jeudi 31 août 2023

Situons-nous

 

Lundi dernier, à Strasbourg, devant une assemblée de chimistes éminents, j'ai à nouveau bien précisé les contours de la gastronomie moléculaire et physique, discipline scientifique qui ne peut pas se confondre avec ses applications.
J'ai bien expliqué aussi, je crois, que je ne méprise pas les applications, bien au contraire mais que je fais une différence claire (pour moi, en tout cas, mais je suis prêt à discuter, sur des cas précis), entre les travaux scientifiques et les travaux technologiques (d'ailleurs, je distingue également bien la technique et la technologie, mais c'est une autre affaire).

Pourquoi mon insistance ? C'est une question de pensée claire : plus j'y regarde, plus je suis convaincu qu'on a intérêt à ne pas tout mélanger.
Et quand on me critique dans mes volonté de catégoriser, d'une part je n'oublie pas qu'il y a des gris entre le blanc et le noir, mais, d'autre part, je n'oublie quand même pas de penser que le gris ne se définit que par le blanc et le noir. D'un côté il y a le blanc et de l'autre le noir ; les gris sont au milieu, et on peut donc les situer.

Et pour ce qui me concerne, j'aime bien me situer par rapport à deux pôles... quand il n'y a qu'une dimension bien sûr, car, autrement, par exemple avec deux dimensions, alors il faut se situer comme un point dans un plan.

Mais là encore, pourquoi ne pas se situer ?  Pourquoi ne pas identifier des régions même si leurs frontières sont floues ou un peu mobiles ?

Plus généralement, j'aime bien savoir où je suis et ce que je fais, où je vais en quelque sorte. Je ne m'interdis pas de me promener, mais si je ne veux pas finir perdu, égaré, il vaut mieux que je conserve un œil sur la carte. Je ne suis pas la carte, mais elle me repère.
Et cela, pour la technologie, pour la technique, pour la science surtout, me paraît indispensable.

Au fond, il y a cette question fondamentale du "de quoi s'agit-il ?", dont un avatar est  "quel est l'objectif ?".


Le public n'a pas peur de la chimie : il ne la comprend pas.

 En ces temps politiquement corrects, commençons par une précaution : j'ai bien du mal à reprocher aux autres leurs ignorances (observez le pluriel, svp), puis je suis moi-même très ignorant. 

Cela étant, on nous dit que le public a peur de la chimie, et c'est un fait que les marchands de peur utilisent cette peur, ou prétendue peur, à leur avantage. Toutefois, le public a peur de la chimie ? 

 

Deux événements récents conduisent à nous interroger. 

 

Premier épisode, lors du Salon de l'agriculture : à la fin de ma présentation de la cuisine note à note, où j'ai fait goûter divers produits (observez le mot, svp), un petit boucher nivernais vient me voir et me demande si les produits que j'ai présentés sont « chimiques ». 

Je lui explique que le terme est ambigu (en général, pas en réalité), et qu'il y a des composés extraits de produits « naturels » (pour faire simple!), tel le saccharose extrait des betteraves, et des produits synthétisés. 

Synthétisés, demande-t-il ? Cherchant un exemple simple, je lui raconte qu'à l'âge de six ans, j'avais mis deux fils reliés une pile dans un verre d'eau afin de produire deux gaz, et de décomposer l'eau. 

Décomposer l'eau ? Oui décomposer l'eau : un après un certain temps, le verre est vide, l'eau a disparu, et l'on a rempli des bonbonnes de gaz que l'on nomme hydrogène et oxygène. Décomposer de l'eau : notre homme n'en revient pas. 

Profitant de son étonnement, je lui dit qu'il est également extrêmement facile de synthétiser de l'eau. Synthétiser de l'eau ? Oui, synthétiser de long, c'est-à-dire la fabriquer. Non pas par une simple condensation de vapeur, mais bien plutôt par la réorganisation de réactifs pour obtenir un produit, littéralement chimique, qui est l'eau. De l'eau en tous points indiscernables de l'eau d'eau du ciel. 

Et notre homme de s'éclairer, et de répéter, émerveillé : « Vous synthétisez de l'eau ! Vous synthétisez de l'eau ! Oui, vraiment, vous avez un beau métier ! ». 

Autrement dit, cet homme n'avait pas peur de la chimie, mais il ignorait tout de cette activité pourtant ancienne. 

 

Second épisode, plus récent encore. Ayant observé qu'en faculté de droit, nos amis juristes n'avaient pas des idées bien claires sur la différence entre un composé et une molécule (par pitié, rappelez vous ma remarque introductive), sachant que le milieu culinaire a le plus grand mal avec la notion de composé, j'enregistrais un podcast pour donner des explications. Des explications simples, à l'aide de balles diversement colorées. J'avais presque honte de délivrer des notions aussi simples (pour un physico-chimiste), mais un vague sentiment que cela devait être fait. Le résultat a été au delà de tous les espoirs... avec des emails de félicitations, de remerciements. 

Comprenons bien que je ne suis pas en train de me taper sur la poitrine, mais simplement d'observer que le public... ne comprend rien à la chimie, ne la connaît pas, et ne refuse pas de la connaître, est reconnaissant quand on lui explique. La conclusion générale de tout cela, c'est que nous nous trompons si nous acceptons l'idée que le public a peur de la chimie. Il n'a pas peur, mais il ignore tout d'un des transformations que certains savent faire. 

 

Généralisons un peu : puisque le public ignore la chimie, comment voulez-vous qu'il sache ce qu'est un OGM ? L'ADN ? La radioactivité ? De ce fait, il est facile, trop facile, d'utiliser cette ignorance pour manipuler des opinions. D'ailleurs, il est probable que cette manipulation se fasse par des personnes qui ignorent également la chimie, et qui sont seulement plus craintifs que les autres... mais c'est là une interprétation charitable, et l'on peut aussi imaginer que les marchands de peur, donc agissant à des fins commerciales, ou des gens de pouvoir, ayant volonté d'orienter les réactions du public à leur guise, se livrent à des manipulations à leur profit. Il y a donc urgence. 

Urgence à ne plus croire fautivement que le fait de vivre au XXIe siècle puisse éviter la présentation de notions élaborées au cours des siècles. Il y a une nécessité urgente d'un d'expliquer la chimie, la biologie, la physique, les sciences de la nature en général. Militons, expliquons !

Que le contribuable se rassure

 Ce matin, alors que je faisais visiter notre laboratoire à des visiteurs, je me suis souvenu d'une visite que j'avais faite un jour, dans un autre laboratoire : il me semblait vide, et j'avais l'impression qu'il y avait une pléthore de matériel inutilisé, qui coûtait cher à l'Etat. 

Erreur... mais erreur qu'il faut corriger. 

Tout d'abord, il serait dangereux que des chimistes travaillent de façon confinée : un coude qui cogne un produit dangereux, et il peut y avoir un accident. Une concentration en solvant trop importante, et tout le monde tombe malade. Il faut de l'espace. 

D'autre part, l'exercice de la science demande des instruments, petits ou gros, qui vont du simple thermocouple (un thermomètre amélioré) au cyclotron. 

Bien à sûr, chacun ne peut avoir un cyclotron à soi, mais c'est un cas particulier. Pour des équipements tels que les chromatographes, on est vite toute la journée sur un appareil, ce qui signifie qu'une équipe de 20 personnes doit avoir environ une vingtaine de ces équipements, sous peine de ne pouvoir travailler. Divisons par deux, et le compte reste bon. 

Bref, il faut du matériel et de l'espace... sans que nous ne gaspillions l'argent de l'Etat !

mercredi 30 août 2023

Pourquoi nous n'avons pas besoin de recette : le pâté d'oie brioché

Évidemment, avec le titre de ce billet,  j'exagère un peu,  mais quand même, il y a une idée derrière la provocation, à savoir que l'on cuisine toujours mieux quand les recettes sont réfléchies.
Commençons donc par ce pâté d'oie brioché, un pâté lorrain dont la recettes est quasiment inconnue. La seule chose qu'on ait tiré d'une vieille cuisinière lorraine, c'est qu'il fallait faire une pâte à brioche, déposer de la chair de porc et de veau un peu marinée, et mettre par-dessus des lanières de chair d'oie préalablement rôtie.

C'est là, en gros,  la définition du plat, et non pas la recette. Mais  je veux montrer ici que l'on n'a pas besoin de plus pour faire quelque chose de très bien : je l'ai testé !

Commençons par broyer de la viande de porc et de veau  :  on prendra évidemment des viandes saines, mais peu coûteuses, car leur consistance sera détruite au broyage.
On les mettra à mariner et là, avec le vin, on pourra penser à des assaisonnements, car il est vrai que la vieille cuisinière lorraine disait "Plus il y a d'épices mieux c'est".
Pour les épices et assaisonnements, on utilise classiquement  du sel et du poivre, du gingembre, de la noix muscade, du clou de girofle et un soupçon de cannelle, plus des oignons, de l'ail et du persil.
Si les oignons sont crus à l'intérieur du pâté, ils cuiront difficilement et on aura donc intérêt -c'est tout à fait logique-  à faire revenir les oignons préalablement, avec l'ail et le persil, dans un peu de corps gras, telle de l'huile. Cela sera ajouté à la farce, et lui donnera du moelleux, en plus de lui donner du goût.
Le sel ? Il n'en faut pas trop, mais plus si le pâté est prévu pour un plat froid.
Le poivre ? Le cuisinier Emile Jung préconisait une partie de violence pour 3 parties de force et 9 parties de douceur.
La noix muscade ? Elle est toxique, de sorte qu'il n'en faut pas plus qu'une pincée.
La cannelle ? Elle est très puissante, de sorte qu'il faut vraiment très très peu, une pincée aussi.
Le gingembre ? Allons-y.
Moi j'ajouterais aussi du paprika et du piment de Cayenne.
Le persil viendrait en abondance, et je le mettrai ciselé dans la casserole où je ferais revenir les oignons et l'ail.
Ainsi, la farce est faite.

Il y a donc maintenant à se préoccuper de l'oie : dans mes essais, j'ai pris du poulet, et même plus exactement des cuisses de poulet puisque je n'avais que ça. Je les ai fait revenir, brunir, mais pas cuire  : pour que cela ait du goût mais que la chair puisse cuire sans sécher lors de la cuisson du pâté.

Et maintenant la pâte à brioche. La pâte à brioche c'est une pâte ferme fermentée, avec de la farine, de l'œuf et du beurre.
Personnellement je commence toujours par réveiller ma levure en la mettant dans une tasse à café de lait avec un peu de sel, un peu de sucre et un peu de farine. Je pose mon saladier au-dessus d'une casserole d'eau et je  porte à ébullition, mais une seconde seulement car il ne faut pas tuer les levures ! Quand je vois des bulles apparaître dans le mélange, alors j'ajoute la farine, par exemple 200 g, du sel pour saler, du sucre, et j'ajoute j'ajuste la consistance avec des œufs entiers. Il faut obtenir une pâte ferme mais molle.
Quand j'ai obtenu cette consistance alors j'ajoute le beurre, et comme disait la vieille paysanne Lorraine, plus il y en a, meilleur c'est. Je mets alors cette préparation très vigoureusement travaillée à fermenter, couverte d'un torchon, et cela pendant quelques heures.
J'insiste sur le travail : j'ai observé que si l'on ajoute le beurre par petits morceaux que l'on travaille beaucoup, alors la pâte a cette consistance merveilleuse de brioche qu'elle n'a pas si on ne travaille pas ; je ne crois pas que le fait d'ajouter le beurre en petits morceaux y soit pour quelque chose et je crois que c'est plutôt le travail qui compte.
Quand j'ai ma première fermentation, alors je prends la pâte et je la mets dans un moule allongé ; je couvre à nouveau et je laisse gonfler.
Quand c'est bien gonflé, bien fermenté, alors je peux déposer au centre la farce, et la volaille coupée en lanière par-dessus. Cette masse va s'enfoncer un peu dans la brioche qui va se refermer par-dessus.
Il restera la cuisson qui se fait classiquement pendant environ une heure à 170 à 180 degrés.
On peut servir ce pâté brioché chaud ou froid, lui faire une sauce  ou non, mais, en tout cas, je peux témoigner qu'il est absolument merveilleux.

