biologie, tous les Français seraient scientifique, ce qui montre l'absurdité de l'argument donné par l'auteur de l'article que je discute ici.
2. une formation scientifique ne signifie généralement pas faire de la recherche scientifique, mais connaître quelques notions, données, concepts, méthodes de la science. C'est comme avoir des notions d'histoire, de géographie ou de littérature. Ces rudiments (cela veut dire peu) ne font pas le ou la scientifique pour autant.
Mais venons-en aux "sciences participatives". De quoi s'agit-il ? Par exemple, que des citoyens qui observent une plante particulière à un endroit particulier le signalent aux... scientifiques du Muséum national d'histoire naturelle. Ou bien que des jeunes d'un club d'astronomie contribuent à la recherche sur les amas ouverts. Ou que des jeunes d'un club de chimie testent des formules d'émaux qui donnent des couleurs intéressantes.
S'agit-il de science ? Sont-ils des scientifiques ?
On gagnera à rappeler, dans cette discussion, la méthode des sciences de la nature :
1. observation (identification) d'un phénomène
2. caractérisation quantitative du phénomène
3. réunion des données en lois synthétiques (équations)
4. production d'une théorie par réunion de lois, introductions de nouvelles notions, de nouveaux concepts ; le tout doit être quantitativement (équations) compatible avec les données de mesure obtenues en 2
5. recherche de conséquences théories des hypothèses faites
6. tests expérimentaux de ces conséquences
Et ainsi de suite à l'infini.
Oui, on pourrait avoir la tentation de nommer scientifique toute personne qui contribue activement à certaines de ces étapes... mais est-on scientifique pour autant, ou bien a-t-on seulement contribué à la recherche scientifique ? Si l'on a posé une des pierres (une seulement) de la Grande Muraille de Chine, est-on constructeur de la Grande Muraille ?
Dans cette discussion, je propose de bien montrer l'image d'une balance à plateaux. Il y a le travail d'un côté, et la prétention de l'autre. Si l'on travaille plus qu'on n'a de prétention, on est travailleur, mais dans le cas inverse, on est prétentieux.
Bref, la question est de savoir qui veut se dire scientifique et pourquoi ?
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