vendredi 31 janvier 2025

À propos de foie gras chantilly

Le  foie gras chantilly est une préparation que j'ai inventée dans les années 1995, et que j'ai déjà évoquée dans ce blog : il s'agit de former un système foisonné à partir d'une solution aqueuse et de foie gras. 

Par exemple, on part d'un fonds de canard, on ajoute un foie gras, on chauffe pour faire une émulsion et l'on fouette celle-ci en la refroidissant de sorte que l'on obtient une consistance de Chantilly et sans crème : il y a le même mécanisme de formation que la crème chantilly puisqu'on a reproduit la composition de la crème laitière avec la matière grasse du foie gras et l'eau. 

Dans la recette que j'avais données, j'avais même ajouté qu'il y avait trois façons de rater mais que l'on pouvait toujours rattraper la préparation.
1. On peut rater si la proportion de foie gras est excessive, auquel cas  la préparation finale est trop dure. 

2. On peut rater si la proportion de liquide est excessive, auquel cas, comme pour une crème qui aurait été diluée avec du lait, on obtient pas le foisonnement stable. 

3. Et l'on peut rater en battant trop, ce qui conduit à une sorte de grainage, auquel cas il suffit de fondre la sauce doucement, avant de battre à nouveau  (toujours en refroidissant, "sur glace"). 

 À propos de ce "sur glace", je veux simplement dire qu'il suffit de refroidir la préparation, ce qui peut se faire en mettant la casserole sur des glaçons, ou dans de l'eau froide. 

Bref, il me semblait avoir bien décrit le protocole, mais l'expérience a montré que c'était en réalité insuffisant car un de mes amis à essayé trois fois la recette sans y parvenir. 

Comme je voulais en avoir le cœur net, j'ai refait moi la même la préparation dans la filmant, avec les proportions qui étaient bien celles que j'avais données : mon foie gras chantilly a été délicieux et tout à fait réussi. 

Il s'est trouvé que j'ai envoyé les vidéos de mon travail à mon ami, qui a alors découvert qu'il battait trop peu de temps. 

Il est vrai que, dans mon protocole, je ne je ne donnais pas la durée de foisonnement et je disais simplement que,  au début du travail, on voit de grosses bulles d'air apparaître dans la préparation, que ces bulles disparaissent progressivement et que c'est seulement ensuite que l'on voit, plus tard, les branches du fouet laisser laisser une traîner permanente dans la préparation auquel cas il faut s'arrêter de battre. 

Il y a le même type de difficultés de description que pour la crème chantilly : je me souviens d'un autre ami, il y a plus de 20 ans, qui m'avait demandé de l'aide pour réaliser une crème chantilly qu'il n'arrivait pas à faire : de même il battait trop peu. 

Le problème, quand on rédige de tels protocoles, c'est que le temps est très variable selon la vitesse de refroidissement, selon l'ustensile que l'on utilise, selon la façon dont on le manie...  et je vois avec la cuisine un exemple de ces métiers techniques qu'il est difficile de codifier rigoureusement. Au fond, quand un peintre broie des couleurs, quand un tisserand fait passer sa navette, quand un ébéniste utilise le marteau à bois, et ainsi de suite, il est bien difficile d'indiquer autrement que par exemple  la façon exacte de procéder. Il y a donc la nécessité d'une transmission par répétition au moins pour partie. 

Cela doit nous conduire à discuter la question des référentiels techniques, les listes de savoirs,  de connaissances et de compétences exigibles pour les certificats  d'aptitude technique. Pour ces enseignements, il y a lieu d'indiquer des objets théoriques, mais il faut aussi donner des indications sous d'autres formes, et aujourd'hui, la vidéo s'imposent absolument.

jeudi 30 janvier 2025

Une recherche de qualité ?

Un administrateur de l'université me déroule un long discours sur la nécessaire qualité des recherches effectuées dans l'établissement. Très bien, mais comment faire ? Certes, on sait que certains laboratoires sont plus actifs que d'autres, qu'il y a plus d'enthousiasme, de temps passé, d'échanges fructueux, mais  est-ce suffisant pour que leur recherche soit de qualité ? 

Et puis, qu'est-ce qu'une recherche de qualité ? 

J'ai déjà trop souvent entendu répondre que c'est un travail qui est bien évalué par les pairs, mais avec mon ami Georges Bram, nous en avons ri souvent. Et je me souviens aussi que, discutant avec un grand directeur scientifique, il y a plusieurs années, celui-ci m'avait accueilli en me disant qu'il fallait  faire de la bonne science (en avait-il fait ?). Evidemment je lui avais demandé ce dont il s'agissait et n'avait eu aucune réponse. 

Au fil des années, j'ai mieux compris la méthode scientifique et j'aurais même été prêt à un moment donné de dire que la bonne science était celle qui suivrait les étapes de cette méthode mais après tout si quelqu'un fait une grande découverte sans suivre cette méthodologie, pourquoi pas.
Il y a des questions d'obligation de moyens ou d'obligation de résultats ; je pressens que les obligations de moyens ne comptent pour rien et que seul contre les résultats. 

Mais alors, comment les évaluer ? Le nombre d'articles qui citent ces résultats ? On sait combien les travaux bibliométrique sont critiquables, et notamment parce qu'un mauvais article peut être largement cité... pour être démoli.  

Et puis, il y a  des questions de communication dans toute cette affaire : quelqu'un qui va bien sa salade arrivera à faire croire qu'elle est belle mais elle est-elle en réalité ? 

Bref, mon ami administrateur aurait mieux fait d'être plus précis, moins  creux

Des questions, des questions...

Alors que je finis un article où l'on me demande de présenter la gastronomie moléculaire, je m'interroge... mais seulement maintenant ! sur la meilleure façon de le faire. Certes le texte est terminé, mais comment pourrait-il être mieux ? 

La question s'impose à moi alors que je viens de relire le texte de la leçon inaugurale de la chaire de Pierre-Gilles de Gennes au Collège de France. C'est un texte "de jeunesse", qui n'a pas la force d'autres écrits de ce physicien  qui fut lauréat du prix Nobel. Un texte amusant parce que manifestement destiné à du grand public et qui oblige l'auteur à sortir de ses équations. Bien sûr, on se souvient que Pierre-Gilles de Gennes était une personnalité grande  par la taille et par la pensée, mais aussi par le sentiment qu'il avait de ses capacités. Dans ce texte, il reste un peu plat, de façon étonnante, mais il faut se souvenir qu'il fut très jeune (moins de 40 ans) au Collège de France. Je dois ajouter, d'ailleurs, que je lis ce texte alors que j'étais lancé dans la relecture des œuvres de toute une série de très grands scientifiques : Chevreul, Lavoisier,... 

Je ne me compare évidemment pas à ces grands personnages, mais j'essaye, en analysant mes lectures, d'en tirer des idées pour améliorer mes propres écrits,  et de trouver mes manières pas trop idiotes d'intéresser les amis qui me liront. 

Pour en revenir au texte de Pierre-Gilles de Gennes, je le vois évoquer les questions de recherche. C'est une manière de partager de l'enthousiasme pour la recherche scienifique, mais, également, c'est une manière d'analyser un champ de connaissance, de trouver  les conditions d'une stratégie stratégique. 

On retrouve là quelque chose qui s'apparente au programme David Hilbert, ce mathématicien allemand qui,  au tout début du 20e siècle, identifia une vingtaine de grandes questions qui lui semblait essentielles. 

J'ai déjà dit souvent que la science est également là pour proposer des questions et non pas seulement apporter des réponses qui en réalité découlent des premières. 

Décidément, il va falloir que je reprenne mon premier jet à la lumière de ces idées.

 

mercredi 29 janvier 2025

Les rôles de l'université ?

Un ami discute les rôles de l'université et il leur attribue d'enseigner, d'apprendre, de faire de la recherche, d'innover, de conseiller et plus. 

Pourquoi pas mais il y a là une volonté personnelle et c'est cela que je veux débroussailler aujourd'hui. 

Tout d'abord, est-ce l'université qui enseigne ? Non ce sont des professeurs employés par l'université et je sais qu'il y a toujours un risque politique à confondre les individus et les ensembles point c'est ainsi que naissent notamment les paradoxes et pour ce qui nous concerne si je suis prêt à admettre que c'est bien l'université de diplômes, c'est l'assemblée des professeurs qui décide de cursus, qui fait les nominations qui organise la vie et l'activité à l'université, ce n'est pas l'université qui enseigne.

Selon ce même point de vue, ce n'est pas l'université qui apprend mais les étudiants inscrits à l'université qui sont là pour apprendre. Ce n'est pas  l'université qui fait de la recherche, mais les scientifiques qui font de la recherche au sein de l'université. 

D'ailleurs, on a bien vu encore récemment, à propos  de discussions sur l'éthique des  académiciens de l'Académie d'agriculture,combien il était important de distinguer l'institution des personnes. Un individu ne peut parler au nom d'une institution que s'il a été mandaté pour cela et sinon il doit parler en son nom personnel et il doit bien indiquer que c'est un nom personnel qu'il parle.