Analysons maintenant la question : fallait-il vraiment une recette ? En réalité la recette tiens dans le fait qu'on ait des lanières de volaille sur une farce et dans une brioche. Le reste peut se déduire facilement.
Les proportions pour la pâte à brioche ? J'ai expliqué comment les régler, de sorte que là encore, on n'a pas besoin de grammage.
Les proportions de veau et de porc dans la farce ? Là, on fait vraiment ce qu'on veut !
Les quantités d'oignons, d'ail, et cetera ? Là encore, on y met le goût que l'on veut et, de toute façon, on ne pourra pas confronter le résultat à une sorte d'étalon puisque ce pâté d'oie est oublié en Lorraine depuis plusieurs décennies. Régalez-vous !

Le mot espuma est inutile, en français

 Espumas ? Le mot traîne dans les cuisines, pour désigner des mousses. A quoi bon ? 

Le mot "mousse" existe depuis longtemps, en français, ainsi que le mot "écume", dont voici la définition :

Amas de mousse d'apparence blanchâtre plus ou moins impur, qui se forme à la surface d'un liquide agité, chauffé ou en fermentation.

 Pas très appétissant, donc. Le blanc d'oeuf battu en neige ? Une mousse, pas une écume, puisque que ce n'est pas "un amas de mousse d'apparence blanchâtre plus ou moins impur". 

La question est surtout : pourquoi certains cuisiniers se laissent-ils aller à utiliser les termes "écume" ou "espuma" ?  

Du snobisme, pour "jouer à Ferran Adria", pour faire "moléculaire", moderne ? 

De l'ignorance de la langue française ? 

De la routine, parce qu'ils ont été entraînés par des journalistes qui n'ont pas bien fait leur travail ? 

De la négligence ? 

Merci de m'aider à comprendre ! Je sais que, depuis 1901, une partie de l'Education nationale confond fautivement les mousses et les émulsions ; je sais que certains cuisiniers croient que ce qui sort d'un siphon est une émulsion ; je sais que, dans certains cas (la crème chantilly, par exemple), les produits sont à la fois émulsionnés et foisonnés ; mais je sais aussi que notre mauvaise foi naturelle (le propre de l'être humain) nous pousse à croire que la mayonnaise monte parce que l'on y incorporerait de l'air, qu'elle serait foisonnée, ce qui est absolument faux. 

Je sais que... je ne comprends pas pourquoi certains cuisiniers français utilisent le mot "espuma", fautivement. Aidez-moi à rectifier ! Militons activement !

mardi 29 août 2023

Assez de ce terrorisme anti-technologique

 
 Alors que je me prépare à créer un nouveau site, où seront présentées des activités de gastronomie moléculaire, j'avais dans l'idée de faire une "déclaration d'intérêts", notamment parce que, récemment, des journalistes malhonnêtes me faisaient implicitement reproche de "collaborer" avec l'industrie alimentaire. 

Bref, j'avais colligé une liste (incomplète...  parce que je n'ai pas tout comptabilisé) de sociétés avec lesquelles notre laboratoire avait travaillé. Non pas que j'ai reçu de l'argent à titre personnel, mais parce que ces sociétés ont payé les stages d'étudiants, les thèses de doctorants, etc. 

Toutefois la liste est donc incomplète, tout d'abord, et, d'autre part, elle l'est nécessairement, parce que je me demande bien ce qu'est l' "industrie alimentaire" : un cuisinier qui dirige plusieurs restaurants, et a donc plus de 20 employés, est-il plus ou moins industriel qu'un industriel qui a une toute petite usine ? A partir de quand commence l'industrie ? 

Si l'on considère que cela commence dès le stade de la société avec un employé ou plus, alors la majorité des cuisiniers travaillent dans "l'industrie alimentaire" ! Et, alors, le nombre de "sociétés avec lesquelles j'ai travaillé est gigantesque... puisque notre travail a été distribué à tous les cuisiniers de France. 

 

Bref, la question est mal posée.

 

Et, surtout, la question est idiote : au fond, pourquoi avoir honte de travailler avec l'industrie ? Après tout, le fait que l'industrie s'intéresse à nos travaux n'est-il pas la preuve que nos travaux ont un intérêt ? 

Je crois qu'il faut promouvoir vigoureusement, énergétiquement, l'idée qu'un scientifique qui n'a pas d'intérêts déclarés n'a pas la compétence pour être un expert. 

Je rappelle aussi que la science est payée par les contribuables, et que les scientifiques ne sont pas de purs esprits dans un monde immatériel. Ce type de déclaration ne veut pas promouvoir la malhonnêteté, bien au contraire, mais j'en arrive au point essentiel de ce billet : je vais finalement faire une liste de sociétés avec lesquelles notre laboratoire a travaillé... parce que, agent de l'Etat français, fier de l'être, je veux pouvoir montrer à mes concitoyens que nos travaux sont utiles à la collectivité. 

Là, je renvoie à des discussions que j'ai eues publiquement à propos de la science et de la technologie : je ne crois pas que la technologie soit la seule "utilité" des sciences de la nature, mais c'en est une. Vive la technologie, même si ce n'est pas mon activité personnelle (moi, c'est la recherche scientifique) !

lundi 28 août 2023

Très encourageant

Cela dépasse mes espoirs les plus grands ! Il y a quelques jours, j'envoyais urbi et orbi (pardon pour la référence sous jacente) le message suivant : 

Chers Amis
Souvent nos concitoyens (et nous mêmes) ne savent pas exactement la différence  entre une molécule, un composé, un composé chimique, un produit chimique, un produit de synthèse...
J'ai donc expliqué la chose : http://www.dailymotion.com/video/x1r1o5y_qu-est-ce-qu-un-compose_school

 Je savais que ce savoir aurait quelque utilité, mais je reçois aujourd'hui de nombreux messages, tous de la même veine : 

je viens tout juste de voir ta video, et franchement plus que passionnant
un grand merci....

 

On se tromperait si l'on interprétait en termes de prétention l'affichage de ce message sur ce blog. Il s'agit seulement de faire état d'un fait, en vue d'en tirer les conséquences : l'échange précédent est seulement la preuve que le public ignore la chimie, et ne la déteste pas ! 

Nous faisons fausse route, en conséquence, si nous croyons que des idées politiques, par exemple, sous tendent des réactions de la population contre la chimie. Et nous ne faisons pas notre travail si nous omettons de donner des éclaircissements.

Il nous faut donc maintenant nous retrousser les manches. A propos de molécules, mais aussi à propos d'ADN, à propos d'atome...

dimanche 27 août 2023

Les fruits sont-ils naturels ?

 
 Dans la grande discussion des aliments prétendument naturels, il y a la question des fruits : sont-ils naturels ? 

Je signale à  mes amis l'excellent http://www.pourlascience.fr/ewb_pages/a/article-les-peregrinations-du-pommier-domestique-32854.php, article qui vient de paraître, dans le numéro de mai de Pour la Science : l'évolution du pommier, depuis qu'il est rapporté d'Asie. 

Manifestement les pommes, en tout cas, ne sont pas naturelles !

samedi 26 août 2023

Science et cuisine font-ils bon ménage ? Non, impossible !


 Ce matin, je reçois un commentaire amical, qui mérite une réponse. C'est le suivant :

Science et cuisine font-ils bon ménage? On peut être un bon cuisinier et utiliser de mauvais aliments... La cuisine n'est pas une science exacte!

 

Expliquons le titre de ce billet, en commençant par supposer (hypothèse) que mon interlocuteur sous-entend "science de la nature", quand il écrit "science".
Je répète  que, il y a quelques décennies, on parlait de "science du cordonnier", ce qui ne désignait pas une science physique, de la nature, mais un savoir particulier. 

Science de la nature et cuisine font-ils bon ménage ? Non. Et, plus précisément, la réponse est non, mais pour une raison simple : la science de la nature et la cuisine ne peuvent pas faire bon ménage, parce  qu'ils n'ont rien en commun. 

 

Expliquons : la science cherche les mécanismes des phénomènes, et ces phénomènes peuvent être ceux qui surviennent lors des opérations culinaires, mais la science de la nature n'a qu'indifférence pour la cuisine, puisque, une fois le phénomène identifié, elle travaillera en vue de chercher les mécanismes, qui sont en réalité, le plus souvent, de la chimie physique.
Ajoutons que la cuisine, de son côté, n'a que faire de la science de la nature : en quoi ses équations permettront-elles de faire mieux les mets ? 

Concluons : science de la nature et cuisine ne font pas bon ménage, parce qu'elles s'ignorent. Ce sont des champs disciplinaires qui n'ont en commun que ces phénomènes qui ont lieu lors des opérations culinaires. 

Peut-on, ensuite, être un bon cuisinier et utiliser de mauvais aliments ? On va dire que je pinaille, mais j'ai expliqué dans un autre billet pourquoi, au contraire, un peu de précision est importante. Pour en arriver au fait, un cuisinier n'utilise pas des aliments : il les produit. 

Cela étant dit, je suppose (hypothèse) que mon interlocuteur voulait demander si l'on pouvait utiliser de mauvais ingrédients ? Il fut alors s'interroger sur ce qu'est un mauvais ingrédient. Si c'est un ingrédient empoisonné, alors la réponse s'impose, bien évidemment. Si c'est une asperge fibreuse, par exemple, ou une viande dure, la question devient bien plus intéressante. La viande dure ? Lors d'un braisage, elle fera un goût bien plus puissant qu'une viande à griller... de sorte que la viande dure n'est pas bonne à griller, mais bonne à braiser. Bref, elle est appropriée à son usage. Pour une asperge ? Il sera plus difficile de trouver une utilisation, mais si l'on cherche bien ? 

Bref, je vous renvoie sur notre débat, podcasté sur le site d'AgroParisTech : qu'est-ce qu'un bon produit ? 

 

Reste à savoir si la cuisine est ou non une science exacte. J'ai tout dit dans mon livre "La cuisine, c'est d'abord de l'amour, ensuite de l'art, enfin de la technique" (Editions O.Jacob).

Vous avez parlé de "charges électriques" : mais de quoi s'agit-il ?



Un pâtissier réagit au podcast que j'ai fait pour l'Académie d'agriculture de France  à propos d'émulsions et d'émulsification :
https://www.youtube.com/watch?v=ANpn7ybeyWE

Ce correspondant me dit qu'il a bien compris ce qu'est l'émulsion, mais qu'il n'a pas compris ce qu'est une charge électrique, ce dont je parle en passant, rapidement, lors du podcast. Et il est vrai que je n'ai pas tellement expliqué cela.

Une charge électrique ? Pour l'expliquer, rien ne vaut l'expérience qui consiste à frotter une règle en plastique contre la manche d'un vêtement, puis à approcher la règle d'un petit morceau de papier posé sur une table : on voit le papier attiré par la règle.

Pourquoi est-il attiré ? S'il se soulève, c'est qu'il y a nécessairement une force qui le tire vers le haut. Mettons nous plusieurs en arrière : décidons de nommer cette force  "une force électrique".
Et ajoutons que, au Palais de la découverte, il y a cette même expérience de la règle, mais avec des forces électriques très fortes : et c'est ainsi que l'on soulève de gros plateaux métalliques, que l'on crée des étincelles, comme de la foudre, que l'on fait se dresser les cheveux sur la tête... Tout cela fut exploré après le 17e siècle.  

