mercredi 25 novembre 2020

Des réponses à un interlocuteur pas parfaitement honnête !

 Je reçois indirectement, à propos du rapport sur les nitrates et les nitrates publié récemment par l'Académie d'agriculture  


Je reconnais la patte de Hervé This et de de la Confédération de la charcuterie CNCT).
Hervé This a une vue réductive de la cuisine, il la considère comme de la chimie. C'est comme si le vin était de l'alcool éthylique et de l'eau :  (CH3-CH2OH) + H2O.
La CNCT est un organisme vieillissant.
Il n'y a rien d'autre dans cette "étude"  qu'une compilation d'informations à décharge.
Des milliers de page "d'études" ont été faites par l'industrie des charcuteries anglo-saxonnes depuis de décennies (avec toujours la mise en exergue du clostridium botulinum qui est en fait hors sujet), celle-ci n'en est qu'un dernier avatar français sans intérêt.
En fait toutes ces "études" sont un combat d'arrière garde de l'industrie de agrochimique pour conserver  un marché juteux, le même combat qu'a mené avec un succès mitigé l'industrie du tabac depuis la fin de la seconde guerre mondiale pour finir par le perdre.
Si vous voulez mieux connaître le sujet, lisez juste ce livre de xxxx [je supprime pour ne pas faire de publicité à un ouvrage douteux]
Vous y trouverez notamment pourquoi le consortium Jambon de Parme a interdit le sel nitrité et le salpêtre dans ses jambons AOP il y a 25 ans. Un combat d'arrière garde, je vous dit. !!! On a 25 ans de retard sur les italiens.


Mon interlocuteur se trompe de plusieurs points de vue :

1. le rapport est une analyse serrée, et je ne cherche pas personnellement à mettre du sel nitrité partout : il me fait donc un procès d'intention, et cela est malhonnête !

2. le rapport n'a rien à voir avec la CNCT ; celle-ci a été auditionnée, tout comme les opposants (ceux qui ont accepté de venir débattre), et c'est tout

3. Je n'ai pas une vue réductive de la cuisine : mon interlocuteur projette ses fantasmes (qu'il lise mon "La cuisine, c'est de l'amour, de l'art, de la technique" avant de proférer des âneries). C'est à nouveau un procédé intellectuellement douteux.

4. Non, le rapport n'est pas à décharge... car il n'y avait aucun intérêt pour, ou bien contre les nitrites ; seulement une volonté d'y voir clair, et d'avoir des faits bien établis, indépendamment des idées préconçues

5. Des milliers de pages : c'est bien ce que les membres de l'Académie d'agriculture de France ont lu, et bien lu (mais mon interlocuteurs, a-t-il lu les publications ? les a-t-il seulement eues entre les mains ? ou cause-t-il de ce qu'il n'a jamais vu  ;-))

6. Clostridium botulinum hors sujet ? J'aimerais le croire, mais si les incidences diminuent, il y a encore eu des tapenades toxiques il n'y a pas si longtemps.

7. Le "combat juteux" ? bof, je vois mal pourquoi, car le chiffres d'affaires du sel nitrité ne doit pas être considérable ;-). Et puis, personnellement, cela ne m'intéresse pas (je rappelle que je ne touche pas un centime de toute cette affaire).

8.XXXX : s'il y a bien quelqu'un de peu recommandable, c'est lui ; moi, je cite des scientifiques, et mon interlocuteur cite des journalistes bizarroides... qui me calomnient sur twitter (je dis bien calomnient, pas médisent : mon interlocuteur sait-il la différence entre les deux mots ?)

9. Oui, on peut parfaitement faire des jambons secs, voire des jambons de Paris sans sel nitrité, à condition de bien faire.

10. Il y a eu des artisans (je dis bien des artisans) qui utilisaient le sel nitrité pour la couleur, comme colorant... tout comme il y en a qui font du fumage pour la couleur ; ce ne sont pas des pratiques recommandables (dans le second cas, car les produits de fumée ne sont pas ce qu'il y a de plus sain, surtout avec les procédés de fumage anciens).

11. Mais je suppose que mon interlocuteur est braqué, donc pas la peine de discuter avec des personnes comme cela.

12. J'ajoute que je n'ai aucun intérêt dans toute cette affaire, comme je l'ai expliqué publiquement sur twitter.

Mais  les chiens aboient, et la caravane passe.

mardi 24 novembre 2020

Dégraisser l'huile ? Tout faux !



Je lis, dans le livre de cuisine de François Massialot intitulé Le cuisinier moderne (1705): "Pour dégraisser l'huile, vous faites chauffer de bonne huile d'olive bien chaude dans une terrine, vous y mettez le feu comme à de l'eau-de-vie, & le soufflez dans le moment, car elle brûlerait, ou bien pour l'éteindre, vous y jettez un filet de vinaigre.
D'autres pour la dégraisser font chauffer l'huile bien chaude, comme ci-dessus, la versent dans un peu d'eau froide & la fouettent, & s'en fervent à ce qu'ils en ont besoin."
Oui, on a bien lu : il s'agit de "dégraisser l'huile" ! Et en y mettant le feu ! Et en versant de l'eau sur de l'huile qui flambe ! Tout faux !

Tout faux, d'abord parce que l'huile est de la graisse, et n'est rien que cela, de sorte que l'on aurait bien du mal à la "dégraisser", à moins que, par ce terme, Massialot entende autre chose qu'enlever l'huile (par exemple des impuretés particulières, telles des cires).

Tout faux, parce que l'huile qui flambe s'oxyde, et devient malsaine. On sait aujourd'hui que, parmi les composés formés, il y a l'acroléine, particulièrement toxique.

Tout faux, enfin, parce qu'il ne faut surtout pas jeter un liquide aqueux sur de l'huile qui flambe, sous peine de provoquer une grave explosion : le liquide tombe au fond du récipient, sous l'huile, et,  là, il s'évapore, de sorte que la vapeur projette partout de l'huile enflammée.

Comment est-il possible de que telles âneries aient été écrites ?  

lundi 23 novembre 2020

Des indications pour le concours de cuisine note à note

 A propos de "suspensions" : la fondue ?

On m'interroge à propos du prochain concours international de cuisine note à note dont le thème est  : les suspensions.

Les suspensions ? Ce sont des dispersion colloïdales de particules solides dans un liquide, pour les suspensions liquides, et de particules solides dans un solide pour les suspensions solides.

Mais je m'aperçois que cette définition abstraite ne suffit pas puisque l'on m'interroge en me demandant par exemple si les fondues au fromage sont des suspensions.
Commençons donc par les fondues au fromage que l'on fait classiquement en chauffant du fromage dans du vin. Le gel laitier qu'est le fromage se désagrège et laisse partir dans le liquide des gouttelettes de matière grasse et, sans doute aussi, des micelles de caséine, de sorte que l'on obtient une émulsion, qui est donc une dispersion d'un liquide dans un autre, mais pas une suspension.

Des exemples de suspension, alors ?

Il y a d'abord les frappés aux fruits ("smoothies"), que l'on obtient en broyant un tissu végétal dans un liquide : le broyage désagrège le tissu végétal  macroscopiques en particules qui peuvent avoir des tailles variées, des gros morceaux jusqu'à des résidus de cellules. Car effectivement, les tissus végétaux sont des agrégats de sacs vivants, les cellules végétales en l'occurrence, et le broyage forme des morceaux plus ou moins petits qui vont du gros agrégats de nombreuses cellules jusqu'au morceau de paroi végétale brisée.
Il y a donc là des petits solides dispersées dans un liquide, et donc une suspension.
Très analogue est la purée de légumes, bien évidemment, à cela près que la phase aqueuse est réduite.

Une autre  : la crème anglaise, que l'on obtient en chauffant une solution de protéines, classiquement du jaune d' œuf avec du sucre et du lait.
Cette fois, le processus est inverse du précédent, à savoir que l'on part des molécules pour former des agrégats de plus en plus gros... jusqu'au grumeau, quand la crème anglaise est ratée. Mais en tout cas, pour une crème anglaise réussi, l'épaississement vient de la formation d'une suspension.

Pour le concours  de cuisine note à note, les deux processus, du macroscopique vers le moléculaire, ou du moléculaire vers le microscopique, sont utilisables bien évidemment.
On pourrait constituer un solide macroscopique, note à note, que l'on diviserait, ou, au contraire, dissoudre les molécules dans un liquide et provoquer l'agrégation.


Reste la question de la fondue.

Au fond, si on veut simplement faire une fondue, que l'on fasse une fondue, mais la probabilité de gagner le concours est réduite, car qu'a-t-on le fait plus que la cuisine traditionnelle ? En revanche, s'il s'agit d'abstraire et de généraliser, alors on voit un gel qui se dissocie et qui laisse partir dans la solution ses constituants, et là, oui, il y a une idée car nous sommes encore dans le mouvement descendant, du macroscopique au moléculaire, mais nous avons remplacé ici l'agitation thermique par la dissociation.
Un exemple ? Partons de grains d'amidon (des solides, de la fécule) que nous dispersons dans un gel de gélatine (aspic) ou de pectine (confiture). Puis mettons ce gel dans un liquide chaud : il fond, et libère les particules solides qu'il contenait.

Reste à donner du goût !

vendredi 20 novembre 2020

De nouveaux éléments de cours, à propos de soufflés

Il y a quelques jours, j'avais mis au net des considérations "calculatoires" à propos de soufflés, et l'on m'a interrogé depuis :

La recette et les quatres règles fonctionnent à la perfection, cela dit cela vient probablement de mon soufflé mais je n'ai pas observé de doublement ou plus du volume du soufflé à la cuisson, aurais-tu des valeurs de mesures de hauteur avant et après gonflement ?
Dans quel cas et par quels mécanismes un soufflé peut retomber (se dégonfler) ? Est-ce qu'un soufflé retombe aussi quand la cuisson est parfaite ?
Les artisans et amateurs sont de plus en plus équipés en matériels et rigoureux sur les pesées, rajouter une quantité de farine, tel que 25g, à la place de "deux cuillères à soupe bien pleines" serait encourager cet élan.