Mais on voit ce profiler la discussion politique : un professeur, un étudiant, un chercheur sont-ils si fondus dans l'université ils doivent en oublier leur individualité ? La question à cela de troublant que l'ami qui assigne ces tâches à l'université est membre d'un institut extrêmement élitiste, qui n'existe en réalité que par ses membres et très peu par lui-même. 

mardi 28 janvier 2025

Les rapporteurs doivent être factuels !

 J'ai reçu hier l'évaluation d'un manuscrit par un collègue. Certes le manuscrit était mauvais mais en l'occurrence c'est le collègue évaluateur que je veux critiquer parce qu'il a dépassé les faits et s'est autorisé des jugements de valeur qui n'avaient pas lieu d'être.
 

J'insiste : tout était critiquable, de la mise en œuvre des méthodes jusque dans leur justification, de la production de résultats  jusqu'à l'expression de ces derniers, notamment avec l'affichage de chiffres significatifs qui n'avaient pas lieu d'être (par exemple).

Mais j'arrive au point épineux : le collègue évaluateur a écrit dans son rapport que ce manuscrit était du niveau d'un étudiant médiocre, et cela n'est pas acceptable.

Je sais, nous savons tous, que les auteurs du manuscrit auraient été froissés d'une telle déclaration. Nécessaire ? Judicieuse ? Pertinente ? Non.
Éditeur de la revue, je me suis permis de proposer à l'auteur de ces mots de les supprimer.

Ce cas se produit souvent, notamment avec les mauvais articles, parce que leur lecture irrite, donne progressivement envie d'en interdire la publication. C'est légitime mais il n'y a pas lieu de charger la barque, et la simple description, factuelle, de la médiocrité du texte suffit à faire  comprendre à tous  l'ampleur du travail nécessaire pour que le manuscrit soit publiable. A tous, et notamment aux auteurs... qui retireront sans doute leur manuscrit.

Oui interdisons les cartouches de protoxyde d'azote

 Les cartouches de protoxyde d'azote pour les siphons ? Oui, c'est bien de la "cuisine moléculaire", mais dès les années 1980, j'avais proposé que l'on utilise plutôt des pompes pour faire des mousses ou des émulsions. Avec des systèmes tels que les aérographes des pâtissiers.

lundi 27 janvier 2025

L'université doit être doit-elle faire du conseil ?

 L'université doit être doit-elle faire du conseil ?  Oui, mais correctement !

Il ne faut pas se méprendre et limiter le mot "conseil" à celui que des scientifiques peuvent accorder à entreprises,  car il peut tout aussi bien y avoir du conseil à des particuliers et du conseil à des institutions.

 Le conseil, dans ce dernier cas, se rapproche de l'expertise, et l'État a raison, par ses agents, de solliciter des experts très au courant des sujets sur lesquels il doit prendre des décisions.
 

On a écrit 1000 choses à propos de l'expertise, du devoir de réserve, de l'éthique de l'expertise, et cetera,  mais on pourrait en réalité sans tenir à une idée simple qui est que l'énoncé de faits établis par un travail scientifique doit être bien distingué de conclusions politiques que l'on pourrait en tirer,  d'application que l'on déciderait en se fondant sur les faits bien établis.
 

C'est une grande faute que de mettre de l'idéologie dans la sélection des données que l'on transmet pour le débat, lors des "expertises", et les scientifiques ne doivent pas participer aux prises de décisions. 

J'écris cela, parce que l'on voit trop de collègues se donner de l'importance en dépassant les limites du discours qu'ils sont autorisés à faire. En tout cas, dans l'expression publique, c'est un minimum éthique que les faits soient bien séparés de leurs interprétations, et que des jugements de valeur soient signalés comme tels.

Le prix Sonning 2025

 

L'université de Copenhague annonce le prix Sonning 2025 (voir le communiqué de presse, en pj).

French Hervé This, who invented molecular gastronomy, has fundamentally changed European food culture and put gastro experiences at the top of many people's bucket lists. Now, he receives Denmark’s biggest cultural award at the University of Copenhagen.


dimanche 26 janvier 2025

Stratégie d'enseignement

Supposons que nous voulions expliquer quelque chose. Tout d'abord le voulons-nous vraiment ? Ou bien préférerions-nous que nos amis le découvre par eux-mêmes ? Qu'ils aient ce plaisir de chercher, de trouver et de comprendre...

 

Mais supposons que nous devions donc expliquer quelque chose. 

Il y a lieu de n'expliquer que ce qui est nécessaire, sans quoi nos amis sont perdus : ce qui n'est pas indispensable à la compréhension est gênant, car nos amis ont en vue l'explication de ce que nous avons annoncé que nous donnerions, et un élément étranger à cette explication les rendra bien perplexes : quel rapport avec la question posée ?

 

Cela nous conduit à répéter que pour des explications, il y a eu toujours lieu : 

- d'annoncer la couleur 

- avant de tirer les fils. 

 

Annoncer la couleur, c'est donner l'objectif, dire ce que l'on veut expliquer. Dire la destination du chemin que nous allons emprunter. 

 

Tirer les fils, cela signifie expliquer pas à pas ce qui est nécessaire pour arriver jusqu'à la fin de l'explication. 

On voit ici que si l'on emprunte un chemin de traverse, on n'est plus dans ce schéma logique de tirer les fils mais au contraire, on ajoute des ramifications qui risquent d'égarer nos amis.

 

Dans cette comparaison, il y a l'hypothèse selon laquelle on peut progresser de notion en notion, linéairement, mais l'expérience montre que, parfois, il faut converger, partir de plusieurs notions pour arriver à la notion que l'on veut expliquer. 

 

Et l'on voit bien l'intérêt d'une carte, une véritable carte sur laquelle on représente le chemin qui sera parcouru.


Ciseler : c'est avec un couteau, pas avec une paire de ciseaux

 


Aujourd'hui, un détail… mais les détails ne séparent-ils pas les bons et les mauvais artisans ? Partons des recettes, et, mieux, de recettes anciennes, qui préconisent de « ciseler des herbes ». Ciseler, demande le débutant ? Il faut donc des ciseaux ?

Le dictionnaire révèle l'erreur : ciseler, c'est travailler une matière à l'aide d'un ciselet (un petit ciseau) ou à l'aide d'un ciseau, et non pas à l'aide de ciseaux. Et, en cuisine, on parle aussi de « ciseler » pour inciser une pièce, soit pour en faciliter la cuisson, soit pour qu'elle ne se déchire pas sous l'action de la chaleur : le mot se trouve ainsi à propos de poisson ou de viande dans Le Cuisinier royal de A. Viard, dès 1831.

Et l'on comprend la chose quand on voit que le « ciseau », c'est un outil formé d'une lame de métal. Une paire de ciseaux, c'est une paire de lames. Mais ciseler, donc, c'est utiliser une seule lame, c'est-à-dire un couteau, qu'il s'agisse de ciseler des herbes ou de ciseler un poisson ou une viande.

samedi 25 janvier 2025

A propos de truffe

Je reçois une question : 

J’aimerais réaliser de petites brioches individuelles à la truffe : elle serait râpée et mélangée à la pâte crue.
La truffe supportant très mal la cuisson, quelle technique me conseillez-vous pour garder intacte tous les arômes ?
Avec tous mes remerciements. 

 

Et ma réponse (sans génie) : 

Merci de votre message. Quand je fais une truffe à la souvaroff, soit une truffe en croûte, il n'y a pas de problème.
D'autre part, si vous voulez le goût de truffe crue, la meilleure solution est de l'introduire par la base, comme pour un chou, n'est-ce pas ?
Sans compter que vous pouvez injecter à la seringue un jus de truffe ou de l'aromatisant truffe.



Le beurre ?

 


Le beurre ? Nous savons tous qu’il est obtenu par barattage de la crème issue du lait, généralement de vache. Toutefois, quiconque a déjà baratté sait que, partant de la même crème, on peut obtenir des produits différents, avec plus ou moins d’eau. Et c’est là que la législation s’en mêle, car l’histoire a été riche de scandales, certains vendant des préparations pleines d’eau. Et c’est ainsi que l’on a finalement réglementé le « beurre » : en France, il doit contenir, pour 100 grammes de produit fini, au moins 82 grammes de matières grasses du lait (contre 80 grammes aux États-Unis et au Canada), 2 grammes au maximum de matière sèche non grasse et 16 grammes au maximum d'eau.

A partir de cette base, les variations sont nombreuses.

Ainsi, la dénomination "beurre cru" ou "beurre de crème crue" est réservée au beurre obtenu exclusivement à partir de crème n'ayant pas subi de traitement thermique d'assainissement.

La dénomination "beurre extra-fin" est réservée au beurre fabriqué exclusivement à partir de crème qui n’a pas subi de traitement d'assainissement autre que la pasteurisation, qui n’a été ni congelée ni surgelée, qui a été mise en fabrication dans un délai de soixante-douze heures au maximum après la collecte du lait ou de la crème, et quarante-huit heures au maximum après l'écrémage du lait, et n'ayant subi aucune désacidification. Cette dénomination ne peut être utilisée pour désigner des beurres ayant subi une opération de congélation, de surgélation, de mélange, de foisonnement.

La dénomination "beurre fin" est réservée au beurre où la proportion de matière première laitière congelée ou surgelée mise en oeuvre n'excède pas 30 p. 100.

