dimanche 29 avril 2018

Ma proposition affinée

Après environ deux ans de billets dispersés à propos de ce que je refuse désormais de nommer "enseignement", au profit d'"études", je crois qu'il est bon de faire une synthèse, car ces nombreux billets ont été parfois hésitants, voire contradictoires : quand je les ai produits,  je n'avais pas encore analysé complètement la question et je n'étais pas arrivé à la proposition parfaitement claire à laquelle je suis arrivé.

Tout part du constat que personne ne peut apprendre à la place d'un étudiant. Chaque étudiant ne peut apprendre qu'en étudiant, et puisque nos systèmes d'études supérieures (les autres aussi) visent à faire que les étudiants apprennent, il faut donc mettre les étudiants au coeur du dispositif, et déduire les caractéristiques de celui-ci de l'objectif très clair que je viens d'énoncer : les étudiants doivent apprendre.

Il y a donc l'étudiant qui doit étudier, et le système universitaire (j'y mets les grandes écoles d'ingénieur, indispensables dans le paysage français, parce qu'il y est admis de sélectionner les compétences) qui doit créer les conditions d'études efficaces.
Ces connaissances peuvent être "pures" (comprendre pour comprendre mieux le monde où l'on vit), car il y a de la vertu à apprendre pour apprendre (je passe sur de longues discussions à ce propos), mais j'observe (sans prendre parti, sans juger) que les systèmes universitaires se modifient depuis quelques décennies en vue de former à des activités professionnelles, en vue de l'exercice de métiers, de sorte que  l'université semble aujourd'hui avoir à organiser l'attribution de diplômes qui reconnaissent aux étudiants un niveau de connaissances et de compétences, de savoir-faire, de savoir-être clairement définis, qui garantissent donc à des sociétés qu'elles pourront embaucher des personnels qualifiés.
A ce stade, nous voyons donc deux facettes :
 - d'abord, l'organisation de l'apprentissage (le substantif correspondant au verbe "apprendre"),
 - et, ensuite, l'organisation de l'évaluation, la « diplomation ».
Évidemment il y a une relation entre les deux, car c'est l'apprentissage des savoirs et des compétences décidés pour chaque niveau d'études que l'université doit organiser et reconnaître.
Autrement dit, dans la logique universitaire actuelle, il y a donc lieu de commencer par établir des référentiels d'évaluation, qui se fondent sur les métiers vers lesquels les étudiants se dirigeront. Cela signifie dresser une liste des savoirs, des compétences, des savoir-faire et des savoir-être qui seront évalués en vue de l'attribution des diplômes.


Tous les savoirs et les savoir faire énoncés dans le référentiel associé à un diplôme particulier (licence, maîtrise) doivent être obtenus par les élèves qui prétendent à ce diplôme, et je suis très mécontent quand on impose les circonstances particulières d'apprentissage -des obligations de moyens-  pour reconnaître l’obtention de ces savoir et compétences, ce qui correspond à une obligation de résultat. Je réclame l'entière liberté des moyens, et un stricte application de l'obligation de résultats (sans quoi nous dévalorisons les diplômes).
D'autre part, je ne vois pas de raison de limiter dans le temps l'apprentissage des éléments des référentiels :  pourquoi les étudiants ne pourraient-ils pas obtenir leur diplôme le jour - et seulement ce jour là- où ils ont validé tous les savoirs, compétences, savoir-faire et savoir-être qui sont requis ? Pourquoi n'iraient-ils pas à leur rythme ? En revanche, ce "droit", cette liberté associée à la suppression de l'obligation de moyens, me semble devoir aller avec une obligation de résultats : un étudiant doit pouvoir valider un savoir ou un savoir faire  à tout moment, mais c'est seulement le jour où l’ensemble des savoirs et compétences du référentiel est obtenu que le diplôme est délivré.

Soient donc des objectifs d'étude fixés, venons en aux études elles-mêmes.
Les nombreux billets que j'ai précédemment consacrés à ces dernières convergent vers une proposition qui tient essentiellement dans ce que je ne crois pas bon que les encadrants de nos étudiants soient des « enseignants » ; on verra, en revanche, que je ne crois pas mauvais que nos systèmes d'études incluent des "professeurs". En effet, il est bien inutile d'enseigner quelque chose à quelqu'un qui ne l'apprend pas, et ma proposition se focalise sur l'apprenant, l’étudiant, qui doit donc étudier.
Que doit-il étudier ? Les éléments du référentiel. Comment ? Comme il veut, car  il a une obligation de résultats, et non une obligation de moyens. En revanche, on imagine bien que le personnel universitaire puisse avoir pour mission de faciliter l'accès à ces savoirs et compétences. Il doit donc être présent aux côtés des étudiants pour les guider, leur signaler des ensembles de données mieux faits que d'autres, diviser le chemin en petites étapes.
Je vois que cette métaphore du chemin est vraiment bonne, et, clairement, il y a lieu de dessiner de tels chemins, c'est-à-dire d'identifier les étapes nécessaires pour arriver à un point particulier, mais je me répète : il n'y a qu'une obligation de résultats, et si des étudiants particuliers sont en retard sur le référentiel, s'ils n'ont pas des notions particulières qui se révèlent indispensables pour comprendre un savoir ou un savoir-faire conformément au chemin déterminé, alors on comprend que la mission universitaire soit d'indiquer à ces étudiants  des études particulières qu'ils doivent faire. Mieux encore, puisque les études supérieures doivent conduire à des professionnels autonomes à la fin de la seconde année de mastère, on comprend aussi que le personnel universitaire ne doit pas bercer les étudiants dans leur lit, mais les entraîner à apprendre, à apprendre par eux-mêmes, voire à tracer leur propre chemin. Je crois que c'est un mauvais conseil que de pallier cette incapacité… d'autant que la chose est très simple. Je vois bien le professeur comme un tuteur qui indique aux étudiants des cours de bonne qualité, qui peut en faire lui-même (des cours parfaitement facultatifs, puisque l'étudiant n'a qu'une obligation de résultats), qui débloque un étudiant à qui il manque une notion indispensable, qui orchestre la transformation des savoirs en compétences, discutant la résolution des exercices, des problèmes… En conclusion de cette première partie, on voit que c'est bien l’identification des savoirs et compétences requis qui doit faire l'objet du travail du personnel universitaire (expression un peu longue mais qui ne préjuge pas de la suite, où je discute la différence entre professeurs et enseignants).