Dans l'équation des gaz parfaits T est en Kelvin mais le T2/T1 obtenu ensuite est adimensionnel. Comment se fait-il que convertir des Celsius en Kelvin soit dans ce cas encore nécessaire ? Est-ce parce que l'égalité comprend encore le volume, volume qui est issu d'une équation ou la température est en K ? Si l'unité Celsius est conservée le facteur de passage de V1 à V2 est de 5.
Comment continuer le calcul avec les P1 et P2 quantifiées ? En faisant une recherche rapide je n'ai pas trouvé de conversion de mm huile en Pa.

Dans l'article de 2002 dans la légende de la figure relative au mesure de température il est indiqué que le soufflé est parfaitement cuit quelque minutes après que la température est atteinte 65-70°C. Cette température correspond à un temps d'environ 10-12 min mais dans la recette donnée le soufflée cuit 30 min et sur la figure 1  T(25) = 90-95°C. Quelle est la température finale de cuisson d'un soufflé parfaitement cuit ?
Pour le calcul de la théorie du gonflement du à la dilatation des bulles d'air, rectifée par rapport à la température observée, avec T2= 353/ T1 = 293,  353K égale 80°C mais sur la courbe T(t) Tmax est d'environ 95°C.

1 mol de gaz parfait = 24L à Patm et 25°C, le volume d'un gaz augmentant avec la température, et à l'intérieur du soufflé la température de la vapeur étant de 100°C, existe-t-il des valeurs de volumes molaire du gaz parfait en fonction de la température ? Si oui faut-il le prendre en compte dans les calculs ?
Comme tu avais précedemment donné des eléments de réponse sur ce calcul -je t'en remercie- la division 10/18 a été comprise mais je ne suis pas certain que sans l'information 1 mole d'eau = 18g non présente dans le document que j'eus saisi.

Quel est la réponse prépondérante du facteur croûte sur le gonflement ? La diminution du volume du à l'augmentation de pression une fois celle-là formée ("Quand à la pression, elle augmente un peu, parce que la croûte se forme, de sorte que les gaz de
l'intérieur n'ont alors plus la possibilité de se détendre aussi facilement qu'au début de la cuisson") ou bien la hausse du volume par rétention du gaz une fois celle-là formé ("si l'on cuit un soufflé dans un récipient transparent, tel un bécher en Pyrex, dans un four dont la porte est vitrée, on voit des bulles qui montent dans la préparation et viennent crever au sommet du soufflé, quand la croûte n'est pas encore faite") ?
Qu'est-ce qui augmente la pression interne du soufflé ? Est-ce la formation de la croûte imperméabilisant l'intérieur du soufflé (article 2002 "which means that a volume of about 10 L could be obtained if the upper surface were made vapor proof!") ou bien la masse augmentante du soufflé pesant sur le gaz ("d'où d'ailleurs une pression qui augmente en raison de la masse de soufflé, qui pèse sur le gaz") ?

Pourquoi les blancs en neige fermes retiennent-ils mieux les gaz à la cuissson alors qu'ils sont incorporés et dissous dans la béchamel avant cuisson ? Est-ce l'augmentation de la viscosité des blancs qui permet le meilleur gonflement ou bien peut-on formuler l'hypothèse que le nombre de bulles supérieure, des blancs plus montés, qui s'éclatent lors du mélange dans la béchamel, puisse former les nucléis des futures alvéoles du soufflé et que plus ces nucléis sont en nombre conséquents plus il y a de cavités retenant la vapeur d'eau et donc de gonflement possible ? (désolé d'avoir fait une hypothèse sans mesures)

 

Là, manifestement, notre interlocuteur ne réfléchit pas assez, parce que je suis certain qu'il aurait pu -en réfléchissant !- trouver comment convertir des millimètres d'huile en pascals, par exemple. Et il aurait également dû passer plus de temps sur les autres questions, au lieu d'attendre qu'on lui donne la bécquée. 

 Mais bon, j'ai voulu faire plus simple, et un nouveau document se trouve sur : 

https://tice.agroparistech.fr/coursenligne/main/document/document.php?cidReq=PHYSICOCHIMIEPOURLAF&curdirpath=/Des%20elements%20de%20cours

mardi 17 novembre 2020

Guy Ourisson, à propos de Laurent Schwartz, à propos des universités : le dernier morceaux 7/7

 



Le livre de Laurent Schwartz comprend d'autre part de nombreux passages qui ont une importance intrinsèque, indépendante des discussions de 1983, et qui nous livrent des trésors : ceux que recèlent les réflexions de quelqu'un qui a autant fait, autant vu, et autant compris que l'auteur. Souvent, sur les mêmes thèmes, des études précises ont été faites depuis plus de deux ans dans les bureaux du ministère. Très fréquemment les propositions de Laurent Schwartz coïncident avec celles qui ont été envisagées. Malheureusement,  les obstacles révélés par les études des services de la rue Dutot sont souvent les mêmes que ceux qu'il repère, sans d'avantage savoir comment les abattre ou les contourner.
Il en est ainsi de son analyse des dangers du recrutement local, des réformes nécessaires (et souvent en cours) dans les grandes écoles, des dangers extrêmes posés par les recrutements "en accordéon" et par une pyramide des âges catastrophique, des relations entre universités et organismes de recherche, de la nécessité (prévue dans la loi, mais attendue avec scepticisme -après tout la loi de 1968 prévoyait bien des CRESER...) d'une évaluation critique de l'activité des enseignants-chercheurs, des avantages des diplômes d'université, etc., etc.
Tout ceci doit se lire, et devrait rapidement être discuté dans l'ensemble du milieu universitaire et para-universitaire ; je souhaite aussi que quelques-uns de nos parlementaires trouvent le temps de le lire avant de le citer. Mais ce livre mériterait une audience plus large : ce sont là des questions capitales, qui devraient sortir du ghetto universitaire. Pour l'essentiel, cependant, "la suite dépend de nous".
Une seule conclusion s'impose et je l'ai déjà tirée : il faut lire ce livre. Le lire, c'est se préparer à bien analyser, quand elles sera définitive, la loi qui nous régira pendant quelque temps, pour en tirer un mode d'emploi. Espérons, je l'ai aussi déjà dit, que des décrets d'application restrictifs ne viendront pas, comme après 1968, rendre impossibles toutes les expérimentations, toutes les diversités, toutes les prises de responsabilité, toutes les entreprises de qualité.
Encore un mot pour terminer, sur une idée qui m'est chère. Dans ma première phrase, j'ai reproché à Laurent Schwartz son "provincialisme parisien". C'était évidemment une provocation puérile, mais elle me sert de prétexte pour regretter que Laurent Schwartz, en de nombreux passages de son texte, méconnaisse superbement la situation réelle de nombreuses universités non-parisiennes. Je pense ne pas être le seul ancien responsable des enseignements supérieurs à avoir parfois souhaité ne pas avoir à "sauver" aussi  les universités parisiennes et à avoir rêvé aux délices d'une Direction générale n'ayant à résoudre que des problèmes réels et mesurables, comme ceux de beaucoup d'université de province. Un exemple seulement d'affirmation qui fera sourire nos universités éloignées : "Paris était autrefois l'aboutissement d'une carrière. On cherche aujourd'hui à tout prix à y débuter, alors que d'excellentes équipes existent en province...". Merci pour elles, mais je tiens à la disposition de l'auteur des lignes de jeunes gens éminents qui ont tout fait, et font tout, avec succès, pour éviter de tomber dans le "piège parisien", lequel était bien plus efficace (en tout cas dans les sciences expérimentales) il y a 20 ou 30 ans ! Ceci, bien que d'"excellentes équipes existent" aussi à Paris.


A propos de cuisson aux micro-ondes


On m'interroge  :
"Que dites vous de la cuisson au four à micro-ondes (tant du point de vue nutritionnel que pour une utilisation culinaire) ?

Allons-y en commençant par signaler qu'il y aura un chapitre sur cette question dans le Handbook of molecular gastronomy, qui paraît fin avril.

Puis ajoutons que les méthodes de cuisson médiévales (sauté, rôtir, poêler, bouillir...) sont... médiévales ! Les micro-ondes sont des outils nouveaux, avec un rendement énergétique bien supérieur : alors que l'on a classiquement un rendement de 20 % environ (ordre de grandeur), on aurait plutôt du 80 % pour des micro-ondes (ordre de grandeur). En ces temps de réchauffement climatique, cela n'est pas à négliger, civiquement parlant.

Nutritionnellement ? Je ne dois rien en dire, conformément à ma promesse ancienne : https://hervethis.blogspot.com/2019/10/ni-nutrition-ni-toxicologie.html

En matière culinaire, en revanche, je propose de ne pas comparer les micro-ondes avec du rotissage (infrarouges)... parce que les résultats sont différents, sauf à se tordre le bras avec des plats brunisseurs ou autres, qui ne font pas la même chose. En gros, les micro-ondes chauffent l'eau des aliments, mais jusqu'à coeur, de sorte que ce n'est pas un bon moyen d'obtenir un gradient. Et, d'autre part, puisque les matières qui contiennent de l'eau sont rarement portées à plus de 100 °C tant qu'elles sont humides, on n'atteindra pas les températures supérieures. Autrement dit, sauf équilibrisme, on ne va pas frire, croustiller, etc.

Pour bouillir, pas de problème. Pour braiser, cela va bien aussi. Pour pocher, pas de problème. Pour de la basse température, on y arrive avec le réglages intermittent.

