lundi 18 août 2025

Des étudiants merveilleux !


1. Le ciel est bleu et il suffit de le regarder pour le voir ainsi.

 À propos des étudiants, pourquoi ne pas examiner les caractéristiques des "meilleurs" de nos jeunes amis ? C'est à la fois permettre aux autres de viser ce "bleu du ciel", et pour moi, avoir le bonheur de souvenirs heureux. 

2. Je me souviens d'un étudiant qui, quand les autres étaient partis, restait pour m'interroger sur les points scientifique qui le tracassaient. Jamais je n'ai eu des questions si difficile, de sorte que je devais travailler le soir, chez moi, pour être en mesure de lui répondre le lendemain matin... quand je le pouvais. Et, quand je ne le pouvais pas, j'avais le bonheur de lui dire que je ne savais pas répondre à sa question et  qu'il y avait des pistes qu'il pouvait creuser par lui-même. Quel bonheur ! 

3. Je me souviens d'un étudiant extrêmement ponctuel, rigoureux, attentif... Pas le meilleur de sa promotion, mais certainement en passe de le devenir : sa ponctualité n'avait d'égal que  sa régularité, le soin qu'il portait à son travail, son souci de bien faire les choses, du mieux qu'il pouvait, sans négligence. Quel bonheur ! 

4. Très récemment, alors que j'ai envoyé une lecture à toute une promotion, il y a eu un  étudiant qui a répondu de façon extraordinairement détaillée, montrant sans prétention, simplement, qu'il avait bien lu le document, le commentant, posant des questions, proposant des réponses à des questions que je posais... Évidemment, je lui ai répondu aussitôt, avec tout les autres en copie, afin qu'il serve d'exemple,et il a encore répondu, faisant état de nouvelles incompréhensions, donnant des arguments, posant de nouvelles questions... Quel bonheur !

 5. Je me souviens d'un étudiant qui, habitant pourtant loin, était le premier au laboratoire le matin et le dernier le soir. Celui-là était tout à fait remarquable, parce que non seulement il s'intéressait aux sciences, mais, de surcroît, il faisait du pain, du fromage, du yaourt, du miel, de la bière, du vin, du fromage... Quel bonheur ! 

6. Je me souviens d'une étudiante qui semblait un peu "simple", parce qu'elle s'interrogeait sans cesse sur des points qui nous paraissaient être élémentaires, mais qui, en réalité, fixait ainsi ses idées de façon définitive, solide. Quel bonheur ! 

7. Je me souviens d'un étudiant qui avait le chic pour mobiliser les connaissances qu'il avait eues auparavant. Et cela est essentiel, parce que, les études de chimie communiquant des "outils intellectuels", il était bien équipé... comme nous pouvions le voir. Il n'avait pas une grande "culture générale" scientifique, mais les bases pour explorer les questions qu'il se posait. J'oublie de dire qu'il était modeste, attentif et soigneux. Quel bonheur ! 

8. Je me souviens d'une étudiante qui a commencé par tout ranger dans le laboratoire  :  à la fois le laboratoire lui-même, mais aussi les ordinateurs ! Elle entraînait les autres dans cette direction; comme elle mettait le même enthousiasme dans ses apprentissages, il n'est pas étonnant qu'elle ait été une des meilleures de tous ceux qui sont venus depuis des décennies pour apprendre à mes côtés. Quel bonheur ! 

9. Je me souviens d'un étudiant honnête : bien sûr, les autres l'étaient aussi, mais celui-ci avait une honnêteté intellectuelle très particulière, en ce sens qu'il ne cachait jamais ses ignorances au groupe ou à lui-même, , au contraire qu'il se posait des questions, sur la base de ses ignorances avouées ; il osait s'afficher en retard sur le groupe de celles et ceux qui étaient avec lui, mais en réalité, il ne balayait pas la poussière sous le tapis. Non, au  contraire, il questionnait, questionnaire questionnaire et; j'espère lui avoir montré que cette voie était la bonne, surtout quand on apprenait soi-même à répondre aux questions que l'on se posait. Quel bonheur ! 

10. Je me souviens d'un étudiant, indien, qui savait apprendre pour se souvenir et non pas pour oublier, et cela fait évidemment toute la différence, parce qu'il se souvenait ! Il lui restait à apprendre, notamment de la méthodologie, mais sur un socle si solide que cela était facile. Quel bonheur ! 

11. Je me souviens d'un étudiant, russe celui-là, qui avait des compétences mathématiques telles que le reste pouvait s'élaborer facilement. Quel bonheur ! 

12. Évidemment, à côté de ceux-là, il y a tous les autres,  qui n'ont pas nécessairement démérité, mais qui n'avaient pas toujours ces caractéristiques extraordinaires, si extraordinaires que l'on voit clairement en quoi elles contribuent  à des formations réussies.  Souvent, il y a une question de focalisation, et c'est la raison pour laquelle je m'efforce tant de transmettre une passion brûlante à tous mes amis. Beaucoup arrivent déjà très intéressés, mais quand on parvient à porter cet intérêt à un niveau encore supérieur, alors c'est gagné. Il y a , pour tous de toute façon, à montrer la beauté des choses  :  des gestes expérimentaux, des calculs, des acquis scientifiques, technologiques, techniques, artistiques, humanistes... du passé, des questions ouvertes pour le futur, des voies que l'on peut explorer... S'émerveiller de tout ce qui est merveilleux : il s'agit d'une façon de vivre la science qui me semble essentielle, et en tout cas idiosyncratique.

dimanche 17 août 2025

Deux fois en deux jours : des consultations à propos de gélifications

 
Deux fois en deux jours : des consultations à propos de gélifications ! 

Depuis deux jours, l'intérêt pour les gélifications se fait entendre, et l'on me demande des "consultations" à ce propos. Quand je dis "on", ce sont des professionnels, qui veulent régler des questions techniques, telles que "Comment faire un gel avec un liquide dont je ne connais pas l'acidité ?" ou "Comment faire un gel qui tient à chaud ?", ou encore "Quelles sont les différentes sortes de gélatines végétales y a-t-il ?"... 

Et cela me conduit -avant de répondre ici à tous, et non pas à ces deux personnes en particulier- à deux observations : 

1. cette question des gélifiants est l'une de celles que j'agitais dès les années 1980 ! Ayant observé que l'on pouvait gélifier avec bien plus que le pied de veau, j'avais proposé à mes amis cuisiniers d'utiliser des gélifiants variés, pour des résultats très divers : il en va de l'avancement de l'art culinaire ! 

2. les échanges des derniers jours me donnent un argument, contre les quelques roquets qui n'ont pas compris qu'il y a lieu d'aboyer contre autre chose que la cuisine moléculaire, et qui, en conséquences, m'attaquent périodiquement (il y a même des imbéciles malhonnêtes qui écrivent que je serais un faux-nez de l'industrie chimique), à savoir que les "consultations" que j'ai données sans attendre étaient entièrement gratuites : d'une part, je suis agent de l'Etat, payé par le contribuable, de sorte que je me dois d'aider ce dernier, et notamment les petites entreprises (artisans) qui n'ont pas les moyens de se payer un service de recherche, et c'est bien ce que je fais.

Mais oublions les roquets, et levons le nez pour voir le bleu du ciel. Comment gélifier ? Nous allons voir que mille possibilités se présentent, avec beaucoup de simplicité.

 Commençons par observer que gélifier un liquide, c'est lui donner une consistance "solide", qui ne coule pas (sans quoi on parle d'épaississement, et pas de gélification). Les gélifiants sont des composés qui peuvent provenir :
- d'animaux
- de végétaux - de micro-organismes
- de transformations moléculaires. 

Les plus courants sont :
- pour les gélifiants animaux : la gélatine, mais aussi les protéines du lait, de l'oeuf, des viandes et des poissons ;
- pour les végétaux : diverses protéines végétales, mais aussi des "polysaccharides" tels que l'amylose et l'amylopectine de l'amidon, ou les pectines des fruits, par exemple, sans compter, pour les algues, les agar-agar, alginates, et certains carraghénanes, également
- pour les micro-organismes, également des polysaccharides, et l'on pensera notamment à la gomme xanthane, produite par une fermentation
- pour les gélifiants provenant de transformations moléculaires : la méthylcelluose, et ses cousins. 

Mais pour les "cuisiniers " (je regroupe ici tous ceux qui préparent des aliments), c'est moins l'origine de ces produits qui importe que leurs caractéristiques fonctionnelles,et là, il est souvent utile de distinguer les gélifiants qui sont "thermoréversibles" et ceux qui ne le sont pas. 

