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samedi 16 décembre 2017
Pour une crème anglaise, deux méthodes, et, donc, deux préparations
On fait une crème anglaise : on mélange des oeufs et du sucre, et les recettes indiquent de fouetter pour faire « le ruban ». De quoi s'agit-il ? Est-ce utile ?
Faire le ruban, cela signifie fouetter de sorte que la préparation, initialement bien jaune, blanchisse. Si l'on regarde bien, on observe que les grains de sucre, qui donnaient une apparence granuleuse à la sauce, ont progressivement disparu : on pressent que le sucre s'est dissout dans l'eau apportée par le jaune d'oeuf, et, en effet, un jaune d'oeuf, c'est 50 % d'eau. La consistance, change, également. Et je vous invite à ne pas lésiner sur le travail : ce n'est pas un début de changement que l'on peut voir, mais une transformation considérable. Pour ce qui me concerne, j'ai arrêté de faire le ruban à la main, parce qu'il est bien mieux fait à la machine.
Est-il utile de faire le ruban ?
L'expérience qui consiste à ne pas faire le ruban, à laisser les jaunes d'oeufs et le sucre sans les agiter, montre que, effectivement, faire le ruban est utile : sinon, le sucre « cuit » le jaune, ce qui signifie que si on laisse le jaune et le sucre pendant un certain temps et si l'on essaye ensuite de fouetter, alors les grains de sucres subsistent sans se dissoudre. Or il faut bien que le sucre se dissolve, pour donner un goût sucré !
Cela étant, il reste le phénomène de l'éclaircissement de la couleur, et, pour le comprendre, il faut utiliser un microscope, qui montre une myriade de bulles d'air toutes petites, dispersées dans dans la préparation. De même que les bulles d'air dispersées dans un blanc d'oeuf, initialement jaune et transparent (oui, le blanc d'oeuf est jaune), font un blanc en neige blanc et opaque, de même le jaune d'oeuf que l'on fouette devient la somme du blanc plus du jaune, c'est-à-dire jaune pâle, quand on le souhaite vigoureusement et qu'on y introduit de nombreuses bulles d'air.
Tout cela est bien joli, mais culinairement, à quoi bon ? Lors d'un de nos séminaires, nous avons donc comparé deux crèmes anglaises identiques en tout point à l'exception du ruban, qui était fait sur une moitié de la préparation et pas sur l'autre moitié. Nous avons ensuite ajouté le lait, puis cuit de la même façon les deux préparations, c'est-à-dire en faisant des huit avec une spatule qui raclait le bien le fond de la casserole pendant qu'on la chauffait, et nous avons organisé un test sensoriel avec l'aide des participants du séminaire de gastronomie moléculaire.
Le résultat était clair : les crèmes anglaises où l'on fait le ruban sont plus mousseuses, plus onctueuses en quelque sorte que les autres. Évidemment, dans certaines circonstances, on ne souhaite pas que la crème anglaise soit ainsi, et on la voudrait plus régulière, plus homogène.
Toutefois l'expérience nous met maintenant en possession de deux crèmes anglaises, l'une légèrement mousseuse et l'autre non.
Autrement dit, la recherche en gastronomie moléculaire conduit à disposer de deux outils culinaires au lieu d'un seul. Et c'est ainsi que la cuisine de demain sera encore plus belle que celle d'aujourd'hui !
Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)
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