Mais prenons un peu de recul : les micro-ondes chauffent l'eau des aliments, et cela a des effets :
- de nombreuses protéines dans l'eau coagulent, formant un gel chimique (par exemple, le blanc d'oeuf)
- les grains d'amidons dans l'eau chauffée s'empèsent (riz, pâtes, pommes de terre...)
 - les pectines sont hydrolysées et le ciment intercellulaire se dégrade (amollissement des légumes)
- l'eau peut s'évaporer (croûtage léger)
- les gels physiques fondent (gélatine, confiture, chocolat)
- et ainsi de suite.
 
Tout cela peut être utile... ou pas. Mais la panacée n'existe pas, ni l'outil universel : à chaque objectif son chemin, sa méthode, son outil.

Quant aux espèces chimiques formées, ce sont, d'après les nombreuses études qui avaient été faites, les mêmes que celles qui se forment dans d'autres types de cuisson classiques, et, en tout cas, les micro-ondes sont bien moins "barbares"  que des méthodes classiques : aucun chimiste ne porterait des réactifs aux 300 ° C que l'on mesure sous un steak, ni ne chaufferait de l'huile jusqu'à l'enflammer. Alors les espèces néoformées et les dangers des micro-ondes...

lundi 16 novembre 2020

Guy Ourisson, à propos de Laurent Schwartz, à propos des universités 6/X

 "La suite dépend de nous"

 Comme on le voit par les exemples précédents, Laurent Schwartz a souvent plutôt tiré ses flèches contre les défauts d'un milieu qu'il connaît bien, que contre le texte de la loi. Mais  dans certains cas, rares, sa cible est précise, et il la rate.
C'est le cas, je crois, pour l'important passage relatif à la recherche. il souligne : "La recherche est presque totalement absente de la loi Savary". C'est incroyable ! Nous trouvons dans la loi, au 2e alinéa de l'art. 1, "la recherche, support nécessaire des formations dispensées", puis au paragraphe 3 du même article, "la participation au développement des connaissances et à l'évolution des technologies", puis les 6 paragraphes de l'art. 4 et le premier de l'art. 5 ; puis le 1er de l'art . 6, puis l'article 14 sur le troisième cycle, puis des indications diverses aux articles 16, 17, 18, 28, 30, 31, 33, 39, 43, 53, 56, 64 (sauf erreur ou omission). Ce n'est certes pas la recherche qui est absente de la loi, c'est son organisation qui n'est qu'esquissée, et c'est fort heureux ! Visiblement, c'est à d'autres sources de la loi Savary que Laurent Schwartz alimente ses craintes de "Menaces contre la recherche" (c'est le titre d'un de ses chapitres). Et je partage certaines de ses craintes, mais pas toutes (ainsi, je ne crois pas que son analyse des inconvénients de la "nouvelle thèse" et de l'habilitation soient justifiées) - mais je n'en parlerai pas ici. Je voudrais aborder un autre point.
Laurent Schwartz  pose une question à caractère général : "Quel sera le pouvoir du président d'une université élu par (des) conseils fortement syndicalisés ?" Il compare ce pouvoir faible, limité par des engagements pré-électoraux, à celui, incontestable, d'un directeur d'école, nommé par le ministre. Je défends depuis 15 ans que c'est le type même du faux problème. Ayant été président élu aussi bien que directeur (général) nommé, je prétends pouvoir donner un avis. Le pouvoir d'un président élu est considérable -ou peut l'être- lorsqu'il  est président de l'université, pas seulement de son conseil ; ce dernier, à moins d'être suicidaire, ne petu rester indifférent au courant de soutien dont peut bénéficier un président compétent (acceptez l'hypothèse) et actif. En outre, dès que les durées des mandats ne coïncident pas, la marge de manoeuvre devient considérable. Quand enfin le président n'est pas immédiatement rééligible, comme il est à nouveau prévu, son pouvoir réel devient immense, à condition bien sûr qu'il souhaite faire face à ses responsabilités. Quand au directeur nommé, Laurent Schwartz est évidemment trop profondément  démocrate pour suggérer qu'il soit nommé  par le ministre, comme au Chili ou à Novosibirsk, sans consultation du conseil qu'il aura à présider. Et je maintiens que si le roi de France ne devenait indiscutable qu'après avoir été sacré à Reims, la nomination par le ministre sur proposition des conseils  n'est qu'une variante de l'élection, et que la bénédiction du ministre ne transformera pas un directeur faible en homme de caractère. Je regrette donc que Laurent Schwartz  ait alimenté la discussion sur ce point. L'important est que la personne élue ou nommée ne soit pas imposée contre une volonté exprimée et expliquée dans des futurs dirigés, et que l'administration, dans ses rapports  avec l'institution, ne scie pas la branche sur laquelle est assis le président ou le directeur, en entretenant des rapports privilégiés avec ses opposants, ou simplement avec certains de ses collègues. Figurez-vous que cela s'est vu...

A propos des alcaloïdes des peaux de pomme de terre

J'ai fait la promesse publique de ne plus parler de toxicologie et de nutrition, parce que, d'une part, je ne suis pas spécialiste de ces disciplines (même si je suis attentivement les publications scientifiques, avec plusieurs alertes dans des journaux de bonne qualité), et, d'autre part, je crains que ce soit un peu inutile   : je ne suis pas sûr que mes interlocuteurs changent de comportement quand ils ont des données juste qui contrarient leurs opinions alimentaires personnelles.
Voici ce que j'avais écrit : https://hervethis.blogspot.com/2019/10/ni-nutrition-ni-toxicologie.html.

De ce fait je suis vraiment embarrassé quand on m'interroge sur des questions de toxicologie ou de nutrition, et la seule chose que je puisse faire est de donner des informations.
En l'occurrence, aujourd'hui, on m'interroge sur la solanine des pommes de terre et, chimiste, je peux commencer par observer que ce composé, cet alcaloïde, n'est pas le seul qui soit présent dans la peau des pommes de terre  : il y a également la chaconine et la solanidine,k notamment.
Ces composés ont des toxicités (comme tous les composés) qui sont  connues depuis longtemps, puisque déjà, Parmentier avait observé un goût brûlant quand il avait consommé une décoction de peau de pomme de terre (voir mon article sur Parmentier à l'Académie de Pharmacie).
À l'époque, on ignorait tout de ces alcaloïdes, mais on en sait plus aujourd'hui et je renvoie mes amis vers l'immense masse de publications scientifiques à ce propos : il suffit d'ouvrir Google Scholar et de taper "potatoes alcaloïds" : https://scholar.google.com/scholar?hl=fr&as_sdt=0%2C5&q=potatoes+alcaloids&btnG=.

Mais je veux quand même signaler plusieurs points que j'ai relevés dans les publications que j'ai lues.
Tout d'abord, les alcaloïdes de la pomme de terre se trouvent dans les trois premiers millimètres sous la peau.
Ensuite, ils résistent à des température de 285 degrés Celsius, de sortes qu'ils ne sont pas détruit par la cuisson.
Il y a, en ligne, une publication qui a considéré la quantité d'alcaloïdes des pommes de terre consommé dans les nourriture de rue au Pakistan  : les frites sont faites à partir de pommes de terre qui n'ont pas été pelées... et la "dose journalière admissible" est dépassée (Aziz et al., Journal of Food Science ! Vol. 77, Nr. 3, 2012).
Enfin l'Agence européenne de sécurité des aliments, l'Efsa, vient de publier un rapport que j'invite tous mes amis à consulter  : Risk assessment of glycoalkaloids in feed and food, in
particular in potatoes and potato-derived products, doi: 10.2903/j.efsa.2020.6222.
Et voici le résumé :

Abstract
The European Commission asked EFSA for a scientific opinion on the risks for animal and human health related to the presence of glycoalkaloids (GAs) in feed and food. This risk assessment covers edible parts of potato plants and other food plants containing GAs, in particular, tomato and aubergine. In humans, acute toxic effects of potato GAs (a-solanine and a-chaconine) include gastrointestinal symptoms such as nausea, vomiting and diarrhoea. For these effects, the CONTAM Panel identified a lowest-observed-adverse-effect level of 1 mg total potato GAs/kg body weight (bw) per day as a reference point for the risk characterisation following acute exposure. In humans, no evidence of health problems associated with repeated or long-term intake of GAs via potatoes has been identified. No reference point for chronic exposure could be identified from the experimental animal studies. Occurrence data were available only for a-solanine and a-chaconine, mostly for potatoes. The acute dietary exposure to potato GAs was estimated using a probabilistic approach and applying processing factors for food. Due to the limited data available, a margin of exposure (MOE) approach was applied. The MOEs for the younger age groups indicate a health concern for the food consumption surveys with the highest mean exposure, as well as for the P95 exposure in all surveys. For adult age groups, the MOEs indicate a health concern only for the food consumption surveys with the highest P95 exposures. For tomato and aubergine GAs, the risk to human health could not be characterised due to the lack of occurrence data and the limited toxicity data. For horses, farm and companion animals, no risk characterisation for potato GAs could be performed due to insufficient data on occurrence in feed and on potential adverse effects of GAs in these species.

Une fois de plus, on m'interroge à propos de soufflés, et, notamment, de calculs et de mesures que j'ai faits il y a des décennies !

 Une fois de plus, on m'interroge à propos de soufflés, et, notamment, de calculs et de mesures que j'ai faits il y a des décennies !

Je vais répondre, expliquer, mais en mettant cela dans le cadre véritablement scientifique qui était celui de jadis.