La dénomination "beurre de cuisine" ou " beurre cuisinier" est réservée au produit provenant exclusivement de matière grasse laitière obtenu après élimination pratiquement totale de l'eau et de la matière sèche non grasse provenant du lait, de la crème et du beurre par des procédés physiques et contenant au minimum 96 grammes de matière grasse pour 100 grammes de produit fini.

La dénomination "beurre concentré" est réservée au produit défini à l'alinéa précédent et contenant au minimum 99,8 grammes de matière grasse pour 100 grammes de produit fini.

La dénomination "beurre allégé" est réservée au produit émulsionné obtenu par des procédés physiques dont les constituants sont d'origine laitière et dont la teneur en matière grasse est au moins égale à 41 grammes et au plus égale à 65 grammes pour 100 grammes de produit fini.

Toutefois, la dénomination "demi-beurre" peut s'appliquer à un beurre allégé dont la teneur en matière grasse est égale à 41 grammes pour 100 grammes de produit fini.

La dénomination "spécialité laitière à tartiner allégée" ou "à teneur lipidique réduite" est réservée au produit émulsionné obtenu par des procédés physiques dont les constituants sont d'origine laitière et dont la teneur en matière grasse est au moins égale à 20 grammes et inférieure à 41 grammes pour 100 grammes de produit fini.

Parfois, du sel lui est ajouté, pour accroître sa conservation, mais cela doit alors être mentionné. "Demi-salé" ou "demi-sel" lorsque la teneur en sel est supérieure à 0,5 gramme et au plus égale à 3 grammes pour 100 grammes de produit fini, et "salé" lorsqu'elle est supérieure à 3 grammes ;

Avec tout cela, il reste trop de fraude : en 2018, une enquête de la DGCCRF visait à contrôler la conformité de l’étiquetage et de la composition des beurres et matières grasses laitières aux dispositions réglementaires nationales et européennes. Le taux d’anomalie constaté lors de ces contrôles est de 14 %. L’enquête de la DGCCRF avait pour objectif de vérifier la loyauté des informations fournies aux consommateurs par les opérateurs. La majorité des établissements visités étaient des magasins de détail spécialisés dans la vente de produits laitiers (fromages, crèmeries) et des exploitations agricoles fabriquant des produits laitiers (laiteries, exploitations de fabrication de fromage, producteurs fermiers). Au stade de la distribution, les contrôles ont été réalisés au sein des grandes et moyennes surfaces (GMS) et auprès des grossistes. Les actions de contrôle ont recherché des pratiques commerciales trompeuses et vérifié des autocontrôles de qualité et agro-alimentaires. Le taux d’anomalie s’élève à 14 % (de ces actions de contrôle).

L’étiquetage et la fabrication des beurres et des matières grasses laitières présentent de nombreuses anomalies. L’étiquetage des beurres contrôlés présentait plusieurs types de non-conformités : tromperie sur les qualités substantielles ou le lieu de fabrication, teneur non conforme en eau ou en matières grasses. Par exemple, le schéma de fabrication d’un opérateur prévoyait l’incorporation éventuelle de rinçures de crème, crèmes invendues, reste de beurre de la fabrication précédente et/ou retour de beurre, et de beurre congelé à l’étape « Stockage et traitement du lait » pour la fabrication de beurre extra-fin.

Une entreprise ne prenait pas en compte les températures d’écrémage dans les diagrammes de fabrication de la crème crue et du beurre cru. Elle ne maîtrisait pas non plus la température lors de l’envoi de la crème dans le circuit de fabrication du beurre. Un avertissement lui a été adressé.

La véracité des mentions et allégations valorisantes « de / en baratte », et « à l’ancienne » a été vérifiée par les enquêteurs. La mention « beurre baratté dans nos coopératives » a été constatée sur plusieurs références de produits d’une laiterie alors qu’elle fait référence à une modalité traditionnelle de fabrication qui n’était pas employée dans cet établissement. L’entreprise a remplacé l’indication par « fabriqué dans nos coopératives ».

D’autres allégations ont fait l’objet d’un avertissement au motif qu’elles distinguaient abusivement les produits par rapport aux autres beurres de la même catégorie (p. ex. « beurre aux pétales de sel à l’ancienne »).


jeudi 23 janvier 2025

Une fois de plus : des réfutations

Hier, nous avons donc tenu le séminaire de gastronomie moléculaire consacré à la pâte à choux.  Nous voulions explorer l'étape du desséchage. 

Pour une pâte à choux, c'est très simple : on commence par prendre de l'eau, on y met un peu de sel et du beurre et l'on porte à ébullition jusqu'à ce que le beurre soit fondu ; puis, hors du feu, on ajoute une quantité de farine environ égale la moitié de la quantité d'eau et l'on travaille pour obtenir une pâte nommée panade. Vient alors cette étape nommée desséchage qui consiste à chauffer la casserole en travaillant la pâte. On observera que dans de nombreuses recettes, la description du séchage est assez succincte. Puis on attendra que la panade refroidisse un peu et l'on ajoutera des œufs entiers successivement en travaillant pour bien les incorporer. Viendra alors l'étape finale qui consiste, à l'aide d'une poche à douille, à déposer des petits tas de pâte sur une plaque et à cuire vers 180 degrés pendant une vingtaine de minutes. 

Tout cela est parfaitement simple mais il faut évidemment compter sur la prétention de certains pour vous le rendre compliqué ! Il y aurait l'impossibilité de rectifier les quantités, la nécessité d'un desséchage soigneux, etc.

Raison pour laquelle nous avons décidé de consacrer un séminaire à cette question.

La première question explorée a été de savoir si le desséchage avait une influence. Nous avons donc divisé une panade en deux, laissé une première moitié sans la dessécher, tandis que la deuxième moitié était desséchée plus que de raison (selon les professionnels présents). Puis nous avons alors ajouté les œufs dans les deux moitiés et nous avons cuit les choux. 
A chaque étape, nous avons pesé et nous avons ainsi observé que le desséchage faisait effectivement disparaître beaucoup d'eau :  presque la moitié de l'eau initialement utilisée. Mais quand est venu l'étape finale, de sortir les choux du four et de les évaluer par un test triangulaire, en aveugle, nous avons été surpris de ne voir aucune différence gustative ! En revanche, les choux desséchés étaient plus gonflés, et plus irréguliers.

Dans une deuxième expérience, nous avons voulu voir l'influence de la quantité d'oeuf et cette fois, nous avons pris la même panade, divisée en deux, et nous avons mis deux  fois plus d'œufs  dans une moitié que dans l'autre. La préparation où il y avait beaucoup d'œufs était plus liquide, s'étalait davantage, mais finalement, après la cuisson, un test triangulaire n'a pas montré de différence entre les choux des deux types. D'ailleurs, il faut observer que  les différences de cuisson selon les positions dans le four étaient plus fortes que les différences dues à l'ajout de plus ou moins d'oeuf.

Pour la troisième expérience : nous avons voulu examiner l'importance du travail de la pâte : cette fois-ci, nous avons  divisé la panade en deux et nous avons ajouté la même quantité d'oeuf dans les deux moitiés mais en travaillant le moins possible pour une moitié, et le plus possible pour l'autre. 
Là encore, il n'y avait pas de différence perceptible entre les deux moitiés. 

 

Finalement je conclus que la pâte à choux est une recette extraordinairement robuste.

 

mercredi 22 janvier 2025

Mercredi : J'ai lu pour vous les Nuits de Restif de la Bretonne

Mercredi : J'ai lu pour vous les Nuits de Restif de la Bretonne. Plus exactement,  j'ai relu cette oeuvre énorme qui, au premier ordre, raconte ce que l'on voit à Paris, la nuit, pendant la révolution française. 

Au deuxième ordre, il y a bien d'autres choses, car des histoires sont dans l'histoire, et c'est donc de la littérature. J'ai relu ce livre, mais je n'ai fait que lire la préface de Jean Dutourd, que j'avais omise initialement dans l'édition que j'ai. 

Étonnante préface, qui commence par quelque chose du style « j'ai mis longtemps à comprendre  que Restif de la Bretonne était le plus grand écrivain du XVIIIe siècle ». Quoi, Restif de la Bretonne plus grand que Diderot ou Voltaire, ou même que Rousseau (que je n'aime guère, pour milles raisons) ? 

La phrase est  choquante, mais la question  plus intéressante  est de savoir pourquoi Jean Dutourd l'a ainsi mise au tout début de sa préface. Parce qu'il pense vraiment que Restif de la Bretonne est plus grand que Diderot ? Allons... Parce qu'il se donne la mission de vendre la salade de ce livre ?  Ce se serait bien faible... Parce qu'il a l'intention de nous conduire à nous poser la question que nous nous posons ici ? Les gens intelligents sont capables d'un tel tour. Certains utilisent ce type de talents pour gérer les états, et l'on ne saurait manquer d'inviter à  relire le Prince de Machiavel. Parfois ils laissent  leurs contemporains tranquilles, et se consacrent à des études scientifiques. Pour ces explorations, les talents sont indispensables, car la nature en plus d'un tour dans son sac !

mardi 21 janvier 2025

Je réponds à tous

 
Pour qui a vu le film de Bourvil et de Funès sur la soupe aux choux, la demande qui suit a quelque chose d'amusant, mais allons, répondons quand même : 

Bonjour M. This,

J'espère que vous allez bien. D'après Wikipedia, vous êtes très occupé. Je ne veux donc pas vous accaparer. Je cherche à fabriquer des saucisses aux choux et possède tout le matériel nécessaire. Le problème, c'est que je dois éviter le gras pour des raisons de santé, sachant bien que le gras stocke le goût et que je dois le remplacer par autre chose, par exemple de la gélatine.