Grâce aux études des physiciens, on comprend aujourd'hui que frotter la règle contre la manche arrache de petits objets (pensons à des boules, pour simplifier) que l'on nomme des électrons. Et quand il y a une "décharge électrique", c'est que de nombreux électrons passent d'un corps à un autre : par exemple, des nuages et un paratonnerre.

Il faut ajouter que, dans les corps matériels, qu'il s'agisse d'une règle ou d'un atome, il y a un équilibre (rien ne se passe) quand il y a autant d'électrons (on dit qu'ils sont chargés négativement, avec une quantité de charge électrique égale à un pour un électron) que de charges électriques positives, nommées protons.

Quand on frotte une règle, on arrache des électrons à la règle, pour les faire aller sur le vêtement.
Et les électrons sont toujours attirés par des corps qui manquent d'électrons pour être neutres (autant d'électrons que de protons). Et c'est ainsi qu'une pile est un système qui a deux pôles : un pôle où il y a des électrons en trop, et un pôle où il y a des électrons en mains. Si on relie le pôle avec des extrémités en plus à l'autre pôle, par un fil métallique, alors un "courant électrique" circule dans le fil métallique, ce qui signifie que des électrons parcourent le fil, d'un pôle à l'autre.

L'électricité, le courant électrique qui passe dans les fils qui alimentent nos lampe nos ordinateurs, et cetera c'est la même chose sauf que au lieu de se propager dans l'air, on conduit cette électricité dans des câbles métalliques.

Et ainsi, on sait que l'électricité n'est pas un fluide continu comme l'eau, qui coulerait dans un tuyau, même si la comparaison peut-être utilisée, mais est plutôt faite de petits grains que sont les électrons.

Il y a cela des phénomènes électriques (des échanges d'électrons), dans une foule de phénomènes quotidiens. Par exemple, un cristal de sel est fait de deux sortes d'atomes alternés, empilés régulièrement comme des cubes, à savoir des atomes de chlore et de sodium. Mais ces atomes de chlore et de sodium se sont échangés un électron, à savoir que les atomes de sodium ont perdu tous un électrons, et que les atomes de chlore ont tous gagné un électron. Et de ce fait, les atomes de chlore et de sodium s'attirent, tout comme le papier était attiré par la règle.

Un merveilleux chapitre de la physique !

Plus sur la densité des sirops

 
Alors que je présentais la découverte que j'avais faite il y a quelques décennies déjà, pour bien doser les sirops où l'on conserve les fruits : https://hervethis.blogspot.com/2023/08/des-fruits-au-sirop.html

un pâtissier m'écrit :

Cher Monsieur THIS
A qui le dites-vous ?
Je me bagarre en vain , les enseignants et nos apprenants sont encore au degrés baumé
Ils n’imaginent même pas se passer du pèse sirop…
Aucune notion de « densité » n’est enseigné aux CAP pâtisserie cuisine confiserie… c’est quand même grave….en France…
Excellente journée


Il est exact que mon texte était concis, et j'avais donné la "recette" sans expliquer le phénomène que j'avais utilisé pour la mettre en œuvre. Mon correspondant  me demande d'expliquer le phénomène.

L'idée est la suivante : quand on verse dans un récipient deux liquide de densités différentes, alors le liquide le plus dense va au fond du récipient et  le liquide le moins dense surnage.
C'est le cas de l'huile et de l'eau par exemple.

Ce qui vaut pour deux liquides vaut aussi pour un liquide et un solide : un solide plus dense qu'un liquide tombe au fond du liquide alors qu'un solide moins dense flotte à la surface.
Par exemple une pierre tombe dans un saladier plein d'eau, alors qu'un morceau de bois va flotter.

Il s'agit là de densité et non de poids, ce que je suis obligé d'expliquer régulièrement aux étudiants qui me font l'honneur de vouloir apprendre à mes côtés.
Oui le poids et la densité sont deux choses différentes. Lourd, léger sont des adjectifs qui se rapportent au poids. Mais, pour la densité, il faut dire plus dense, moins dense.

Par exemple, lequel est le plus lourd : un kilogramme de plumes ou un kilogramme de plomb ? Si vous mettez un kilogramme de plumes d'un côté d'une balance à plateau et un kilogramme de plomb de l'autre, vous verrez la balance s'équilibrer parfaitement.
De même pour un litre d'eau et un cube métallique d'un kilogramme, car un litre d'eau pèse un kilogramme, comme le cube métallique. Pour autant, si vous mettez le cube métallique de un kilogramme dans l'eau vous le verrez arriver au fond.

Regardons si nous avons bien compris. Qu'est-ce qui est plus lourd : vos clés ou l'océan Atlantique ? Là, il y a un piège où tombent régulièrement ceux qui ne pensent pas assez aux mots et qui n'ont pas compris que "lourd" est une question de poids, pas de densité.
Et la réponse à la question est que si vous  lâchez vos clés au-dessus de l'océan Atlantique, vous les verrez évidemment tomber au fond de l'océan, car le métal des clés est plus dense que l'eau de l'océan.
Pourtant, les clés sont évidemment moins lourdes que l'océan, comme on le voit en posant les clés à gauche d'un plateau de balance et l'océan tout entier à droite  : évidemment  la balance penche du côté de l'océan.
Il faut donc dire que les clés sont plus denses que l'océan mais que l'océan est plus lourd que les clés. Ou encore que les clés sont plus légères que l'océan, et que l'océan est moins dense que les clés.  

Finalement, on voit bien qu'il y a une différence entre la lourdeur (le poids) et la densité, c'est-à-dire la capacité de tomber ou de flotter.


Passons maintenant aux sirops de sucre.

Les sirops de sucre se font en dissolvant du sucre dans de l'eau, à concurrence d'environ 950 grammes de sucre pour un litre (un kilogramme) d'eau.
Les sirops sont plus denses que l'eau et plus il y a de sucre dissoute dans l'eau plus le sirop est dense.
Un sirop épais, avec beaucoup de sucre dissous, est très dense, et un sirop léger, avec peu de sucre,  est moins dense.
Il y a même une expérience qui consiste à verser un sirop épais dans un récipient, puis  à ajouter doucement de l'eau par-dessus (par exemple, en la versant sur le dos d'une cuiller retournée)  : on voit alors l'eau flotter au-dessus du sirop, surtout si l'on a pris la précaution de colorer le sirop ou de colorer l'eau.
Et c'est ainsi que l'on peut parfaitement maîtriser le nombre de couches dans un cocktail.


Mais revenons maintenant à nos fruits au sirop.

Un fruit, c'est comme de l'eau avec du sucre : on sait bien que les fruits sont sucrés, n'est-ce pas ? Bien sûr, il y a le  noyau mais simplifions la question en l'oubliant.
Si vous mettez un fruit -qui est donc sucré- dans de l'eau pure, vous le verrez tomber au fond de l'eau, puisque sa densité est celle d'une sorte de sirop.
Mais si vous mettez un fruit dans un sirop très épais, qui a une concentration en sucre supérieure à la concentration en sucre du fruit, alors vous verrez le fruit flotter.

Et, donc, pour avoir une densité du sirop exactement égale à celle du fruit, il suffit de mettre le fruit dans un sirop très épais (et l'on voit alors le fruit flotter), puis d'ajouter de l'eau progressivement, ce qui réduit lentement la densité du sirop.
Et quand la densité du sirop est égale à celle du fruit, alors le fruit commence à s'enfoncer et là on ferme les bocaux et on les stocke.

Explorons les crêpes.

 
Explorons les crêpes. Et, pour cela , commençons par mettre dans un saladier un peu de farine et un peu d'eau afin de faire une pâte coulante et épaisse.
Versons-là dans une poêle froide et chauffons doucement. La viscosité ne permet pas d'obtenir une couche mince. Mais, progressivement la chaleur provoque l'empesage des grains d'amidon (ils gonflent, en absorbant de l'eau, et libèrent dans l'eau environnante des molécules d'un composé nommé amylose).
Vient le moment où les grains gonflés s'interpénètrent, se soudent, et l'on peut alors retourner la crêpe et chauffer l'autre face.
Si l'on chauffe doucement, pas de couleur, parce que les protéines n'auront pas été modifiées chimiquement.
Avec un tel système, si nous prolongeons la cuisson, alors nous obtenons une crêpe dure, épaisse.

Passons maintenant à la deuxième expérience qui consiste à utiliser cette même pâte mais dans une poêle fortement chauffée. Alors la première phase va colorer rapidement, l'eau va s'évaporer, soulever la crêpe, la percer par endroit, et quand on devra retourner la crêpe, sous peine de la voir charbonne, on fera la même chose de l'autre côté de sorte que finalement on aura deux faces croustillantes avec, au milieu, un cœur  insuffisamment cuit.

Troisième expérience maintenant :  partons de notre pâte un peu épaisse et allongeons-la avec de l'eau pour faire une pâte bien liquide.
Si nous versons maintenant cette pâte dans une poêle et que nous chauffons doucement, alors nous obtenons une crêpe mince et initialement fragile, de sorte qu'il vaut mieux chauffer assez longtemps pour obtenir une bonne tenue.
En retournant, nous colorerons la seconde surface, mais surtout nous évaporons l'essentiel de l'eau et c'est ainsi que nous obtiendrons une crêpe très mince et croustillante.

Pour moi, ma religion est faite : je pars maintenant d'une pâte assez fluide, dans une poêle pas trop chaude, afin d'obtenir un bon étalement, d'où une couche mince. Je cuis assez longtemps sur la première face, je retourne quand la cohésion est suffisante et je poursuis la cuisson pour évaporer autant d'eau que possible et avoir beaucoup de croustillance.

vendredi 25 août 2023

La gastronomie moléculaire, c'est quoi ?


J'avais annoncé que je parlerais ici de gastronomie moléculaire. Mais c'est quoi ? 

La gastronomie moléculaire n'est pas toute la science des aliments, et elle n'est pas non plus une technologie des aliments. C'est une discipline scientifique, au sens des sciences de la nature, avec un objet très spécifique, raison pour laquelle cette discipline a été introduite sous un nom spécifique (cela ne m'amuse guère de produire des mots creux!) : il s'agit d'explorer les phénomènes qui surviennent lors des transformations « culinaires », celles qui font passer des ingrédients aux aliments.

Aux aliments, ou aux mets ? Hier encore, discutant avec des collègues, j'ai vu combien le mot « aliment » est source d'incertitude, et comment ces hésitations rejaillissent sur la définition de la gastronomie moléculaire.

En réalité, l’ambiguïté tient au deux mots : « science » et « aliment ». Pour le mot « science », j'en ai tant parlé ici que je propose de ne pas me répéter aujourd'hui, et de renvoyer vers d'autres billets. Pour le mot aliment, ce qui est terrible, c'est qu'il n'est pas utilisable sans précaution, en raison des sens fautifs que tous y mettent. En français, l'aliment, c'est ce que l'on mange. 

Et cela a des conséquences, notamment le fait que les tissus végétaux ou animaux produits par l'agriculture ou l'élevage sont rarement des aliments : de ce fait, on ne mange pas des carottes crues, mais des carottes en salade, qui ont déjà été transformées par la découpe et l'immersion dans la sauce. On ne mange pas de poulet, mais du  poulet rôti, ou sauté... 

En réalité, donc, l'aliment est véritablement le mets.

 

Pourtant, les scientifiques et les technologues qui s’intéressent à l'aliment n'ont pas souvent cette idée juste, et je suis souvent obligé, pour me faire comprendre, d'utiliser le mots « mets » plutôt que le mot juste, qui est « aliment ». 