Vient donc maintenant la raison pour laquelle je récuse la notion d'enseignant, et, de ce fait, pourquoi je propose celle de professeur.
Classiquement, dans une vision périmée et mauvaise des études, les cours oraux sont des discours qui occupent la totalité du temps des étudiants. Ces cours sont inutiles pour de nombreuses raisons, la première étant que tous les étudiants ne comprennent pas au même rythme, de sorte que ce rythme est nécessairement soit trop rapide, soit trop lent ; s'il est trop rapide, les étudiants décrochent, mais s'il est trop lent, ils décrochent aussi, par ennui. Bref, l'étudiant est mieux avisé d'étudier dans des supports écrits, ou dans des supports vidéo pré enregistrés. Aujourd'hui, le numérique a périmé l'idée classique de l'enseignement.
Cela étant, les cours classiques des bons professeurs ont des caractéristiques qu'il est bon de bien analyser. Notamment on peut observer qu'ils contiennent -explicitement ou non-  des informations, des notions et des concepts, des méthodes, des anecdotes, des valeurs. Les informations ? On peut le trouver n'importe où, de sorte que professer, ce n'est certainement pas emplir des cruches avec des informations. Les notions et concepts ? Ils ne s'imposent, dans un cours, que si ce cours est l'endroit unique où l'on peut les trouver facilement : c'est ainsi qu'Emile Borel faisait sa recherche pendant ses cours, confiant à des étudiants le soin de consigner les avancées du travail, en vue de faire des livres qu'il consignait avec ses étudiants.
Aujourd'hui, les étudiants feront mieux de trouver en ligne ces données chez des professeurs qui sont peut-être à l'autre bout du monde. Et là, j'insiste un peu : pourquoi se limiter aux professeurs -pas tous excellents- que nous avons physiquement sous la main, alors qu'il s'en trouve de meilleurs ailleurs, rendus accessibles par le numérique ? Idem pour les méthodes, qui sont, à mon avis, le coeur des études. Enfin, les valeurs : là, c'est bien la marque d'un bon professeur que de donner cet enthousiasme qui conduit les étudiants à apprendre. Et comme la moralité ne passe pas, on peut donner à ces dernières un peu de chair, les enchâsser dans des anecdotes. De même pour les méthodes, dont la transmission explicite est bien rare, et qui méritent d'être incarnées.

Cette grille d’analyse montre bien la proposition que je fais pour l’orchestration des études. Pour la France, on aura raison d'observer que nous sommes retardataires par rapport à certains pays scandinaves dont l'efficacité est meilleure que la nôtre. Ici, nous bourrons les emploi du temps au lieu de donner du temps pour étudier par soi-même, nous couvons au lieu de promouvoir l'autonomie...

vendredi 27 avril 2018

Les prétendues "démonstrations scientifiques"

Je reçois d'un ami cette déclaration terrible : "Pour moi, démonstration scientifique est plus un pléonasme qu'un oxymoron".

Or je crois savoir qu'il fait référence à l'un de mes textes... où j'aurais dit que "démonstration scientifique" est un oxymore ? Je tremble, car, aujourd'hui en tout cas, je ne suis certainement pas d'accord avec l'idée que "démonstration scientifique" soit un oxymore. En outre, je ne considère certainement pas que "démonstration scientifique" soit un pléonasme ; cela aurait pu être une périssologie, mais non : c'est simplement une faute !


Pour commencer, un peu de ménage terminologique. 

Tout d'abord, l'oxymore, ou oxymoron, c'est quand deux termes s'opposent : nuit blanche, par exemple, ou encore, mieux, le "soleil noir de la mélancolie", que l 'on doit à Gérard de Nerval. C'est de la rhétorique, donc jamais fautif, car voulu. Puis il y a le pléonasme, qui est une évidence : "Je l'ai vu, de mes propres yeux vu". Ce pléonasme a encore une fonction rhétorique, d'insistance, par exemple, ou d'humour... de sorte que l'on ne confondra pas ce pléonasme avec la périssologie, ces évidences dues à nos négligences de pensée et de langage, comme "je monte en haut". Enfin, il y a la faute, que je distinue bien de l'erreur.

Puis, pour comprendre la discussion, il faut examiner les sciences de la nature, et le statut particulier des mathématiques. 

Les sciences de la nature cherchent les mécanismes des phénomènes à l'aide d'une méthode qui passe par : (1) identification des phénomènes que l'on explore ; (2) caractérisation quantitative des phénomènes ; (3) réunions des données quantitatives obtenues en 2 sous la forme de "lois" synthétiques, c'est-à-dire d'équations ; (4) recherche de concepts, de théories regroupant les lois ; (5) recherche de conséquences théoriques testables ; (6) tests expérimentaux des prévisions théoriques de 5.
Dans ce mouvement infini parce que cyclique, il n'y a pas de "démonstration", parce que toute "loi" est insuffisante, fausse en réalité parce qu'approchée ; et la science réfute la loi répétitivement, afin de trouver des descriptions de plus en plus proches des faits. Donc pas de "démonstration scientifique", puisque la démonstration, c'est l'enchaînement logique, inéluctable, booléen : vrai ou faux, mais pas approché. Les démonstrations sont l'apanage des mathématiques, pas des sciences de la nature.
Mais je viens d'anticiper, parce que j'ai sorti les mathématiques des sciences de la nature, ce qui se discute ! Disons que tout est affaire de parti pris : certains considèrent que les mathématiques sont découvertes, et ils proposent de regrouper les mathématiques avec les sciences de la nature, alors que d'autres observent que les mathématiques sont inventées, et que ce sont donc une activité bien à part.
Ce qui est clair, c'est que la méthode des mathématiques n'est pas celle qui est décrite plus haut, raison pour laquelle je suis de ceux qui voient les mathématiques comme une activité tout à fait à part, les outils forgés par les mathématiciens étant utilisés par les scientifiques des sciences de la nature, sous le nom de "calcul" et non de mathématiques.
Dans la première hypothèse, des mathématiques inventées et différentes des sciences de la nature, il n'y a pas de "démonstration scientifique", puisque la démonstration reste aux mathématiques, qui sont à part des sciences. Dans la seconde hypothèse, il reste le fait que les sciences ne fonctionnent pas par démonstration.

Donc en aucun cas, nous ne devons -semble-t-il- parler de démonstrations scientifiques... surtout quand, le plus souvent, on veut simplement dire "indication" ou "élément corroboratif", ou encore "données à l'appui d'une idée", ou "exploration rigoureuse".

vendredi 20 avril 2018

Les soutenances de stage ? Je ne veux pas y aller, et je n'y vais pas !