1. Commençons par une recette, de soufflé au fromage.
- on préchauffe le four à 180 °C
- on prend un saladier évasé qui va au four, si possible métallique, et on le beurre largement, puis on le farine doucement
- on prend une casserole
- on y met 25 g de beurre
- on ajoute deux cuillerées à soupe bien pleines de farine
- on cuit jusqu'à blondissement de la farine
- on ajoute 250 g de lait
- on cuit jusqu'à épaississement de la sauce
- hors du feu, on ajoute sel, poivre, noix muscade, piment de cayenne, et 100 g de fromage râpé
- quand la préparation a un peu refroidi, on ajoute 4 jaunes d'oeufs
- on mélange bien le tout
- à part, on bat les 4 blancs d'oeufs en neige bien ferme
- on mélange le contenu de la casserole et les blancs en neige, délicatement
- on verse le mélange dans le saladier beurré
- on place sur la partie inférieure du four, contact de métal à métal
- on cuit pendant environ 30 minutes, jusqu'à apparition d'une belle coloration sur le dessus
Lors de la cuisson, on observe un phénomène, qui est le du gonflement du soufflé. Certes, on part traditionnellement de blancs d'oeufs battus en neige, de sorte que la préparation initiale est déjà foisonnée, mais c'est un fait que les soufflés gonflent à la cuisson.

Or les sciences de la nature cherchent les mécanismes des phénomènes, par une méthode qui commence par l'identification d'un phénomène, ce que vous venons de faire. Et voilà pourquoi la "gastronomie moléculaire" est bien une science de la nature (mais nous verrons que cette discipline scientifique ne repose pas seulement sur l'expérience ; il faut le calcul, comme toute science de la nature).


 Et toute la suite se trouve sur 

https://tice.agroparistech.fr/coursenligne/main/document/document.php?cidReq=PHYSICOCHIMIEPOURLAF&curdirpath=/Des%20elements%20de%20cours/Cours_sur_des_points_particuliers

dimanche 15 novembre 2020

Guy Ourisson, à propos de Laurent Schwartz, à propos d'universités : ici, à propos de sélection 5/X

 La démocratisation grâce à la sélection

Abordons donc ce point-clé : la sélection. Alors que le projet de loi dit exclure "toute sélection", Laurent Schwartz intitule deux de ses chapitres "Pour la sélection" et "Comment organiser la sélection". Le divorce est patent.
De fait, il me semble catastrophique que certains amendements de l'Assemblée, par dogmatisme ou par démagogie, aient émasculé les propositions initiales du ministère. Pour la première fois, il était courageusement proposé de distinguer le droit à l'orientation sans sélection, en premier cycle, et la capacité à poursuivre des études longues, ou spécialisées, en second cycle, en fondant cette sélection sur un concours ou un examen de dossier, et en tenant compte des capacités d'accueil et des perspectives d'emploi. Cette possibilité susbiste, sans doute, mais elle exige, dans le texte actuel, un décret "après avis du CNESER". Certes, le CNESER a l'habitude, depuis 15 ans, que ses avis ne soient pas toujours suivis, et heureusement Laurent Schwartz  a fait erreur en lisant "après approbation par le CNESER", là où seul un avis est prévu. Mais enfin, au lieu d'une régulation normale, on aura une procédure lourde, qui restera sans doute exceptionnelle. C'est un point important et concret de désaccord. Mais il est curieux de constater que les suggestions de Laurent Schwartz peut "organiser la sélection" sont dans une très large mesure celles-là que prévoit la loi, ou plutôt qu'elle autorisera si elle n'est pas bridée dans les textes d'application. En particulier, sa formule, en italique dans son texte : "Tout élève qui a passé son baccalauréat dans l'académie X (doit avoir) le droit d'entrer dans au moins une des universités de cette académie" ressemble comme une soeur (fluette) aux dispositions de la loi. Laurent Schwartz lit d'autre part dans la loi une pression pour que l'étudiant s'inscrive dans son académie, sans mobilité. Je lis et relis l'article 12 : je crois que Laurent Schwartz y a lu ce qui n'y est pas dit mais qu'il sait : que de toute façon il sera difficile de faire se déplacer des étudiants de premier cycle (c'est de ceux-là qu'il s'agit) à moins que ne deviennent disponibles des bourses suffisantes ! Quant à la formule de Laurent Schwartz, pour insister sur la liberté de sélectionner leurs étudiants qu'il souhaite voir accorder aux établissements,  ("il faut que tout élève ait le droit  de choisir son université pourvu qu'elle l'accepte") j'avais cru comprendre ce que cela veut dire, mais une amie chère m'a convaincu que dans la vie de tous les jours c'était une évidence, ou un non-sens ; pour vous en assurer, transposez, p.ex. en termes, disons d'affection. Redevenons sérieux pour un sujet qui l'est fort. Je pense que, si des dispositions réglementaires ne viennent pas introduire des rigidités supplémentaires, même le texte actuel relatif au premier cycle permettra aux établissements qui le voudront d'introduire une forme efficace de sélection ; par exemple, l'université X pourra parfaitement accepter d'inscrire tous les candidats à un cycle d'orientation, mais n'en inscrire que 50 dans un premier cycle voisin exigeant des moyens matériels précis (que ce soient des ordinateurs, ou des places d'atelier, ou des caméras de télévision), et exigeant des qualités précises (comme un certain niveau de mathématiques, ou un minimum de connaissances artistiques, ou certaines aptitudes physiques, etc.). Bref, je crois que le texte actuel de la loi, en voulait "exclure la sélection", mais sans oser la définir, devrait permettre bien des expériences. Je le crois et je le souhaite. Mais au fond, je crains, comme Laurent Schwartz, que ce ne soit pas le cas, et je sais que la méthode qui sera utilisée pour le rendre impossible sera tout simplement d'introduire la rigidité nécessaire dans les décrets d'application. J'espère donc, connaissant le profond libéralisme du ministre actuel, que les décrets ne rendront pas encore plus difficiles de faire les quelques expériences qui, réussies, démontreraient qu'il est possible sans brimer les étudiants, mais au contraire pour les aider, d'organiser une "sélection-orientation" efficace. Ce concept, que développe Laurent Schwartz, avait été largement utilisé dans les documents de la Commission Jeantet, préparatoires à la loi.
L'objectif ne doit pas être seulement de permettre que nos collègues chargés des premiers cycles assurent un enseignement efficace (encore que ce soit là un but louable), mais surtout, comme le dit Laurent Schwartz, la sélection est une condition de la démocratisation réelle, si elle permet d' "aller chercher les gens" pour leur rendre possible de faire mieux que ce qu'ils auraient fait sans incitation : c'est la démocratisation qu'ont réussi, en gros, les IUT grâce à la sélection.

Les conclusions essentielles du rapport de l'Académie d'agriculture de France, à propos de nitrites et nitrates dans les aliments

 

Les conclusions essentielles du rapport de l'Académie d'agriculture de France, à propos de nitrites et nitrates dans les aliments, sont les suivantes :

  • Aucune publication ne vient confirmer qu’il existe une différence entre charcuteries traitées aux nitrites et charcuteries non traitées en matière de risque de cancer colorectal ;

  • Le CIRC se livre à une caractérisation des dangers et non des risques, c’est-à-dire qu’il ne fait pas la part des différents produits de « viandes transformées » (incluant les charcuteries traitées ou pas) et ne prend pas en compte l’exposition aux nitrites, donc ne peut pas faire une analyse de risques de substances qui ne sont pas génotoxiques ;

  • Les études épidémiologiques et surtout les méta-analyses prennent en compte des produits alimentaires différents dans ce qu’ils qualifient de « viandes transformées », qui, selon les pays et les continents, ont des compositions différentes, qui ont subi divers traitements technologiques et culinaires qui peuvent donner naissance à des composés cancérogènes. Les études qui tentent d’évaluer l’exposition aux nitrites n’observent pas de lien entre nitrites et cancer colorectal ;

  • Devant les attaques médiatiques dont ils sont l’objet, les professionnels de la charcuterie, en France, ont entrepris un travail de réduction de la teneur en nitrites de leurs productions, produit par produit, sur la base d’études expérimentales ayant pour objet de déterminer la limite minimale qui ne fait pas courir de risque microbiologique au consommateur. En aucun cas ils n’imaginent d’en supprimer totalement l’usage sans avoir l’assurance que d’autres pratiques accessibles à l’ensemble des opérateurs assureraient cette sécurité.

samedi 14 novembre 2020

Guy Ourisson à propos de Laurent Schwartz, à propos d'études supérieures et de recherche (ici les universités) 4/x