Question : j'ai fait une préparation de 1/3 viande hachée grille 5 (jambon de porc fumé cuit) avec 2/3 chou blanc cru râpé fin, assaisonné avec sel, poivre, épices, boyau de boeuf.

Résultat : saucisse fade, sans aucun goût, le tout couleur grise. Je ne l'ai pas fumée après.

La saucisse Migros sort rouge, un brin acide, très grasse, vraiment pas terrible.

Comment donner du goût aux choux ? Comment rendre du goût à la viande aussi fade que les choux ? Comment remplacer le gras par une colle qui stocke le goût sans gâter la mâche ?<

Voilà les 4 questions que je me pose.

Avez-vous écrit sur la fabrication de la saucisse aux choux ? Livre ?

Faut-il remplacer le chou cru par du fermenté, genre Migros Kisili Kuppus ? Mettre de l'eau gazeuse (0,5L/kg de masse) pour renforcer le piquant comme dit Suisseviande ?

Pour la couleur, je ne m'inquiète pas si le reste est bon, et le rouge Migros aux nitrates ne m'intéresse pas trop, à moins qu'il ne réhausse le goût comme le glutamate.

Youtube fourmille de bons conseils pas toujours pertinents mais quasi rien sur la saucisse aux choux. Et les bouchers ne disent pas tout quand ils montrent quelque chose.

Merci de vos nouvelles et meilleures salutations.

 

Ma réponse :

Non, tout d'abord, je n'ai pas consacré de livre à la fabrication de la saucisse aux choux. Faut-il passer plusieurs années à cela ? Je m'interroge. D'autre part, je suis bien désolé de ne pas connaître le Migro Kisili Kuppus : il va falloir que je fasse ma bibliographie. Pour ce qui concerne les bouchers, moi j'irai plutôt voir les charcutiers, car il s'agit de saucisse, n'est-ce pas ? Et, surtout, pour donner du goût sans gras, je crois que la solution consiste à faire cuire des pieds de porc avec eau, sel, carottes et oignons. On cuit à petit feu pendant une journée, puis on désosse ; on ajoute la chair et le tissu collagénique, finement broyés, à la mêlée (viande maigre et chou) ; puis on recuit le bouillon avec les os pendant deux jours, avant de réduire le liquide à consistance sirupeuse, et l'on ajoute cette glace de viande à la mêlée, avant d'embosser. &nbsp; Mais il y a bien d'autres solutions, si l'on s'obstine à vouloir produire de telles saucisses, et notamment grâce à la "cuisine de synthèse", ou " cuisine note à note".

À propos de soufflé, a posteriori

Il y a cette recette de soufflé à la vanille et aux truffes, que j'ai exécuté le soir, chez moi, avec le plus grand des succès. 

On la trouvera ici :  <a href="https://hervethis.blogspot.com/2023/02/un-souiffle-pour-la-saint-valentin.html">https://hervethis.blogspot.com/2023/02/un-souiffle-pour-la-saint-valentin.html</a> 

La confection du soufflé a été l'occasion de voir que la compréhension des phénomènes permet aussi d'éclairer les observations fait en cours de travail. En l'occurrence, j'avais jadis amélioré une théorie insuffisante, qui disait que les soufflés gonflaient parce que les bulles d'air du blanc en neige mis dans l'appareil se dilataient à la chaleur ; j'avais surtout compris que pour faire gonfler les soufflés, il faut les chauffer par le fond afin que l'eau du fond s'évapore, et que, la vapeur, prenant beaucoup plus de volume que le liquide dont elle provient, repousse les couches du soufflé vers le haut, ce qui permet d'atteindre des gonflements de 300 % au lieu des faibles 30 % que l'on a avec la dilatation des bulles d'air. 

Hier, j'ai observé les deux phénomènes, parce que je manquais de ramequins et que j'ai fait un soufflé dans un ramequin en céramique épaisse, et l'autre dans un moule métallique : le soufflé dans le ramequin en céramique a gonflé d'un tiers environ, tandis que l'autre, dans le métal, a doublé de volume. Et de ce fait, j'ai examiné la croûte dans le ramequin métallique et elle était bien formée, ce qui montre que l'eau s'était évaporée et que le mécanisme d'évaporation de l'eau était bien majoritairement celui qui avait gonflé ce soufflé. 

Mais dans le récipient en céramique, pour une cuisson assez courte, la croûte était absente, et le gonflement n'avait été fait que de 30 % environ. On avait donc les deux régimes simultanément, et l'on peut préciser les affaires en disant que le mécanisme effectivement à l'oeuvre sera celui qui correspond au ramequin utilisé. 

Bien sûr, un soufflé qui gonfle, c'est mieux qu'un soufflé qui gonfle peu et cela devrait nous conduire à éliminer les ramequins en céramique pour ne conserver que des ramequins métalliques, que l'on posera de surcroît sur la sole du four, c'est-à-dire sur sa partie intérieure, chauffée.

lundi 20 janvier 2025

Comment les professeurs peuvent-ils se comporter avec les étudiants ?

Comment les professeurs peuvent-ils se comporter avec les étudiants ? Et la réponse est facile à donner : avec bonté, rigueur, droiture...  Avec les mêmes valeurs qu'avec tous, en n'oubliant pas que des étudiants sont des jeunes collègues.

 À propos d'enseignement, il y a cet écueil qui est que nos étudiants sont beaucoup plus jeunes que les professeurs et que ces derniers risquent parfois d'avoir un manque de considération, qui serait dû au manque d'expérience ou aux moindres connaissances des étudiants.

Je propose toutefois de ne pas oublier que les étudiants de l'enseignement supérieur sont (1) des humains et (2) des citoyens adultes à part entière, avec le droit de vote et toutes les prérogatives des autres citoyens, et qu'ils doivent donc recevoir toute la considération que l'on attribue à des adultes, qui par définition ne sont plus des enfants. 

Non pas qu'il ne faille pas considérer les enfants aussi, mais il est vrai que l'on se comporte avec ces derniers différemment parce qu'il y a un devoir d'éducation et non pas seulement d'instruction. 

Pour nos étudiants de l'enseignement supérieur, l'éducation n'est pas de notre ressort et seule l'instruction peut compter. 

D'autre part, je répète ici que le but n'est pas d'enseigner ; il est  que les étudiants étudient. De sorte que le rôle du professeur est seulement d'enseigner, c'est-à-dire de faire des signes pour que nos amis se dirigent -s'ils le souhaitent- dans les directions indiquées.
Oui, s'ils le souhaitent, car,  comme le disait Richard Feynman, certains n'ont aucun besoin de nous. En revanche, d'autres sont demandeurs -et on le voit même jusqu'aux évaluations des professeurs et des systèmes d'enseignement-,  et c'est dans ce cas-là que les professeurs doivent se comporter différemment. 

Finalement l'institution demande aux professeurs des évaluations et là,  c'est clair en ce sens que si un contrat a été bien passé (le "référentiel"), alors il suffit de vérifier qu'il a été bien respecté : les connaissances exigibles sont-elles connues et maîtrisées ? les compétences exigibles sont-elles obtenues ?  



dimanche 19 janvier 2025

À propos d'évaluation par les pairs


Il y a quelques temps, j'ai publié un éditorial pour la publication intitulée Notes académiques de l'Académie d'agriculture de France, où j'ai discuté la question de l'évaluation par les pairs, en réfutant des arguments qui sont classiquement donnés : le processus seraient lent, il bloquerait l'innovation, il n'éviterait pas toutes les fautes, il permettrait à des concurrents de voler des idées, et cetera. 

Tout cela étant mis sur la table, il y a lieu de répondre à ces critiques, mais, d'abord, à signaler que l'introduction de l'évaluation par les pairs fut un progrès extraordinaire de la publication scientifique, parce que, bien conduite, ces évaluations permettent d'améliorer les manuscrits. On a pas assez dit qu'il ne s'agit pas pour les rapporteurs de dire si les manuscrits soumis sont mauvais, médiocres, passables, bons, excellents... 

Non, cela n'a aucun intérêt. Il s'agit surtout de contribuer à améliorer les articles pour que, finalement, les articles qui sont publiés comportent le moins de fautes possible. 

Car il faut dire que le travail scientifique, et la rédaction d'articles scientifiques, sont peut-être moins difficiles par chaque travail élémentaire qui les constitue que par le nombre considérable de ces travaux. Par exemple, dans le manuscrit d'un article scientifique, il y a tout à surveiller. Bien sûr, il y a la typographie, l'orthographe, la maquette, mais il y a surtout à voir que, dans les expérimentations, par exemple, on n'a pas manqué un point essentiel qui annihilerait le résultat ; il y a lieu de vérifier que les interprétations ne dépassent pas les faits établis et cela faites façon quantitative. Il y a lieu de vérifier que tout ce qui est dit est référencé, c'est-à-dire en réalité établi par les précédents, ou établi (correctement) par nous-même... 