Ce matin, on me propose d'assister aux présentations orales que feront les étudiants en stage dans notre équipe de recherche. Je n'irai pas, en vertu d'une décision raisonnée qui date de 2001.

En effet :
- le "maître de stage" est l'évaluateur du travail scientifique effectué : c'est lui, et lui seul, qui a la responsabilité de cette évaluation particulière, parce que c'est lui qui connait le travail effectué ;

- le rapport est un exercice écrit : on profite d'un travail pour effectuer une formation de communication écrite. Ce n'est pas un travail scientifique, de sorte qu'il doit être évalué non pas pour la composante scientifique, mais pour la composante de communication ;  le maître de stage n'est donc pas concerné, par conséquent, puisque son rôle à lui, c'est le travail scientifique ;

- de même, la soutenance est un excercice oral : on profite d'un travail pour effectuer une formation de communication écrite ; cette présentation  doit être évaluée comme tel... et le maître de stage n'est pas concerné, par conséquent, puisque son rôle à lui, c'est le travail scientifique, à nouveau.

Cela me paraît limpide. Qui me dira si je me trompe ?

mercredi 18 avril 2018

Des conseils ?

Ce matin, un étudiant m'envoie un message plein de fautes d'orthographe. Cela fait un peu débraillé, mais la question n'est pas de juger, d'évaluer, mais, surtout, de trouver un moyen de l'aider. Au fond, une faute d'orthographe, c'est pour l'écriture en langage naturel comme une faute de français pour la communication orale, ou comme une faute de calcul pour le calcul. Et il y a de l'espoir : en travaillant, on peut sans doute venir à bout des trois maladies. Comment ?

Pour les fautes d'orthographe, il existe des logiciels qui font la correction, ce qui est exact. Pour les fautes de français ? Là, il faut trouver une méthode différente, parce que l'on est exposé directement au jugement de nos interlocuteurs.
Pour le calcul ? Les types de fautes sont nombreux, mais pour les plus simples, des logiciels de calcul formel tels que Maple font le travail... sans faute. 
Mais l'évocation de Maple de pousse à une réflexion supplémentaire : de même que, au 21e siècle, on n'extrait plus des racines carrées à la main et on ne calcule plus des pH avec les méthodes laborieuses qui m'ont été enseignées  il y a plusieurs décennies (on utilise Maple pour faire la chose sans douleur, voir le document correspondant), de même faut-il se préoccuper d'orthographe si des logiciels nous font le travail ? Disons que si c'est le résultat qui compte, peu importe que l'on ait fait soi-même la chose ou qu'on l'ait confiée à un logiciel : l'interlocuteur ne voit que le résultat.


Restera donc la question de la langue orale, qui impose de connaître les mots (vive le Trésor de la langue française informatisée !), de connaître la grammaire (le Grévisse ?), de connaître la rhétorique (le Gradus, mille fois le Gradus)... et de parler assez lentement pour avoir le temps d'y mettre cette étincelle d'intelligence qui pourra faire sourire nos amis.

Vos conseils, à propos de tout cela ?

dimanche 15 avril 2018

Un accent ou pas ?

Il y a une recette célèbre de pieds de porc à la Sainte-Ménehould, où, au moins dans une version, on cuit les pieds de porc pendant soixante-douze heures dans un bouillon, puis on pane et on rôtit.
Evidemment, la ville de Sainte-Méhenould se glorifie d'être l'épicentre de la recette, et l'on y raconte même que Louis XVI aurait été arrêté dans sa fuite parce qu'il se serait arrêté dans cette ville pour y déguster la spécialité devenue célèbre.
Pourquoi pas... mais savez-vous que l'on ne dit pas "sainte ménéoulde", mais "sintemenou" ?

Je suis heureux de partager avec vous une trouvaille de ce matin :




GARDONS L’ACCENT…

… à sa place ou comment orthographier correctement le nom de la capitale de l’Argonne.

dimanche 26 octobre 2003, par François Duboisy


Etant encore Principal du collège de Sainte-Ménehould, j’ai, il y a quelques années, reçu un étudiant berlinois qui m’a rendu rouge de confusion. Ce jeune allemand observateur, perspicace et certainement homme de rigueur, me dit sa perplexité devant les différentes orthographes de notre ville. Journaux, panneaux indicateurs, papiers officiels, documents divers coiffent le nom de la cité d’accents dont le nombre varie de zéro à deux. Pour être plus précis, on peut trouver quatre orthographes différentes qu’il nous faut citer :
Sainte-Menehould    Sainte-Ménéhould    Sainte-Menéhould    Sainte-Ménehould

Pour moi, la réponse était et reste sans équivoque : c’est la dernière qui est correcte.

Aussi, je rédigeais un article que je voulais percutant et convainquant dans le supplément du bulletin municipal, croyant ainsi clore la question et surtout amener chacun à être plus attentif et scrupuleux lorsqu’il aurait à écrire le nom de la ville. Vanité… Vanité !

Que de Ménéhildiens ont encore fauté ces dernières années ! Alors reprenons l’histoire de ce nom qui intrigue.

Combien de fois devons nous l’épeler lorsque nous quittons l’abri de nos futaies argonnaises, devant des interlocuteurs ébahis, recopiant le mot lettre par lettre !

Chacun sait que la cité porte le nom de la dernière fille d’un Comte du Perthois du nom de SIGNARUS. Ses grandes sœurs s’appelaient Yma, Hoyldis, Lutrudis, Prusinna, Francula. On peut imaginer que si la grâce divine était tombée sur l’une d’elles, la ville aurait eu un nom tout aussi original. Mais c’est MANECHILDIS ou MANEHILDIS qui sera, au Vème siècle, associé à la bourgade. Très vite, l’orthographe se codifie en MANEHOULD et il en sera ainsi jusqu’à la fin du XVIIIème siècle.
Au début, c’est Sainte Manehould

Puis le « a » se transforme en « é »

C’est à la Révolution que progressivement le « a » qui donnait au nom une consonance quelque peu gutturale, rappelant ses origines germaniques, va se transformer en « é ».

Ainsi, on trouve encore l’ancienne orthographe dans le contrat de mariage de Jean-Baptiste DROUET, le 17 janvier 1789 et sur le cahier de doléances du baillage de Sainte-Ménehould, le 14 mars 1789.

Par contre, le fameux extrait du registre municipal relatant le passage du roi, daté du 25 juin 1791, porte la nouvelle orthographe. Il en est de même pour le courrier qu’envoie DROUET en tant que Sous-Préfet.

