Nous ne mangerons pas des tablettes nutritives : c’est un fantasme réfuté par un calcul simple. En revanche, nous pouvons apprendre à valoriser –par la chimie- les produits de l’élevage et de l’agriculture.
Que mangerons-nous demain ? En 1894, le chimiste Marcellin Berthelot avait prédit qu’en l’an 2000, nous mangerions des tablettes azotées. C’était une bêtise, parce que, avec la matière alimentaire la plus énergétique, la matière grasse, il faudrait déjà l’équivalent d’une grosse plaque de beurre pour avoir assez d’énergie dans la journée. Sans compter que, notre organisme étant fait de protéines, pour une grande partie, il nous faut les atomes qui font ces protéines, notamment les atomes d’azote, absents de la matière grasse. Et l’eau, dont nous sommes constitués ! Au total, il vaut sans doute mieux bien comprendre que l’espèce humaine a co-évolué avec son environnement : si les fruits sont colorés et sucrés, c’est, d’une certaine façon, parce que les plantes avaient intérêt à ce que nos ancêtres et diverses autres espèces animales (les oiseaux, par exemple) les consomment en raison des sucres qu’ils contiennent (des molécules qui apportent de l’énergie !), et qu’ils propagent les noyaux, les pépins, les graines, assurant la reproduction des plantes.
Quel que soit le mécanisme exact de cette évolution que les paléontologues cherchent à mieux connaître, il reste que l’an 2000 est passé, et que nous assistons à la faillite de la prédiction de Berthelot. L’an 2000 est passé, mais nous ne mangeons toujours pas de tablettes nutritives, et la chimie n’a pas supplanté l’agriculture. D’ailleurs, il faut dire, pour vaincre les fantasmes qui subsistent, que reproduire par synthèse les molécules des plantes est une entreprise insensée : rien que vous savoir synthétiser la vitamine B12, il a fallu des centaines de chimistes de talents, donc quatre prix Nobel, qui ont travaillé pendant des décennies ! Pour une seule des vitamines. Oui, en principe, les chimistes pourraient apprendre, lentement, à reproduire des molécules de plus en plus nombreuses, mais à quoi bon ? Si l’objectif est de mieux comprendre les règles d’arrangement des atomes dans les molécules, certes, l’objectif est intéressant ; en revanche, si l’objectif est de nourrir le monde, il vaut sans doute mieux continuer d’utiliser le soleil, la terre, l’air, l’eau, et profiter d’un « savoir faire » acquis par des milliards d’années d’évolution : celui du monde vivant, végétal notamment.
Le chimiste Pierre Potier, récemment décédé, parlait du « magasin du bon Dieu » : il proposait d’apprendre à reconnaître, dans ce magasin, les molécules qui peuvent servir de médicaments. Mais ne pouvons-nous pas demander davantage à notre environnement ? Les molécules des plantes sont innombrables, d’une merveilleuse complexité. Ne pourrions-nous pas apprendre à les modifier pour en faire des saveurs nouvelles, des odeurs originales, des consistances inédites ?
Evidemment, la cuisine qui naîtrait de ce nouveau rapport à l’environnement ne serait pas la cuisine traditionnelle que nous connaissons… mais, au fait, est-ce grave ? Car il ne s’agit pas de mettre au musée la cuisine classique, mais, plutôt, d’ajouter une nouvelle forme de cuisine à la cuisine classique. Comme en musique : Debussy n’a pas tué Bach ou Mozart ! Comme en peinture : Picasso ne nous a pas empêché d’admirer Rembrandt ou Bruegel !
La cuisine note à note
Que pourrions-nous manger, demain, en plus de ce que nous mangeons aujourd’hui ? Analysons la cuisine classique pour le comprendre. Quand nous cuisinons, classiquement, nous mettons dans la casserole des carottes, des viandes et, plus généralement, des matières provenant le plus souvent de l’agriculture ou de l’élevage. Chaque « ingrédient » est un système complexe, qui renferme de nombreux types de molécules différentes.
Par exemple, la carotte apporte à la fois des sucres, des acides aminés, des acides organiques, des alcools, de la cellulose, des pigments… Mettre une carotte dans une casserole, par conséquent, c’est comme, pour un pianiste, jouer plusieurs notes à la fois. Mettre deux ingrédients dans une casserole, c’est faire deux accords.
