Combien peut-on mettre de beurre dans une purée ?
La
purée de pomme de terre s'obtient par cuisson des pommes de terre, que
l'on écrase ensuite, en ajoutant éventuellement un liquide (par exemple
du lait). Parfois, on ajoute sel, noix de muscade, poivre... et beurre !
Du
beurre ? Certains cuisiniers se font une joie d'en ajouter beaucoup, ce
qui contribue certainement au plaisir gourmand. On parle de recettes
avant autant de beurre que de pommes de terre.
Soit,
mais prenons plutôt la question différemment : combien de beurre
peut-on mettre, au maximum, dans une purée de pomme de terre ?
Nous ferons un détour par la mayonnaise, avant de répondre.
Pourquoi la mayonnaise ? Parce que c'est une émulsion, et non pas une mousse, comme le disent certains cuisiniers qui confondent émulsions et mousse. Là, il faut prendre une seconde pour rectifier l'erreur, tant elle est tenace... et propagée avec autorité par des ignorants.
Une
mousse, c'est une dispersion de bulles d'air dans un liquide. Par
exemple, un blanc d'oeuf battu en neige est une mousse. Une émulsion,
c'est la dispersion de matière grasse liquide dans un liquide : c'est bien le cas de la mayonnaise, avec une dispersion d'huile dans l'eau apportée par le jaune d'oeuf et par le vinaigre.
Evidemment,
il y a des cas hybrides, comme la crème fouettée : la crème est
clairement une émulsion, mais si on la fouette, elle prend du volume
parce que le fouet y disperse de l'air sous la forme de bulles piégées
dans l'émulsion, et l'on obtient une émulsion foisonnée.
Au
fait, au siphon ? Selon les cas, on obtient des systèmes variés, mais
le plus souvent, les siphons permettent de disperser des bulles d'air,
de faire foisonner. Et au mixer plongeant ? Là, tout se rencontre : on
peut aussi bien émulsionner de l'huile dans un liquide pour faire une
émulsion (une mayonnaise, par exemple) qu'utiliser l'appareil pour
foisonner, produire une mousse. Ce n'est donc pas l'appareil qui
détermine le résultat, mais l'usage que l'on en fait. D'ailleurs, pour
ce mixer plongeant, si on l'utilise pour faire tourner des vis, en
adaptant le système, on en fait un tournevis... qui ne fera donc pas
d'émulsion. Et si on l'utilise pour taper sur des clous, on en fait un
marteau. Bref, j'y revient, ce n'est pas l'appareil qui détermine le
résultat obtenu, mais l'usage que l'on en fait.
Et j'enchaîne donc en revendiquant que, par respect pour nos interlocuteurs, nous cessions de confondre mousses et émulsions.
Une mousse, c'est du gaz, mais une émulsion, c'est du gras.
Et
j'insiste encore un peu : pas de bulles d'air dans une mayonnaise ! Si
elle "monte", si elle prend du volume, ce n'est pas en raison de la
présence de prétendue bulles d'air, mais parce que l'on ajoute beaucoup
d'huile : aucun espoir de mincir en mangeant beaucoup de mayonnaise.
Enfin, coup de grâce, le mot "émulsion" a été introduit par Ambroise
Paré en 1560 pour désigner des préparations comme le lait... qui sont
donc des émulsions, avec des gouttelettes de matière grasses dispersées
dans de l'eau.
Cette question étant
réglée, restons à la mayonnaise, qui est donc une émulsion, puisqu'on
l'obtient en dispersant de l'huile sous la forme de gouttelettes dans
une phase liquide. Combien de mayonnaise peut-on faire à partir d'un
jaune d'oeuf ?
Au début de l'ajout d'huile, le fouet (par
exemple, ou la fourchette, ou le pilon) disperse l'huile sous la forme
de gouttelettes dans la phase liquide. Puis, progressivement quand on
arrive à environ 70 pour cent d'huile (et donc 30 pour cent de phase
liquide), il n'y a plus de place pour d'autres gouttelettes d'huile...
sauf si elles se déforment, et c'est bien ce qui se passe.
La
limite, c'est 5 pour cent de liquide, et 95 pour cent d'huile :
autrement dit, pour un jaune d'oeuf, c'est environ 300 grammes d'huile
que l'on peut émulsionner.
Evidemment,
si l'on ajoute du vinaigre, c'est plus de place pour les gouttes
d'huile, et une possibilité d'ajouter plus d'huile... comme l'avait bien
dit Madame Saint Ange. Après un certain stade (ce qu'ignorait Madame
Saint Ange), ce sont les molécules "tensioactives" du jaune d'oeuf qui
viennent à manquer, mais j'ai calculé que l'on peut faire environ 60
litres de mayonnaise à partir d'un jaune d'oeuf... à condition d'ajouter
du liquide : eau, lait, vin, thé, bouillon...
De sorte
que nous pouvons enfin arriver à la purée. Une pomme de terre, c'est 80
pour cent d'eau. De sorte que pour 100 grammes de pomme de terre (ou de
pomme de terre écrasée), on a 80 grammes d'eau. Or rappelons-nous
l'ordre de grandeur : dans une émulsion, la phase liquide peut se
réduire à 5 pour cent du total. On calcule donc que l'on peut ajouter
1,5 kilogrammes de beurre fondu.
Oui, je répète : si
l'on si prend bien, on peut ajouter un kilo et demie de beurre fondu à
100 grammes de purée ! Je ne dis pas que ce sera bon, mais je dis que
nos amis cuisiniers sont loin du compte ;-)
Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces
(un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes
de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la
cuisine)
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