Par exemple, la gélatine est soluble à chaud, mais, à froid, elle fait prendre un liquide en une gelée qui fondra si on la réchauffe. Ce gel est thermoréversible, tout comme ceux qui sont obtenus par des pectines (pensons aux confitures)
En revanche, de la poudre de blanc d'oeuf ajoutée à un liquide (par exemple, un jus de betterave) et chauffée conduira à un gel analogue à du blanc d'oeuf dur, qui ne reliquéfiera pas ensuite, qu'on le chauffe ou qu'on le refroidisse : ce gel est irréversible. 

Dans tous les cas, la règle d'utilisation est environ la même : on fera bien de commencer avec une proportion d'agent gélifiant de 5 pour cent en masse. Puis, si l'on juge le résultat trop "dur", on testera une dose deux fois inférieure, jusqu'à avoir le résultat voulu. Inversement, si le liquide ne prend pas, on pourra doubler la quantité. 

La teneur en sucre du liquide ? Elle est principalement importante dans le cas des pectines, pour lesquelles une quantité de sucre d'environ 50 pour cent est nécessaire. L'acidité du liquide ? Là, il y a des gélifiants, tel l'alginate de sodium, pour lesquels cette question est importante, et devra conduire à modifier l'acidité, par exemple avec de l'acide citrique pour acidifier (on ajoute bien du jus de citron pour faire prendre les confitures) ou du citrate de trisodium pour remonter le pH d'une liquide trop acide (ou du bicarbonate !). 

La teneur en alcool : bien souvent, les gélifiants précipitent dans un alcool trop concentré, de sorte que, pour ce cas particulier, s'imposent des stratégies (simples) qui dépassent le cadre de ce billet. Une réminiscence d'un passé pas si lointain : je me souviens m'être émerveillé, dans les années 1980, d'un plat préparé par un cuisinier, où se trouvait une gelée chaude. J'observe aujourd'hui que nous nous sommes habitués, car à l'époque, quand ne régnait que la gélatine du pied de veau, les gelées fondaient quand on les chauffait... sauf pour les gels faits de protéines animales telles que les actines et myosines des muscles animaux : d'ailleurs, quand on fait une terrine, ce sont ces protéines, et leur coagulation, que l'on met en oeuvre pour gélifier des liquides. Et, en l'occurrence, dans les gels chauds qui m'avaient émerveillés, il y avait de l'oeuf pour faire tenir le gel : les protéines de l'oeuf sont du même type que celles des muscles. 

J'observe aussi que, dans le lait, les protéines nommées caséines permettent de faire du fromage à partir du lait : il s'agit encore d'une gélification, mais elle est provoquée par une enzyme (dans la présure), et non pas par la température. Même question pour la coagulation du sang, par exemple. 

Finalement, il y aurait trop à dire pour expliquer toutes les coagulations une à une, et notamment l'emploi de l'alginate de sodium et des sels de calcium pour produire des "degennes", à savoir ces caviars artificiels... mais cela a été déjà publié mille fois ! Non, il faut mieux terminer en observant que certains gels sont transparents et d'autres opaques, certains gels sont fondants (gélatine, confitures) et d'autres cassants, ou caoutchouteux. Aucun n'est mieux qu'un autre, pas plus qu'un sol n'est mieux qu'un do ou un fa, pas plus que le jaune ne serait mieux que le rouge ou le vert... Non, il y a seulement des ingrédients appropriés pour chaque cas bien identifié... et c'était d'ailleurs la teneur essentielle des consultations que j'ai données : dites-moi d'abord votre objectif, et c'est seulement, alors, que je pourrai répondre à votre question technique !

samedi 16 août 2025

Du vin en apnée ;-)

 Une question de dégustation, ce matin : pourquoi ne sent-on pas le goût du vin en apnée ?
 

Pour répondre, il faut d'abord expliquer ce qu'est le "goût".

1. Le goût d'un met, c'est ce que l'on perçoit quand on déguste ce met. Par exemple, quand on mange (ordinairement) une banane, on a le goût de la banane.

2. Ce goût est la résultante de plusieurs perceptions, par des récepteurs différents, situés en des endroits différents de la bouche et du nez   : des récepteurs de la saveur des récepteurs de l'odeur, des récepteurs "trigéminaux", des capteurs de pression, des récepteurs pour certains lipides particuliers, des capteurs de température, des récepteurs de lumière...Et c'est la somme de toutes ces strimulations qui fait le goût, après un traitement dans le cerveau.

3. Mais tout cela est bien compliqué, et rien ne vaut  quelques expériences.

4. Pour commencer, il n'est pas difficile de voir que les aliments ont une apparence visuelle, avec texture, couleurs, brillance...</div> <div></div> <div>5. Puis, approchons l'aliment de la bouche : il passe sous le nez, et l'on perçoit alors parfois une odeur : c'est l'odeur anténasale, due à des composés qui s'évaporent de l'aliment, passent dans l'air environnant, et montent dans le nez, où elles sont détectées. Et une bonne indication, c'est que l'on ne sent rien si l'on pince le nez.

6. Puis, une expérience qui consiste à se pincer le nez, puis à mâcher des herbes aromatiques (par exemple, du thym séché) pendant quelques secondes. On ne sent alors rien que la consistance, une sorte d'impression de mâcher du foin.

On conclut que les herbes aromatiques séchées n'ont quasiment pas  de saveur.

7. Après plusieurs secondes (disons 10), de mastication des herbes aromatiques séchées, on  relâche le nez : et soudain il y a une vague de sensation, à savoir que, cette fois, on perçoit  le "goût" ses herbes aromatiques. Ici, c'est simplement que les molécules odorantes libérées par la mastication ont réussi à atteindre les récepteurs du nez. Et l'on est conduit à conclure que le "goût" des herbes aromatiques tient essentiellement dans leur odeur. Une odeur rétronasale, puisque, cette fois, elle résulte de la montée des molécules odorantes par un canal qui relie la bouche au nez, à l'arrière de la bouche. C'est l'odeur "rétronasale".

Conclusion supplémentaire :  les herbes aromatiques séchées ont une odeur, mais quasiment pas de saveur

8. On répète maintenant l'expérience de goûter le nez pincé, puis de libération du nez avec du sucre.<

Cette fois, on perçoit bien la saveur sucrée, quand le nez est pincé. Mais rien ne vient s'ajouter quand on libère le nez, de sorte que l'on doit conclure que le sucre a une saveur, mais pas d'odeur (rétronasale).

9. Répétons avec du vinaigre : là, on sent bien l'acidité, quand le nez et bouché, mais une odeur rétronasale s'ajoute : le vinaigre a de la saveur et de l'odeur.

C'est d'ailleurs de cas de nombreux autres aliments.

10. Je fais l'impasse sur d'autres modalités sensorielles : le trigéminal (piquant, frais...), etc., parce que mon objectif, ici, était de répondre à la question de mon correspondant : en apnée, quand on ne permet pas aux molécules odorantes de venir stimuler les récepteurs olfactifs du nez, on ne perçoit pas la composante odorante du goût, et, pour des produits qui ont essentiellement de l'odeur (rétronasale), le goût n'est pas perçu.</div>

vendredi 15 août 2025

A propos de lentilles et de dureté de l'eau

 1. Un jeune collègue italien m'interroge à propos de cuisson de légumes, et, plus particulièrement, de cuisson de lentilles. 

 

Je propose de commencer par une expérience... puisque l'expérience a toujours raison, disait déjà Galilée : 

"Un bon moyen pour atteindre la vérité, c'est de préférer l'expérience à n'importe quel raisonnement, puisque nous sommes sûrs que lorsqu'un raisonnement est en désaccord avec l'expérience il contient une erreur, au moins sous une forme dissimulée. Il n'est pas possible, en effet, qu'une expérience sensible soit contraire à la vérité. Et c'est vraiment là un précepte qu'Aristote plaçait très haut et dont la force et la valeur dépassent de beaucoup celles qu'il faut accorder à l'autorité de n'importe quel homme au monde.

2. Cette expérience consiste à cuire des lentilles dans trois casseroles, où l'on met de l'eau du robinet, si celle-ci n'est pas trop "dure" (mais j'ai fait l'expérience dans des lieux si différents que je sais l'expérience "robuste") :
- dans la deuxième casserole, on ajoute du vinaigre
- dans la troisième casserole, on ajoute du "bicarbonate".
On chauffe les trois casseroles jusqu'à ce que les lentilles dans l'eau "pure" soient cuites, et l'on compare alors les lentilles des trois casseroles : 
- dans l'eau "pure", les lentilles sont cuites comme il faut (par définition)
- dans l'eau avec le vinaigre, les lentilles sont dures comme des cailloux
- dans l'eau avec bicarbonate, les lentilles sont complètement défaites, en purée.