La nouvelle orthographe s’impose

Dans tous les documents du XIXème siècle que nous avons pu consulter, cette nouvelle orthographe est quasiment adoptée par tous.
BUIRETTE, dans son Histoire de la ville de Sainte-Ménehould et de ses environs, en 1837, la rend en quelque sorte officielle, tant il est clair que son ouvrage est une référence.

Pourtant, on peut trouver déjà quelques variantes. Ainsi, de sa main, en 1831, le Maire, Claude-Apollon ROBINET, assisté de M. FLORION, dans l’acte de nomination de Louis BOURNIZET au grade de Brigadier, met de sa main un accent sur chaque « e ».


Au XIXème siècle, tous les papiers officiels portaient la même orthographe.

- ouverture du collège - 1805
- ouverture de l’école secondaire (même date, 1805)
- papier à entête de la ville en 1817


Au XXème siècle, tout se complique

Tout d’abord, en 1905, dans son histoire de la ville, Louis BROUILLON affirme que la forme actuelle « se prononce Menou et ne comporte pas d’accent aigu ».

Puis, vient l’époque de la vulgarisation des dictionnaires et particulièrement du Petit Larousse, qui opte pour le nom sans accent et nomme les habitants Ménéhouldiens, alors que chacun sait que l’on a toujours dit Ménéhildiens. Trop souvent le lecteur fait une confiance aveugle aux dictionnaires et aux encyclopédies et il a bien tort. Larousse fait de DROUET le fils du maître de poste et Encarta place l’Argonne entre la vallée de l’Aire et de la Meuse ! Les historiens résistent à cette version quasi officielle.

L’abbé LALLEMENT, ancien curé de Moiremont, auteur de divers livres de grande qualité sur les mœurs et coutumes de l’Argonne publiés au début du siècle, Jean LAURENT dans la thèse parue en 1951 « L’Argonne et ses bordures » et dans toutes ses publications qui suivront, Eugène BAILLON dans son histoire « Sainte-Ménehould et ses environs » parue en 1957 restent fidèles à l’orthographe que je considère comme correcte.

Par contre, à la fin de ce siècle, Jacques HUSSENET adopte tant dans « Argonne 1630-1980 » que dans tous ses écrits l’orthographe « Larousse ».

Un grand désordre va s’instaurer à la fin de ce siècle et l’on voit tant dans les publications, les panneaux au bord des routes, les journaux, l’accentuation simple, le petit attribut flottant soit se déplacer, soit se dédoubler, soit s’évaporer. On peut avancer des explications à cette diversité :
Pour les généreux qui doublent l’accent, on peut penser qu’ils s’inspirent du nom des habitants qui s’écrit bien Ménéhildiens.
Pour les avares, ils peuvent être influencés par le diminutif de la ville, « Menou » ou par la fâcheuse habitude qui s’est instaurée depuis quelques décennies d’écrire le nom des villes en majuscule, alors qu’une majuscule à la première lettre suffirait. Et comme en France, contrairement aux Slaves, on ne sait pas mettre d’accent sur les majuscules, s’imprime dans nos têtes un nom sans accent.
L’euphonie a dû aussi jouer son rôle, tant il est vrai qu’il est peut-être plus facile de prononcer Méné que les autres formes.
Que faire maintenant ?

Je doute que cet article puisse, à lui seul, éradiquer les mauvaises pratiques, rares il est vrai, qui dérobent un accent contribuant tant au charme de la ville.

Et puis pensons à toutes ces jeunes filles ou dames qui portent ce joli prénom et qu’on laisse dans l’expectative lorsqu’elles se doivent de l’écrire. Et John JUSSY, Président de l’Office de Tourisme, qui s’efforce de les recenser, en découvre périodiquement.

Je propose au Conseil Municipal de prendre une délibération fixant définitivement l’orthographe de la ville et le nom de ses habitants qui serait dans un second temps envoyé à tous les éditeurs de dictionnaires et d’encyclopédies, à toutes les administrations. Quant à la prononciation, il ne sert à rien de légiférer ; tout le monde continuera à faire comme bon lui semble.

Lorsque j’entendais, lors du passage de la grande boucle en Argonne, le commentateur lisant sa fiche, affirmant qu’il faut prononcer Sainte-Menou, j’ai un peu sursauté. Je crois qu’il y a là une confusion avec le diminutif de la ville « Menou ». A ma connaissance, le citoyen de la cité, s’il dit bien qu’il habite à Menou lorsqu’il est sur ses terres, prononce par contre le nom comme il l’écrit lorsqu’il est loin de son domicile ou quand il s’adresse à une administration.

Et peut-être pense-t-il que ce n’est pas de tout repos d’habiter une ville au nom si singulier !

mercredi 11 avril 2018

Je viens de retrouver cette citation admirable...

Le seul moyen de prévenir ces écarts, consiste à supprimer, ou au moins à simplifier, autant qu'il est possible, le raisonnement qui est de nous, & qui peut seul nous égarer, à  le mettre continuellement à l'epreuve de l'experience ; à ne conserver que les faits qui sont des verités données parla nature, & qui ne peuvent nous tromper ; à ne chercher la vérité que dans l'enchaînement des expériences & des observations, sur-tout dans l'ordre dans lequel elles sont présentées, de la même manière que les mathématiciens parviennent à la solution d'un problème par le simple arrangement des données, & en réduisant le raisonnement à des opérations si simples, à des jugemens si courts, qu'ils ne perdent jamais de vue l'évidence qui leur sert de guide.
Méthode de Nomenclature chimique,
A. L. LAVOISIER, 1787.

mardi 10 avril 2018

Quand on mangeons un aliment, nous percevons son « goût »

En science des aliments, c'est le plus grand désordre terminologique, et il faut que cela cesse, parce que cela nuit à la qualité des travaux.
Certains collègues parlent de « goût » pour parler de « saveur » ; d'autres parlent d'arômes pour évoquer l'odeur rétronasale, alors que le dictionnaire dit bien qu'un arôme est l'odeur d'une plante aromatique ; d'autres encore voient, avec ce même mot « arôme », la somme de la saveur et de l'odeur rétronasale ; d'autres y ajoutent les sensations trigéminales ; il y a ceux qui utilisent le mot « flaveur », ceux qui ne l'utilisent pas…

Comment imaginer des progrès scientifiques quand règne tant d'incohérence ?