Souvent, il faut que je dise que la gastronomie moléculaire est la science qui explore les phénomènes qui surviennent lors de la préparation des mets. Cela n'est pas très grave, et je parviens à m'adapter, mais mon purisme terminologique est heurté.

 

Cela étant dit, revenons à la définition : la gastronomie moléculaire est la science qui explore les phénomènes qui surviennent lors de la préparation des mets.
Une deuxième question se pose : où commence et où finit la gastronomie moléculaire, dans la chaîne qui s'étend de l'exploration des ingrédients jusqu'à l'exploration de l'acte de digérer et de métaboliser ? Par exemple, il y a plusieurs années, nous avions fait des expériences pour savoir si le sel posé sur une tache de vin, sur une nappe en coton, permettait de mieux détacher cette tache. Est-ce une exploration de gastronomie moléculaire ?
Ce qui est clair, c'est que ce type d'explorations n'a guère été considéré, par le passé, et que c'est bien dommage, car il y a des phénomènes intéressants à explorer ; en outre, on voit ici une relation évidente entre la préparation des mets et leur consommation, de sorte que l'on est tenté d'étendre le champ de la gastronomie moléculaire jusqu'à la consommation des mets. En revanche, il y a alors le risque de trop étendre le champ, et de déborder, ce qui nuirait à la clarté du propos. On affaiblirait la définition que l'on veut claire.

Supposons que nous en restions donc à une définition stricte de la préparation des mets. Une analyse déjà ancienne a déjà montré que l'activité culinaire – et, là, nous sommes au centre du champ disciplinaire- a trois composantes technique, artistique, sociale. Je ne ré-explique pas cette analyse (voir le livre La cuisine, c'est de l'amour, de l'art, de la technique, Editions O. Jacob), mais je propose d'en examiner les conséquences. 

Pour la composante technique, pas de souci particulier. Pour la composante artistique ou sociale, là s'introduit la difficulté, car l'art s'adresse au spectateur, et le social est par définition la relation entre individus, ici le cuisinier et le mangeur, de sorte que la question de la consommation revient sur le tapis. Il faudra donc être prudent dans les explorations de ces deux dernières composantes.

Pour l'instant, la gastronomie moléculaire s'est focalisée sur de la chimie physique des transformations culinaires, ou plutôt sur les phénomènes qui surviennent lors de ces transformations. Peu de difficultés, mais il serait prudent, lors de discussions un peu stratégiques, d'en rester là... mais comment éviter d'être remuant quand on est passionné ?

Des fruits au sirop ?

 L'époque des fruits au sirop arrive, et il faut absolument que je vous rappelle l'une de mes plus belles découvertes :  à savoir comment ajuster la force du sirop dans lequel on conserve les fruits. 

 

C'est tout simpe : si le sirop est trop léger, les fruits éclatent, mais si le sirop est trop concentré, alors les fruits se ratatinent. 

 

Comment trouver le juste sirop ? 

 

Il y a 30 ans, j'ai découvert ce fait que les fruits flottent dans les sirop très fort et qu'ils tombent au fond du récipient pour les sirops plus légers : c'est une question de teneur en sucre, qui augmente la densité. 

 

De ce fait, ma proposition est de mettre initialement les fruits dans un sirop trop fort, où ils vont flotter, et d'ajouter lentement de l'eau jusqu'au moment où ils commenceront à descendre : c'est le juste sirop. 


Voir aussi le livre : 



jeudi 24 août 2023

Les questions qui fâchent, courageusement !


Je préfère souvent poser des questions épineuses, parce que c'est le moyen d'être vraiment honnête, et de ne pas céder à cette mauvaise foi qui contribue à notre humanité. 

En matière de cuisine note à note, la tentation est forte de nous réfugier dans un traditionnel confortable, routinier, acquis dès l'enfance, rassurant. Mais je veux ici poser la question de fond : 

A-t-on vraiment besoin de la cuisine note à note ?

 

 Il est essentiel que, proposant cette cuisine, je ne cherche pas à me convaincre moi-même que la cuisine note à note est importante et que, au contraire, j'examine publiquement les faits. 

Les faits sont notamment ces dix milliards d'êtres humains en 2050, cette crise de l'eau et cette crise de l'eau qui sont annoncés. Devons-nous y croire ? Il faut examiner la question, mais le fait que ces prévisions soient faites par des organismes indépendants doit nous inciter à un peu de confiance. D'ailleurs, soyons honnêtes : ce ne sont pas dix milliards d'être humains sur la Terre, qui sont annoncés, mais, plus justement, entre 8 et 11 milliards. Oui, j'ai arrondi. 

C'est un autre fait que l'Union européenne a annoncé dans ses programmes de recherche, lancés en avril 2014, un appel d'offre sur le remplacement des protéines animales par des protéines végétales. L'Union européenne ne lancerait pas des appels d'offres, avec des millions d'euros à la clef, pour des travaux inutiles ! 

C'est un fait, encore, que l'économiste Pierre Combris, de l'INRA à Vitry, a modélisé que les protéines animales ne seront pas à suffisance pour l'humanité, et que ce remplacement des protéines animales par des protéines végétale s'impose rapidement. Or si l'on dispose de protéines végétales, il faudra les cuisiner, et l'emploi de protéines végétales ne se fera que par l'ajout à des végétaux classiques à ou à des fractions de ces derniers. Dans le premier cas, on n'a pas une cuisine note à note véritable, mais, dans le second cas, nous y sommes en plein. 

Une référence ? La voici : http://www.academie-agriculture.fr/seances/la-cuisine-note-note-questions-nutritionnelles-toxicologiques-economiques-politiques

 

Si l'on met de côté, pour quelques années, ces questions qui s'imposeront un jour, la cuisine note à note présente-t-elle un intérêt ? 

Sur le marché de l'art (car il faut admettre, d'une part, qu'il y a art culinaire, et, d'autre part, qu'il y a un marché, les « chefs artistes » ne pouvant exercer leur art que s'ils ont une clientèle), des nouveautés sont nécessaires. Pour certains, il s'agit de la nouveauté pour la nouveauté, tant il est vrai que la nouveauté capte l'être humain : c'est ainsi que les journaux, les radios, les télévisions, une partie d'internet, vendent leurs nouvelles d'autant mieux qu'elles sont plus fraîches. De ce point de vue, la cuisine note à note s'impose absolument, puisque c'est la seule nouveauté technique des dernières années (je parle de vraie nouveauté, pas de détail nouveau). 

D'autres artistes culinaires cherchent à partager des émotions, plus sincèrement, et, à cette fin, ne comptent que les moyens techniques qui permettront d'exprimer ces émotions. Il y a là des questions de mode, de tendance, d'air du temps... 

La cuisine note à note étant dans l'air du temps, elle est sans doute un atout pour ces cuisiniers. Pas complètement essentielle, mais certainement dans le champ des nouveaux possibles. Puis il y a la question technique. Et là, la cuisine note à note a des atouts : n'avons nous pas fait un soufflé d'une belle couleur en moins de deux minutes, avec les « Etoilés d'Alsace », à la fin du mois de février 2014 ? La sauce wöhler, que Pierre Gagnaire sert notamment avec du homard rôti, n'est-elle pas d'une simplicité technique extrême, d'une rapidité d'exécution parfaite, à défaut d'être d'une facilité artistique totale, puisque tout est dans le dosage des ingrédients ?
Pour la recette, voir http://www.pierre-gagnaire.com/fr#/pg/pierre_et_herve/travaux_precedents/50 

Là, il faut s'arrêter un peu : avec la cuisine note à note, on peut effectivement préparer des mets en quelques secondes, mais c'est également le cas quand on grille un steak. On peut aussi y passer des heures, tout comme en cuisine classique. Ce n'est donc pas la rapidité d'exécution qui impose la cuisine note à note ; il faut le dire. 

Inversement, et j'en arrive au sujet du jour, il y a la question de la précision technique du goût, qui est, cette fois, essentielle pour l'art culinaire. Imaginons que l'on veuille donner un peu de violence à un plat, car nous savons tous bien qu'il en faut : un peu de piquant, un peu d'amertume, d'astringence, d'acidité... Classiquement, pour le piquant, le cuisinier a la ressource des poivres, des piments et de quelques autres ingrédients (wasabi, roquette, cresson...). Toutefois l'usage d'un poivre apporte non seulement le piquant désiré, mais aussi des goûts, des odeurs, des saveurs. C'est comme si un chef d'orchestre, voulant faire entendre un sol n’avait d'autre ressource que d'utiliser une trompette, avec son timbre très particulier. Dans nombre de circonstances, la trompette est hors sujet, même bien jouée, car c'est la hauteur du son qui importe et non l'instrument. De même, l'artiste culinaire peut avoir besoin d'un piquant, et d'un piquant très particulier, qui est celui du poivre, et il ne veut pas de l'odeur et du goût du poivre. 

Alors la solution s'impose évidemment : la cuisine note à note a l'avantage de proposer l'usage de la pipérine, qui est le piquant du poivre sans l'odeur, sans la saveur, sans l'astringence, sans l'amertume du poivre. C'est un avantage car les cuisiniers ont bien observé que le poivre mis plus de huit minutes dans une préparation chaude donne de l'amertume et de l'astringence déplacés. La pipérine, elle, ne produit pas ces sensations, car ces dernières sont données par les composés phénoliques, qui accompagnent la pipérine dans le poivre, et sont absents quand on utilise de la pipérine pure. 

Au fait, la pipérine ? C'est un composé présent dans les poivres, et c'est même le principal composé piquant des poivres. Comment cette pipérine se retrouve-telle finalement dans des bocaux à l'usage des cuisiniers ? Le plus simple est de l'isoler à partir de matière végétale, notamment à partir des grains de poivre. Alors la préparer ? Ne suffisait -il pas d'utiliser du poivre ? On a déjà répondu à la question, mais ajoutons que le poivre fraîchement préparé renferme des composés qu'il n'a plus quand il est stocké longtemps. Or le poivre ne se produit pas à Paris, comme le croient les petits marquis nés la cuiller en argent dans la bouche, mais dans des pays lointain, de sorte que la préparation de la pipérine à partir du poivre, dans ces pays, conduira à une meilleure valorisation de la production végétale de ces pays. C'est un peu comme avec les haricots verts et les petits pois appertisés : si la transformation est bien faite, leur contenu en chlorophylles, par exemple, est souvent bien supérieur à celui de ces légumes, bio ou pas, qui traînent sur les étals parisiens, après un long voyage. Pour insister encore un peu, on dira qu'il est bien dommage de payer cher du poivre qui aurait perdu ses qualités, piquantes notamment, parce que ces propriétés ont été perdues pendant les stockages et transport. Ajoutons que l'on pourrait aussi synthétiser chimiquement de la pipérine, c'est-à-dire partir de composés élémentaires, et produire des molécules de pipérine, en réorganisant les atomes des réactifs. Est-ce gênant ? La pipérine produit des deux façons, à partir du poivre ou par synthèse, est toujours la pipérine. Cela signifie que toutes les molécules du produit sont identiques, sont toutes des molécules faites des mêmes atomes, organisés de la même façon, avec exactement les mêmes propriétés sensorielles. Personnellement, je ne verrais donc aucun intérêt à ce que l'on me dise que la pipérine soit de synthèse ou d'extraction, puisqu'il s'agit de la même matière. La seule différence pourrait résider dans les « impuretés » qui accompagneraient les molécules de pipérine de mon flacon. Et, là, il n'est pas dit que la pipérine végétale soit supérieure à la pipérine de synthèse, car l'extraction aurait sans doute laissé, avec les molécules de pipérine, des molécules de biens d'autres composés d'origine végétale. 