3. Ce fait étant établi, il nous faut des données pour interpréter les résultats, et il y a notamment : 
- le fait que la dureté des légumes est due notamment à la cellulose
- le fait que la dureté des légumes est due notamment aux pectines
- le fait que les lentilles contiennent des grains d'amidon. 

4. La cellulose est inerte chimiquement : et la preuve en est que nos chemises de coton, en cellulose quasi pure, peuvent être bouillies des centaines ou des milliers de fois sans se "dissoudre" dans l'eau de lavage. 

5. Mais les molécules de celluloses sont tenues par les molécules de pectine, qui sont comme des câbles autours de piliers de cellulose. Or les pectines peuvent se dégrader par une réaction d'"hydrolyse" particulière, nommée élimination bêta.
Elles perdent de petits morceaux, et les piliers de cellulose ne sont plus tenus : c'est pour cette raison que les légumes cuits ordinairement (casserole 1) s'attendrissent. Il y a nombres d'articles scientifiques à propos, et je renvoie vers mon texte 66. Hervé This. Molecular Gastronomy, a chemical look to cooking. Accounts of Chemical Research, May 2009, vol 42, N°5, pp. 575-583, Published on the Web 05/19/2009 www.pubs.acs.org/acr, doi10.1021/ar8002078, qui donne des pistes. 

6. Les pectines sont sensibles à l'acidité du milieu, car ces "cordes", ou "cables", sont en réalité des chaînes moléculaires qui portent de nombreux groupes acide carboxylique (-COOH). Lorsque le milieu est peu acide (pH pas trop bas), une partie de ces groupes est sous la forme "déprotonée", ce qui signifie qu'ils ont perdu l'atome d'hydrogène H, et sont donc électriquement chargés. D'une part, ces charges se repoussent... ce qui explique d'ailleurs que les confitures ne prennent pas quand elles ne sont pas assez acides : les pectines se repoussent, et ne s'associent donc pas. D'autre part, les milieux "basiques" favorisent l'hydrolyse des pectines. 

7. On comprend ainsi que les lentilles cuites en milieu acide restent dures, alors qu'elles sont défaites en milieu basique.

8. Mon correspondant parle un français difficile à comprendre (ce n'est pas un reproche que je lui fais), de sorte que je ne suis pas certain de bien comprendre ce qu'il me dit à propos du bicarbonate, mais je le renvoie vers mon cours en ligne sur les calculs de pH pour voir ce qui se passe quand on ajoute du bicarbonate dans l'eau (<a href="https://tice.agroparistech.fr/coursenligne/main/document/document.php?cidReq=GM&amp;curdirpath=/Des_cours_de_niveau_universitaire">https://tice.agroparistech.fr/coursenligne/main/document/document.php?cidReq=GM&amp;curdirpath=/Des_cours_de_niveau_universitaire</a>). D'abord, disons plutôt hydrogénocarbonate de sodium. Ensuite, ce composé de formule NaHCO3 se dissocie en Na+ et HCO<sub>3</sub>-, qui se dissocie lui-même en proton et ion carbonate CO<sub>3</sub><sup>2-</sup> 

9. Pour comprendre maintenant la complication supplémentaire due au calcium, il faut savoir que ces ions Ca2+ sont abondants dans les eaux "dures".

10. Or les ions calcium gênent la réaction de dégradation des pectines, en "pontant" des molécules de pectine. En effet, les ions calcium sont doublement chargés, avec la charge électrique opposée des groupes carboxylates (souvenez-vous : les groupes acides déprotonés). Et ils forment des édifices difficiles à détruire avec ces groupes. Cela durcit les lentilles. 

11. D'ailleurs, une autre expérience consiste à cuire des légumes dans de l'eau additionnée d'ions calcium (par exemple, du chlorure) : les légumes deviennent très durs. On voit aussi cet effet quand on chauffe des légumes (faisons l'expérience avec des carottes) à seulement 40-50 °C : on active des enzymes qui provoquent la fuite du calcium intracellulaire, lequel vient durcir les légumes, au point qu'on ne parvient plus, ensuite, à les amollir... avec deux conséquences : - surtout pas de légumes dans les cuissons à basse température - utilisons cette méthode pour affermir des cornichons, afin qu'ils restent bien croquants. 

12. Ajouter du bicarbonate, c'est libérer des ions négativement chargés (hydrogénocarbonates et carbonates), qui peuvent conduire à la précipitation de carbonate de sodium, ou calcaire ! Autrement dit, le bicarbonate a une double action : il précipite le calcium, ce qui contribue à ne pas durcir les lentilles, et il amollit, par l'effet "anti-acide". Est-ce clair ?


jeudi 14 août 2025

Justice et honnêteté dans les citations

Qui citer ? Un ami qui me soumet un manuscrit cite des livres de vulgarisation dans un texte universitaire. Je lui fait remarquer que les auteurs qu'il cite sont des compilateurs, de surcroît, mais mon ami me répond que les textes qu'il cite sont ceux dont il a tiré l'information qu'il utilise pour son propre texte, et que c'est donc justice que de citer ces personnes. A-t-il raison ? 

 

Non 

Oui, c'est justice de citer quelqu'un que l'on cite... mais pour ce qu'il a apporté, et non pas pour ce qu'il a rapporté. Un r qui fait toute la différence. 

Car c'est  injustice de ne pas citer ceux qui sont à l'origine des travaux cités par les compilateurs. Et dans la mesure où les scientifiques paresseux -disons "rapides", pour être charitable- citent beaucoup plus les reviews, synthèse, compilation, œuvres de vulgarisation que les travaux princeps, on finit par n'avoir que les compilateurs cités, ce qui est parfaitement anormal. 

L'injustice s'entérine... d'autant qu'il y a aussi une injustice à créditer les compilateurs de travaux qu'ils n'ont pas faits. 

Car que cite-t-on : les textes des compilateurs, ou les données compilées ? Là est la première question que l'on aurait dû poser, et la réponse montre qu'il faut citer les travaux originaux. 

D'autre part, ce n'est pas une bonne pratique de partir de textes -notamment les compilations- quand ils ne sont pas parfaitement récents, et non pas pour montrer à tous que l'on fait sa bibliographie, mais surtout parce que les travaux récents font des révisions scientifiques utiles : c'est l'état de l'art, et tout travail plus ancien, qui aurait été révisé, ne doit donc pas être cité. 

D'autant que les articles récents, qui paraissent plus souvent que les reviews,synthèses ou compilations, sont publiés plus fréquemment, et sur des points plus précis. De surcroît, si ces articles sont bons, ils auront fait une exploration bibliographique serrée, et qui aura plus d'acuité que celles des compilations. 

D'où la conclusion : quand on cite des travaux, il faut citer directement ceux qui en sont les auteurs, et les auteurs de révisions de ces résultats. Pas les textes intermédiaires, et encore moins les compilations !

Mais évidemment, cela demande beaucoup de travail, alors que mon ami se reposait paresseusement sur les reviews, synthèses, compilations... qui lui évitaient toute la recherche. 

Mais je finis charitablement : c'était sans doute moins de la paresse que de l'ignorance des règles de bonne pratique scientifique. 

 

Références 

 Une citation qui m'a servi : Penders B (2018) Ten simple rules for responsible referencing. PLoS Comput Biol 14(4):e1006036. https://doi.org/10.1371/journal.pcbi.1006036 

Un article important, parce qu'il dit bien que citer, c'est quand même avoir un regard critique : Nature Genetics. Neutral citation is poor scholarship. Nature Genetics. 2017; 49:1559. https://doi.org/10.1038/ng.3989 PMID: 29074946 

Un article "bonnes pratiques" : Carol Anne Meyer, Reference accuracy: best practices for making the links, The Journal of Electronic Publishing, 11(2), 2008, DOI: http://dx.doi.org/10.3998/3336451.0011.206

mercredi 13 août 2025

Comment faire de la meilleure science ?

 
Ah, voilà une difficile question ! Et, surtout, a-t-elle un sens ? Car on ne doit jamais oublier que les mots ne correspondent pas toujours à des réalité : pensons à "carré rond" ou à "père Noël".

Commençons simplement par "faire de la science" : en réalité, cela signifie "faire de la recherche scientifique".

D'autre part, sans perdre une seconde, n'oublions pas que le mot "science" est trop large, et que l'on parle aussi bien de "science du coordonnier" ou de "science du maître d'hôtel", au sens de savoir, que de "sciences de la nature", pour désigner ces activités très particulières que sont la chimie, la physique, la biologie... que je distingue des sciences de l'humain et de la société : sociologie, psychologie, géographie, histoire...