 
Sur le plan de la concurrence entre universités, je crois que la très réelle divergence entre le discours officiel et les recommandations de Laurent Schwartz mérite une analyse critique : cette divergence n'a d'ailleurs rien à voir avec la loi Savary. En fait, ce projet n'affirme nulle part l'équivalence, l'égalité  de tous les établissements d'enseignement supérieur. Au contraire, leur autonomie est affirmée et réaffirmée, leur diversité est proclamée "nécessaire", leur politique  de formation, de recherche, de documentation, doit être définie par eux-mêmes, dans les seules limites "de la réglementation nationale et dans le respect de leurs engagements contractuels" : des contrats pluri-annuels sont en effet prévus avec le ministère ou avec d'autres partenaires, et, en outre, des activités de service ou même commerciales pourront être exercées. Tout ceci ne peut certes que contribuer à accentuer, pas à estomper, les différences actuelles, la hiérarchie de fait que tous connaissent. Nous savons bien que rien n'est en fait comparable entre une université trop petite, trop pauvre, qui n'est pas encore arrivée à définir comment elle veut se spécialiser, comment elle peut commencer à prendre une personnalité discernable, - et d'autre part une université depuis longtemps assise, équilibrée et fière de son unité, connue à l'étranger, de taille raisonnable, dont tous les laboratoires sont aidés par le CNRS, l'INSERM ou l'Industrie, - ou encore une université parisienne prestigieuse par le renom de certains de ses professeurs, mais vidée par son gigantisme de toute autre vie collective que les interminables réunions de ses conseils. N'importe quel fonctionnaire de la rue Dutot pourra vous donner sa liste des "bonnes" universités, ou des écoles bien gérées, ou des villes où telle maîtrise a un niveau très élevé, et "case" bien ses diplômés, etc. Aucun des bureaux qui les gèrent ne se dissimule l'existence d'une hiérarchie des universités et des écoles. N'importe quel étudiant un peu attentif vous donnera la même liste, et n'importe quel employeur potentiel la même encore ! Les classements du Monde de l'éducation font sourire, ou font autorité, selon qu'ils coïncident ou non avec cette liste clandestine, non-écrite, mais fiable. Pour assurer l'émulation, la concurrence dans le bon sens, on peut simplement espérer que les contrats pluri-annuels sauront introduire assez d'inégalité pour que les auréoles d'excellence cessent des d'être seulement des auréoles mais soient également récompensées et que le ministre expliquera pourquoi il favorise tel ou tel établissement : parce qu'il a fait tel ou tel effort, ou obtenu tel ou tel succès, ou maintenu simplement son excellence. Par expérience, je sais qu'il est plus difficile de tenir ce langage, qui est aussi celui de mon successeur, que de céder aux pressions naturelles : de donner des moyens supplémentaires à ceux qui, mauvais gérants, en ont le plus besoin... La difficulté, je le répète, ne vient pas de tel article de loi, mais de nous-mêmes, de nos réflexes nationaux, des dogmes non formulés qui sous-tendent ce que nous croyons être la démocratie, de nos complaisances niveleuses : la notion d'homogénéité du service public paraît être un idéal intangible. Admettre ouvertement, revendiquer même, une hiérarchisation des universités, peut paraître a priori  aussi choquant que d'accepter  qu'il y ait ensuite des Cours de cassation à trois étoiles, des Inspection des impôts pratiquant des rabais, un palmarès des préfets.
Ceci étant, et malgré nos réflexes nationaux, j'aurais préféré que le projet de loi Savary reconnaisse explicitement l'existence d'une hiérarchie de fait, et qu'il accepte l'évidence d'universités de très haut niveau, et d'autres dont la seule ambition (ambitieuse !) serait d'aider leurs étudiants à trouver un premier emploi, ou à poursuivre leurs études ailleurs après leur avoir donné une bonne formation complémentaire. L'objectif du ministre peut être - non : doit être- d'aider ces dernières à s'épanouir. Mais ce doit être un objectif prioritaire que de donner aux centres d'excellence (je sais, c'est une expression qui date, mais le ministre précédent, s'il en parlait, n'a rien fait pour...) donc de leur donner les moyens de continuer à servir de locomotives dans un train qui en a bien besoin ! C'est-à-dire de prendre le contrepied de ce qui a été fait depuis 15 ans (je dis bien fait, pas dit). Je crois aussi, comme Laurent Schwartz, que la seule compétition claire est celle que définissent les usagers eux-mêmes : les organismes de recherche et l'économie, pour la recherche, et, pour l'enseignement, les étudiants - donc que compétition et sélection sont liées.


La suite d'une réponse, à propos d'ateliers

science/études/cuisine/politique/Alsace/émerveillement/gratitude

 

Ce billet fait suite à celui d'il y a deux jours à propos de "restaurants de cuisine moléculaire" et d'ateliers de gastronomie moléculaire. 


Voici sans tarder les réponses (en gras)

J'ai bien compris la différence entre gastronomie moléculaire et cuisine moléculaire. Néanmoins, si on veut faire des ateliers de la discipline de la "gastronomie moléculaire", doit-on les nommer des ateliers de "cuisine moléculaire"? 
 
Disons surtout qu'il y a des ateliers variés :
- si l'on cherche les mécanismes des phénomènes, à partir de l'identification de ceux ci, alors c'est de la gastronomie moléculaire, parce que c'est de l'exploration scientifique
- si l'on fait des ateliers pour réaliser perles d'alginate, spaghettis d'agar-agar, etc, alors ce sont des ateliers "techniques" ou "technologiques", selon les cas.

 
 
Pour les scolaires, je pensais que dans les "Ateliers expérimentaux du goût", vous intégriez la cuisine moléculaire. 
 
Pour les Ateliers expérimentaux du goût, nous avons voulu faire quelque chose de très élémentaire, sans aucune référence à la cuisine moléculaire. En tout cas pour le premier lot (fondateur). Bien sûr, ces ateliers laissent toute possibilité de faire ce que l'on veut dedans. Mais le but est souvent de chercher des compréhensions. C'est de la technologie plus élémentaire, en quelque sorte.
Attention, d'ailleurs, à bien distinguer les Ateliers expérimentaux du goût (initialement pensés et introduits nationalement pour le Premier Degré... mais qui ont été utilisés par le Second Degré et l'Enseignement professionnel) et les Ateliers science & cuisine, qui sont une commande spécifique de l'Ed Nat pour le Second Degré, avec des fiches particulières pour le Collège et le Lycée, en relation avec les programmes.


 
Pour le "paquet pédagogique", évoquez-vous les fiches téléchargeables sur https://www.ac-paris.fr/portail/jcms/p1_80293/ateliers-science-cuisine
 
Oui, il y a des fiches professeurs à la fois pour les Ateliers expérimentaux du gout, et pour les Ateliers Science & Cuisine

 
 
Si je comprends bien, question nouveauté, la cuisine moléculaire est déjà dépassée par la "cuisine note à note"?
 
Oui la cuisine moléculaire, c'était une rénovation des techniques, que j'ai entamée vers 1980, mais la cuisine note à note bouleverse tout cela : introduite en 1994, c'est véritablement une cuisine de synthèse. Les ustensiles peuvent évidemment être modernisés, mais la question n'est pas là. Dans des vidéos des podcasts AgroParisTech, vous verrez des préparations note à note avec des ustensiles anciens, que l'on avait sous la main. 



En fait, je crois que ce que j'écris n'est pas exact puisque si je comprends bien la cuisine "note à note" se base sur l'autre. Elle enlève tout ingrédient classique. Est-ce bien cela? 
 
Oui, presque. Le sucre est un ingrédient classique, de sorte qu'il peut être utilisé. Tout comme la maïzena, qui est de l'amylopectine quasi pure. Ou l'huile, qui n'est quasiment que triglycérides.
Et puis, il y a une cuisine note à note "pure", et une cuisine note à note pratique : je vous joins le document de lancement du concours, où cela est expliqué.



vendredi 13 novembre 2020

Guy Ourisson à propos de Laurent Schwartz, à propos de l'université 3/x

 Comme on le voit, la substance est riche et variée, et encore n'ai-je pas même évoqué d'un mot une foule d'autres points auxquels il est possible d'ailleurs que Laurent Schwartz tienne davantage qu'à certains autres mentionnés ici.
J'analyserai d'abord, pour leur valeur exemplaire, deux problèmes fort différents : la notion de concurrence entre universités et celle de "collège unique".
Sur le collège unique, je serai bref : c'est une disposition regrettable en tout cas pour le conseil scientifique, ressentie par les uns comme une brimade et une erreur dangereuse, et par les autres comme une insuffisante compensation au maintien de deux corps séparés. Parfois, le collège électoral unifié élira les professeurs que leurs pairs auraient élus, et tout ira bien ; mais là une majorité de maîtres-assistants imposera ses favoris contre la majorité des professeurs, on aura créé une cause supplémentaire de faiblesse des Conseils, et favorisé l'éclatement de la communauté universitaire. Et, là où ce sont les professeurs qui sont majoritaires, le risque inverse sera fréquent, avec les mêmes conséquences. Je ne sais pas s'il est encore temps d'éviter la fusion des collèges électoraux, et, si elle est maintenue, je ne vois pas par quelle astuce nous pourrons la rendre inoffensive.
Par contre, je n'arrive pas à trouver condamnable la disposition, contestée non seulement par Laurent Schwartz, mais par la plupart de mes collègues, prévoyant un scrutin de liste. Nous avons toujours, je le sais, élu au scrutin uninominal nos représentants aux divers conseils locaux et nationaux. Nous avons voté pour des collègues à qui nous faisions confiance. Mais, pour mon compte, en près de 30 ans, je ne crois pas avoir participé à un seul scrutin sans avoir été informé, par écrit ou par téléphone, que Messieurs X, Y et Z avaient l'appui du Syndicat Autonome ou du SNESup, ou l'appui de M. A.,  ou que Messieurs M et N, et Madame P s'engageaient à défendre en équipe les dossiers de Strasbourg, ou la qualité de la recherche, ou les enseignants les plus anciens, etc. Tous ces scrutins uninominaux étaient, en fait, des scrutins de liste clandestins. Un scrutin de liste avoué (bien sûr avec panachage et listes éventuellement incomplètes) me semble plus moral. Si l'on veut éviter que seules les listes en présence ne soient des listes syndicales, il suffira d'apprendre à constituer à temps des listes équilibrées et convaincantes, mais il faudra le faire. C'est d'ailleurs ce que, contrainte et forcée, l'Association "Qualité de la science française", présidée par Laurent Schwartz, a finalement bien compris.

Des restaurants, des ateliers

Ce matin, des questions auxquelles je réponds sans attendre, puisqu'elles concernent les enfants, donc la construction du monde de demain, qui DOIT être meilleur que celui d'aujourd'hui : 

 

Monsieur This,
Je me permets de vous contacter car je désirerais savoir s'il existe un restaurant de gastronomie moléculaire à Limoges. Je n'en ai pas repéré sur ce site : http://tpe1smauve-cuisine.e-monsite.com/pages/1ere-partie/ou-en-manger.html
Je pense qu'il n'en existe pas dans cette ville. Pourriez-vous me le confirmer svp?
Existe-t-il actuellement des chefs-cuisiniers formés en gastronomie moléculaire autres que ces chefs cités sur le site ci-dessus qui pourraient préparer des Ateliers expérimentaux du goût et des Ateliers Science & Cuisine (collèges, lycées) pour l'académie de Limoges comme vous le faites dans l'académie de Paris? Cf. Ateliers Science & Cuisine)

En vous remerciant par avance des réponses que vous me donnerez
 
 
Et voici à ma réponse : 
 
 
Chère Collègue

Merci de votre message.
Pardonnez moi de rectifier : il n'existe pas de restaurant de "gastronomie moléculaire", puisque la gastronomie moléculaire, c'est une discipline scientifique, et pas de la cuisine.