Bref, c'est faire un travail énorme et je vois mal pourquoi nous pourrions refuser de l'aide par des rapporteurs, à condition bien sûr que ces collègues soient bienveillants et qu'ils aient pour objectif de nous aider à faire mieux. 

Dans un billet précédent, je me suis interrogé sur les raisons qui poussent certains à refuser l'évaluation par les paires, en évoquant cette anecdote d'Albert Einstein qui, arrivé aux États-Unis, proposa un manuscrit à une revue américaine qui envoya le manuscrit à un rapporteur, en l'occurrence un jeune physicien brillant ; ce dernier vit grosse difficulté théorique dans l'article et la signala, mais Einstein, qui était habitué à ce que ses manuscrits soient directement publié, retira son manuscrit : une occasion ratée de ne pas publier une erreur ! 

Je préconise également que les échanges entre éditeurs, rapporteurs et auteurs soient anonymes, non pas pour que certains en profitent pour tenir des propos désobligeants, mais plutôt pour que seule paraisse finalement en public un document de bonne qualité, dont les auteurs n'auront pas à rougir. Je pense en particulier aux jeunes scientifiques qui apprennent progressivement à rédiger des articles scientifiques, avec les canons professionnels qui s'imposent. On sait bien que les premières rédactions sont difficiles et c'est la raison pour laquelle certains au moins de nos amis les plus jeunes (mais les vieux aussi) laissent souvent des erreurs qu'il y a lieu de corriger. 

Les sites de dépôt libre de manuscrit sont en réalité terribles, parce qu'ils mettent le scientifique face à son entière responsabilité. Je m'empresse d'ajouter que j'ai trop vu de ces textes qu'un travail d'édition n'aurait pas paraître avec tant d'imperfections évidentes ! 

Bref, je préconise une évaluation qui ne soit pas ouverte, en double anonymat, conduite dans un esprit positif d'amélioration du manuscrit en vue de sa publication.

samedi 18 janvier 2025

Il faut peler les carottes à l'économe

Lors de notre dernier séminaire de gastronomie moléculaire, nous avons exploré l'épluchage des carottes et confirmé que les carottes grattées au couteau brunissent considérablement, tandis que les carottes épluchées à l'économe gardent leur fraîche couleur. 

Simultanément, nous avons observé qu'il y avait plus de liquide libéré quand on gratte et au couteau que quand on utilisait l'économe. 

Tout cela est parfaitement cohérent quand on sait que les carottes sont des assemblages de petits sacs pleins d'eau, vivants, que l'on nomme des cellules. Quant au gratte au couteau ou quand on épluche, on enlève la partie externe du tissu végétal sur quelques millimètres, ce qui signifie que le nombre de couches de cellules concerné est de l'ordre de 100 à 1000. Si l'on gratte, toutes les cellules de ces couches peuvent être endommagées, libérant leur contenu. En revanche, quand on utilise un économe, alors seule la couche de cellules sur le passage de la dame est concernés, et l'on comprend que la quantité de liquide libérée soit moindre. Pour le brunissement, il faut savoir que les cellules végétales contiennent, bien séparés, des enzymes "phénolases", et des composés phénoliques. Une cellule qui est endommagée laisse ces composés venir au contact, et au contact de l'air : les trois ingrédients d'une réaction moléculaire qui fait du brunissement sont réunis. 

On comprend donc que le grattage au couteau puisse faire cent à mille fois plus brun que l'utilisation de l'économe.

Lors du séminaire, nous avons aussi cherché si le grattage ou l'épluchage à l'économe conduisaient à des goûts différents, notamment du point de vue de l'amertume, mais les tests sensoriels que nous avons fait n'ont pas montré cela. 

Finalement, je propose d'abord de conserver l'idée éplucher les carotte, non pas pour éliminer les pesticides artificiels que les agriculteurs auraient pu mettre, mais bien plus tôt pour éliminer les pesticides naturels que les carottes produisent dans leur partie corticale pour se protéger contre les agresseurs : vers, insectes, et cetera. 

D'autre part, vu l'effroyable couleur des carottes grattées au couteau, je crois qu'on peut recommander de pas utiliser cette technique pour les carottes, mais plutôt d'utiliser un économe aussi affûté que possible : c'est ainsi que l'on minimisera à la fois la libération d'eau et le brunissement, mais peut-être aussi, dans certains cas la formation de composés qui pourraient être amer. 

Et on n'hésitera pas à laver les carottes épluchées pour éliminer tous les composés qui auraient été libérés.

vendredi 17 janvier 2025

Dessaler la morue

En matière de cuisine, il y a vraiment tout et n'importe quoi sur Internet, ainsi que je viens de le voir à propos du dessalage de la morue. Un de mes correspondants s'étonne d'une page internet où il est dit que la morue se dessale en dix minutes. Possible ? 

C'est un fait que la morue est salée et que, pour la manger, il faut la dessaler. Comment faire ? 

La question, au fond, est la même qu'à propos de jarret de porc en saumure par exemple. Et, à ma connaissance, on ne dessale bien que si l'on parvient à faire passer le sel en excès dans l'eau où l'on baigne le tissu animal, viande au poisson. 

Une des pages internet, donc, signalaient que l'on pouvait faire un dessalage en quelques dizaines de minutes, mais je peux vous assurer que ce n'est pas le cas en général ; pis, pour certains produits, il faut au contraire plusieurs jours ! Évidemment, tout dépend de l'état initial et de l'état final : si l'on a un produit initialement peu salé et si l'on aime très le produit final très salé, alors on comprend que le temps de dessalage ne sera pas long. 

Au-delà du phénomène, il y a la question des mécanismes, et mon interlocuteur évoquait l'osmose. Là, il y a une complication, parce que le tissu animal n'est pas homogène. Et alors ? Dans le cas simple où une membrane "semi perméable" (par exemple qui laisse passer l'eau mais pas le sel) sépare deux compartiments avec une concentration en sel différente, l'eau migrera d'un compartiment à l'autre, à travers la membrane, de sorte que, finalement, la différence de concentration sera réduite. 

J'insiste sur les mots exacts que je viens d'utiliser car de nombreuses explications de l'osmose sont très fausses. Bref, il pourrait y avoir de l'osmose mais on n'oubliera pas que la chair des poissons n'est pas réductible à un comportement séparé par une membrane : elle est composée de fibres musculaires qui sont regroupées en faisceau, et le sel, au moment du salage peut s'introduire non pas par osmose mais aussi par capillarité... par exemple. 

Évidemment, il peut aussi s'introduire par un phénomène de type osmose, disons plus simplement à travers la membrane, mais on voit avec ces deux mécanismes qu'il y en a peut-être d'autres. Et le dessalage doit tenir compte de toute la complexité du phénomène de salage. En tout cas, que l'on me fasse confiance : ce n'est pas en quelques minutes que l'on dessale un poisson très salé ! 

jeudi 16 janvier 2025

SOS sauces

 
Hier soir, j'ai reçu un appel d'un ami dont la sauce n'était pas telle qu'il voulait, et il a été merveilleux de voir qu'une connaissance simple de la gastronomie moléculaire permettait de lui répondre... et de récupérer sa sauces. 

Il y a quelques jours, mon ami avait fait une sauce au vin, avec du beurre émulsionné, et, comme il en avait trop, il avait mis le reste au réfrigérateur. Evidemment, la sauce avait figé, puisque elle contenait du beurre et que celui-ci durcit au froid. Ayant cuit une viande hier soir, il a voulu servir la même sauce, de sorte qu'il a sorti sa casserole du réfrigérateur et l'a posée sur une plaque chauffante. Il a chauffé assez doucement, mais la sauce restait grumeleuse. SOS Hervé ! 

Une sauce grumeleuse, c'est une sauce qui n'est pas émulsionnée, avec du beurre fondu par zones, et une solution aqueuse séparée. Cela peut se produire pour plusieurs raisons mais, pour les sauces chaudes en particulier, la plus fréquente est le manque d'eau. 

Par exemple, lors d'un séminaire de gastronomie moléculaire, nous avons très bien établi qu'une sauce hollandaise ou une sauce béarnaise tournées pouvaient être récupérées à l'aide de quelques cuillerées d'eau froide. En effet, il faut un minimum de 5 % pour pouvoir monter une émulsion, pour que l'on puisse disperser des gouttelettes de matière grasse liquide dans de l'eau. Or pour les sauces chaudes, l'évaporation de l'eau conduit parfois à se trouver en dessous de ce seuil minimum, ce qui conduit à la rupture de l'émulsion. Mon premier conseil a donc été de lui proposer d'ajouter de l'eau : de l'eau, du thé, du vin, du café, du jus de citron, ce que l'on veut du moment qu'il y ait de l'eau dedans. C'est ce qu'a fait mon ami, avec du vin blanc, et il a suffi de quelques cuillerées à soupe pour que la sauce se rétablisse spontanément, comme par miracle. 