Le père de la chimie moderne, Antoine-Laurent de Lavoisier, a bien mis en avant une idée importante dans l’introduction de son Traité élémentaire de chimiei : «L'impossibilité d'isoler la nomenclature de la science, et la science de la nomenclature, tient à ce que toute science physique est nécessairement fondée sur trois choses : la série des faits qui constituent la science, les idées qui les rappellent, les mots qui les expriment (...) Comme ce sont les mots qui conservent les idées, et qui les transmettent, il en résulte qu'on ne peut perfectionner les langues sans perfectionner la science, ni la science sans le langage. »
La « chimie des aliments et du goût » doit donc assainir sa terminologie pour progresser.

Pour la langue internationale des échanges scientifiques, la question est réglée : le mot anglais flavour désigne la sensation synthétique que l'on a quand on mange un aliment, et qui inclut toutes les autres. D'autre part, les Anglo-Saxons parlent maintenant très généralement d' odorant pour désigner des composés qui stimulent des récepteurs olfactifs, que ce soit para la voie orthonasale ou par la voie rétronasale. Ils parlent de taste pour la saveur, et de taste buds pour les papilles qui détectent ces saveurs. Mieux encore, l'anglais fait bien la différence entre la flavour, le goût, et les flavourings, ces préparations de l'industrie des parfums pour donner du goût aux aliments, ce que la France a très déloyalement nommé des « arômes », confondant l'acception véritable du mot classique avec une seconde acception qui n'a rien à voir : rien que cela est une contradiction avec la loi de 1905 sur le commerce des denrées alimentaires.

Pour en revenir aux termes de physiolgie, faut-il donc parler de « flaveur », comme cela a été proposéii ? Une norme ISO définit la « flaveur » comme « l’ensemble complexe des sensations olfactives, gustatives et trigéminales perçues au cours de la dégustation »… mais on observe donc que cette définition ne correspond pas au mot flavour anglais, qui, lui, correspond au mot « goût », incluant la perception de la consistance, de la température, etc.

Oui, quand nous mangeons une pomme, nous avons un goût de pomme. Le goût, c'est ce que nous percevons, la sensation synthétique qui se fonde sur l'ensemble des perceptions et des sensations.

D'ailleurs, nous aurions intérêt à ne pas faire une totale confiance aux normes ISO, car, par exemple, elles définissent la « couleur » comme « la sensation produite par la stimulation de la rétine par des ondes lumineuses de longueur d’onde variables » ? Quoi, des longueurs d’onde variables ? Ce serait une belle découverte, si la lumière, en se propageant, pouvait changer de longueur d’onde ! D’ailleurs, les incohérences abondent, dans cette norme, puisque, par exemple, les « saveurs élémentaires » seraient des saveurs « reconnues », ou que l’on nommerait « renforçateur de flaveur » (ou de goût) les substances intensifiant la flaveur de certains produits sans posséder cette flaveur ». Ici, les deux mots « flaveur » et « goût » sont confondus ! Achevons avec la définition de « transparent », qui évoque, comme il y a plusieurs siècles, des « rayons lumineux » !

Faut-il vraiment supporter ces définitions médiocres ? Et devons-nous admettre le terme de « flaveur » ? Je crois que non, et voici les raisons.


D’une part, le mot flavour existe en langue anglaise, où, selon le British Standard Dictionary, cité d'ailleurs par nos collègues sensorialistes, il désigne… la sensation synthétique… qu’est le goûtiii. Pas besoin d’invoquer la flaveur (mot que personne ne comprend, comme on l'a déjà observé), par conséquent, pour désigner ce qui a déjà un nom en langue française.
Faut-il réserver le nom de « flaveur » à l’ensemble des « sensations olfactives, gustatives et trigéminales » ? Il faut savoir que cet ensemble de sensations n’est d’abord pas perceptible, puisque l’on ne saurait les séparer des sensations de consistance ou de chaleur. D’autre part, cette « flaveur » ne serait pas mesurable, puisqu’elle serait la résultante de stimulations de récepteurs différents.
Je propose de penser que quelque chose qui n’est ni mesurable ni perceptible n’existe pas ! Il faut donc abattre le mot « flaveur », le bannir de notre vocabulaire technique ou courant.

Évidemment, en matière sensorielle, ce sont les récepteurs qui doivent imposer les motsiv, et c’est la raison pour laquelle beaucoup de science est à faire.

Depuis longtemps, on sait que le nez comporte des récepteurs olfactifsv, qui peuvent se lier, directement ou indirectement, à certaines molécules présentes dans l’air qui atteint la muqueuse nasale. Directement, par un mécanisme clé-serrure, ou indirectement, puisque l’on a découvert des olfactory binding proteins, auxquelles des molécules se lient avant de se lier aux récepteursvi. Ces composés particuliers qui stimulent les récepteurs olfactifs sont donc « odorants »… même s'ils ne se résument pas à ce qualificatif : par exemple, l'éthanol a une odeur, mais aussi une saveur.
Quel que soit le détail de la stimulation des récepteurs et quelles que soient les autres actions, la perception d'une « odeur » justifie que les composés qui suscitent une odeur soient dits « odorants ». Pas « aromatiques », toutefois, puisque l’arôme est l’odeur d’une plante aromatique, dite encore aromate. Et, de surcroît, il y a la confusion avec les « composés aromatiques », qui, en chimie, sont ceux qui satisfont à la règle de Hückel.
Ajoutons que, très logiquement, on aura raison de ne pas parler de « composés d'arômes », sauf pour évoquer les composés qui se trouvent dans des arômes, c'est-à-dire des odeurs de plantes aromatiques.
De ce fait, il faut sans doute corriger nos pratiques… et nos législations, puisqu’elles nomment très abusivement « arômes » des choses qui n’en sont pas, que l’on parle des odeurs ou bien des produits obtenus soit par assemblage de composés (synthétisés ou extraits de matières végétales ou animales).
Insistons, d’ailleurs, pour refuser à tous ces produits de l'industrie des parfums, qu’ils contiennent ou non des composés de synthèse, le qualificatif de « naturel » : n’est naturel que ce qui n’a pas fait l’objet de transformation par l’être humain. Ces « compositions odoriférantes », ou ces « extraits odoriférants » ne sont certainement pas naturels, et c’est tromper le consommateur que de le lui laisser croire. Experts, n’oublions pas que la base d’un commerce sain, ce sont des produits « loyaux, marchands et francs » !