En revanche, il peut exister des restaurants de "cuisine moléculaire", puisque a été nommée ainsi la cuisine faisant usage d'ustensiles venus des laboratoires. Et, aujourd'hui, la plupart des restaurants font des viandes à basse température, utilisent des siphons, etc. Cette cuisine date de 1980 !

La vraie nouveauté, c'est la cuisine note à note, pour laquelle je ne connais rien à Limoges. Le plus proche que je connaisse est le Futuroscope, mais je ne suis pas sûr qu'ils en fassent : il faudrait le leur demander.
Et  pour les Ateliers expérimentaux du goût, n'importe quel adulte peut les mettre en oeuvre, puisque tout est donné dans le "paquet pédagogique". A l'époque, le lycée hôtelier de Limoges était très moteur ; peut-être aussi les interroger ?

En tout cas, voici des liens :

Avec mes respectueux hommages

jeudi 12 novembre 2020

La suite du texte de Guy Ourisson, à propos du livre de Laurent Schwartz sur les études supérieures 2/x

 (suite)

 

Il se place d'ailleurs résolument en dehors du cadre légaliste, et un paragraphe, moraliste, de sa conclusion, me paraît mériter d'être souligné :  « Notre principale erreur a été d'attendre, passivement, qu'une loi nous tombe du ciel. Elle est tombée de l'extérieur. Cela limite singulièrement sa portée, pour le meilleur ou pour le pire. Si elle avait été parfaite, sa réussite aurait dépendu de nous. Dans la mesure où elle ne l'est pas, la suite dépend tout autant de nous. »  J'y reviendrai :  Laurent Schwartz, je crois que c'est effectivement notre arme principale pour « sauver l'université ».
La thèse de Laurent Schwartz peut-être résumée très simplement, bien que ce soit faire injure à ce livre que d'en présenter seulement le squelette, alors que son importance vient aussi de son ton et de son style, et surtout de sa profondeur, de la richesse et de la densité de son argumentation. Sa thèse et schématiquement la suivante :
Un pays n'est grand que s'il peut compter, pour former ses élites et développer sa recherche, sur des universités (et, en France, des grandes écoles) de qualité. Pour que des universités puisse fonctionner bien et maintenir leur qualité, il faut qu'elles puissent sélectionner leurs étudiants. Cette sélection doit être synonyme, non d'élimination, mais d'orientation, et démocratisation  puisque elle doit faciliter la préparation à un métier et le développement d'une culture. Il doit être possible de créer, à côté des « grandes universités », un réseau dense de « collèges universitaires », aux objectifs voisin de ceux des IUT actuels, et d'assurer à chaque élève qu'il aura « le droit d'entrer dans au moins une des universités de son académie. » La sélection des étudiants implique leur mobilité, et doit s'accompagner d'une concurrence entre les universités, conduisant à une « hiérarchisation ». La sélection, qui touche déjà environ 45 % des bénéficiaires des enseignements supérieurs, permettra un rapprochement des universités et des grandes écoles qui, malgré leur haut niveau dû au fait qu'elles recrutent « les meilleurs étudiants de chaque génération », doivent évoluer  pour former davantage de cadres scientifiques et techniques, plutôt que des cadres administratifs. Les grandes écoles et les "grandes universités" doivent  être des lieux privilégiés d'exercice de la recherche - plus technologique dans les premières, plus scientifique dans les secondes, mais partout au plus haut niveau. La politique de recherche d'un établissement ne peut être établie que par les personnes compétentes, qui doivent pouvoir choisir elles-mêmes leur représentants : il faut donc que les conseils scientifiques comprennent une proportion importante de professeurs, élus par eux-mêmes, ce qui condamne le "collège unique" prévu entre professeurs et maîtres-assistants (alias maîtres de conférences). Par contre, il faut, à tous les niveaux, des instances d'évaluation. Tout ceci, pour assurer "qualité, diversité, responsabilité", les trois conditions du salut.
 

 

à suivre...

A propos de "sels minéraux" (disons plutôt "contenu minéral" ou "ions minéraux")



On m'interroge aujourd'hui sur les "sels minéraux" dans l'eau de boisson. Et mon interlocuteur est perdu, entre  les minéraux, les sels minéraux,  les ions...

Tout cela n'est guère difficile à condition de bien expliquer, en commençant par  un exemple. Partons de l'eau de mer, qui est salée, et évaporons-la : nous récupérons un solide gris, qui est "minéral", parce qu'il n'est ni animal, ni végétal, ni vivant en général. Ce sel marin est un mélange de cristaux de différentes tailles et couleurs, mais il est principalement composé de cristaux de "sel", un terme un peu abusivement pour désigner du chlorure de sodium (je n'explique pas pourquoi on le nomme "un sel", et non pas "le sel").
Ce sel gris peut être raffiné, à savoir qu'on le redissout dans l'eau avant de le recristalliser. Et le sel blanc que l'on obtient alors est fait de petits cristaux individuellement transparents (ce sont les reflets de la lumière du jour sur les faces planes de ces cristaux qui les font apparaître blancs). Et ces cristaux de sel de table sont du "chlorure de sodium" presque pur, avec un empilement régulier, comme des cubes empilés, de deux sortes d'atomes : des atomes de sodium, et des atomes de chlore.
En réalité, ces atomes sont fermement tenus - jusqu'à faire un solide dur-, parce que les atomes de sodium libèrent une petite partie d'eux-mêmes (des "électrons"), tandis que les atomes de chlore les captent. Ainsi, les deux sortes d'atomes deviennent ce que l'on nomme des "ions", et ces ions sont électriquement chargés, de sorte qu'ils s'attirent, un peu comme des aimants peuvent s'attirer.
Si nous mettons ce sel dans de l'eau, les ions sodium et chlore (on dit plutôt "chlorure") se dispersent, en s'entourant de molécules d'eau, et nous obtenons de l'eau salée. Il y a deux parties dans cette eau salée :
- l'eau
- le contenu "minéral", à savoir les ions sodium et chlorure.
Oui, minéral, parce que cela n'est pas vivant, quoi qu'en disent des illuminés (au sens péjoratif du terme), qui évoquent de l'"énergie", de la "dynamique", de la "mémoire", bref, une foule de choses pas avérées, et qui ne sont que le fruit de leur délire. Il faut le redire : le minéral n'est pas le vivant ! Et leurs élucubrations ne sont pas observables expérimentalement (d'ailleurs, avez-vous observé que ces gens-là sont le plus souvent des commerçants (en réalité des charlatans)... qui profitent de l'ignorance pour asseoir leur lucre ?).
Mais revenons à la dissolution du sel de table dans de l'eau : les cristaux de sel, qui sont de petits solides  se dissolvent, ce qui signifie que les ions sodium et chlorure se détachent des cristaux et vont se répartir dans l'eau.
Ce faisant, ils s'entourent de molécules d'eau, mais avec des forces (électriques, à nouveau) plus faibles qu'entre les ions eux-mêmes dans les cristaux. Et les "couches d'hydratation" autour des ions sodium ou chlorure sont changeantes : des molécules d'eau de ces couches repartent dans l'eau tandis que d'autres molécules d'eau viennent autour des ions.  

Revenons à notre question terminologique : les ions sodium et chlorure sont donc des ions minéraux, et l'eau salée contient de l'eau et une partie minérale, un contenu minéral... mais pas de "sels minéraux".

Et une eau de table ordinaire contient de même des ions minéraux : regardons l'étiquette et nous verrons des ions sodium, potassium, magnésium, chlorures, nitrates, sulfates, phosphates...
Les eaux de table contiennent-elles des ions minéraux ? Oui. Un contenu minéral ? Oui. Des sels minéraux ? Non !

Et c'est là qu'un autre exemple simple s'impose : dans de l'eau pure (seulement des molécules d'eau), dissolvant un premier sel, le chlorure de sodium, et un second sel, par exemple le nitrate de potassium. Après la dissolution, il y a dans l'eau des ions chlorure, des ions sodium, des ions nitrate et des ions potassium. Mais il n'y a plus de chlorure de sodium ni de nitrate de potassium, et, d'ailleurs, on aurait exactement le même résultat si l'on était parti de nitrate de sodium et de chlorure de potassium. Il y a donc pas de "sels minéraux" dans l'eau mais seulement des ions minéraux,  un contenu minéral.

Une question, aussi, à propos de la sécurité sanitaire, puisque l'on m'interroge sur la toxicité éventuelle de ces ions. Même si j'ai promis de ne plus parler de nutrition et de toxicologie, je ne peux pas m'empêcher de mettre mes amis en garde contre la consommation d'eau parfaitement pure, sans contenu minéral ! D'ailleurs les montagnards savent bien qu'il ne faut boire que très modérément la neige fondue, laquelle ne contient pas d'ions minéraux !
Pour en savoir plus : Rosborg I., Kozisek F., Selinus O., Ferrante M., Jovanovic D. (2019) Background. In: Rosborg I., Kozisek F. (eds) Drinking Water Minerals and Mineral Balance. Springer, Cham. https://doi.org/10.1007/978-3-030-18034-8_1
Et donc, oui, il nous faut des ions minéraux  dans nos boissons et nos aliments.

Mais concluons : maintenant que nous avons compris tout ce qui précède, nous ne parlerons plus de "sels minéraux" des boissons ou des aliments, mais seulement de leur contenu minéral, ou bien des ions minéraux qu'ils contiennent.

mercredi 11 novembre 2020

Un merveilleux texte de Guy Ourisson 1/x

 Nous n'oublions pas ce merveilleux Guy Ourisson, chimiste de talent, professeur extraordinaire, Alsacien remarquable... 