De quoi avons-nous besoin pour avoir la compétence de récupérer une sauce tournée ? On le voit : de savoir qu'une émulsion est une dispersion de gouttelettes de matière grasse dans de l'eau, et de  savoir aussi que la quantité minimum d'eau pour monter une émulsion est d'environ 5 %. Bien sûr, il y a d'autres connaissances utiles, par exemple de savoir que les gouttelettes de matière grasse fondue ne se dispersent dans l'eau que si elles sont entourés de molécules particulières qu'on nomme tensioactives, par exemple provenant du jaune d'œuf, par exemple provenant du beurre. Ce sont souvent des composés de la classe des phospholipides et, encore plus souvent, de la classe des protéines. 

Mais nous nous aventurons là dans des connaissances bien plus spécialisées que ce qui était nécessaire pour récupérer la sauce. Je conclus donc que la compréhension de la nature des émulsions, et que la connaissance de la limite des 5 % doivent faire partie de la formation de base de tout saucier !

mercredi 15 janvier 2025

Vous avez dit "texture" ?

 À propos d'aliments, il est parfois question de leur "texture", mais, la plupart du temps, ceux qui disent ce mot le  confondent avec consistance. 

C'est d'ailleurs amusant qu'ils ne fassent pas le rapprochement avec la texture visuelle qui désigne non pas une quantité moyenne mais plutôt une variation régulière. Texture désigne d'abord la disposition et le mode d'entrecroisement des fils dans un tissage; état de ce qui est tissé. Dès 1260, tisture désigne l'action de tisser.

En réalité, un aliment a d'abord une consistance, et la texture est définie comme ce que nous en percevons, dans des conditions particulières où nous mangeons l'aliment. 

Là, il faut ajouter que nous mangeons de façon très différentes selon les individus :  certains mastiquent longtemps et n'avalent que quand tout l'aliment est divisé ; d'autres mastiquent et avalent progressivement ce qui est divisé à chaque instant  ; et ainsi de suite. 

Au-delà de ces comportements, il y a des différences de perception de l'aliment  selon que l'on est à la première mastication ou bien aux mastications suivantes, car l'aliment, réchauffé, évolue. 
Ainsi, on observera qu'un chocolat est croquant quand on le croque, mais fondant quand on le laisse fondre. De même, quand on plonge joliment dans une piscine, l'eau s'écarte devant nous tranquillement et sans bruit, mais elle est comme du béton en me faisant un plat. L'eau c'est toujours de l'eau, mais sa consistance est perçu différemment selon la façon dont on plonge. 

On comprend donc la différence entre la consistance et la texture  : la consistance est constante, propre à l'aliment, mais la texture est ce que nous percevons de la consistance, selon notre approche de l'aliment.

mardi 14 janvier 2025

Ce n'est pas toujours de la procrastination

 Ne mettons pas la procrastination à toutes les sauces. 

 Beaucoup d'entre nous s'accusent de procrastiner et d'ailleurs, ils le font parfois avec une certaine fierté dont je m'étonne. 

Mais là n'est pas l'objet de ce billet. Ce que je veux discuter ici, c'est le fait  que ce que l'on désigne parfois par procrastination c'est-à-dire repousser au lendemain quelque chose que l'on hésite à faire, n'en est pas toujours : il y a parfois simplement de l'embouteillage. 

Je vois cela ces jours-ci, alors que j'avais de trop nombreux travaux à effectuer, et, en particulier, la relecture d'un volumineux manuscrit. Je savais bien que, derrière, il fallait que je corrige des devoirs d'étudiants,  que je finalise une publication, et cetera. 

Mais on peut pas tout faire à la fois et il a donc fallu décider d'un ordre et de me tenir rationnellement à cet ordre qui a dépassé des délais impossibles à tenir. 

Car on peut pas faire deux choses à la fois. 

Il ne s'agissait donc pas de procrastiner mais simplement de bien faire les choses au fur et à mesure, les unes après les autres, dans un ordre bien décidé. Il s'agissait de ne pas perdre de temps, mais il n'y avait certainement pas de ma part une faute qui aurait consisté à procrastiner.  À l'impossible nul n'est tenu.

lundi 13 janvier 2025

Les métaphores dans les textes scientifiques

Alors que je corrige des revues de la littérature préparées par des étudiants, je m'aperçois que les fautes sont communes et notamment que les mots sont souvent posés  sans suffisamment d'examen. On me parle par exemple d'un "profil nutritionnel" : mais pourquoi il y aurait-il cette notion de profil, qui correspond à quelque chose de bien précis, une forme selon une direction d'observation ? Cette notion est-elle concernée dans la question évoquée ? Certes, une composition n'est qu'un aspect d'un système physico-chimique, mais pourquoi faire compliqué, alors qu'on peut simplement parler de composition ? Et si  le "profil nutritionnel" n'est pas la composition, quel est-il ? Le simple fait de poser la question montre que la métaphore engendre plus de questions qu'elle n'en résout.

Cette question des métaphores se pose constamment. J'en trouve une autre : "souligner l'importance". Souligner ? Il faudrait qu'il y ait quelque chose d'écrit... et le soulignement, alors, serait la mise en italiques. A moins que l'auteur qui utilise le mot "souligner" n'ait une idée particulière... mais laquelle ? En l'occurrence, celui qui a mal utilisé ce mot, sans le "maîtriser", voulait dire "illustrer". 

Le mot "significatif" relève d'une faute un peu différente, avec la confusion entre l'importance et la significativité statistique. Quand on parle d'une augmentation significative, surtout dans un contexte scientifique, cela signifie que l'augmentation est... significative, c'est-à-dire statistiquement avérée. Si l'on veut parler d'une forte augmentation, alors on dit "une forte augmentation"... mais d'ailleurs, il vaut mieux dire de combien cette augmentation est forte car on se souvient que les adjectifs et les adverbes doivent souvent être éliminés et remplacé par la réponse à la question "combien ?", bien plus précise que les vague adjectifs  du langage courant. Combien, combien, combien  ? Voilà la question qui est posée en sciences (de la nature). 

Évidemment, je vois bien d'autres erreurs dans les textes qui me sont soumis, mais je les discuterai une autre fois, voulant me concentrer ici sur cette question des métaphores. En science, elles doivent être absolument maîtrisées.

dimanche 12 janvier 2025

Quelles influences ?

Un correspondant évoque avec moi le physicien Jacques Friedel, avec qui j'ai échangé régulièrement de très longues lettres. Il me conseillait de suivre plutôt Pierre-Gilles de Gennes que Jean-Marie Lehn pour mes travaux,  et je lui répondais que je préférai suivre Hervé This. Il y avait évidemment là de la boutade, car  les matières alimentaires sont effectivement, le plus souvent, de la matière molle, et que les transformations imposent à la fois des études de chimie moléculaire et de chimie supramoléculaire, champ largement exploré par Jean-Marie Lehn. 

Cela étant, je n'oublie pas non plus mon vieil ami Pierre potier, qui m'avait fait bien comprendre toute l'intelligence de la déclaration de Théodosius Dhobzansky,  selon lequel " tout ce qui relève du vivant doit s'interpréter en terme de biologie de l'évolution". 

Car nos aliments ne sont pas des systèmes physico-chimiques isolés, mais des systèmes physico-chimiques souvent à base de tissus végétaux ou animaux, et qui, de surcroît, doivent interagir avec l'organisme humain. 

Il y a donc tout un faisceau d'idées intelligentes à mettre en œuvre quand on fait cette exploration scientifique du monde  qu'est la gastronomie moléculaire.
Et les influences sont innombrables, épistémologiques ou scientifiques. 

Epistémologique, car il ne faut pas se tromper de combat : la science n'est pas la technologie, et il y a donc lieu de bien comprendre ce que l'on fait, ce que l'on cherche, ce que l'on étudie, ce que l'on aspire à produire...
Au fond, cette discussion épistémologique a été fondatrice puisque nous avons créé avec Nicolas Kurti la gastronomie moléculaire précisément quand nous avons observé que ce qui était nommé "science des aliments" était en réalité une chimie des ingrédients culinaires, ou une caractérisation, par exemple rhéologique, ou une technologie focalisée sur l'étude des procédés industriels.

 Je répète, à titre d'exemple, un point parmi mille, que le célèbre livre Food Chemistry, utilisé par toute la communauté, lourd de 1000 pages, ne dit rien de la cuisson du vin, alors que cela se produit pour 47 % des sauces classiques françaises. 

Il y a donc beaucoup de nouveaux à explorer si l'on considère les transformations culinaires,  sans tenir compte des préoccupations industrielles.

samedi 11 janvier 2025

Pour apprendre, nous avons besoin de structure, de structurer. Quand nous enseignons, également, nous aidons nos amis en structurant.

Comparons l'enseignement supérieur avec l'apprentissage du piano : on peut pas tout apprendre à la fois et l'on est sans doute mieux avisé d'apprendre d'abord la main gauche, puis la main droite, puis les deux mains ensembles.
De même, si nous apprenons à nager le crawl, il y a lieu d'apprendre d'abord le mouvement des bras, avant d'ajouter celui des pieds. 

Pensons à du 1, puis du 1 + 2, puis du 1 + 2 + 3, et cetera.
Evidemment, l'ordre des 1, 2, 3 est important et j'aurais tendance à penser provisoirement qu'il faut apprendre le gros avant d'apprendre le détail. 