Enfin, il y a l'adjectif "bonnne", ou "meilleure" ? Cela vaut la peine de commencer par "bonne" : que serait une "bonne science de la nature" ? Il y a mille façons d'interpréter l'adjectif, mais  par exemple :
- faire activement de la recherche scientifique
- faire éthiquement de la recherche scientifique
- obtenir des résultats, c'est-à-dire faire des découvertes.

Dans la dernière acception, faire de la meilleure science serait avoir plus de chances de faire des découvertes, faire plus de découvertes qu'on n'en ferait autrement.

En conservant à l'idée qu'il y a de grandes et de petites découvertes, des découvertes plus ou moins "importantes", nouvel adjectif épineux auquel se frotte chaque année le jury du prix Nobel : comment évaluer l'importance d'un travail ? Souvent, c'est au rayonnement des travaux que l'on se raccroche, et pourquoi pas, au fond ? Mais il y a aussi les solutions à des questions difficiles (la chiralité des sucres, le boson de Higgs, etc.).
Et puis, pour les sciences de la nature, il y a tout à la fois les objets du monde, et les théories qui les décrivent, au moins pour ce qui concerne la science, et non pas ses applications.

Revenons à ce "meilleure", qui -je ne l'ai pas dit- se posait à propos de l'introduction de l'usage de l'intelligence artificielle dans la pratique de la recherche scientifique. Cet usage permet-il de faire plus efficacement des découvertes ? En tout cas, il y aura lieu de ne pas confondre la pratique scientifique et sa communication... puisque tout ce billet est en réalité motivé par la publication d'un intéressant article de la revue science : One-fifth of computer science papers may include AI content, que l'on trouve ici : https://www.science.org/content/article/one-fifth-computer-science-papers-may-include-ai-content?utm_source=sfmc&utm_medium=email&utm_campaign=ScienceAdviser&utm_content=lifeacademic&et_cid=5694877


mardi 12 août 2025

Une sauce vierge ?

 Hier, on m'a parlé de "sauce vierge"...  et je me suis aperçu que cette sauce ne figurait pas dans le Glossaire des métiers du goût.  D'où sort-elle ? 

Une consultation de wikipédia m'a montré toute l'insuffisance de l'article qui lui était consacré, et cela m'a conduit à faire une recherche approfondie. 

Bien m'en a pris,  car ce qui était écrit était très faux. Notamment les références à des textes pourtant contemporains étaient erronées, et les références à des textes plus anciens étaient complètement inventées. 

Dans de tels cas, je publie le résultat de mes recherches dans les Nouvelles gastronomiques, et surtout depuis quelque temps, dans le Glossaire des métiers du goût, où toute les entrées sont référencées : cela fait toute la différence ! 

 Évidemment, il faudra également corriger wikipédia en espérant que ces derniers acceptent les modifications. 

En bref pour le cas présent : 

1. oui Michel Guérard a bien publié une "sauce vierge" faite essentiellement de dés de tomates et d'herbes ciselées avec de l'huile de paraffine;

2. mais non, la sauce vierge n'a jamais été une sauce traditionnelle faite de beurre et de citron battu. D'ailleurs,  même le Guide culinaire qui se laisse pourtant fréquemment à inventer des dénominations complètement illégitimes ne donne pas trace d'une telle sauce. 

Dans l'entrée wikipédia il y a une référence à un auteur anglo-saxon : bizarre, pour une sauce classique et traditionnelle française  !

lundi 11 août 2025

À propos d'enseignement de la chimie

La chimie est la science de la nature qui s'intéresse aux transformations de la matière, et plus exactement à leur interprétation en terme de réarrangements d'atomes, ce que certains nomment des réactions chimiques. 

Déjà dans cette description, on voit qu'il y a lieu de passer du macroscopique à cette échelle de l'atome, et comme nous ne voyons pas les atomes, il y a le risque que notre science paraisse bien abstraite. 

Bien sûr, il y a  la possibilité de se réfugier dans l'expérimentation, mais ce n'est guère satisfaisant, car il faut alors faire un pont entre le discours que l'on tient et les phénomènes que l'on observe. D'autant que l'expérimentation n'est pas aussi féconde que la théorie qui met de l'ordre dans cette dernière. 

Reste que la chimie moderne a le recours constant à deux types de formalismes : le formalisme "atomique", avec la représentation des atomes par des lettres et la construction de formules à l'aide de ces dernières, et le formalisme algébrique avec des équations pour caractériser quantitativement des phénomènes que l'on a décrits ainsi par des formules. 

Hélas, là encore, cette manière reste abstraite, et il s'agit de rendre les choses plus "concrètes" pour nos étudiants. 

Une solution consiste à ne pas s'arrêter aux lettres tracées sur le papier mais à donner corps aux formules : en les représentant par des barres et des boules, ou par des nuages de points, et cetera. 

Evidemment, ces représentations, qui sont pourtant le fruit de calculs extrêmement précis, sont un peu trompeuses et les véritables molécules ne sont pas ces objets en couleur que nous représentons  : il y a lieu de savoir interpréter ces images, de les décoder. 

Un volume dans une représentation moléculaire :  de quoi s'agit-il ? Une couleur  : de quoi s'agit-il ? Il y a donc lieu d'inviter les étudiants à manier beaucoup ses objets, à les examiner longuement, à les "contempler", à les analyser, à les décoder, et la familiarité viendra à bout de l'abstraction.

dimanche 10 août 2025

Les évidences en cuisine ? Elles changent avec le temps, mais il reste à faire !

Lisant les épreuves de mon prochain livre (Inventions culinaires/gastronomie moléculaire, Editions Odile Jacob), où je présente des recettes qui font usage des inventions que j'ai produites ces dernières décennies, je vois un amusant mélange de propositions qui sont devenues évidentes et d'autres qui n'ont pas réussi à percer. 

Par exemple, aujourd'hui, personne n'a plus de réticence à produire une sauce de type gay-Lussac, à savoir un velouté foisonné. Pourtant, quand j'ai fait cette proposition, il n'y avait rien de cela dans le répertoire culinaire. 

De même, mon œuf parfait, à 65 degrés, est maintenant partout, et l'originalité en est bien émoussé. 

En revanche, peu de cuisiniers font des würtz, des liebig, des beurres chantilly, et cetera :  il y a toute une série d'inventions, pourtant anciennes, que je n'ai pas réussi à faire connaître. 

Sans doute parce que je ne m'en suis pas donné les moyens :  je préfère la recherche à la communication. D'autant qu'il s'agit là de cuisine et non pas de chimie, qui est ma véritable activité. 

De surcroît,  j'ai fait beaucoup de mes inventions un peu en claquant des doigts, ce qui aggrave le cas, car je suis de ceux pour qui les résultats ne sont un peu intéressants que quand ils ont demandé des efforts. 

Par exemple, il ne me viendrait pas à l'idée de promouvoir la solution, applaudie pourtant par mon ami Pierre Gagnaire, qui consiste à mettre des cristaux de sel dans de l'huile pour les protéger de l'eau.
Pour Pierre, c'est une invention merveilleuse mais, de mon côté, j'aurais pu la faire à l'âge de 10 ans et je me vois mal promouvoir largement une telle idée, prendre de mon temps précieux pour faire cette promotion. 

Alors, une fois n'est pas coutume : dans ce prochain livre, je présente 46 inventions, exposées en 120 recettes. 

Dans toutes les pages, j'essaie de rendre service à mes amis cuisiniers, amateurs ou professionnels. J'essaie de présenter des idées nouvelles sous une forme appétissante et digeste, parfaitement claire, car en cuisine comme pour l'écriture d'un livre, il faut faire des proposition admissibles, dans leur contenu comme dans l'exposé de ce dernier. 

samedi 9 août 2025

On n'est jamais assez simple, quand on enseigne

 Rien n'est jamais trop simple :  hier, alors que je rédigeais un chapitre de mon livre que je consacre aux techniques de laboratoire, j'avançais calmement du mieux que je pouvais, mais, partant déjeuner, j'emportais avec moi le document d'un collègue, que je voulais consulter. 

Et là, dans ce mauvais document, j'ai quand même vu une possibilité d'améliorer mon propre texte parce que j'ai détecté une notion "évidente", que j'avais omise. 