Je retrouve un de ses textes, d'une parfaite intelligence, et je ne résiste pas au plaisir de vous le livre par morceaux. Un peu chaque jour. 


Et voici le début : 

Pour sauver l'université

C'est un grand privilège que d'avoir à présenter ici le dernier livre de Laurent Schwartz : « Pour sauver l'université ». Quel titre courageux ! Et quel livre important, utile, irritant et enthousiasmant, étriqué dans son provincialisme parisien et grand ouvert sur le monde - mais qui va permettre toutes les interprétations partisanes et contradictoires, toutes les déformations, toutes les citations tronquées, toutes les attaques, toutes les utilisations abusives.
Il y a plus d'un an que j'ai quitté la Direction générale des enseignements supérieurs et de la recherche, et mon titre actuel de « conseiller scientifique" du ministre, s'il marque que mon départ n'a pas été dû à des désaccords, ne me le lie ni au cabinet, ni à l'administration. Je me sens donc libre de mes propos, et je sais qu'ils engagent que moi.
« Pourquoi ce livre, et pourquoi aujourd'hui ? », telle est la première phrase de Laurent Schwartz. J'y ai d'abord répondu comme vous : « parce que le débat sur la loi Savary va bientôt reprendre ». Comme vous, je me suis trompé. J'ai lu ces 120 pages comme une réplique au 68 articles du projet de loi en discussion, et rédigé d'un jet 10 pages manuscrites dans cette perspective. Mais, peu à un peu, il s'est dégagé trop d'incohérences : trop de critiques de Laurent Schwartz s'appliquent visiblement mal à ce projet de loi et il semblait impossible que cet auteur fasse de telles confusions -bref, j'avais fait une mauvaise interprétation  : ce livre sort maintenant parce que son auteur pense qu'il y a urgence, mais pas seulement pour amender la la loi. Il est vrai que Laurent Schwartz, par ses très fréquentes références à une loi qu'il ne peut lui-même « absolument pas soutenir », entretient une confusion que d'autre que moi feront certainement. J'ai refait mon texte, mais j'ai tenu à commencer par cette mise en garde.

Une critique de gauche
 

Ce petit livre n'est donc pas un appel aux sénateurs et aux députés pour qu'ils apporte au projet de loi des améliorations ultimes, ou plutôt il n'est pas que cela : c'est une analyse plus permanente, et qui cherche à nous aider à utiliser, au mieux des intérêts du service public, tout texte de loi ou de décret sur les enseignements supérieurs.
Laurent Schwartz précise à plusieurs reprises son attitude : « je suis de gauche et je souhaite le succès de l'expérience socialiste actuelle. Je veux aider le gouvernement, et c'est pour cela que je le critique. »


La suite demain...

samedi 7 novembre 2020

A propos d'"aromatisant poivre"

Merci à mon correspondant de ce matin qui m'écrit :

Je vois sur ma moutarde : arôme naturel de poivre : c'est de la pipérine extraite ?

Car cette question permet d'éclairer mes amis.

 
1. On voit tout d'abord que je retranscris sa question, pour ne pas parler d' "arôme", comme il le fait sans doute parce que l'étiquette porte cette mention.
En effet, j'invite tous mes amis à lutter contre ce gauchissement trompeur du mot "arôme".
L'arôme, en bon français (la langue qui sert aux échanges, notamment aux échanges commerciaux, et qu'il est honteux de tordre) est l'odeur d'un produit aromatique. Or ce qui est ajouté dans la moutarde, ici, ce n'est pas l'arôme, mais un produit qui donne l'odeur/la saveur/le piquant de moutarde. C'est un aromatisant, et pas un arôme !

2. J'invite aussi mes amis à lutter cet usage malhonnête du mot "naturel",  car l'aromatisant qui a été ajouté est parfaitement "artificiel" : je rappelle que, en français, est naturel ce qui n'a pas fait l'objet de l'intervention d'un être humain !
Ici, il faut donc parler d'aromatisant extrait d'un végétal. Un point c'est tout. Comment voulons-nous que les citoyens aient confiance dans l'industrie alimentaire si celle-ci leur ment dès l'étiquetage !

3. Mais pour répondre à notre ami, il faut maintenant expliquer qu'il existe des aromatisants extraits de diverses façons :

On peut, par exemple, récupérer des "huiles essentielles" par expression ou par entraînement à la vapeur.
Cette dernière technique est utilisée dans la fabrication des essences d'agrumes dont l’écorce contient d’importantes quantités d'huiles essentielles stockées à l'intérieur de sacs oléifères. Le principe de l'extraction par expression consiste à rompre ces poches à huiles essentielles pression, incision ou abrasion à froid. L'huile essentielle entraînée par un courant d'eau est ensuite séparée par décantation ou centrifugation.
En général, seules certaines parties de la plante sont extraites : racines, rhizomes, bois, écorces, feuilles, fleurs, boutons floraux, fruits, graines, jus de fruit, ou excrétions de la plante (gommes ou exsudats).
Pour qu'il soit intéressant d'extraire l'huile essentielle d'une plante par entraînement à la vapeur d'eau, il faut que cette huile soit en quantité notable, généralement supérieure à 0,5%, dans la plante fraîche ou séchée. Par exemple, le poivre contient 1 à 2,5 % d'huile essentielle en volume par rapport à 100 grammes de poivre.

Mais on peut aussi produire des oléorésines : concrètes et résinoïdes.
Cette fois, les extraits sont obtenus à l'aide de solvants organiques : éther de pétrole, hexane, éther éthylique, alcool éthylique, acétone, dioxyde de carbone, etc.
Les oléorésines sont plus complexes que les huiles essentielles, car elles contiennent non seulement les composés volatils, mais aussi d'autres constituants non entraînables par la vapeur d'eau (triglycérides, cires, colorants de nature lipidique et composés sapides). Notons que le solvant est évidemment éliminé : la plupart des solvants utilisés font d’ailleurs l'objet d'une réglementation stricte dictée par des considérations de santé. Au cours de l’élimination du solvant par distillation sous pression réduite, on s’attache également à limiter la perte des composés les plus volatiles.
Par cette méthode, on fabrique deux types de produits :
- les concrètes,  à partir de substances végétales fraîches
- les résinoïdes,  à partir de substances végétales sèches.
Le terme "oléorésine" désigne l'un ou l'autre de ces deux types d’extraits. Mais, surtout, il faut bien insister : ces divers extraits sont tous de compositions différentes, donc de goûts différents !

Il y a encore d'autres techniques, pour préparer des extraits:
- la macération à froid,
- la digestion à chaud,
- la percolation à froid ou sous pression,
- l’infusion à chaud ou à froid.

Notons que les extraits bruts peuvent être "fractionnés" par diverses techniques, telles que cryoconcentration, distillation sous pression réduite, ultrafiltration, osmose inverse, etc...). On obtient alors  des produits variés
- des absolues,  par lavage à l'alcool suivi de l'élimination de l'alcool,
- des essences solubles,
- des essences fractionnées
- etc.

4. La pipérine, maintenant ? C'est un composé présent dans le poivre, et qui contribue à son piquant. Ce n'est pas le seul, mais il est prépondérant. Et il est peu soluble dans l'eau, mis soluble dans l'alcool, le chloroforme, l'éther ou l'isopropanol, par exemple. C'est un "alcaloïde", car sa molécule contient des "cycles", notamment avec d'autres atomes que du carbone (notamment de l'azote).

5. De sorte que la conclusion s'impose : les données qui me sont fournies (et qui sont celles que notre ami a récupérées sur l'étiquette de sa moutarde) ne me permettent pas de répondre à sa question. Car quelle extrait est-il utilisé ?


jeudi 5 novembre 2020

A propos de nitrates et de nitrites : un peu de calme !

 

 

Risk assessment of nitrate and nitrite in feed
EFSA - GROUPE CONTAM -- EFSA J 2020 18(11) : 6290

Par manque de données disponibles, le groupe CONTAM n'a pas pu caractériser le risque pour la santé des espèces (sauf ruminants et porcs) exposé aux nitrates via leur alimentation et de tous les animaux de rente et de compagnie exposé aux nitrites via leur alimentation.

Sur la base de données limitées, le groupe CONTAM estime que le transfert de nitrate et de nitrite des aliments pour animaux aux produits alimentaires d'origine animale ainsi que la formation de N-nitrosamines à partir des nitrates et des nitrites et leur transfert dans ces produits seront probablement négligeables.

 

 

TECHNICAL REPORT

APPROVED: 1 October 2020doi:10.2903/sp.efsa.2020.EN-1941www.efsa.europa.eu/publicationsEFSA 

Supporting publication 2020:EN-1941Outcome of a public consultation on the draft risk assessment of nitrate and nitrite in feedEuropean Food Safety Authority (EFSA) 

 

Abstract

The  European  Food  Safety  Authority  (EFSA)  carried  out  a  public  consultation  to  receive  input  from interested  parties  on  a  draft  Scientific  Opinion  on  the  risk  assessment  of  nitrate  and  nitrite  in  feed. This  draft  Scientific  Opinion  was  prepared  by  the  EFSA  Panel  on  Contaminants  in  the  Food  Chain (CONTAM  Panel),  supported  by  the  Working  Group  on  nitrate  and  nitrite  in  feed.  The  draft  opinion was  endorsed  by  the  CONTAM  Panel  for  public  consultation  on  27  May  2020.  The  written  public consultation was open from 16 June until 27 July 2020. EFSA received comments from four different interested parties. EFSA and its CONTAM Panel wish to thank all stakeholders for their contributions. The present report contains the comments received and explains the way they have been considered for  finalisation  of  the  opinion.  The  opinion  was  adopted  at  the  CONTAM  Plenary  meeting  on 24 September 2020 and published in the EFSA Journal. 