La saveur, les sensations trigéminales

La question de la saveur semble plus simple, à cela près que règne une grande confusion, à propos du nombre de saveurs. Les études de neurophysiologie (marquage par fluorescence calcique, notamment) montrent bien que deux récepteurs voisins sont sensibles à des composés différents, et il est montré depuis des décennies que le nombre de molécules « sapides » (mot justement retenu pour désigner des composés qui stimulent les récepteurs des papilles) est sans doute infini, avec un nombre de dimensions qui dépasse certainement les 4 qui datent de plus d'un siècle, voire des 5 ou des 6. Par exemple, l'acide glycyrrhizique n'est ni salé, ni sucré, ni acide, ni amer, et le monoglutamate de sodium n'est aucune des saveurs précédentes ; l'éthanol, également, a une saveur originale, et ainsi de suite.
Ainsi, il y a sans doute lieu d'éviter des termes « marketing » comme umami, en observant de surcroît que nombre de publications sur ce thème sont sponsorisées par des sociétés qui vendent du monoglutamate de sodium !
Le tableau se complique également, du fait que l'on a découvert, en plus des récepteurs des papilles, auxquelles se lient des molécules qui peuvent se dissoudre dans la salive, des récepteurs qui captent les acides gras insaturés à longue chaînevii. La découverte est remarquable, parce qu’elle s’accompagne de la mise en évidence de toute une chaîne physiologique qui pourrait faire conclure qu’il existe une saveur particulière des acides gras insaturés à longue chaîne. Cette découverte impose-t-elle l’introduction d’un terme nouveau, sachant que, contrairement aux autres molécules sapides que nous reconnaissons plus classiquement, il n’y a pas de saveur reconnaissable comme les autres ?
Enfin, comment nommer le sens correspondant à la perception des saveurs ? On parle encore parfois de « gustation », mais la gustation devrait être la perception du goût… or nous parlons ici de saveurs. Doit-on plutôt parler de « sapiction », par exempleviii ? Et de papilles sapictives ? C'est ma proposition.
Enfin, il y des composés dont les récepteurs ne sont ni olfactifs, ni sapictifs, mais associés à une voie nerveuse spécifique, le nerf trijumeau. C’est ainsi que nous percevons le piquantix, le fraisx… D’ailleurs, il faut indiquer que les molécules peuvent stimuler les récepteurs de plusieurs façons. Par exemple, le (-)-menthol sent la menthe, certes, mais il suscite aussi la sensation de fraîcheur. L’éthanol a une odeur, mais pas seulement, etc.
D’ailleurs, nous avons omis d’évoquer l’astringence, qui a fautivement été considérée comme une saveur, pendant longtemps, et qui correspond à une sensation d’assèchement de la bouche, notamment quand des protéines salivaires se lient à des composés phénoliques, tels ceux qui sont présents dans certains vins et qui sont souvent, abusivement, nommés taninsxi. Et les sensations thermiques, associées aux sensations trigéminales, la perception des consistances (qui se distinguent de la texture, laquelle est perçue), etc.

C'est un sain emploi des mots qui évitera la cacophonie et permettra le progrès scientifique !


i

A. L. de Lavoisier, Traité élémentaire de chimie, Cuchet, Paris, 1793.
ii A. Pierson and J. Le Magnen, Etude quantitative du processus de régulation des réponses alimentaires chez l'homme, Physiology & Behavior, Volume 4, Issue 1, January 1969, Pages 61-67.
iii Julie A Mennella, Gary K Beauchamp, Early flavor experiences : when do they start ? Nutrition Today, vol 29, N°5, Sept/oct 1994, 25-31.
iv A. Uziel, J. G. Smadja, A. Faurion, Physiologie du goût, Encycl. Med. Chir. (Paris, France), Otorhino-laryngologie, 2-1987, 20490 C10.
v K. Raming, J. Krieger, J. Strotmann, I. Boekhoff, S. Kubick, C. Baumstark, H. Breer, Cloning and expression of odorant receptors, Nature, 28 janvier 1993, 361, 353-356.
vi . Briand, Loiec; Eloit, Corinne; Nespoulous, Claude; Bezirard, Valerie; Huet, Jean-Claude; Henry, Celine; Blon, Florence; Trotier, Didier; Pernollet, Jean-Claude , Evidence of an odorant binding protein in the human olfactory mucus : location, structural characterization, and odorant-binding properties, Biochimie et Structure des Proteines Unite de Recherches INRA 477, Jouy-en-Josas, Fr. Biochemistry (2002), 41(23), 7241-7252. CODEN: BICHAW ISSN: 0006-2960. Journal written in English. CAN 137:105377 AN 2002:360381 CAPLUS
vii Fabienne Laugerette, Patricia Passilly-Degrace, Bruno Patris,
Isabelle Niot, Jean-Pierre Montmayeur, Philippe Besnard, CD36, un sérieux jalon
sur la piste du goût du gras, M/S n° 4, vol. 22, avril 2006.
viii Hervé This, Casseroles et éprouvettes, Pour la Science, Paris, 2003.
ix Pourquoi le piment brûle, Bernard Calvino, Marie Conrat. Pour la Science, N0366, avril 2008, pp. 54-61
x Stephen Daniells Aroma, taste and texture drive refreshing perception: Study, 14-Jan-2009
xi Binding of selected phenolic compound to proteins, Harshadari M Rawel, Karina Meidtner, Jürgen Kroll, J. Agric. Food Chem., 14 april 2005, DOI 10.1021/jf0480290 5021-8561 (04)08029-X

vendredi 6 avril 2018

Au premier ordre, Condillac

Enfin, je comprends que mes hésitations personnelles à propos de la "querelle de Lavoisier contre Poincaré" ne concerne qu'une partie réduite de mes amis ! Je me suis trompé de combat, et il faut promouvoir absolument l'usage d'une langue juste, et ne cesser de proposer ces trois liens :

http://atilf.atilf.fr/
http://www.cnrtl.fr/etymologie/aviser
http://www.projet-voltaire.fr/blog/