Qui sait si ces composés ne seraient pas toxiques ? Qui sait si ces composés ne seraient pas des perturbateurs endocriniens naturels ? Là, j'admets que je souris : il y a des mots si souvent utilisé par les marchands de peur qu'il est vraiment trop facile de les employer dans une argumentation. D’ailleurs pour continuer à être parfaitement honnête, il faut dire que la synthèse aussi apporte des composés qu'il faudra séparer. Il y a donc match nul, et c'est le soin de la préparation de la pipérine qui déterminera la qualité de cette dernière. Il faut dire que la pureté absolue n'existe pas dans le monde moléculaire, et nos outils d’analyse modernes permettent de trouver des perturbateurs endocriniens dans n’importe quelle matière, et cela fait le beau jeu des marchands de peur. Mais cela ne fait pas le véritable risque. 

L'utilisation de pipérine est-elle politiquement critiquable ? Voilà la vraie question, celle qui motive bien des combats publics d'aujourd'hui, des petits commerces contre les grandes surfaces, des artisans contre les grosses sociétés. Pardonnez-moi d'être insuffisant, de ce point de vue, mais, s'il vous plaît, ne laissez pas des individus encore plus insuffisant que moi prendre la parole avec trop de prétention. Il faut réfléchir, d'abord, envisager des conséquences multiples, imbriquées : « Ces choses là sont rudes... ». 

Enfin, ajoutons que la pipérine n'est pas le seul composé piquant des poivres, mais c'est le composé principal, de même que le do est le principal son de l'accord de do majeur, fait de do, mi, sol ; la pipérine est le principal composé piquant du poivre, de même que la vanilline est le composé principal de la vanille, sans être le seul. Ai-je été assez honnête ?

mercredi 23 août 2023

Jean Jaurès et le naturel


 Un texte de Jean Jaurès, pour ceux qui ne l'ont pas eu en mains  : 

 

Le Blé

N’est-ce pas l’homme aussi qui a créé le blé ?

Les productions que l’on appelle naturelles ne sont pas pour la plupart – celles du moins qui servent aux besoins de l’homme – l’œuvre spontanée de la nature. Ni le blé, ni la vigne n’existaient avant que quelques hommes, les plus grands des génies inconnus, aient sélectionné et éduqué lentement quelque graminée ou quelque cep sauvage.

C’est l’homme qui a deviné, dans je ne sais quelle pauvre graine tremblant au vent des prairies, le trésor futur du froment. C’est l’homme qui a obligé la sève de la terre à condenser sa fine et savoureuse substance dans le grain de blé ou à gonfler le grain de raisin. Les hommes oublieux opposent aujourd’hui ce qu’ils appellent le vin naturel au vin artificiel, les créations de la nature aux combinaisons de la chimie. Il n’y a pas de vin naturel.Le pain et le vin sont un produit du génie de l’homme…………….

Construisons, construisons

 
A priori le formalisme des systèmes dispersés et la cuisine de synthèse sont des idées très séparées, mais ne pourrions-nous pas les réunir ?

Pour le premier, il s'agit d'un formalisme, il y a des formules, analogues aux formules de la chimie, et qui permettent de décrire la structure des systèmes complexes, tel les aliments. Et cela à l'échelle que l'on veut : macroscopique, microscopique, nanoscopique, moléculaire, et cetera.
Dans ce formalisme, il y a des opérateurs, comme les signes plus, moins, multiplié ou divisé pour le calcul élémentaire, comme la flèche qui indique le sens d'une réaction chimique en chimie. Parmi ces opérateurs, il y a la dispersion aléatoire, la superposition, et cetera. Cela agit sur des objets qui ont des "dimensions", et qui sont des phases : liquide, solide, etc.
Avec ce formalisme, on peut décrire des structures, mais aussi en inventer puisqu'il s'agit de d'élaborer une formule valide pour obtenir une description d'un objet qui n'existe peut-être pas encore.

D'autre part, et cela ne concerne plus les sciences de la nature, mais la cuisine, notamment du point de vue technologique, j'ai proposé en 1994 la cuisine de synthèse, que j'ai surnommée "cuisine note à note". Cette fois, il s'agit de cuisiner avec des ingrédients qui sont des "composés" : on évite d'utiliser les viandes, les poissons, les fruits, des légumes, et cetera,  et l'on utilise à la place les composés (disons les molécules, pour simplifier, pour certains) de ces ingrédients classiques.
On peut alors faire des plats entièrement sur mesure du point de vue de la consistance, de la couleur, de la saveur, de l'odeur, des propriétés nutritionnelles, et cetera.

On voit bien deux voies très différentes : l'une scientifique et l'autre technologie ou technique.

Pour autant, il faut quand même observer que ses deux voies peuvent se réunir car si l'on veut construire un met, pourquoi ne pas utiliser une formule pour ensuite la réaliser à l'aide de composés ? D'ailleurs, le formalisme des systèmes dispersés, qui produit des formules à l'infini, est une mini épuisable d'idées pour construire des consistances dont certaines seront peut-être très intéressantes. Il y a là un immense terrain de jeu pour qui veut s'y adonner.

mardi 22 août 2023

Acclimatons les composés : l'acide citrique.


L'acide citrique, de quoi s'agit-il ? 

Citrique, citron :  il y a la même racine, et l'on pressent une parenté. Mais la terminologie est insuffisante pour répondre à la question "qu'est-ce que l'acide citrique ?".  

Partons donc de citron, puisque la piste étymologique est juste, ici. Pressons un citron, et  récupérons  le jus : c'est une solution légèrement jaune, et  acide, citronnée.
Si nous évaporons ce jus, c'est de l'eau qui s'échappe, comme on peut s'en apercevoir en mettant  un verre froid  dans la fumée qui s'élève :  la vapeur  qui se condense sur le verre n'a ni odeur saveur ; c'est de l'eau. Au fond du récipient, il reste finalement un solide cristallisé. C'est un mélange, bien sûr, car il est rare que les produits naturels soient complètement purs. Toutefois, la majorité de ce produit est de l'acide citrique (environ 6 grammes d'acide citrique pour 100 grammes de jus de citron), et l'on pourrait poursuivre la purification pour obtenir de l'acide citrique pur.
On aura alors des cristaux blancs, blancs comme du sel, ou du sucre par exemple. Des cristaux qui n'ont pas odeur, mais qui ont une forte acidité, une forte saveur acide. Mieux, cette acidité est  citronnée,  contrairement à celle de l'acide acétique, par exemple, celle du vinaigre. 

C'est cela, l'acide citrique, utilisé notamment par les industriels dans les bonbons au citron, et aussi par quelques pâtissiers. Le citron ne se réduit pas l'acide citrique, mais l'acide citrique est une composante importante du jus de citron. Utilisons en cuisine (note à note) de l'acide citrique (je vous recommande un sorbet fait d'eau, d'acide citrique, une pincée de sel, du glucose et du saccharose : vous m'en direz des nouvelles).

Pourquoi garder des mots pourris ?

Je m'amuse -sérieusement- à critiquer publiquement des terminologies telle que paté en croûte (si c'est en croûte, c'est un pâté), pâté croûte (une contraction du premier), pâté de campagne (quand il n'y a pas de pâte). 

Je suis bien sûr que ces terminologies sont fautives, puisque, de tout temps, les livres de charcuterie ou de pâtisserie ont justement parlé de pâté froid pour les deux premiers, et de terrine de campagne pour les seconds. 

J'ajoute que les terminologies fautives le sont parce qu'elles sont incohérentes à savoir qu'un pâté est toujours dans une croûte, et qu'une terrine qui ne contient pas de croûte n'est pas un pâté, mais une terrine. 

Mais ce qui m'amuse aujourd'hui, c'est d'observer que je rencontre régulièrement des contradicteurs qui me baratinent en évoquant l'usage. L'usage : lequel ? Le leur ? Cela me fait penser immanquablement à la tradition, au terroir, auquel j'ai consacré un livre, pour montrer que chacun y met plus ou moins illégitimement ce qu'il veut y mettre. 

 


Qu'est-ce que cette affaire d'usage ? L'usage de qui ? Aujourd'hui un contradicteur lyonnais fait pire, en quelque sorte, en écrivant que l'idéal pour les Lyonnais c'est pâté croûte. Comme si les Lyonnais avaient une particularité qui leur permettrait  d'éviter de parler de façon incohérente. 

Mais je ne veux pas entrer ici dans ce débat puisque ce n'est pas l'objet et je veux surtout m'interroger sur la raison pour laquelle des individus refusent des terminologies cohérentes. Car au fond, évoquer un usage de certains, cela ne légitime en rien l'appellation et cela constate seulement qu'une certaine communauté, fut-elle petite, utilise la langue de façon médiocre, sans véritablement faire attention aux mots qui sont prononcés.

Est-ce une peur du changement ? Est-ce la paresse qui les retient ? Est-ce un attachement enfantin à une erreur qui gagnerait à être corrigé ? 
 
Je me souviens avoir appris un jour que, quand on cuisait une viande, par exemple dans une poêle, on ne poêle pas, mais on "saute", car le poêlage se fait, lui, dans un  poêlon (et d'ailleurs, ce que nous nommons poêle est souvent un sautoir). L'imparable logique terminologique m'a fait  immédiatement changer mes habitudes de parole.  Certes, avec un peu de difficulté quand même : il y avait l'habitude. 
De même pour "ciseler" : il a fallu que je comprenne que l'on peut effectivement ciseler avec un couteau puisque des ciseaux sont "des" ciseaux c'est-à-dire deux lames. On me cisèle donc pas avec les ciseaux, mais avec un couteau.
Et ainsi de suite  :  on rencontre en cuisine, comme ailleurs, des terminologies qui doivent être utilisées différemment de nos usages personnels, qu'il s'agisse d'usages communautaires, d'usage enfantins, d'usage par ignorance... 
 
Et en tout cas, on ne perdra jamais rien à apprendre les mots justes et à les utiliser. Car, au fond, quelqu'un qui parle initialement de pâtes en croûte, faisant donc cette périssologie que je que je déplore, qu'a-t-il à perdre à parler de pâté froid ? Quelqu'un qui parle de pâté de campagne alors qu'il devrait parler de terrine de campagne, qu'a-t-il à perdre à changer ?
 
Personnellement, je cherche toujours à prendre le point de vue des apprenants, qui ont besoin de règles claires, logiques. 
Nous avons besoin de nous dégager du jour des traditions quand elles sont mauvaises,  de combattre l'esclavage, de combattre les comportements humains qui ne respectent pas des valeurs essentielles de droiture, de respect, de solidarité, de justesse, de liberté, de démocratie...
 
Et cela commence par les mots car bien souvent, nos idées et nos actes vont de pair avec eux.


lundi 21 août 2023

Techniques avancées


“Haute technologie”, “hautes technologies”...

 Il s'agit en réalité de techniques avancées, et pas de technologie, puisque la technique produite des objet, tandis que la technologie explore cette production, souvent en vue de l'améliorer.

Bref, la technique n'est pas plus de la technologie que le potage n'est de la soupe (la soupe, c'est une tranche de pain, que l'on mouille avec du potage), ou que les gourmets ne sont des gourmands (les gourmets sont les amateurs de vins, et les gourmands des amateurs de chère ; on a le droit d'être à la fois gourmand et gourmet !). 

Le monde technologique ne sort pas grandi de la faute qui consiste à nommer “technologie” ce qui est en réalité une technique, et le monde technique, non plus, d'ailleurs. 

Pourquoi cette faute ? Parce que les technologues ou ingénieurs n'ont pas suffisamment réfléchi à la différence entre technique et technologie ? Impossible de tenir une telle hypothèse, à l'encontre de personnes intelligentes, qui font un métier aussi important. 