 Pour mon texte, j'avais fait très simple  ; d'ailleurs j'espère que mes amis ne considéreront jamais que je puisse avoir une quelconque hauteur par rapport à celles et ceux qui me lisent. Mais ce que j'ai vu, c'est que ce qui était pour moi l'évidence ne me permettait pas de voir que j'omettais des explications. Au  fond, la confrontation régulière avec des étudiants réels, vivants et une belle occasion : nous devons  les interroger non pas pour les évaluer mais plutôt pour bien mesurer tout ce que nous avons à leur apporter, afin de faire cela mieux que nous ne l'aurions fait dans le silence de notre tour d'ivoire.

vendredi 8 août 2025

Proposons des activités scientifiques

 Discutant avec un ami biologiste, j'ai appris qu'il avait eu, comme moi, une boite de chimie quand il était enfant, et que sa passion pour les sciences étaient née de ce cadeau reçu. Un "cadeau" qui ne se limite pas à la matérialité de la boite, mais surtout à la découverte d'une activité merveilleuse. 

En comparant nos deux développements, j'ai quand même constaté que j'avais eu en quelque sorte plus de chance que lui, parce que, habitant près de Paris, je pouvais aller régulièrement (les jeudis après midi et les samedi) dans cet extraordinaire Palais de la découverte... où il y avait surtout une bibliothèque : notre amour des sciences s'activait des expériences proposées au Palais, et l'on avait ensuite la possibilité de consulter des livres qui poursuivaient, prolongeaient cette envie. 

D'autre part, alors que la boite que j'avais reçue était médiocre, il y avait une caractéristique remarquable, à savoir qu'elle comprenait une petite  lampe à alcool et quelques tubes en verre : les premières activités proposaient consistaient à couder les tubes et à les effiler... de sorte que, quand on soufflait ensuite dans la flamme avec un tube coudé et effilé, on produisait un chalumeau, avec une flamme bien plus chaude, parce que focalisée, laquelle permettait des opérations qu'on n'aurait pas pu faire autrement. En quelque sorte, la boite avait un "germe", une "graine" qui ne demandait qu'à se développer. 

 

Quelle chance ! 

jeudi 7 août 2025

Comment chercher du travail

 Comment chercher (et trouver) du travail ?


1. Les faits

1. Un membre de notre Groupe, intelligent, modeste, travailleur, a cherché du travail pendant un an, après avoir reçu son diplôme d'ingénieur... mais il s'y est très mal pris : il s'est contenté de déposer des CV sur des sites.

Il m'a fait penser à ceux qui appellent naïvement au téléphone une seule fois quelqu'un d'occupé et qui laissent un message, attendant qu'on les rappelle ; et il me fait aussi penser à ceux qui envoient naïvement un email dans le vaste monde, à quelqu'un qu'ils ne connaissent pas.

Ils omettent que les gens occupés sont... occupés et qu'ils ont autre chose à faire que rappeler un inconnu : il faut savoir que, quand on reçoit  100 emails par heure (oui, tu as bien lu) et que l'on n'a pas réussi à répondre à certains messages d'il y a 4 ans, un message d'un inconnu pour une affaire qui n'est pas urgente glisse en bas de la pile.  

Bref, un membre de notre Groupe de gastronomie moléculaire a cherché du travail, et il n'en trouvait pas, mais... il s'y prenait mal... et il ne m'avait même pas demandé de lettre de recommandation !


2. Autre exemple : un membre de notre groupe a postulé à des emplois en province, alors qu'il voulait rester à Paris. Je  vous assure, pour avoir été de l'autre côté de la barrière, que cela est aussi naïf que de vouloir faire croire à un examinateur que l'on sait quelque chose que l'on ne sait pas. L'examinateur s'en aperçoit aussitôt, et il comprend, de surcroît, que son interlocuteur n'est pas honnête : c'est une  très mauvaise stratégie (malhonnête, de surcroît  !).


3. Quand j'embauchais des rédacteurs scientifiques, à la revue Pour la Science, j'émettais des offres d'emploi pour des personnes ayant une thèse en physique ou en chimie :
- sur 300 candidatures, 250 allaient à la poubelle parce qu'elles contenaient des fautes d'orthographe (quand même, quand on postule à un poste où l'écrit est essentiel !) ;
- sur 50, qui restaient, 30 allaient au panier, parce que les candidats me disaient qu'ils seraient heureux de venir apprendre : moi, je voulais des gens capables, qui m'aideraient à tirer la lourde charrue, pas des boulets que je devais traîner ;
- sur les 20 qui restaient, je posais 5 questions :
         - quelle est l'idée de la théorie de l'évolution (programme de collège 5e : mutations, sélection des mieux adaptés à un milieu) ;
         - de combien l'Amérique et l'Europe s'écartent chaque année (programme de 5e : la vitesse de croissance d'un ongle, soit 10 cm par an) ;
         - qu'est ce que la réaction de Diels-Alder ? (programme de L1, en chimie)
         - combien d'accordeurs de piano à Paris (calcul d'ordres de grandeur)
         - qu'est-ce que l'équation de Clairaut ? (une des 5 façons de calculer des primitives, programme de Math Sup)
Et je n'ai jamais eu la réponse à mes questions ! Du coup, j'embauchais selon des critères différents, mais en étant quand même initialement déçu.


4. Toujours à la revue Pour la Science, j'ai un jour reçu une proposition de publier un manuscrit pour un livre de vulgarisation. C'était un texte impubliable, mais la personne s'était donné du mal, avait été au bout de son projet.
Et quand nous avons voulu embaucher quelqu'un, quelques mois plus tard, nous avons pensé à cette personne qui, au lieu de nous baratiner sur ses compétences, les avait démontrées.


5. J'ai un ami chasseur de têtes à Londres : il ne demande qu'une chose, c'est que les CV comportent la mention d'un accomplissement, d'une réussite bien établie (formellement), quel que soit le domaine, selon l'hypothèse que quelqu'un qui a fait quelque chose de bien une fois dans sa vie pourra se mobiliser une autre fois pour faire bien s'il est dans un cadre où il a envie de faire bien.

La conclusion s'impose :
- soit on a déjà fait quelque chose de "remarquable" (avec une vrai démonstration "officielle" ; par exemple, un concert d'un instrument, ou un prix à un concours, une médaille en sport, un diplôme supplémentaire, éventuellement sans rapport avec l'activité pour laquelle on postule), et il faut le mettre en valeur ;
- soit on n'a pas encore cela à son actif, et il est urgent de l'avoir, en creusant une activité qui nous plaît particulièrement, ou bien qui pourrait être utile à l'activité pour laquelle on postule (par exemple, on pourrait s'inscrire à une formation universitaire ou à un cours du soir en intelligence artificielle -et pas seulement s'amuser vaguement à utiliser chatGPT comme n'importe quel adolescent attardé-  alors que l'on postule pour un poste de formulation dans l'industrie alimentaire ; ou encore, ou pourrait rapidement suivre des cours de rhétorique alors que l'on vise une activité d'agent de brevet ou d'expert chimiste dans un service de réglementation dans l'industrie des parfums et aromatisants ; etc.)


6. Francis Crick, l'un des découvreurs de la structure en double hélice de l'ADN, était jeune physicien à Cambridge. Un jour, sortant d'un pub où il était avec des amis, il s'est aperçu que cela faisait plusieurs fois que, dans de telles circonstances, il parlait de biologie à ses amis. Il conclut que c'était donc ce qu'il aimait, et qu'il devait faire.
Il changea de recherche... et eut le prix Nobel quatre ans après.
Il a érigé cette idée en règle pour personnes hésitantes, sous le nom de tests du bavardage : il faut faire ce que l'on aime.
J'ajoute d'ailleurs que, souvent, ce que l'on aime est ce que l'on a fait adolescent avec beaucoup d'énergie. Et que si l'on fait professionnellement quelque chose que l'on aime, alors on a l'impression de ne pas travailler, d'être toujours en "vacances" (un mot que je n'aime pas parce qu'il a la même racine que vide, vacuité : moi, je veux m'emplir la tête, pas me la vider).


7. Un autre membre de notre Groupe de recherche était compétent, bien diplômé, et il cherchait du travail, mais avait passé une année sans trouver. J'ai appris cela par hasard... mais j'ai surtout appris que notre jeune ami, selon des conceptions politiques discutables, ne voulait pas se mettre en avant, ne se sentait pas le droit moral de "passer avant les autres".

Comment n'avait-il pas compris que, de l'autre côté de la barrière, si l'on reçoit 100 candidats, il faut en sélectionner un, et un seul, et que c'est celui qui "dépassera" que l'on retiendra ? J'ajoute que, quand on embauche quelqu'un pour son équipe, les compétences et le "potentiel" sont importants, mais il faut aussi que l'on ait de la "sympathie" pour l'impétrant (ce qui n'a pas pour conclusion qu'il faille se comporter en -faux- ami, lors de l'entretien).