Mais je me vois bien incompréhensible, et j'explique, maintenant.
Naguère, émerveillé par les avancées intellectuelles d'Antoine Laurent de Lavoisier, j'avais partagé avec mes amis mon admiration pour ses idées exprimées dans un texte sur les oxydes, où il introduit le formalisme actuel de la chimie : c'est bien à lui que l'on doit les équations chimiques telles que "NaOH + HCl →NaCl + H2O".
Partant de ce texte, j'avais découvert le Traité élémentaire de chimie, que Lavoisier publié pour proposer un cadre cohérent à la chimie moderne qu'il avait fondée, en bannissant l'idée abracadabrante de "phlogistique" (en gros, une matière de masse négative) et en réformant la terminologie chimique, reléguant dans les oubliettes de l'histoire  des terminologies alchimiques qui manquaient de ce systématisme rationnel qui est la marque des sciences : fini les "sublimés corrosifs" ambigus, les "cristaux de Saturne", les "mercure précipité" ou "mercure sublimé", les écumes de Diane, les cornes de cerf... aussi variables qu'incertains.
Mais, surtout, Lavoisier était inspiré par l'abbé de Condillac, qui revendiquait une langue juste pour une pensée juste. Et c'est ainsi que, dans l'introduction de ce traité, il écrit :

"C’est en m’occupant de ce travail, que j’ai mieux senti que je ne l’avois, encore fait jusqu’alors, l’évidence des principes qui ont été posés par l’Abbé de Condillac dans sa logique, & dans quelques autres de ses ouvrages. Il y établit que nous ne pensons qu’avec le secours des mots ; que les langues sont de véritables méthodes analytiques ; que l’algèbre la plus simple, la plus exacte & la mieux adaptée à son objet de toutes les manières de s’énoncer, est à-la-fois une langue & une méthode [iij] analytique ; enfin que l’art de raisonner se réduit à une langue bien faite.  [...]  L'impossibilité d'isoler la nomenclature de la science, et la science de la nomenclature, tient à ce que toute science physique est nécessairement fondée sur trois choses : la série des faits qui constituent la science, les idées qui les rappellent, les mots qui les expriment (...) Comme ce sont les mots qui conservent les idées, et qui les transmettent, il en résulte qu'on ne peut perfectionner les langues sans perfectionner la science, ni la science sans le langage". 

Oui, il faut de bons mots pour de bonnes pensées, car les mots sont comme les outils de l'ébéniste : on ne fera pas du bon travail si l'on confond le marteau et le ciseau à bois ! D'ailleurs, c'est surtout sur le langage technique que l'on voit l'importance de la juste terminologie : si le marin confond la drisse avec l'écoute, le bateau chavire !
Et, évidemment, c'est avec cette idée que je ne cesse de consulter les dictionnaires, et notamment les bons dictionnaires sont j'ai donné les liens
Avec http://atilf.atilf.fr/, on comprend ce que signifient les mots ; la partie inférieure des entrée donne l'étymologie et l'histoire des termes, ce qui explique notamment pourquoi il n'y pas d'exacts synonymes en français.
Mais pour en savoir plus de ce point de vue, il faut consulter : http://www.cnrtl.fr/etymologie/aviser
Et comme nous devons nous présenter à nos amis sous nos plus beaux atours, il n'est pas inutile de consulter celui-ci, également  : http://www.projet-voltaire.fr/blog/

J'étais donc dans un sentiment très condilliacien, pendant longtemps, jusqu'à ce que tombe sur ce texte de Poincaré sur l'invention mathématique. Poincaré ? Henri, bien sûr ; le mathématicien. Par Raymond, le président du Conseil. Henri Poincaré fut un mathématicien extraordinaire, et il s'intéressa à l'épistomologie, et, aussi, à la production des connaissances mathématiques. Dans un de ses textes, il écrit que la difficulté, pour lui, n'était pas d'avoir des idées mathématiques nouvelles, mais de mettre des mots dessus pour pouvoir les partager avec sa communauté.
Oui, à l'opposé d'un Lavoisier, pour qui les idées scientifiques peuvent naître quasi mécaniquement, du maniement des mots, Poincaré voit dans le langage -qu'il veut d'ailleurs tout aussi précis- une fonction plus utilitaire.

Un jour, descendant faire mon cours de gastronomie moléculaire, je compris que Lavoisier était dans l'erreur... pour la production scientifique. Le maniement automatique des mots est "mortifère", et il faut de l'induction pour faire de la science neuve. Il faut "faire des sciences en artiste", aurait dit Poincaré (pour les mathématiques). Oui, il y a cette étape inductive, et non déductive, essentielle en production scientifique.
J'avais donc relégué Lavoisier dans un coin... Mais je me reprends : la fréquentation quotidienne de mes jeunes amis montre que la question essentielle n'est pas d'abord la production scientifique, mais son apprentissage. Et, pour apprendre, il faut les bons mots. Les idées de Poincaré viendront bien plus tard, et elles n'ont pas de place pour commencer.
Oui, les idées condillaciennes sont au premier ordre, et les variations de Poincaré n'arrivent qu'ensuite.


Il faut le dire avec force : 

ayons de bons mots pour bien penser  ! 









Comment faire un bon texte d'enseignement ?



Comment faire de bons documents qui expliquent aux étudiants des points scientifiques ? Je me demande s’il n'y a pas lieu de commencer par réfléchir, et, notamment, analyser de mauvais documents, en vue d'identifier les caractéristiques que nous devrons absolument éviter. Bien sûr, il y a d'innombrables mauvais cours, de sorte que le travail est immense, mais je me propose, dans les mois qui viennent, de prendre des exemples successifs, afin de constituer progressivement un corpus qui pourra servir ultérieurement de guide avant la rédaction, puis de check list après qu'elle aura été faite.

Ainsi j'ai sous les yeux un cours de statistiques que j'avais lu trop rapidement par le passé, et que j'avais mis de côté parce que je le trouvais « trop difficile ». Là, ayant pris le temps de le lire lentement, j'ai compris qu'il n'était pas difficile, mais mauvais !
Dans les 20 premières pages, je trouve toute une série de définitions : je comprends qu'il faut les connaître, et, en me mettant dans la position de l'étudiant, je consens évidemment à bien les comprendre, puis à bien les apprendre. Mais vient bientôt, sans que le livre ne signale de changement de régime, une série de formules qui sont en réalité des résultats qui ne sont pas présentés comme tels, mais simplement énoncés, négligemment, sans aucune mention du fait qu'il faut les démontrer. C'est comme s'ils étaient parfaitement évidents, au même niveau que des définition.
Pourtant, je viens de m'assurer, en y passant du temps, que la démonstration de plusieurs d'entre eux nécessite plusieurs pages de calcul pour chacun ! Autrement dit, la compréhension de ce texte nécessite des pages de lecture supplémentaire, éventuellement à l'aide de documents que j'ai dû chercher moi-même, sans aucune indication de l'auteur du livre !
Le livre est donc ainsi fait de phrases, suivies de formules, il n'y a aucune explication. Or c'est un livre universitaire proposé à un niveau « élémentaire », de sorte que je sais bien que les étudiants qui l’auront en main ne pourront absolument pas -sauf exception bien sûr- comprendre ce qui est écrit ! Que pourront-ils faire alors ? Simplement répéter tels des perroquets ce qu'ils auront appris par cœur, sans savoir d'où cela vient… ni si c'est juste ! A moins bien sur qu'ils ne fassent comme moi, à savoir qu'ils passent beaucoup de temps à chercher ailleurs les démonstrations qui ne sont pas données.