 

© European Food Safety Authority, 2020Key words: nitrate, nitrite, methaemoglobin, occurrence, exposure, feed, animals

Requestor: European CommissionQuestion number: EFSA-Q-2020-00347

Correspondence: biocontam@efsa.europa.eu

mercredi 4 novembre 2020

An addition to the explanation of this morning

In brief:

1. molecular gastronomy : this is for scientists (equations, measurements, theory...)
2. molecular cooking : this is for chefs (cooking !), and the definition is "cooking with new tools", new meaning often from chemistry and physics laboratories
3. molecular cuisine: a style, for chefs using molecular cooking techniques
4. note by note cooking : this is also for chefs (cooking), and the definition is "cooking with pure compounds" (or simple fractions, but not meat, fish, vegetable and fruits, for example).
5. note by note cuisine : a style, when you use the note by note technique.

Simple?

 

L'innovation ? Il s'agit d'être très clair : c'est une question de technologie, pas de science


Tout a commencé
avec la préparation d'une conférence que je dois faire en mars, pour une communauté internationale de cuisiniers. L'organisateur me demande :

Pourriez-vous nous indiquer brièvement comment votre présentation va discuter la question de l'innovation ?

Et j'avais répondu :
 

Les inventions mensuelles que je présente depuis 20 ans, d'abord pour mon ami Pierre Gagnaire (en français, car -même si je suis alsacien- c'est une langue très intéressante : voir https://pierregagnaire.com/pierre_gagnaire/travaux/2) sont une démonstration que les sciences de la nature sont si puissantes qu'elles rendent cela possible. Si ce n'est pas de l'innovation, qu'est-ce que c'est ?
Mais avec la "cuisine note par note", le pouvoir d'innovation est encore plus grand, parce que c'est un nouveau continent, comme lorsque l'Amérique a été découverte. Et la question est maintenant : allez-vous traverser l'Atlantique pour le découvrir ?
Gardez à l'esprit que dans mes cours de Master sur l'innovation, en particulier (mais pas seulement dans le cadre du programme Erasmus Mundus Plus "Innovation alimentaire et conception de produits ; voir par exemple https://tice.agroparistech.fr/coursenligne/main/document/document.php?cidReq=FIPDESMOLECULARGASTR&curdirpath=/Cours_2019-2020 et https://tice.agroparistech.fr/coursenligne/main/document/document.php?cidReq=FIPDESMOLECULARGASTR&curdirpath=/docs%20HTHIS/7_applications_of_mg), je démontre que l'introduction de nouveaux plats n'est rien de vraiment... car j'ai introduit trois infinités de nouveaux systèmes. Non, la question c'est l'art et l'amour, et là la question est beaucoup plus intéressante.



Manifestement, je n'ai pas été assez clair, parce que je reçois ensuite la réponse suivant :
 
J'apprécie votre réponse rapide. Si je vous comprends bien, votre travail (gastronomie moléculaire, cuisine moléculaire et cuisine note par note) ne consiste pas à créer de "nouveaux plats", c'est bien plus que cela. À bien des égards, le processus de création de vos plats n'a pas pour but d'innover, mais plutôt d'exprimer l'art et l'amour ? Ai-je bien compris ?
Questions complémentaires :
1.       Pourquoi la cuisine "note par note" est-elle comme la découverte de l'Amérique ? Pouvez-vous en dire plus ?
2.       Qu'est-ce qui stimule ou inspire votre créativité ?
3.       Lorsque vous décomposez les aliments en leurs composés élémentaires, vous pouvez obtenir des milliards de nouvelles combinaisons de plats. Toutes ces possibilités vous dépassent-elles parfois ? Comment choisissez-vous les combinaisons qui fonctionnent ensemble et assurez-vous qu'elles mènent à un beau produit final ?  


Là, il faut vraiment que je m'explique mieux, ce que je fais maintenant

1. À propos de "votre travail (gastronomie moléculaire, cuisine moléculaire et cuisine note par note) ne consiste pas à créer de "nouveaux plats", c'est bien plus que cela", ma réponse est : c'est sûr, la gastronomie moléculaire n'a rien à voir avec l'innovation car c'est une science de la nature, et le but ici est de "chercher les mécanismes des phénomènes, en utilisant la "méthode scientifique", qui passe :
1. identification d'un phénomène
2. la caractérisation quantitative du phénomène
3. le regroupement des données de mesure (à partir de 2) en "lois" (c'est-à-dire en équations)
4. introduire de nouveaux concepts afin de faire des "théories" (c'est-à-dire des groupes d'équations + des concepts proposant une description quantitative du phénomène)
5. la recherche de prédictions testables de la théorie
6. tests expérimentaux des prévisions théoriques (à partir de 5)
Et ainsi de suite,  pour toujours.

Vous voyez que le but des sciences de la nature n'a rien à voir avec l'innovation.
L'innovation est le but de la technologie, et ici, oui, la cuisine moléculaire et la cuisine note par note sont intéressées.

Au fait :
1. avec Nicholas Kurti, nous avons introduit la "gastronomie moléculaire" (ou plus précisément la "gastronomie moléculaire et physique"
2. mais nous promouvions également la cuisine moléculaire (et s'il est vrai que nous avons montré comment la faire, nous ne l'avons pas "pratiquée", car elle est destinée aux chefs, pas aux scientifiques
3. J'ai introduit la cuisine note par note en 1994, et je la fais connaître dans le monde entier ; je la pratique quotidiennement dans ma cuisine, mais je n'oublie pas que je ne suis pas un chef.
Et enfin, n'oubliez pas que ma vie quotidienne est une science, pas une cuisine. J'attache une de mes productions, et vous verrez que cela n'a rien à voir avec la cuisine (l'article sur les statgels et les dynagels)


2. A propos de votre " le processus créatif derrière vos plats n'a pas pour but l'innovation, mais plutôt l'expression de l'art et de l'amour ? "
Pas exactement. Les plats que j'invente sont sans aucun doute la démonstration que les sciences de la nature sont si puissantes qu'il est facile d'innover techniquement. Mais je recommande aux chefs cuisiniers : parce que l'innovation technique est si facile (du moins pour moi), concentrez-vous sur l'amour et soyez.

Questions complémentaires :

1. La cuisine note par note montre en effet un immense continent de nouvelles possibilités culinaires : nouvelles consistances, nouvelles saveurs, nouveaux goûts, nouvelles odeurs, nouvelles couleurs.

2. N'oubliez pas que ma "créativité" est une question de science. Et ici, c'est une question très difficile, mais vous trouverez la réponse dans mon article sur la "stratégie scientifique" (voir document ci-joint)

3. Me submerger ? Pourquoi en effet ? Mais oui, pour les chefs, la question est maintenant de choisir ce qu'ils veulent faire. Et c'est pourquoi je dis que vous avez une autre question que celle de l'"innovation" (technique).
Disons-le autrement :
- avec mes "formalismes", je vous montre une infinité de nouveautés (imaginez que je les mette sur une table, devant nous)
- Lequel choisissez-vous ? Il est évident qu'il vous faut un autre critère que la technique
D'ailleurs, toutes les combinaisons "fonctionnent ensemble", il n'y a pas de problème ici.

Mais finalement, vous avez dit le bon mot "beau produit final" : beau, et c'est pourquoi j'ai fait mon livre "La cuisine, un art quintessenciel" (The University Press of California), dont le titre en français était "La cuisine : c'est l'amour, l'art, la technique". Vous voyez : l'art ! Parce que "bon" signifie "beau à manger", et cela n'a rien à voir avec la technique.



lundi 2 novembre 2020

 

Il y a une figure rhétorique nommée "dragon chinois" : elle consiste à créer un problème qui n'existe pas puis à le pourfendre pour montrer combien on est courageux. 
C'est un peu cela que je trouve dans un texte qui m'arrive à propos de la confection de la crème anglaise sans thermomètre. Oui, peut-on faire une crème anglaise sans thermomètre ? 
 
Commençons immédiatement par dire que pendant des siècles, personne n'a besoin de thermomètre pour faire une crème anglaise ! Au fond vraiment il n'y a rien de plus simple que la crème anglaise, puisque l'on bat des jaunes d'oeufs avec du sucre, puis que l'on ajoute du lait et que l'on chauffe jusqu'à obtenir un épaississement. 
Normalement, la proportion de jaunes d'oeufs est de 16 pour un litre de lait,  avec environ autant de sucre que de jaune, et on peut évidemment donner du goût à tout cela avec une pincée de sel et de la vanille que l'on aura fait notamment infuser dans le lait avant de verser celui-ci sur le mélange de jaunes et de sucre qui ont été battus, jusqu'à blanchir, ce qui correspond au "ruban". 
 
Si l'on sert cette crème anglaise immédiatement, alors il suffit de la cuire jusqu'au point souhaité, puis de la servir. Si on doit la faire attendre, surtout en dehors d'un réfrigérateur, alors il vaut mieux la chauffer suffisamment pour éviter des désagréments microbiologiques, et c'est pour cette raison que l'on conseille parfois l'utilisation d'un thermomètre. Mais on peut observer que l'épaississement constitue un thermomètre suffisant, et l'on peut même ajouter qu'une pincée de farine permet de faire bouillir la crème anglaise sans qu'elle grummelle. Bien sûr elle prend alors un léger goût d'oeuf cuit... mais onn'est quand même pas obligé de faire bouillir comme une brute et l'on peut s'arrêter au premier bouillon. 
 
Ceux qui veulent plus de précision pourront aller consulter l'excès l'excellent ouvrage de Madame Saint-Ange, et l'on verra d'ailleurs que cette dernière n'utilise pas de thermomètre ! 
Oui, décidément, il y a des cuistres, qui prennent les cuisiniers pour des imbéciles : Sutor non supra crepidam