8. Un des membres de notre Groupe avait passé sa thèse, et il cherchait du travail. Il avait suivi mes conseils précédents et, en conséquence logique, il avait obtenu des rendez-vous pour des entretiens d'embauche.
Le premier rendez-vous n'avait pas donné de résultat. Le deuxième non plus. Comme le troisième non plus,  nous avons pris du temps pour analyser en détail ses "prestations", et nous avons finalement observé (son analyse) qu'il avait manqué d'enthousiasme pour le poste postulé (et la vie en général).
Pour les entretiens suivants, je lui ai proposé d'analyser chaque fois, point à point, la manière dont cela se passait (avec un tableau, et un "soliloque", voir ce document). Progressivement il a réussi à identifier des comportements négatifs et positifs, en concluant surtout qu'il y avait lieu de montrer beaucoup de feu, d'enthousiasme sincère pour l'activité qu'il voulait (vraiment) exercer.
Après une année d'apprentissage il était vraiment "meilleur"... et il a été embauché. Il est aujourd'hui responsable de tous les laboratoires d'analyse d'un gros groupe pharmaceutique.
Cet exemple n'est pas isolé : deux autres membres de notre Groupe, dans des situations analogues, ont eu de difficiles débuts analogues, puis des trajectoires analogues.

Bref :
- Dieu vomit les tièdes
- on aime mieux une activité si on sait pourquoi on l'aime (et, d'ailleurs, on l'exerce mieux si on la comprend mieux).


2. Analysons

Il faut dépasser l'idée naïve selon laquelle les services de RH font leur travail.
Ou, plus exactement, ils font leur travail administratif, mais ils n'ont guère de temps pour s'intéresser à ta petite personne : ils reçoivent des milliers de demandes, et ta candidature passe complètement inaperçue.

En conséquence, ce n'est pas par eux qu'il faut passer, et il faut fonctionner différemment, se donner du mal (y mettre beaucoup d'énergie, pendant des journées entières, du matin au soir)  pour finir par identifier des personnes cibles, et identifier LA personne auprès de qui tu veux travailler.

Ensuite, deux solutions :
- soit tu fais intervenir autrui... mais c'est une mauvaise solution, parce que tu n'es pas autonome ;
- soit tu agis toi-même : mieux.

Surtout, en se reportant à ce qui est dans "Les Faits", on se remémorera ce qui a été attribué à Ford : "Ne me demandez pas ce que l'entreprise va faire pour vous ; dites-moi plutôt ce que vous voulez faire pour l'entreprise".
C'est cruel, et injuste, mais il y a un fond de vérité : si tu postules, c'est parce que tu te sents capables de contribuer.
Alors démontre-le !

Un corollaire : si tu postules pour une société, avec des compétences que la société a déjà, tu n'as guère d'intérêt pour la société, qui te prendra éventuellement pour emplir une case, prendre un poste, sans beaucoup d'espoir (et avec la perspective de devoir te former pour que tu puisses conduire la société à faire mieux qu'elle ne fait) ; bref, tu n'apportes guère à la société. Mais si tu a des compétences que la société n'a pas, alors tu es plus intéressant, parce que tu pourras immédiatement l'aider.
Par exemple, la maîtrise de techniques comme la chromatographie UV-visible est déjà partout, dans la plupart des sociétés  : difficile de faire penser à une société à laquelle on postule qu'on va lui être vraiment utile. Inversement, peu de sociétés savent utiliser la spectroscopie RMN, et elles ignorent même comment cela peut leur être utile. Donc se former en RMN semble être une bonne solution, non ?


3. Ma proposition, je ne veux en entendre aucune autre

Pour trouver du travail :
1. identifier une entreprise (je me répète : pas de lettres circulaires ! elles vont au panier) ;
2. identifier un secteur d'activités précis, dans l'entreprise ;
3. identifier un point particulier où tu pourrais apporter quelque chose ;
4. faire une lettre en proposant un travail que tu voudrais faire, en expliquant bien comment tu voudrais le faire et en quoi il peut être utile à l'entreprise à laquelle tu postule ;
5. accompagner ta demander d'un projet de développement industriel, structuré (une dizaines de pages minimum), pour montrer ce que tu es capable de faire.

Ne te fais pas d'illusion : ton projet ne sera sans doute pas retenu, mais tu auras montré, démontré même,  que tu es vraiment intéressé : je ne connais pas de responsable capable de résister à un tel investissement (si la capacité est bien présente, évidemment).
La lettre de motivation doit être ainsi structurée (et les entretiens aussi !) :
    1. votre société est merveilleuse parce que…. : cela suppose évidemment d’avoir vu précisément ce que fais la société, au point même d’avoir une idée de ce qu’elle ne fait pas (publiquement) et, donc, de ce qu’elle pourrait faire (voir point 4)
    2. voila ce que je sais faire : cela ne sert à rien de prétendre avoir des compétences que l’on n’a pas, et personne ne demande à un étudiant de savoir tout faire ; il faut être honnête (évidemment), mais précis, technique, et bien dire ce que l’on a fait (les interlocuteurs ne le savent pas) ; un bon conseil, montrer que l’on a été passionné par ce que l’on a fait !
    3. j’ai très envie de travailler chez vous parce que : ici, il faut se creuser un peu le cœur pour dire la vérité !
    4. j’ai eu une idée : je vous propose le développement suivant : ça, c’est le point le plus important, à mon avis, parce que jamais fait, et aussi parce que l'on « montre les dents du cheval », lesquelles ne trompent pas
        a. trouver une idée d’un développement possible en rapport avec la société (pas difficile de trouver une idée : il suffit de chercher activement ; sais-tu comment ?)
        b. faire un vrai projet industriel de développement, comme je vous ai montré de le faire, à savoir :

Objectif        
Analyse du problème        
Proposition de solution        
Détails pratiques de la mise en œuvre : agenda, rétroplanning, moyens nécessaires, étapes clé, etc.         
Evaluation        


En conséquence :
- je ne donnerai de lettre de recommandation  un peu personnalisée qu'à des personnes qui auront satisfait aux 5 critères précédents (surtout le 5).
- je ne transmettrai pas de CV dans le vide : cela ne sert à rien (ça dessert, même).



4. En conclusion

La règle essentielle est :  montrer que l’on est unique, et, surtout, que l’on est quelqu’un  qui serait un merveilleux collaborateur, parce qu’il apportera de l’aide, qu’il tirera efficacement la charrue que l’on espère commune.

Important aussi :
1. Montrer que l’on a des idées (des propositions de travaux utiles à l’entreprise où l’on veut travailler) pour alléger la charge de ceux que l’on rencontre et augmenter son succès (au risque de me répéter, tout est une question de travail).
2. Montrer de l'enthousiasme pour l'activité visée... ce qui peut se faire si l'on a soi-même compris pourquoi cette activité nous plaît.



Annexe :
Comment choisir un métier

Tu hésites sur le métier que tu veux faire ? Il y a d'abord le "test du bavardage" : ce qui nous plait, c'est ce que nous disons à nos amis (pour celles et ceux qui ne sont pas faibles au point de se laisser aller à parler du dernier film sorti, ou de toute autre poussière du monde.

Mais il y a aussi lieu de faire un tableau (attention : pas seulement cinq ou six cases comme ci dessous, mais beaucoup de lignes, et, surtout, beaucoup de texte à l'intérieur de chaque case, suite à une analyse serrée):


Activité/          Intérêt intrinsèque/           Intérêts extrinsèques/       Intérêts concomitants
Formulateur
Manager
Technico-commercial
Service qualité
...


Cette table doit être remplie sans fantasme sur les activités identifiées, et l'analyse doit être faite après examen précis  (rédigé, pas de baratin oral !)des diverses activités.
Quand je dis "sans fantasme", cela signifie que l'on doit avoir considéré le métier d'un point de vue pratique, concret, en cherchant ce que l'on fait du matin au soir, minute après minutes, et tous les jours de l'année.

Cela dit, il faut expliquer :
1. L'intérêt intrinsèque, c'est combien cette activité (pratique, sans fantasme) nous plaît. Par exemple, pour moi, la chimie a un intérêt intrinsèque absolu et, telle une plante verte sans lumière, je ne survivrais que difficilement sans en faire... mais j'ai des amis qu'elle ne fascine pas : à chacun d'y mettre la valeur qu'il veut (par exemple entre 0 et 10) ;
2. Les intérêts extrinsèques, ce sont : le salaire, la voiture de fonction, les tickets restaurants, la hauteur de la moquette, etc. : là encore, il y a des intérêts différents selon les personnes ;
Les intérêts concomitants : la reconnaissance sociale, par exemple. Idem.

Mais il faut ajouter immédiatement qu'il faut des "pondérations" pour chaque type d'intérêt. Par exemple, je suis de ceux qui pondéreraient Intrinsèque 90, Extrinsèque 10, Concomitant 0. Mais cela dépend de chacun.