La comparaison nous porte : et si nous jouions note par note ? Et si nous cuisinions en synthétisant les mets, type de molécule par type de molécule ? La tentative a été faite, notamment par le cuisinier français Pierre Gagnaire, qui a servi à la presse une « sauce Wöhler », composée type de molécule par type de molécule. Au centre de la sauce, d’ailleurs, il y avait un produit nouveau, tout à faire remarquable, fruit du travail de la Station INRA de Pech Rouge : de la poudre de polyphénols extraits d’un cépage syrah. Une belle poudre d’un rouge sombre, odorante, très savoureuse…
Pourquoi prendre cette poudre plutôt que du vin ? Parce que le vin, accord, apporterait également, sans qu’on puisse doser les produits, éthanol, eau, sucres, tartrates… Avec ce produit du « craquage du vin », on fait une sauce sur mesure… et la gourmandise s’en trouve bien !
Car il faut savoir que l’on sait déjà « craquer » le lait, le blé. Alors pourquoi pas le vin, la carotte, le poulet, le poireau ? Les agriculteurs, au lieu de produire parfois des excédents de produits alimentaires qu’ils ne vendent pas toujours au prix qu’ils voudraient, ne pourraient-ils pas apprendre à effectuer ces craquages, afin de proposer des produits culinaires nouveaux, à forte valeur ajoutée ?
C’est cela, l’idée de la cuisine note à note : une façon précise de cuisiner, qui valorise des produits nouveaux produits par le monde agricole ou par l’élevage. De nouveaux développements… pour que le répertoire culinaire s’enrichisse davantage. Le voulons-nous ?
Question :
Ne devons-nous pas penser que, à côté d’une agriculture et d’un élevage raisonnés, il y a la place pour des transformations modernes des aliments ? Plus de chimie, en quelque sorte ?
Désolé si j'ai l'air agressif car je crois que vous ^tes un professeur Nimbus de bonne foi, mais tout de même, qu'il est étrange ce scientisme militant! Vous semblez faire peu de cas de l'explosion des chiffres concernant les occurences d'allergies alimentaires, de colopathies diverses et variées, sans parler des cancers digestifs ou de maladies neuro-dégénératives probablement liées aux aliments pesticidés. Ou encore de l'épidémie d'ostéoporose dans les pays nourris au lait industrialisé... Ou de celles de diabète et d'obésité. Quoique vous en pensiez l'adaptation génétique de l'homme à ses aliments ne peut se faire que sur des dizaines voire des centaines de générations. Et nous avons déjà du mal à "digérer" la révolution agricole du 2ème XX° siècle. Et ne parlons pas d'allongement de la durée de vie : les progrès de la médecine et l'adoucissement des conditions de vie l'expliquent, pas l'alimentation ou si peu. Pour 50 salmonelloses évitées annuellement, combien de cancers? Ne vous inquiétez pas : le choc en retour de l'alimentation industrielle sur la santé et la longévité humaines ne va plus guère se faire attendre. Ceci dit vos expériences sont très intéressantes mais de grâce restez dans votre tour d'ivoire... ou bien lisez, par exemple lanutrition.fr ou taty.be
RépondreSupprimerEncore un mot: un milliard d'humains crèvent de faim sur terre malgré qu'ils aient accès aux OGM et aux pesticides et ce chiffre s'accroit...
"mais tout de même, qu'il est étrange ce scientisme militant"
RépondreSupprimeril n'y a pas de "scientisme" militant, il y a la science, point barre
autant j'aime bien donner mon point de vue un peu décalé de scientifique gastronome vis à vis de la manière dont hervé "brainstorm" sur ses recherches et sur comment potentiellement s'en servir, autant j'ai encore bien du mal a comprendre comment certains lisent des horoscopes, pensent que la chimie "bouh c'est laid", que le bio c'est évidement bon...etc...
je pense que ça n'est du ressort d'aucun scientifique si certains pays preferent acheter des armes plutot que de la nourriture ou si une masse de gens va faire ses courses au supermarché ou prennent des repas chez mac do de manière vraiment inconsidérée : tout est bon (ou presque), seul le dosage compte.