Ce matin, une jeune correspondante (pléonasme, parce que si c'est une correspondante, c'est une femme, et si c'est une femme, elle a toujours 20 ans) m'interroge sur mon métier.
Comme je n'ai évidemment ni le temps ni le droit de détourner mon temps de travail d'Agent de l'Etat (certes, petit ingénieur de recherche de seconde classe) pour répondre à ces questions particulières, j'ai pris le temps de répondre... pour distribuer largement la réponse.
La difficulté essentielle : alors que les étudiants désertent les sciences, il faudrait que je sois démagogique au point de dire "Vive la Science".
Je le dis, mais je dis aussi que, selon moi, seuls ceux qui ont une idée politique de la science en doivent, vu les conditions d'exercice.
J'engage tous mes jeunes amis à ne pas être lâche au point de se diriger vers les sciences alors qu'ils font des études dites scientifiques, à oser aller dans le "vrai monde", qui est celui de l'industrie.
Bref, j'engage tous nos jeunes amis à se diriger plutôt vers une carrière de technicien ou d'ingénieur, où ils auront à la fois un beau salaire, un travail quasi analogue à celui qu'ils auraient en tant qu'agent de l'Etat, le plaisir de changer le monde en pratique (pensons au constructeur du pont de Millau, au concepteur de la Mégane, de l'IPad, au chimiste qui a créé le Taxotère, contre le cancer du sein...).
Bref, vive la science (bien faite) mais surtout, vive la technologie (bien faite), vive la technique (bien faite), vive l'art (bien fait)...
Ouf, cela étant posé, je peux maintenant répondre.
Conditions d'exercice du métier
1, Quelles sont les activités qui caractérisent votre métier?
Mon métier, c'est la recherche scientifique, c'est-à-dire la recherche des mécanismes des phénomènes, par la méthode "scientifique", encore nommée méthode expérimentale, ou méthode hypothético-déductive (en réalité, je crois qu'aucun des trois termes ne convient bien : le premier est pléonasmique, le deuxième est insuffisant, réducteur, et le troisième est une simplification).
Si l'on a bien compris ce qu'est la science, il faut donc faire des expériences pour caractériser des phénomènes dont on cherche les mécanismes ; cette caractérisation est quantitative, ce qui signifie, en pratique, qu'il faut aimer les nombres, le calcul... puisque nos analyses des phénomènes produisent des nombres... en grand nombre. Puis, pour s'en tirer, face à ces montagnes de nombres, il faut chercher à regrouper les données recueillies sous des formes synthétiques (par exemple, des "lois"). Puis, quand ce travail est fait, il faut chercher des explications de ces lois : produire des théories, des modèles, bref trouver la raison de ces lois. A cette fin, il faut beaucoup de calcul, souvent du calcul différentiel et intégral, mais aussi des statistiques, etc. Une fois ces théories (fausses : une théorie est toujours fausse, disons insuffisante) produits, il faut chercher à les réfuter : on cherche des conséquences des théories pour les tester expérimentalement. Puis on repart sur l'expérience, et on boucle à l'infini.
Cela étant, une activité scientifique, dans un laboratoire, ça consiste aussi travailler avec des techniciens (dans les rares cas où l'Etat a de quoi les payer), avec de jeunes chercheurs, et donc faire de l'enseignement puisqu'il s'agit de leur enseigner le métier. Et puis, souvent, la science étant liée à l'enseignement supérieur, il faut aussi enseigner dans l'enseignement supérieur.
De surcroit, quand on travaille, on doit publier le résultat de ses travaux, soit de façon orale (conférences, séminaires...), soit de façon écrite (articles, livres...).
Enfin, pour encadrer tout cela, il faut une bonne dose d'administration... comme dans tous les métiers.
2, Avez-vous des responsabilités? Lesquelles?