En tout cas, l'idée, pour choisir un métier, consiste à mettre des "notes" dans les cases, puis à faire les totaux, en vue d'identifier l'activité que l'on "préfère".  

Si l'on a bien argumenté (pas un mot, mais au moins 2000 signes pour chacune des cases), alors on peut se déterminer.


La soumission doit comporter :
- des lettres de motivations
- des cv
- le projet industriel.

La lettre de motivation doit être ainsi structurée (et les entretiens aussi !) :
1. votre société est merveilleuse parce que…. : cela suppose évidemment d’avoir vu précisément ce que fait la société, au point même d’avoir une idée de ce qu’elle ne fait pas (publiquement) et, donc, de ce qu’elle pourrait faire (voir point 4);
2. voici ce que je sais faire : attention, cela ne sert à rien de prétendre avoir des compétences que l’on n’a pas, et personne ne demande à un étudiant de savoir tout faire ; il faut être honnête (évidemment), mais précis, technique (voir les RCC généraux et particuliers), et bien dire ce que l’on a fait (les interlocuteurs ne le savent pas) ; un bon conseil, montrer que l’on a été passionné par ce que l’on a fait !
3. j’ai très envie de travailler chez vous en particulier parce que : ici, il faut se creuser un peu le cœur pour dire la vérité !
4. j’ai eu une idée : je vous propose le développement suivant : ça, c’est le point le plus important, à mon avis, parce que jamais fait, et aussi parce que on « montre les dents du cheval », lesquelles ne trompent pas
        a. trouver une idée d’un développement possible en rapport avec la société (pas difficile de trouver une idée : il suffit de chercher activement ; sais-tu comment ?)
        b. faire un vrai projet industriel de développement, comme je vous ai montré de le faire, à savoir :
Objectifs        
Analyse du problème        
Proposition de solution        
Détails pratiques de la mise en œuvre : agenda, rétroplanning, moyens nécessaires, étapes clé, etc.         
Evaluation        

Bref, ici, il faut montrer que l’on est un ingénieur capable, pratique, intelligent, raisonnable…
Ne pas oublier qu’il existe des moyens de bien faire : Mind Mapping, Rétroplanning, etc. Il existe des feuilles « Comment » à ta disposition, et des logiciels gratuits en ligne.

Ne pas oublier :
    • des lettres de recommandation qui ne soient pas de l'eau tiède (rien de pire);
    • une lettre de motivation manuscrite (en français, souvent), et deux lettres de motivations dactylographiées (une en anglais, une en français) ; sans faute d'orthographe (!!!!!!!!!!!!) et pas de "Madame, Monsieur" en entrée;
    • les cv en français et en anglais (et svp, dans les "autres", pas de "voyages" ou "musique", comme on en trouve dans le cv de n'importe qui);
    • utiliser la liste de distribution « gastronomie moléculaire », afin de demander de l’aide à tous nos amis;
    • s’accrocher comme un morpion : quand on appelle quelqu’un, on n’appelle pas mollement une fois, mais dix fois dans la demi-journée ; quand on envoie un email, cela n’est rien et il en faut plein
    • supposons que la probabilité d’une réponse positive soit de 1 % ; si l’on envoie 100 cv, alors on a 1 chance d’être pris… sauf que les fluctuations statistiques sont que l’on peut tomber sur 0 ou sur 2. Il faut donc envoyer non pas 100, mais 1000 cv, pour avoir 10 réponses positives, soit entre 8 et 10 avec les fluctuations !
    







mercredi 6 août 2025

Expliquons clairement, en reprenant les choses à leur racine

Regardant hier la "méthode de Newton" pour la résolution numérique des équations algébriques, j'en vois des descriptions qui me satisfont pas. 

Non pas pour moi mais pour mes jeunes amis avec lesquels je voudrais partager mon émerveillement pour ce type de travaux. 

 

Et cela ne me satisfait pas... à commencer par le nom de "méthode", puisqu'une méthode est le choix d'un chemin. Or ici, il ne s'agit pas du choix d'un chemin, mais d'un procédé technique et l'on devrait donc parler de la technique ou du procédé de Newton. 

D'autre part, je ne sais pas où les personnes qui ont produit les explications que j'ai trouvées les ont cherché, mais finalement, je vois des agrégats embrouillés,  un peu incompréhensibles, qui me font penser à ces bidouillages des analyses par chromatographie en phase gazeuse. 

Expliquons  la question sur ces dernières. Très souvent, quand on fait une recherche bibliographique pour trouver une technique d'analyse d'un composé par chromatographie en phase gazeuse, on voit que les auteurs utilisent des mélanges de solvants compliqués, et qu'ils font varier avec le temps d'analyse, ce que l'on nomme des gradients. 

Pourquoi est-ce si compliqué ? Si l'on regarde mieux les références, on s'aperçoit que l'article que l'on avait trouvé initialement se fonde sur un article antérieur plus simple, et qu'il a adapté ce dernier pour sa propre question, compliquant la technique ; mais  l'article précédent a lui-même adapté un cas différent,  et ainsi de suite, si  bien que l'on a finalement  une sorte de Palais du facteur Cheval complètement baroque et finalement complètement incompréhensible. 


Il est bon de temps en temps de revenir à des idées simples  : à savoir que les composés sont solubles ou insolubles dans l'eau, par exemple. Il faut tout remettre à plat !

 

Pour la technique de Newton, c'est la même chose : il y a sans doute, initialement, une explication simple qui a été un peu transformée pour devenir finalement baroque. 

Pourtant les choses sont simples  :  veut-on un algorithme efficace pour mettre en œuvre cette technique ? Cela tient alors en quelques lignes. Ou bien veut-on une discussion mathématique de la chose, l'analyse des convergences, l'efficacité des mesures de l'efficacité, et cetera ? C'est plus long, et pour un autre public. Ou encore veut-on "comprendre" la méthode avant de la mettre en oeuvre ?  Auquel cas il suffit de quelques images. 

 

Bref, je crois qu'il y a d'abord lieu de se poser la question de l'objectif.

mardi 5 août 2025

Il faut transmettres des connaissances vérifiées

Alors que je viens de recevoir au laboratoire le vidéaste Jean Tertrain, passionné de cuisine, je m'aperçois que le discours que je lui ai tenu s'apparente en tous points à celui que j'ai développé la veille aux étudiants de l'université Rice  : dans les deux cas, pour être utile,  j'ai cherché à expliquer. 

À expliquer d'abord ce qu'est la démarche scientifique.
Puis à expliquer ce qu'est la gastronomie moléculaire et physique, puisqu'il s'agit d'une discipline scientifique et non pas une forme de cuisine. 

Mais évidemment, ayant présenté cela en pratique et en théorie, j'ai dû discuter la question de la "cuisine moléculaire", à la fois technique ou style culinaire (il s'agit d'utiliser des matériels modernes). 

Et comme la cuisine moléculaire est une chose ancienne, j'ai expliqué ce qu'est la cuisine de synthèse et la cuisine note à note, la première étant une nouvelle technique culinaire et la seconde étant un nouveau style issu de cette nouvelle technique. 

 

Dans les deux cas, face à notre ami de la chaîne Graille et face aux étudiants de l'Université Rice, je n'ai pas pu me résoudre à omettre des discussions sur la transmission des savoirs et, notamment, des savoirs techniques et artistiques. 

Il me semble que les mots s'imposent absolument et que les connaissances que l'on transmet doivent être assurées, vérifiées, référencées, sans quoi nous perdons toutes légitimité. 

A ce propos, un ami vient de me confier les résultats de deux questions qu'il avait posées à l'intelligence artificielle, notamment à propos du goût et à propos de la notion de précision culinaire : dans les deux cas, différents moteurs d'intelligence artificielle ont produit de très mauvais documents, accumulant les lieux communs, les erreurs, les approximations...  et ma conclusion de l'examen de ces résultats est que nous ne sommes pas prêt d'être remplacés dans ce que nous avons de meilleur. 

Oui, l'intelligence artificielle peut produire des données mais que valent-elles ? Le monde culinaire, la culinosphère, bruit également de rumeurs, d'informations étranges, mais celle-ci sont aussi peu référencées et aussi peu justes que celles que nous a fourni ChatGPT et ses copains. 

 

Bref il y a lieu de regarder le bleu du ciel plutôt que la frange du sol ; et,  mieux, il nous faut nous activer pour chasser les nuages et faire un ciel encore plus bleu qu'il n'est plus aujourd'hui.

lundi 4 août 2025

Un titre ?

Dans un article, il faut une introduction qui indique succinctement ce que l'on trouvera dans l'article. Alors pourquoi un titre qui aurait la même fonction ? 