Au fond, cela ne vaut-il pas également pour l'apprentissage de la chimie ? et de la physique ? des mathématiques ?
Pour ces matières, on est parfois invité à "suivre le cours", comme si l'on nous était tiré derrière l'enseignant. 

C'est déjà une amélioration quand on nous annonce d'abord quel sera le chemin parcouru et pourquoi nous le parcourrons ainsi   : voir mes billets consacrés aux "cartes". 

Cela étant, il ne reste pas moins qu'un chemin est un chemin et que la division du chemins en étapes s'impose, pour commencer. 

Mais il faut surtout considérer que, dans nos matières scientifiques, il y a des objets de différents ordres.
Par exemple il y a des définitions :  il faut les connaître, puisque ce sont les bases que nous utiliserons constamment. Puis il y a des méthodes, des concepts, des informations... Et cela mérite d'être bien signalé, peut-être regroupé d'ailleurs. 

Quand nous étudions, si ce travail de structuration n'est pas fait, c'est donc sans doute à nous qui étudions de le faire ;  d'où le conseil donné par certains professeurs de faire des fiches, d'avoir des couleurs différentes pour des objets différents. 

Mais ne devons-nous pas, aussi, conseiller aux enseignants de faire ce travail de structuration pour aider nos amis qui apprennent ?  

On peut pas tout apprendre à la fois et tout n'est pas sur le même plan. De surcroit, il faut faire mieux que simplement annoncer le programme : pourquoi pas inviter nos amis  nous devancer, avec un contenu qui leur permet de le faire ?

vendredi 10 janvier 2025

L'effet cafétaria ? L'effet campus ? Je n'y crois guère

 Discutant avec le directeur d'un institut de recherche, nous évoquons la question du campus de Palaiseau, sur lequel sont venues s'installer plusieurs grandes écoles, à côté de l'université. 

Les bâtiments ont été construits, les routes sont devenues à peu près praticables et il n'est plus complètement impossible d'arriver jusqu'à nos laboratoire et à nos salles de cours. 

Pour autant, la question est plutôt de savoir si cela sert à quelque chose d'avoir ainsi déménagé tant de monde. 

Bien sûr, l'opération a permis de  vendre des locaux parisiens à prix d'or, mais pensons quand même à l'activité de recherche et l'enseignement supérieur : quel bénéfice ? 

Si l'on n'a fait que transposer les institutions en un lieu, alors, du point de vue de la production scientifique, c'est bien inutile. 

Si c'est pour favoriser les "collaborations", alors j'ai des doutes, parce que je sais trop bien que le prétendu "effet cafétéria" joue très peu. Quand j'étais au collège de France, je voyais les physiciens s'agréger aux physiciens, les chimiste aux chimistes, et les biologistes aux biologistes, qu'il s'agisse de prendre l'ascenseur ou d'aller à la cafétéria. 

Puis, rue Claude Bernard, j'ai vu les membres des laboratoires ne pas franchir les portes qui les séparaient des laboratoires voisins. 

Evidemment les institutions s'en émeuvent, et elles cherchent à favoriser des collaborations en leur sein, mais au fond, pourquoi ? 

Pour l'enseignement, on voit que les professeurs de laboratoire différents pourraient utilement être invités à des cursus qui ne soient pas trop focalisés, qui ouvrent l'esprit vers des objets différents, variés. 

Mais pour  la recherche ? La question est différente, car, bien souvent, nous collaborons avec des gens de l'autre bout de la terre plutôt qu'avec nos collègues proches pour la simple et bonne raison que ces collègues éloignés partagent nos goûts, nos idées, nos cultures scientifiques, et que les collaborations sont "faciles".  

En revanche, le laboratoire voisin n'est pas nécessairement de ceux qui pourront nous apporter beaucoup. Bien sûr on peut faire des efforts mais à faire des efforts, on se détourne de sa recherche et on en vient à perdre notre temps. Le faut-il vraiment ?

Annoncer la couleur / Announcing the colour

 


(see the English version after the French one)





À propos de communication : ne tirons pas nos amis derrière nous mais invitons les à nous précéder.



Je décris ici une expérience que je fais avec les étudiants pour leur expliquer le rôle d'une introduction.


Il s'agit d’abord, dans une classe, d'aller vers un étudiant en particulier, sans rien expliquer, de le prendre par le bras, sans prévenir, et le de le tirer vers un point de la pièce.

Régulièrement, vu le climat amical que je cherche à restaurer, l'étudiant qui est ainsi pris par le bras se lève et me suit, mais tout le monde dans la pièce voit bien qu'il ou elle a des hésitations, ce qui est légitime puisqu'il ou elle ne sait pas ce que nous allons faire, où nous allons.


À ce moment, je remercie l'étudiant qui s'est levé et je dis que c'est la fin de la première moitié de l'expérience. Je lui propose de se rasseoir.


J'annonce alors que nous allons faire la seconde moitié de l'expérience et je me dirige vers un autre étudiant, en expliquant bien que cela éclairera la première moitié. Cette fois-ci, je me mets plutôt derrière l’étudiant choisi, et je lui indique très clairement que c'est pour le besoin de l'expérience que je vais avoir besoin de son concours. Je m'assure extrêmement poliment qu'il ou elle accepte de participer à l'expérience en signalant bien qu'il n'y a aucun risque, aucun danger et que c'est juste une manière de faire mieux comprendre aux autres ce dont il s'agit.

Avec des « s'il vous plaît », des « accepteriez-vous », je propose à l'étudiant de se lever et d'aller vers le point de la pièce où je traînais le premier étudiant précédemment.


Et là, notre ami s'y dirige si vite que j'ai de la peine à le suivre et que je le remercie immédiatement en lui disant que l’expérience est terminée, et qu’il ou elle peut se rasseoir.


J'analyse alors l'expérience en disant que dans le premier cas, la personne ne savait pas où elle allait et qu'elle ne pouvait pas y aller de façon véritablement correcte ; en revanche dans le secon cas, puisque l'objectif était bien clair, la personne est allée rapidement, me précédant.


J'explique alors que cette expérience est une métaphore des actions de communication, écrites ou orales. Dans un texte, par exemple, il est de toute première importance d'expliquer ce qui va être présenté ; dans une présentation orale, de même.

D'où l'intérêt d'une table des matières, mais pas une liste sèche, plutôt une vraie explication.

Evidemment, il ne faut pas que l'introduction dise déjà tout, il s'agit simplement de décrire le chemin que nous allons suivre, par écrit au par oral.





Speaking of communication: let's not drag our friends behind us but invite them to precede us.



Here I describe an experiment I do with students to explain the role of an introduction.


First of all, in a class, I go up to a particular student, without explaining anything, take him by the arm, without warning, and pull him towards a point in the room.

Regularly, given the friendly atmosphere I'm trying to restore, the student who is taken by the arm in this way gets up and follows me, but everyone in the room can see that he or she is hesitating, which is legitimate because he or she doesn't know what we're going to do or where we're going.


At this point, I thank the student who has stood up and say that this is the end of the first half of the experiment. I ask him to sit back down.


I then announce that we're going to do the second half of the experiment and move towards another student, explaining that this will shed light on the first half. This time I stand behind the chosen student and make it very clear that I'm going to need his help for the experiment. I politely make sure that he or she agrees to take part in the experiment, pointing out that there is no risk, no danger, and that it's just a way of making the others understand better what it's all about.

With ‘please’ and ‘would you accept’, I suggested that the student get up and go to the part of the room where I had previously dragged the first student.


Our friend went there so quickly that I could hardly keep up and immediately thanked him or her, telling them that the experiment was over and that they could sit back down.


I then analysed the experiment, saying that in the first case, the person didn't know where they were going and couldn't really get there properly; on the other hand, in the second case, because the objective was clear, the person went quickly, preceding me.


I then explain that this experience is a metaphor for communication actions, whether written or oral. In a text, for example, it's of the utmost importance to explain what's going to be presented; in an oral presentation, likewise.

Hence the importance of a table of contents, but not a dry list, rather a real explanation.

Obviously, the introduction doesn't have to say everything, it simply has to describe the path we are going to follow, in writing or orally.


jeudi 9 janvier 2025

Etudier ? Il y a de l'intrinsèque, de l'extrinsèque, du concommitant... mais surtout de l'intrinsèque

J'ai déjà discuté la question de la division de mon propre travail selon les trois axes intrinsèque, extrinsèque, concomitant. De même, je crois que nos amis étudiants gagneraient à bien penser, leurs études de cette façon. 

La question intrinsèque des études ? C'est d'étudier, d'apprendre. Apprendre des notions théoriques, apprendre des méthodes, apprendre des informations, apprendre des valeurs, apprendre des savoir être... C'est évidemment passionnant. Tout cela est intrinsèque. 

L'extrinsèque, ce sont les notes, les appréciations, les diplômes... Bien sûr, quand on fait un travail, et qu'on veut le faire bien, il y a un certain plaisir à être reconnu pour ce travail.
Mais le travail lui-même est bien différent de sa reconnaissance et au fond, c'est le travail qui est important plus que la reconnaissance qui vient de surcroît.
D'ailleurs, à ce propos, je me souviens personnellement que, quand j'étais en classe de préparation aux concours des grandes écoles d'ingénieurs (Math Sup, Math Spé), je n'avais pas le sentiment qu'il s'agissait d'un concours mais simplement d'un travail passionnant. Et  je peux dire aujourd'hui que j'ai passé deux excellentes années à apprendre ; l'émerveillement intellectuel était à son comble, et, entièrement focalisé sur l'aspect intrinsèque de mes études, j'en ai tiré un bonheur immense. L'admission dans une merveilleuse école est venue de surcroît, naturellement en quelque sorte.