Parce que la dénomination “technique” semble moins “élevée” que “technologie” ? Une sorte de politiquement correct qui fait un usage exagéré de la litote et de l'euphémisme ? Pour un métier... technique comme celui de la technologie, il y aurait là quelque paradoxe à confondre des notions qui sont au coeur de l'activité. 

Parce que les techniciens auraient honte de leur métier et se seraient accaparés indûment le titre de technologue ? S'il y a des question d'argent ou de statut, pourquoi pas... mais j'ai du mal à y penser, parce que je crois les métiers techniques extraordinaires. Pensons à un bon ébéniste, à un bon électricien, à un bon bourrelier... à un bon cuisinier ! 

 

Alors, pourquoi ? Parce que la langue française est contaminée par l'anglais ? Difficile à imaginer, car le mot “technique” existe en anglais, ainsi que le mot “technologie”, et c'est ici l'occasion de répéter que le MIT, institution qui forme des ingénieurs parmi les meilleurs, a un nom qui est Massachusetts Institute of Technology, institut de technologie du Massachusetts. Y aurait-il une acception généralisante du mot technologie, qui regrouperait des techniques apparentées. Je viens de relire plusieurs articles de … technologie, et je n'ai pas vu le mot employé régulièrement dans ce sens. 

 

Bref, pourquoi la confusion ? 

 

Je crois la question importante, contrairement à des personnes à qui je m'en suis ouvert récemment, et qui la balayaient rapidement (c'est généralement de la mauvaise foi) en disant que seul compte le travail que l'on fait, et que ces détails terminologiques n'ont pas d'importance. 

A quoi je réponds aussitôt que tout compte : tout travail qui mérite d'être fait mérite d'être bien fait, et plus encore quand de la transmission est en jeu, ou , plus exactement, quand est en jeu de la transmission à des jeunes, c'est-à-dire de l'enseignement. La mission de l'enseignant n'est-elle pas de clarifier ? D'aider à comprendre ? 

De ce point de vue, la confusion des mots est très nuisible, donc critiquable. Et c'est ce qui motive évidemment ce billet. Certains adultes me disent que les combats terminologiques sont toujours perdus, mais c'est là un défaitisme auquel je ne veux pas céder, parce qu'il n'y a pas de démonstration que cela soit vrai. Faraday n'a-t-il pas réussi à introduire l'usage des mots “anode”, “ion”, “électrode”, etc. ? La grande entreprise de rénovation de la chimie, autour  de la révolution française, par  Louis Bernard Guyton de Morveau, avec Antoine Laurent de Lavoisier et quelques autres, n'a-t-elle d'abord pas été une rénovation terminologique, un bouleversement de la nomenclature ? Les grandes questions de la mécanique quantique n'ont elle pas porté sur l'interprétation, c'est-à-dire le sens, des mots que l'on utilisait ? Henri Poincaré, ce génie des mathématiques, n'a-t-il sans cesse insisté sur le fait que sa plus grande difficulté consistait à trouver des mots pour transmettre ses pensées, inconsciemment formées en lui, maniées sans l'usage des mots dans son esprit ? Ne baissons pas les bras. 

Luttons. Luttons au quotidien contre les usages galvaudés de “technique” et de “technologie”, car c'est ainsi que les techniciens feront un beau métier, et que les technologues feront aussi un beau métier, différent du précédent. Soyons vigilants à propos de technologie, et nommons technique ce qui en est. Car c'est ainsi que la Raison est grande.

dimanche 20 août 2023

Cuit et recuit

 
Ce matin, une correspondante m'écrit : 

 

La question que je me pose et que je vous soumets est celle-ci : comment se fait-il que certains plats cuisinés à ce jour sont meilleurs le lendemain ? Et j'ai noté cela surtout pour les légumineuses, et les mélanges céréales/légumes. Peut-être en existe-t-il d'autres, mais les constatations sur ces plats sont évidentes.

 

Et voici ma réponse : 

 

Chère Madame Merci pour votre message, et pour votre lecture qui m'honore. La première question est le « meilleur », car le bon, c'est le beau à manger. Or l'histoire de l'art a amplement montré que le beau des uns n'est pas celui des autres. La musique, la peinture, la littérature ont réfuté l'idée d'un beau universel. Il en va de même pour la cuisine, sans doute. D'ailleurs, j'ai même rencontré des individus qui aimaient les œufs durs trop cuits, avec odeur de soufre, cerne vert et blanc caoutchouteux, alors que cela me semble une abomination. 

Bref, ne sachant pas ce qu'est le bon dans l'absolu, je ne peux pas savoir ce qu'est le meilleur. Je ne sais qu'une chose : ce qu'est le bon pour moi, et le meilleur pour moi. Il resterait donc le fait que le goût des mets change quand on les recuit le lendemain. 

Et là, même dans mon appréciation personnelle, ce n'est pas toujours une réussite. Oui, une viande longuement cuite bénéficie d'un temps supérieur de dissolution du tissu collagénique, de la formation d'acides aminés sapides. Oui, certaines durées de cuisson augmentées permettent de bien dégrader la paroi cellulaire, et d'attendrir... mais, inversement, une surcuisson des légumes verts leur fait perdre leur couleur fraîche, et j'avais présenté il y a quelques années un travail qui montrait que la recuisson du poulet rôti faisait apparaître un goût de carton. 

Enfin, dans un séminaire de gastronomie moléculaire, nous avons une idée des professionnels, à savoir que le goût des terrines de campagne disparaît quand la cuisson est prolongée plus d'une heure et quart. 

 

Bref, je ne crois pas que les constatations soient « évidentes ». Au contraire, je crois que nous avons beaucoup à faire pour quantifier les phénomènes... parce que tout cela est complètement inconnu ! Avec mes respectueux hommages.

samedi 19 août 2023

On me demande un plat note à note...

Ce matin, deux jeunes filles m'écrivent : 

 

Bonjour monsieur, Nous sommes élèves en classe de seconde, et nous avons choisi de faire un dossier de sciences et laboratoire sur le thème des transformations culinaires avec la cuisine note à note. Nous avons acheté votre livre, et aimerions avoir quelques informations supplémentaires. Pouvez vous nous aider en nous expliquant : le travail des molécules, et comment est-ce possible de faire s'assembler des molécules et ensuite consommer des produits chimiques; de plus pouvez vous nous donner une recette de cuisine simple a faire devant nos camarades en laboratoire afin de leur expliquer cette formation d'aliments. Nous vous remercions, en espérant une réponse qui pourrait fortement nous avancer dans notre projet. Cordialement.

 

Ma réponse : 

 

Bonjour 

1. Je ne comprends pas bien ce que vous voulez dire par "le travail des molécules". 

2. Pour "comment assembler des molécules, là encore j'ai un doute : quand vous faites cristalliser du sel, vous provoquez bien l'assemblage des ions sodium et chlorure, non ? Et quand vous faites une émulsion, en fouettant de l'huile dans de l'eau, à l'aide de gélatine comme tensioactif, vous faites bien une organisation moléculaire. 

3. Consommer des produits chimiques ? J'ai bien peur qu'il y ait une confusion, entre molécules, composés, produits, produits chimiques. Supposons que les "produits chimiques" soient des produits synthétisés. La cuisine note à note ne se fonde pas sur de tels produits (elle peut les utiliser sans difficulté du moment qu'ils sont sains), mais sur l'usage de "composés purs". Le saccharose, l'amylose, l'amylopectine, etc. 

4. Pour une recette, il y en a plein en fin de livre, mais vous pourriez faire la suivante : 

- prendre 20 g d'eau

- ajouter 5 g de protéines d'oeuf (principalement de l'ovalbumine)

- émulsionner 200 g d'huile (triglycérides)

- ajouter 50 g de sucre (saccharose)

- ajouter une pincée de sel

- ajouter colorant (si possible de synthèse ;-) )

- ajouter une goutte d'arôme amande (supermarché : c'est du benzaldéhyde en solution)

- cuire  au four à micro-ondes jusqu'à gonflement bien net (pas plus)

- démouler, servir.

 

Ce plat se nomme un "dirac"
Bon appétit 




Quel modèle avons-nous de la matière ?

 

J'ai récemment interrogé des amis à propos de la représentation mentale qu'ils se faisaient des atomes... et j'ai été surpris des réponses.

Comme je me doutais que la question était difficile, que je voulais être certain d'être bien compris en la posant,  j'ai fait aussi pratique et concret que possible  : la question que je posais à mes amis était la suivante  "Je verse du sel sur la table, on voit des petits grains blancs, j'en isole un. Quelle est sa structure interne ? Comment est-ce organisé à l'intérieur ?

La première personne à qui j'ai posé la question était un médecin et,  après des contorsions, cette personne  m'a avoué, un peu gênée, qu'elle ignorait absolument tout de cette structure interne. Elle m'a dit qu'il y avait des atomes, mais c'était tout.
Puis, quand j'ai repris la question avec un électricien et une infirmière, le mot atome n'a pas été prononcé, et la représentation mentale était analogue à une page blanche.

Cela fait des décennies que je le dis, mais le constat s'impose : le public ne sait rien de la constitution moléculaire et atomique de la matière. Nos vulgarisations scientifiques sont donc trop souvent des récits un peu poétiques, des histoires à endormir les enfants, mais pas véritablement des explications.

Qu'attendais-je comme réponse ? Dans le cas du sel, les cristaux sont comme des empilements réguliers de cubes, sauf que les cubes sont des atomes.
Sont-ils cubiques me demandent mes interlocuteurs ?  Non. Sont-ils des boules ? Non plus ; ce sont des objets dont la forme est compliquée à supposer qu'il y ait un sens à parler de la forme d'un atome. Evacuons la discussion, en revenant sur le fait que ces objets  sont empilés régulièrement dans les trois directions de l'espace.

Évidemment, les chimistes m'objecteront que les cristauxc de sel ce sont plutôt des empilements d'ions, et non pas d'atomes, mais je réponds que, pour la vulgarisation, c'est un détail très gênant, très inutile, et qu'il vaut bien mieux parler d'atomes sachant que les ions sont des atomes qui ont perdu ou gagné quelques  électrons, mais qui gardent essentiellement leur structure d'atomes.
Il y a également la question de l'empilement et, là,  on a peut-être intérêt à expliquer que ces cubes s'attirent comme des aimants. Bien sûr, je sais que les forces sont électriques et non pas magnétiques, mais je rappelle que nous devons partir d'une page blanche et qu'il sera bien temps, plus tard,  d'introduire des subtilités de ce type.

Ayant fait cette expérience à propos du sel, je l'ai répétée à propos de la vodka (la considérant comme une solution d'éthanol dans l'eau à 40 °).
Là,  le médecin a su me dire que qu'il y avait des molécules dans le liquide, mais sans pouvoir en dire plus sur la répartition des molécules d'éthanol et des molécules d'eau, ni sur leurs éventuels mouvements.
Pour les autres, c'était encore une page complètement blanche.

Comment on arrive t-on à une telle situation ? Le médecin m'a déclaré que sa compétence était tout autre, quelle était surtout de savoir approprier des traitements à des symptômes et à reconnaître des maladies particulières, compétences pour lesquelles la connaissance atomique ou  moléculaire du monde n'est jamais sollicitée.
Pour les autres, le monde où ils vivent n'effleure même pas la question posée ; ils sont dans un monde tout différent, sans intersection.

Ma conclusion et que nous devons absolument ne pas surestimer les connaissances de nos interlocuteurs quand nous expliquons des résultats scientifiques. Nos explications ne doivent jamais faire l'économie de bases qui nous semblent élémentaires !

Un don ? Non, du travail



Un correspondant aimable m'écrit à propos de mon blog :

"La vulgarisation est un don pour celui qui l'exerce et un cadeau pour l'humanité".