De toute façon, le titre doit être plus court. Alors comment le penser ? Comme un affichage qui attire "de loin", alors que le chapô ou l'introduction doit indiquer plus explicitement, et guider. 

Mais, évidemment, puisqu'il y a une question artistique, on peut changer les règles :-)

dimanche 3 août 2025

A propos de soles Dugléré

Je sors étonné de mes recherches terminologiques, notamment après que j'ai voulu savoir ce qui était vraiment une sole Dugléré.  
Sous la plume de Jacques Divellec (en réalité, quelqu'un qui  a écrit pour lui), je trouve une recette où le nom de Dugléré est associé à une préparation à base de tomates, d'oignons, d'échalotes, de thym, de laurier : tout cela a un goût très précis. 
Mais comme le livre ne donne (évidemment !) pas de références,  je suis allé chercher ailleurs et j'ai trouvé une recette selon Jean-François Piège où il n'y avait cette fois que des échalotes et des tomates. Mais toujours pas de référence, et, surtout, un goût très différent de celui de la première recette. 
 
Qui croire ? Quelle est vraiment la sole à la Dugléré ? 
 
Comme Adolphe Dugléré était un élève de Carême qui avait vécu à l'époque d'Alexandre Dumas et d'Auguste Escoffier,  je suis allé consulter le Guide culinaire, qui, lui, devait savoir de quoi l'on parlait... et je n'y ai vue  que de l'oignon et de la tomate, pas de thym, pas de romarin pas d'échalote, etc. 
 
Je n'ai pas trouvé  la recette chez Joseph Favre, mais, pour une fois, je crois, comme dit précédemment, que l'on doit accepter la recette du Guide culinaire, car on imagine difficilement qu'il ait détourné la recette du vivant de celui qui l'a introduite et nommée. 
 
En conséquence, toute recette ayant des ingrédients différents n'est pas une sole à la Dugléré. Ce dernier, bel artiste culinaire, a certainement choisi, décidé, des goûts. De même qu'un peintre ne met pas du bleu quand il veut du rouge, de même qu'un musicien qui joue un do ne joue pas un sol, Dugléré a choisi l'oignon et la tomate, et il a choisi de ne pas utiliser de thym, de laurier, etc. 
 
Tout cela a des conséquences. Et la première, c'est qu'une sole différemment préparée n'est pas "à la Dugléré". D'autre part, il y a la question de l'honnêteté : de même que servir une sauce Périgueux sans la truffe serait trompeur, servir une sole Dugléré transformée serait déloyal, malhonnête, disons charitablement "négligent". 
 
Et comme le phénomène est général, il y a lieu d'y penser bien. Faut-il, pour cela, comparer les cuisiniers au peintres ou aux musiciens ? En peinture, il y a peu d'interprétation mais il y a surtout l'expression personnelle, éventuellement fondée sur des modèles. On pourrait peindre le Guernica de Picasso à sa propre façon  en voulant exprimer soi-même une idée personnelle,  comme on l'a fait pour la Vierge à l'enfant pendant des siècles. Et l'on pourrait nommer cela Guernica, mais ce serait le Guernica d'Untel. 
 
En réalité, comparer la cuisine à musique serait plus juste :  il y a une partition, composée par un compositeur, il y a ensuite des interprétations. C'est ainsi que les interprétations des variations Goldberg de Jean-Sébastien Bach ne sont pas identiques quand elles sont faites par David Barenboim ou par David Fray. Aujourd'hui, les musiciens cherchent à ne pas trahir les oeuvres : il se réfèrent aux partitions originales, et pas aux partitions modifiées par des "petits marquis" hâtifs, négligents... Ils cherchent les indications de tempo, les ornements originaux, et ils ont raison, car une oeuvre est tout entière faite pour exprimer une idée, et chaque note a été choisie précisément à l'appui de l'idée que le compositeur voulait donner. Ce serait idiot, ou insensé au sens littéral du terme, de mettre un ornement là où le compositeur n'en a pas voulu, parce que l'idée artistique qui préside à toute la construction serait changée. L'oeuvre n'aurait plus de sens, elle perdrait son "intelligence artistique". 

En cuisine, je crois qu'il en va de même et j'avais été très choqué dans un restaurant étoilé tenu par une dynastie de cuisiniers de voir que le chef actuel servait un plat de son père en remplaçant le beurre par la crème : ce n'était plus là le plat son père, et il n'y avait d'ailleurs pas l'intelligence du plat initial ;  si son père avait décidé de la crème plutôt que du beurre ou du beurre plutôt que de la crème, c'est qu'il avait des raisons, et des raisons  en selon une idée, de tout bien harmoniser selon une idée artistique. 

Faire la cuisine, jouer de la musique, faire de la peinture, ce n'est pas accumuler des ingrédients, jeter des couleurs sur une toile au hasard, empiler les notes... Non, il s'agit au contraire de tout bien harmoniser selon une idée, une idée artistique. 

Pour revenir à notre sole Dugléré, comment nommer une recette qui, modifiée par un artiste culinaire selon une vrai idée artistique, différerait de la sole Dugléré ?  Pourrait-on trouver une dénomination pour indiquer que l'on n'a pas respecté la recette initiale ? On pourrait parler de sole "d'après Dugléré" :  cela aurait l'avantage de dire qu'il ne s'agit pas de la sole Dugléré, et que l'on vient après lui. Ou bien on pourrait parler de "sole Dugléré selon Untel",  ce qui aurait l'honnêteté de dire que Untel s'est inspiré de Dugléré. 

 

Bref, l'art culinaire mérite mieux que de laisser croire un peu déloyalement un peu trop paresseusement que l'on exécute les grands classiques  :  on les exécute, mais trop souvent avec le sens de l'exécution par un bourreau. 

 

Au fond, dans toute cette  question, il ne s'agit pas d'abord de faire, mais de réfléchir ! Et l'art culinaire le vaut bien

samedi 2 août 2025

A propos d'adjectifs

Naguère, je m'étais donné pour règle  de transformer en paramètre quantitatif chaque adjectif que je rencontrais, que j'émettais. Par exemple, au lieu de dire qu'une recette de cuisine était robuste, ou fragile, je proposais un indice de robustesse, afin de dire combien la recette était robuste, ou fragile. 

Tout cela était bel et bon... mais plus récemment, j'ai publié un article qui propose de ne utiliser ni adjectif ni adverbe, sauf évidemment quand ils sont indispensables, comme dans "onde électromagnétique". On trouvera cela dans : 

This vo Kientza H. 2023. Shall we get rid of adjectives and adverbs in scientific writing ? Not always. International Journal of Molecular and Physical Gastronomy, Editorial, 12, 1-5. 

Qui figure ici : https://icmpg.hub.inrae.fr/international-activities-of-the-international-centre-of-molecular-gastronomy/international-journal-of-molecular-and-physical-gastronomy/1-news/editorials/editorial-no-adjectives-no-adverbs 

 

Et voici le paradoxe : si nous n'utilisons plus d'adjectifs, comment les transformerons-nous en paramètres quantitatifs, utiles pour avancer dans la description quantitative du monde ? Nous avons scié la branche sur laquelle nous étions assis ;-)


vendredi 1 août 2025

L'enseignement ?

En matière d'enseignement,  on hésite entre l'amusement (entertainement, en anglais) et l'utilité. Il est évidemment plus facile de donner du pain et des jeux que de proposer des concepts et de l'abstraction. D'ailleurs, les évaluations des évaluations des professeurs ont bien montré que les professeurs sont mieux notés, juste après les cours, quand ils sont un peu démagogues, mais que les notations s'inversent après quelques mois ou années : les étudiants qui critiquaient des professeurs un peu rigoureux comprennent finalement que la rigueur est plus utile que l'amusement immédiat. 

Et, ce matin, devant enseigner dans une université, il faut que je me décide... mais la décision est vite prise : à quoi bon  perdre mon temps à aller amuser la galerie ? Décidément, il faut que je sois utile, que je transmette des informations, des notions et des concepts (les outils pour penser), des méthodes, des démarches, des valeurs... Sinon, autant rester au chaud, dans mon laboratoire : je ne suis pas un gaveur d'oie, ni un amuseur public

Quoi que...

Oui, quoi que, parce que, au fond, il n'y a pas de raison de ne pas s'amuser avec des choses captivantes, n'est-ce pas ? D'ailleurs, c'est en substance que j'ai fini par dire aux étudiants : il s'agit d'avoir un regard critique sur un "discours" que je leur tiens. Il s'agit de s'améliorer, de devenir demain plus intelligent qu'aujourd'hui. Et cela devient passionnant !