Et passons à la troisième composante des études, ce qui est la composante concommitante, c'est-à-dire la position dans le monde,  la reconnaissance de notre entourage, de notre famille... Là, je suis assez mal placé pour en parler car je suis trop insensible à cet aspect mais je compte sur mes amis pour m'expliquer les choses et développer ultérieurement cette composante.

On a compris que c'est évidemment la composante intrinsèque qui m'anime : c'est un peu asocial, d'être ainsi focalisé (sur la recherche scientifique), mais est-il vraiment nécessaire de détourner plus de temps que je ne le fais à mes propres études ?

Quel rapport choisir ?

 Bien sûr, on peut vivre comme l'oiseau sur la branche, comme la girouette au gré du vent, mais on peut aussi décider un peu de son destin, n'est-ce pas ?  Une des difficultés des étudiants, c'est le partage entre les études et la socialisation... Mais n'est-ce pas aussi une des difficultés de nos collègues ? 

On voit les étudiants se préoccuper des soirées, du bar des élèves, d'activités variées qui n'ont rien à voir avec la chimie, les mathématiques, la physique ou  la biologie... Evidemment  ces activités de "socialisation" prennent du temps sur les études, qui sont la véritable raison de leur présence à l'université. Combien de temps consacrer à tout cela, sachant que c'est du temps pris sur les études ? 

A une question aussi difficile, il vaut mieux répondre par une boutade :  Alphonse Allais, qui écrivait dans les cafés, disait "Je hais la vie de brasserie car elle nuit à la prière et l'étude". 

Cela étant, on aura intérêt d'observer qu'une question analogue se pose à nos collègues qui enchaînent les réunions, se plaignant que cela prend du temps sur la recherche, mais ne cherchant guère à y échapper. 

Ils se retrouvent  dans des salles, et pas toujours avec une efficacité parfaite au sens d'une activité personnelle qu'ils auraient pendant la totalité du temps de la réunion. 

Cela n'est pas une critique mais une observation et il s'ensuit que sous une forme différente, se pose la même question de savoir comment répartir le temps entre les réunions et les travaux personnels. 

Je n'ai pas de solution pour mes amis, et à peine pour moi : cela fait bien longtemps que j'ai sabré dans les réunions et que seule mon activité de production scientifique m'intéresse. 

Mille feuilles, vraiment ?

 
Alors que l'on célèbre l'Epiphanie (pour les Chrétiens, l'apparition de Dieu par les rois mages), on mange de la galette, laquelle est un cousin du gâteau mille-feuille. 

Ce gâteau comporte-t-il vraiment mille feuilles ?  Quand on fait un feuilletage, on part d'une couche de beurre  dans une enveloppe de pâte :  cela fait donc deux couches de pâte.  seulement. Si l'on étend, puis que l'on replie en trois, alors on obtient trois couches de beurre et 4 couches de pâtes. Et on fait cet étalement/repliement six fois au total, de sorte que l'on calcule 3, puis 9, puis 27, puis 81, puis 243, puis 729 couches de beurre, et donc 730 couches de pâte. 

Avec  deux pâtons  de ce type superposés, alors on dépasse largement les mille feuilles. Le nom n'est donc pas usurpé.

mercredi 8 janvier 2025

Les dormeurs

Professeur de piano et de composition, de musique en un mot, Nadia Boulanger, qui fut mondialement célèbre en son temps, recevait des musiciens parmi les meilleurs du monde dans ses cours public et elle avait une idée très haute de sa responsabilité de professeur. 

Ses entretiens avec Bruno Monsaingeon montrent qu'elle faisait une véritable différence entre des musiciens de génie comme Stravinsky et d'autres, qui ne déméritaient pas, mais qui n'avaient pas de  feu, de puissance créatrice, de style...

Elle utilise le mot de "dormeur" pour désigner ces personnes qui ne sont pas enflammés. Elle ne les critique pas mais elle les juge quand même. Par ces temps politiquement corrects, je ne suis pas sûr qu'elle emporterait l'adhésion de tous avec sa classification. 

D'ailleurs, personnellement, je ne pense pas que l'on puisse ainsi classer les étudiants selon un axe unique car comme disait Confucius,  l'homme n'est pas un ustensile, il n'a pas une seule dimension mais de nombreuses. 

Tel étudiant qui manie bien les équations ne sera peut-être pas celui qui comprendra le mieux les concepts. D'ailleurs, depuis plusieurs années, je m'étonne que les étudiants qui me semblent les plus brillants ne soient pas nécessairement ceux qui ont les meilleures notes quand une évaluation est proposée. C'est pour moi une énigme, parce que je trouve cela en quelque sorte injuste que les plus attentifs ne soient pas les meilleurs. 

Mais c'est là une grande naïveté de ma part et puisque les faits sont les faits, je dois en tenir compte plutôt que de vouloir imposer mes propres idées fausses.

mardi 7 janvier 2025

L'attention

 

Lisant les interviews de Nadia Boulanger par Bruno Monsaingeon, je trouve une foule d'idées intéressantes. Par exemple, apparemment, la mère de la professeur de piano et de composition avait inculqué à ses filles que tout était dans l'attention : on n'existe que si l'on est attentif, selon elle. 

Pour l'enseignement supérieur, la question est essentielle :  bien souvent, les erreurs des étudiants découlent d'une attention insuffisante. Il faut une attention à tout, aux concepts, aux détails. Notamment en sciences tout compte. Dans une formule, un seul signe erroné et tout s'effondre. 

C'est l'occasion ici de redire que j'ai eu le bonheur de voir le cahier de laboratoire du physicien Pierre Gilles de Gennes, prix Nobel de physique en 1991, et il m'avait  émerveillé tant il était précis, soigneux. Manifestement, il y avait la plus grande attention portée à tout ce qui était écrit. La calligraphie,  au fond, était un révélateur de cette attention extrême, de cette focalisation sur l'objet. 

Oui, il faut être attentif . Je ne vais pas virer vieux con qui dénonce des écrans, les moyens modernes de communication, mais il est vrai que quand je veux me concentrer, j'évite que des alertes électroniques ne me sollicitent toutes les secondes, que des images mobiles ne captent mon regard. Quand je fais une expérience, je nettoie par avance la paillasse, pour n'y laisser, de façon organisée, structurée, planifiée, que les  objets importants que j'utiliserai. 

Et je me rends disponible, attentif, car la nature interrogée a beaucoup à dire.



lundi 6 janvier 2025

Blaise Pascal, Montaigne, et l'amidon

Amusant de savoir que Blaise Pascal était si farouchement opposé à Montaigne, parce que ce dernier faisait état de ses doutes, réservait prudemment son jugement. 

La même position de retrait a valu à Socrate d'être condamné à boire la cigüe : il doutait, et, pis encore, il faisait douter, il montrait les contradictions, empêchant ses interlocuteurs de se reposer sur des certitudes (la foie de Pascal). 

 

Et l'on a la même chose en science,  où certains veulent savoir... ou,  plus exactement , ne veulent pas ne pas savoir :  la différence est essentielle, car tout scientifique veut savoir, bien sûr, et c'est pour cette raison qu'il ou elle explore. Mais les bons scientifiques savent qu'il y a des limites à leur recherche et ils éviteront de tomber dans des théories provisoires par principe ! 

En science des aliments, j'ai encore récemment vu ce besoin de certitudes à propos de l'hydratation de l'amidon. Interrogeant des collègues, à propos de l'hydratation éventuelle des grains d'amidon dans l'eau froide, j'ai eu des réponses parfaitement tranchées et donc parfaitement idiotes : l'amidon se serait empesé. 

En réalité, l'empesage, qui correspond au gonflement des grains, par introduction de l'eau entre les molécules d'amylopectine, a lieu à chaud, mais pas à froid. 

A froid, de la fécule dans de l'eau ne se dissout pas, et l'eau reste claire. En revanche,  si l'on met de la semoule avec de l'eau alors on voit que celle-ci gonfle, absorbe l'eau. Que s'est-il passé ? On n'en sais rien et c'est cela qui est merveilleux...  pour certains, car pour les autres c'est désastreux c'est intolérable c'est impossible.

samedi 4 janvier 2025

Vite, mais bien

Je maintiens que l'optimisme est une gentillesse que nous faisons à nos amis, et une politesse que nous faisons à tous. 

vendredi 3 janvier 2025

Si on a raté le foie gras chantilly :

 

Il y a trois façons de rater le foie gras chantilly... mais on peut toujours le récupérer :
1. si c'est trop dur : on le fond à nouveau, on ajoute un peu de liquide, et on recommence à fouetter sur glace (ou dans l'eau froide, ça suffit)
2. si c'est trop liquide et que ça ne prend pas : on refond en ajoutant un peu de foie gras supplémentaire, et on bat à nouveau
3. si on avait trop battu et que ça a grainé : on refond et on bat à nouveau
bonne année !