C'est gentil à lui... mais je m'inscris en faux pour une partie : la vulgarisation n'est pas un don, mais du travail... et plus on devient bon scientifique, plus elle devient difficile, parce que l'on se souvient moins de ses propres difficultés.

Les dons ? Connais pas

Commençons par cette affaire de "don"... qui  me rappelle un ami, qui, récemment, m'a dit que, pour écrire, j'avais des "facilités".
Non, non, et non. Tout ce que j'écris me prend beaucoup de temps. Pour mes livres, par exemple, il me faut de nombreuses années avant que je sois prêt à lâcher un manuscrit à un éditeur. Et quand j'écris "nombreuses", c'est entre cinq et quinze.
Pour des textes plus courts, le fait que j'en fasse beaucoup n'est pas un signe de facilité ou de don, mais un temps passé très long... que personne ne voit. Je rumine, j'écris, j'y pense, je corrige, je rature, je réécris, je mets tout à la poubelle avant de recommencer, et c'est au bout d'un très long chemin.

Cela, c'est simplement pour les mots, qui sont écrits. Mais, avant les mots, il y a le choix des explications que l'on donne, et, là, c'est bien plus difficile (si l'on veut faire bien).
Plus difficile, parce que l'enjeu est de bien cibler les explications, de donner toutes les prémisses, toutes les "bases" qui sont nécessaires pour que nos interlocuteurs comprennent.
Et puis, il y a le choix du type de "chemin explicatif". Il semble logique d'aller du connu vers l'inconnu, mais une telle déclaration est simpliste, parce que :
- parfois, des approximations sont indispensables : lesquelles sont-elles supportables ?
- les sciences de la nature sont caractérisées par l'emploi du quantitatif, qui évite les discours inventés ; comment expliquer sans les équations qui fondent la science ?
- il peut y avoir plusieurs chemin, du connu vers l'inconnu : lequel choisir et pourquoi ?
 Bref, la vulgarisation, c'est avant tout du travail ! Et la "capacité" de la faire, voire de la faire bien, relève d'un long apprentissage, d'une pratique attentive, d'un travail acharné.

jeudi 17 août 2023

Apprenons à dégraisser des bouillons... comme au XXIe siècle

 
 Dégraisser d'un bouillon ? La question se pose quotidiennement dans les restaurants, car les cuisiniers ne cessent de préparer des bouillons, afin de confectionner les fonds dont ils mouilleront leurs préparations : ragoûts, daubes, sauces... 

Le matin, en arrivant, ils mettent donc des os et des viandes dans une casserole avec de l'eau, et ils chauffent doucement, à couvert, pendant plusieurs heures. À la suite de cette longue et douce cuisson, ils filtrent, afin de récupérer le liquide, dont ils doivent ensuite retirer la graisse qui surnage, avant de clarifier le bouillon. 

La clarification fera l'objet d'un autre billet, mais je veux commencer par considérer la question du dégraissage. À ce jour, les cuisiniers mettent le bouillon au froid, afin d'obtenir la solidification de la graisse, qu'ils retirent ensuite facilement. 

Toutefois ce refroidissement demande un long temps de repos. Autre possibilité : utiliser une cuiller ou une louche pour retirer la graisse qui se trouve à la surface du bouillon ; toutefois il faut peaufiner l'opération à l'aide d'un papier absorbant, ou d'un linge propre. Dans le premier cas, on allonge le temps de préparation, et dans le second, on fait un travail imparfait, qui gâche du papier absorbant ou qui salit un linge. 

 

On le voit, la pratique actuelle est loin d'être satisfaisante... parce que les ustensiles ne sont guère rationalisés. 

Analysons, donc : puisque la graisse flotte, on dégraisserait sans difficulté si nous pouvions soutirer le bouillon par le font du récipient qui le contient, en stoppant l'écoulement quand la graisse se présente à l'ouverture du point de soutirage, n'est-ce pas ? C'est précisément la fonction de ces "ampoules à décanter" que les chimistes utilisent quotidiennement : ces ampoules ont un gros corps, et un robinet dans la partie inférieure. Pourquoi ne pas les utiliser en cuisine ? J'ai fait cette proposition il y a environ 30 ans, mais je n'ai pas réussi à imposer ce système parce qu'il est souvent en verre, et que le monde culinaire sait bien que le verre est un matériau fragile, qui casse immanquablement. Toutefois il existe aussi des corps en métal inoxydable, que l'on peut visser sur un petit système extrêmement résistant, en téflon, muni d'une fenêtre en quartz, incassable. Les récipients peuvent contenir plusieurs litres, et il n'y a donc aucune hésitation à être moderne, à faire une cuisine du XXIe siècle, et non du Moyen Âge.


 

mercredi 16 août 2023

Quelques expressions à corriger, en vue de mieux comprendre

 
 Pendant longtemps, j'ai propagé cette idée de Lavoisier : pour faire de la bonne science, il faut de bons mots, parce que, disait-il en suivant Condillac, nous avons les phénomènes par la pensée, et nous manions les pensées à l'aide des mots. 

La relecture de Poincaré et de quelques autres semble montrer que, au moins consciemment, certains ne pensent pas avec des mots. Poincaré, par exemple, disait que sa plus grande difficulté était de mettre des mots sur les idées qui naissaient en lui. Je suis donc troublé, hésitant... de ce point de vue. 

En revanche, du point de vue de la communication, j'ai moins d'hésitation. Par exemple, je maintiens, à la suite de Louis Pasteur, qu'il existe pas de sciences appliquées, si les sciences considérées sont des sciences de la nature. 

Evidemment, si l'on prend le mot "science" dans l'acception de "savoir", comme dans "la science du cordonnier", alors c'est bien une science appliquée. Mais pour les sciences de la nature, impossible : il y a les sciences de la nature, d'un côté, et leurs applications, de l'autre, d'où le terme de technologie, dont je me suis déjà largement expliqué. 

 

Ces temps-ci, je tombe sur d'autres expressions idiotes. 

 

Par exemple "dépassement d'honoraires" : impossible, puisque si un médecin fixe des honoraires, il ne peut pas les dépasser, du moment que ces honoraires sont fixés. Et s'il augmente ses honoraires, il ne dépasse rien, puisque les honoraires fixés sont les honoraires. Je pose donc la question : quand on entend "dépassement d'honoraires", de quoi s'agit-il ? 

"Aliment naturel" : encore une imbécilité, car la nature, bien que le terme ait évolué, reste ce qui n'a pas fait l'objet de transformations par l'être humain. Autrement dit, tous les aliments sont artificiels, ce qui est le produit de l'"art". J'en profite, d'ailleurs, pour répéter que la cuisine a trois composantes, que je redonne dans un ordre qui n'est pas le bon : technique (il faut que le soufflé gonfle), social (faire à manger, c'est dire "je t'aime")... et artistique, tant il est vrai que le  "bon", c'est le beau à manger. 

Et j'insiste : je ne parle pas des "arts de la table", du service, etc. mais seulement du contenu de l'assiette. 

Enfin, pour cette fois, il y a "conflit d'intérêt", qui m'insupporte, parce que seuls les humains ont des conflits. De quoi veut-on parler ? D'intérêts cachés. C'est cela, qui est malhonnête, pour un expert. Bref, très positivement, je propose : - de ne jamais accepter de prendre des experts qui n'ont pas d'intérêts (avoués, bien sûr) : ceux qui ne travaillent pas avec l'industrie ne connaissent pas le monde, et sont bien incapables d'en juger - de cesser d'utiliser cette expression idiote, et d'utiliser l'expression "intérêts cachés". Il est juste de demander aux experts de faire des déclaration d'intérêts (expression qui me semble également juste, dans sa littéralité)... et c'est ainsi que nous aurons une société plus éclairée. 

 

Bref, même si Lavoisier n'avait pas entièrement raison, pour ce qui est du processus de création scientifique, il n'avait pas tort du point de vue de la pensée : de la clarté dans le langage ne fait pas de mal !

mardi 15 août 2023

Certains enseignants feraient mieux de se renseigner avant d'écrire des âneries !

Je lis dans un livre de pâtisserie que le glucose serait "une molécule de base pour les sucres", que ce serait un édulcorant fréquemment présent dans les fruits, que ce serait un constituant du sucre de table.
Non, non et non !


Dire des choses fausses, cela nous arrive... mais les enseigner, c'est quand même bien plus grave ! 


1. Le glucose n'est pas une molécule, mais un composé. Ou plutôt, deux composés : le D-glucose, et le L-glucose. 

Et ces deux composés sont des sucres simples, ou monosaccharides. Et il est faut de dire que les glucose seraient des "molécules de base pour les sucres" : ils n'ont rien à voir avec du glycérol (un sucre), du fructose (un autre sucre), du galactose (encore un sucre), etc. 

2. Le glucose n'est pas "fréquemment présent dans les fruits", mais toujours présent. 

3. Et non, le glucose n'est pas un "constituant du sucre de table", car le sucre de table n'est constitué que de molécules de saccharose. 

Dans ce dernier cas, on pourrait dire justement que la molécule de saccharose est composée d'un résidu de glucose et d'un résidu de fructose. D'ailleurs, il faudrait ajouter que l'on parle ici de D-glucose, seulement. 


Le pire : je suis bien sûr que si les auteurs de ce manuel étaient confrontés à mes réfutations, ils me diraient que je pinaille.

Retour sur la viande in vitro

 Dans un des  numéros de la revue Pour la Science, je discute la question de la "viande artificielle, tant il est vrai que fut grand, récemment, l'émoi (mais on s'émeut souvent de pas grand chose, ces jours-ci) soulevé par l'annonce (il faut bien emplir les journaux télévisés) de viande in vitro, disons plus justement de culture de cellules musculaires. 

Chacun y est allé de ses arguments de mauvaise foi, de certains technologues qui annonçaient une  production durable de viande  jusqu'au monde de l'élevage qui refusait de nommer viande les produits proposés. 

Il y avait aussi ceux qui prenaient des airs horrifiés, en soulignant le prix exorbitant des "steaks hachés" qui avaient été consommés : leGuardian titrait >Synthetic meat: how the world's costliest burger made it on to the plate, expliquant que le coût était de 325 000 dollars. 

Ne devrions-nous pas relire ce merveilleux Louis Figuier, qui, dans ses Merveilles de l'industrie (un titre à méditer, à l'heure où l'on parle trop rapidement de "formation par la recherche") écrit : 

Une des principales branches de la richesse publique en Europe, c'est aujourd'hui le sucre de betterave. Mais, au début, lorsque le chimiste de Berlin, Margraff, annonça l'existence d'un sucre cristallisable dans la racine de betterave, on était loin de s'imaginer que l'extraction de ce sucre fût possible industriellement. Margraff écrivait en 1747 qu'il ne se chargerait pas de fournir le nouveau sucre à 100 francs l'once. Aujourd'hui le sucre de betterave revient, dans nos usines du Nord, à 50 centimes le kilogramme, et sa fabrication enrichit notre trésor public de revenus énormes ; elle alimente d'innombrables usines, et occupe des milliers d'ouvriers.

lundi 14 août 2023

La beauté est dans l'oeil de celui qui regarde... la poussière

 
Que mes amis me pardonnent : j'ai propagé bêtement l'expression « poussière du monde ». 

La poussière du monde, c'est tout ce qui aurait été sans intérêt : les conversations politiques stériles (on ne convainc hélas jamais), le pain et les jeux (cela empêche les révolutions depuis l'Antiquité : quand le « peuple » est nourri et amusé, il est calme), les hochets de la vanité (de la voiture à la décoration)... 

L'expression n'est pas de moi : je l'avais trouvée il y a longtemps dans les propos sur la peinture du moine japonais Shitao (en français : Citrouille amère). Cela m'avait intéressé, retenu, et j'avais diffusé l'idée autour de moi. 