Je ne comprends pas la question. Méfions-nous des mots que l'on dit sans les questionner! Par exemple, j'ai reçu récemment un étudiant qui avait l'ambition de diriger une équipe : diriger une équipe alors qu'il était naïvement insuffisant? Quelle présomption! Souvenons-nous quand même de Frère Jean des Entommeures qui répondait, quand on lui proposait de diriger une abbaye : " Comment pourrais-je diriger autrui moi qui ne me gouverne pas moi-même?".
Ma principale responsabilité, c'est d'être à la hauteur des attentes des contribuables qui, par leurs impôts, financent le travail scientifique. Mais, également, c'est d'être à la hauteur de l'estime que semblent me porter quelques collègues remarquables dont le monde estime le travail!
3, Le travail est il répétitif ou les tâches effectuées sont-elles variées?
Le travail est évidemment répétitif, puisqu'il s'agit chaque minute de mettre en oeuvre la méthode expérimentale. Mais je crois que la question est mal posée. Elle sent le questionnaire tout fait!
4, Quelles sont les qualités personnelles et les centres d'intérêt nécessaires pour ce métier?
Il faut travailler 105 heures par semaine au minimum.
Et puis, il faut aimer le calcul. Et aussi être capable de calculer comme chante un rossignol (parce que l'on s'est beaucoup entraîné, voir le point 1)
Et puis, il faut être absolument passionné de production de connaissances.
Et puis, surtout, il faut avoir une idée politique (sans quoi, il vaut mieux faire de la R&D dans l'industrie, où l'on est bien mieux payé, considéré, etc.).
Et puis, il faut une grande culture, parce que la science, c'est de la "philosophie naturelle".
Et puis, il faut de la méthode.
Et puis il faut être précis, attentif, soigneux, rigoureux...
Et puis... il faut aimer ne pas savoir et se réjouir d'être sur le chemin de la connaissance sans avoir atteint celle-ci.
Et puis... voir le livre La Sagesse du chimiste, que j'ai écrit à cet effet.
Perspective de carrière
5, Quels sont les grades successifs de la hiérarchie (les spécialisations, les concours, les formations complémentaires...)
Je n'y connais rien, et ces questions m'ennuient. C'est sans doute pour cette raison qu'après avoir été longtemps en CDD, je ne suis qu'ingénieur de recherche de seconde classe (je rappelle que "second" s'applique quand il n'y a pas de troisième!). Cela dit, voir les règles (souvent idiotes) de la fonction publique.
Mais, de toute façon, vu les questions, je crois que vous n'êtes pas fait pour ce métier : pour faire de la science, il faut vouloir faire de la science, pas imaginer des grades successifs, des hiérarchies...
6, Votre entreprise va t-elle recruter dans un proche avenir? A quel niveau?
Mon "entreprise"? Parlez vous de l'Etat qui m'emploie, ou bien des travaux que j'entreprends?
AU vu des budgets donnés à la science, je crois qu'elle ne se développera pas, et, d'autre part, ce n'est peut-être pas nécessaire... si l'industrie se reprend, et qu'elle effectue les travaux technologiques qui lui reviennent, au lieu de s'en décharger sur l'Etat qui, je crois, dois plutôt produire de la connaissance, de l'encadrement du travail de l'industrie, etc.
Mon conseil : devenez plutôt ingénieur ou technicien, comme dit plus haut.
Conditions d'accès au métier
7, L'anglais ou les langues étrangères sont elles indispensables?
L'anglais? Absolument indispensable... mais le français aussi, puisque Lavoisier a très justement dit que l'on ne pourra pas perfectionner le langage sans perfectionner la science, et vice versa. De surcroit, j'ai bien dit ci dessus qu'il y avait une grosse part de communication dans le travail scientifique.
Vive le travail bien fait. Travaillons!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
Minimum 105 hours? Oh dear, I am feeling very lazy now. But, in scientific research, dedications and hard work are very important!
RépondreSupprimerIndeed "working" extensively is not really work, when you do what you love most! It could be called "holidays"... and this is perhaps why scientists are paid so little.
RépondreSupprimerBut besides, there is also a political question... that I am discussing all messages long in this blog, indeed.