 

Grave erreur ! Je me repens ! Rien du monde n'est insignifiant, et c'est à moi d'aller voir la beauté, d'aller mettre de l'intelligence dans les moindres mots de mes interlocuteurs et de moi-même, dans les moindres actes, dans les moindres particularités du monde. 

D'ailleurs, dans mes discours, mes cours, à moi d'aller toujours y loger la Raison, l'Esprit des sciences quantitatives, lequel se fonde sur le Nombre ! Une femme ou un homme politique évoque des questions d'énergie ? Cherchons à évaluer quantitativement ses propos. Un interlocuteur évoque devant nous sa voiture : analysons cette déclaration à l'aune de la théorie de l'évolution. Un match de football ? De quelle matière est le ballon, pour résister si bien à des coups de pied ? Comment son cuir a-t-il été tanné ? Quelle matière des synthèse pourrait-elle remplacer avantageusement le cuir ? 

 

Décidément, les Jésuites avaient bien raison de dire qu'il ne faut pas vivre en tant que Chrétien, mais en Chrétien : pour celui qui vit en physico-chimiste, la poussière du monde n'existe plus !

dimanche 13 août 2023

Comment faire une gelée d'ananas ?

 
Comment faire une gelée d'ananas ? 

La question se pose à tous ceux qui veulent varier la nature des fruits dans les bavarois ou les aspics. Bien sûr, on peut mettre des pommes, des poires, des fraises, des abricots... Mais puisque l'ananas est un des grands fruits dont nous disposons, on en vient rapidement à vouloir faire une gelée d'ananas... et là, patatras ! Quand on met du jus d'ananas frais (bien plus intéressant que du jus chauffé) avec de la gélatine, la gelée ne prend pas, qu'elle soit ou non mêlée de crème fouettée, de sucre... Par hasard, les cuisiniers ont observé que la gelée prend si le jus a été chauffé, mais alors le goût est bien différent, et la fraîcheur de l'ananas est perdue. 

D'où la question  : comment faire une gelée d'ananas ? Cette question a traversé les décennies, les siècles, et elle n'a pas eu de solution, parce que la technique n'était pas à même de lui en donner. Comment en aurait-elle eu ? 

C'est à ce stade de blocage que les sciences de la nature s'imposent absolument, pour une saine technologie. Les sciences ont montré que certains végétaux contiennent des enzymes nommées collagénases, ou protéases, qui dégradent les protéines. Or la gélatine qui structure classiquement les gelées est précisément une protéine, de sorte que les enzymes dégradent les protéines qui devraient gélifier. 

La science a identifié que les enzymes sont inactivées par la chaleur : c 'est un fait que les protéases chauffées perdent leur capacité catalytique, et cela explique pourquoi on peut réaliser des gelées d'ananas à partir des jus d'ananas chauffé 

Comment faire des gelées à partir de jus non chauffé ? L'application de hautes pression est une première solution, car ces pressions dénaturent les protéines, et notamment les enzymes. 

Mais analysons, si les protéases attaquent les protéines gélifiantes, pourquoi ne pas remplacer les protéines gélifiantes par d'autres composés qui ne seraient pas sensibles aux protéases ? L'exploration du monde a conduit à l'identification de bien d'autres polymères gélifiants que les protéines  : alginates, carraguénanes... 

De ce fait, on parvient très bien à faire gélifier à partir de ces composés non classiques, non traditionnels pour le monde occidental. La conclusion est claire : de l'innovation est possible quand les sciences quantitatives, les sciences de la nature, sont utilisées.

samedi 12 août 2023

Une phrase, une référence

 
 Le "jeu de la publication scientifique" est évidemment compliqué par les relations humaines entre les "chers collègues" (cela date du XIIe siècle que l'on dise que Dieu a couronné le monde avec le Professeur d'université, mais que le Diable a ensuite produit le "cher collègue"), mais il y a quelques règles. 

Sortant de plusieurs rapport que je devais faire pour des revues, j'aurais tendance à vous inviter à transmettre autour de vous, notamment aux étudiants qui font des rapports, des thèses, des articles, que la science doit justifier tous ses dires. 

D'où une première règle "Une phrase, une référence". 

Et, évidement, la référence doit être celle d'un document de bonne qualité. D'autre part, il y a une faute fréquente, et facile à dépister : jamais d'adjectif ni d'adverbe, que l'on remplacera toujours par la réponse à la question "Combien ?"... tant il est vrai que la fondation des sciences de la nature est un acte de foi : le monde est écrit en langage mathématique (comptez sur moi pour être capable de vous interpréter cela d'une façon qui réfute d'avance certains tenants des science studies ; j'insiste, j'ai écrit "certains"). 

Et là, hélas, je suis sur une note amère à la fin d'un billet qui veut rendre service. Impossible, pour quelqu'un qui propose que ce soit une politesse de voir la bouteille plus qu'à moitié pleine. 

Réconfortons donc nos jeunes amis : il existe de "belles personnes", des rapporteurs attentifs et aidants, des collègues si intéressés par les sciences de la nature qu'ils dépassent les mesquineries que trop craignent. La boutade initiale est une boutade, et il existe des épistémologues remarquables : je vous invite à lire, sans attendre, les livres du défunt Jean Largeault, qui était un puits de science. Et pour avoir une idée de la personnalité de cette homme, n'hésitez pas à assister aux cours d'Anne Fagot-Largeault, dont il était l'époux. 

Vive l'Etude !

vendredi 11 août 2023

Questions de formation

 
Note liminaire : dans ce qui suit, je restreins (abusivement, mais cela ne concerne que ce billet) la science aux sciences de la nature. 

 

On a souvent fait l'hypothèse (je retiens ce mot) que "la science est une excellente formation". 

D'abord, est-ce la science au sens de la connaissance ?
Ou bien la recherche, au sens de la pratique ?
Ou... 

Et puis, ne soyons pas des enfants ("Un homme qui ne connaît que sa génération est un enfant", disait Cicéron) : la formation des jeunes esprits ne s'est pas toujours faite par la "science", mais aussi par le grec, ou par le latin, ou par la rhétorique, ou par les lettres... 

Qui nous prouve que la "science" serait une meilleure méthode ? Ou les mathématiques ? Pourquoi pas l'histoire ? Ou l'éducation physique ? 

Certes, dans notre monde très technique, il est certain que les économies ont besoin de personnel techniquement avancé, et l'on analyse que la technologie se fonde sur les résultats de la science, qu'il faut comprendre, avant de sélectionner ceux qui doivent être appliqués. 

Mais, une question iconoclaste, pour moi qui ne rêve que de recherche scientifique : est-il préférable de former les technologues (et les autres) par la science (laquelle : pratique ou résultats?), ou bien serait-il préférable de former les scientifiques par la technologie ou la technique ?

jeudi 10 août 2023

Science et concurrence


Ce matin, une question d'un étudiant : 

 

Votre travail est-il sujet à la concurrence ?

 

Je ne le sais pas, et je m'en moque, parce que j'ai des questions par milliers : la simple probabilité que quelqu'un fasse la même chose que moi est infime. 

D'autre part, imaginons quelqu'un qui s'intéresse à la même chose que moi : ce serait donc un ami, pas un concurrent. 

C'est ainsi que, en 1986, j'ai téléphoné à Nicholas Kurti, que je ne connaissais pas, et dont on m'avait dit qu'il faisait comme moi. En réalité, il était physicien, et moi physico-chimiste, et c'est devenu,  dans la seconde où je lui ai parlé,  un ami merveilleux. Enfin quelqu'un qui s'intéressait aux mêmes sujets que moi ! Nous nous téléphonions chaque jour, plusieurs fois par jour, et il refaisait à Oxford les expériences que je faisais à Paris, et vice versa. 

Nous avons ensemble créé la gastronomie moléculaire, les Congrès internationaux de la discipline, nous avons fait des conférences en commun, des livres, des articles... Quel bonheur, et quelle tristesse quand il est mort, en 1998. 

La concurrence ? C'est une question de quelqu'un qui a "peur". Pour moi, j'avance, je défriche, et qui m'aime m'accompagne. Je n'ai pas peur, au contraire, je ne supporte guère le connu, et il me faut l'inconnu. C'est cela, aussi, l'état d'esprit de la recherche scientifique. Il faut que j'apprenne sans cesse, par moi même, que je parte à la découverte du monde. 

C'est un vrai bonheur, et encore plus de bonheur quand on est entre amis. La concurrence ? Impossible, parce qu'il y a un "style", en science. Par exemple, Pierre Gilles de Gennes, que j'ai bien connu, avait un style très particulier. Jean-Marie Lehn, extraordinaire chimiste (aidez moi s'il vous plaît à militer pour qu'il ait un second prix Nobel, pour ses travaux sur l'auto-organisation)  a un style très à lui. 

La recherche scientifique se fait, ainsi, de façon très idiosyncratique, stylée : comment voulez vous que deux individus puissent avoir le même style, puisque le style, c'est l'homme, disait Buffon.

mercredi 9 août 2023

La gastronomie moléculaire ? C'est une science de la nature, et pas une technologie

 Partons de cette question lancinante des rapports de la science et de la technologie, une question compliquée par l'ego de chacun, assorti du goût personnel pour la science ou pour la technologie, et rendue confuse par l'espèce d'aura qu'aurait la science, connaissance qui serait "pure" (un mot bien compliqué), tandis que la technologie serait appliquée, utilitaire, "impure", donc.

Je déteste ce débat pourri, à la base, par les préjugés, les fantasmes, les prétentions, la prétendue pureté d'une connaissance qui n'a d'autre objectif qu'elle-même, la prétendue impureté d'une connaissance liée à l'action... 

 

Essayons donc de dépasser ces projections, ces fantasmes, afin de mieux comprendre. 

 

On parlera de sciences de la nature pour l'exploration des phénomènes, et de technologie pour l'étude des techniques, puisque c'est là le sens véritable de ces deux mots. 

On criera "Vive les sciences de la nature" à condition de ne pas oublier de clamer aussi "vive la technologie". 

On dira que l'on peut perdre son âme à l'étude sans autre but que l'étude elle-même, et l'on dira que l'on peut perdre son âme à la recherche d'applications détestables (les gaz de combat...), mais on dira aussi que la découverte de mécanismes nouveaux de phénomènes inédits repousse les limites de la connaissance, cette connaissance qui contribue à notre humanité, et l'on dira aussi que c'est la technique qui nous fait véritablement humain, que la tête et la main sont indissociables, comme le savoir et la technique. 

 

Cela étant posé (mais cela devra être répété de façon lancinante, encore et encore), nous pouvons revenir à la question "locale" de la science et de la technologie, dans le cas particulier de la gastronomie moléculaire. 

La gastronomie moléculaire est-elle science de la nature ou technologie ? 

La réponse est claire : elle est science de la nature, parce que c'est cette "case" qui avait été vue manquante dans les années 1980 avec mon vieil ami Nicholas Kurti. Nous avions bien identifié que, puisque la science des phénomènes culinaires restait très rudimentaire, il y avait une activité spécifique qui devait être créée, et qui a été nommée gastronomie moléculaire. 

C'était clair, c'est clair, cela reste clair. 

Pour autant Nicholas et moi-même avions un deuxième (voyez : je n'ai pas écrit "second") objectif, voisin de la gastronomie moléculaire, et qui ne se confondait pas avec elle : la rénovation des techniques culinaires, activité véritablement technologique, et à la quelle j'ai donné ultérieurement le nom de cuisine moléculaire. Les choses sont donc claires :  il y a la science  qui a été nommée gastronomie moléculaire, et il y a une activité technologique qui a été nommée cuisine moléculaire ; plus tard est apparue  la cuisine note à note, un pan de rénovation très spécifique et inattendu à l'époque.