Je trouve qu'il y a malhonnêteté de la part de l'auteur à livrer ainsi un simple squelette dont il n'est pas signalé qu'il s'agit d'un squelette. Il n'y a pas de mode d’emploi donnée en introduction, ni même des phrases qui signaleraient que les résultats sont démontrés par ailleurs. L'auteur a vraisemblablement recopié les résultat d’un autre cours. Il n'y a ni traitement nouveau de la matière, ni explication. Ce livre est un mauvais livre d’enseignement.

Un collègue qui faisait de tels cours m'a expliqué un jour qu'il attendait que les étudiants fassent le travail d'aller chercher eux-mêmes les démonstrations qu'il ne donnait pas. Pourquoi pas, si tel est le jeu, et si ce jeu reste raisonnable en terme de temps passé. Mais quand même, n'y a -t-il pas une certaine paresse à faire ainsi ? Pourquoi ne pas donner directement les détails ? Pourquoi se contenter de donner des listes de résultats démontrés, au lieu de donner les résultats et leur démonstration ?

Plus positivement, je vois que cette analyse nous conduit à non seulement donner la suite des résultats, correctement enchaînés, mais à choisir des options. Soit on peut indiquer aux étudiants où ils trouveront les démonstrations. Soit on peut donner celles-ci dans des sections ou dans des annexes, si l'on souhaite conserver une lisibilité du chemin que l'on fait parcourir eaux étudiants.
Mais en tout état de cause, je crois que l'enseignant a l'obligation d'être parfaitement clair, sans quoi il ne mérite pas sa position.

Sourions un peu avec cette anecdote du professeur qui écrit au tableau une suite de résultats. Un étudiant interrompt : « Monsieur, comment passez-vous de la litre 3 à la ligne 4 ? » Le professeur répond : « C'est évident, voyons, c'est évident. » L'étudiant insiste : « Pardonnez moi, mais je comprends pas. » Le professeur s'arrête cette fois, contemple longuement le tableau noir et dit : « Mais si, c'est évident. Oui, c'est évident… Oui, bon, enfin, donnez-moi une seconde ». Il quitte la salle et ne revient qu'après une demi heure, se campe devant le tableau, et commente : « Et bien oui, c'est évident… »

Je n'arrive pas à croire que cette stratégie soit bonne, et j'attends de mes collègues de bons arguments avant que j'imagine son utilisation. Personnellement, quand j'étais étudiant, j'ai toujours été extrêmement reconnaissant aux enseignants qui prenaient le temps et la peine de mettre toute leur intelligence au service des explications les plus limpides, les plus claires. Cela nécessitait du temps d'étude de ma part, mais au moins, je n’étais pas une vieille chaussette dont on se débarrasse dans un panier de linge sale. J'ai le plus grand mépris pour les enseignants paresseux, ou prétentieux, ou négligents, et je vois donc ainsi une règle absolue pour la préparation des textes d’enseignements des sciences de la nature, résumée dans cette formule de François Arago : 
« La clarté est la politesse de ceux qui s'expriment en public ». 





jeudi 5 avril 2018

Les sciences de la nature ? Il n'y a qu'une méthode !

Ces temps-ci, je vois nombre d'amis qui confondent rigueur et science.  La rigueur, c'est la rigueur, et Flaubert était rigoureux, ou Mozart, par exemple... mais ils n'étaient pas scientifiques pour autant. De la rigueur, on peut en mettre dans toute activité humaine, et c'est d'ailleurs le propre des gens que j'aime que de ne pas être des tas de viandes avachis, mais au contraire des êtres dressés autour d'une "colonne vertébrale" (quelle est la vôtre ?).


Pour la science, j'ai discuté dans mon livre Cours de gastronomie moléculaire N°1 : Science, technologie, technique (culinaires), quelles relations ?, la question du mot "science", que les sciences de la nature ont eu tendance à "confisquer"... mais il y a des sciences de l'humain et de la société, qui ne se confondent pas avec elles. Et l'on a le droit de parler de la "science du cuisinier", ce qui ne signifie pas que les cuisiniers soient des scientifiques... au sens des sciences de la nature.





Focalisons nous donc à partir de cette phrase sur les sciences de la nature.
Quel est leur objet, leur unique objet  ?

Chercher les mécanismes des phénomènes, par l'emploi de la "méthode scientifique". 



Et qu'est-ce que cette méthode ?


Elle tient en six points :
1. identifier un phénomène
2. le quantifier (tout doit être "nombré", disait déjà Francis Bacon)
3. réunir les données de mesure en équations nommées "lois"
4. produire des "théories" en regroupant les lois et en introduisant des "mécanismes", assotis de nouvelles notions, concepts... ; à noter que, évidemment, tout doit être quantitativement compatible avec ce qui a été mesuré en 2
5. recherche de conséquences logiques, testables,  des théories
6. tests expérimentaux de ces prévisions théoriques
7. et ainsi de suite à l'infini en bouclant, car une théorie n'est qu'un modèle réduit de la réalité, pas précis à l'infini (un exemple : Georg Ohm, à partir de ses mesures imprécises, a identifié la loi d'Ohm, mais quand, un siècle après, on y a regardé de plus près, on a vu que la relation entre la différence de potentiel et l'intensité électrique était plutôt sous la forme de marches d'escalier... et c'est l'effet Hall quantique).


Tout cela étant clair, on pourrait me demander : comment êtes-vous sûr que cette méthode est la méthode scientifique ? Ma réponse est que je soumets cette vision à tous les scientifiques du monde entier, dans les pays du monde, à raison d'environ 200 conférences par an, et jamais je n'ai eu de réfutation. Cela est publié... mais, surtout, c'est tiré de l'analyse des travaux des Lavoisiers, Faraday, Pasteur, Einstein, etc. Bref, ce n'est pas une invention personnelle.

D'autre part, on observera que la science (de la nature) ne se confond pas avec la technologie ou l'ingéniérie, ni avec la technique.
La technologie a une visée applicative que la science n'a pas. Je rappelle que la science cherche seulement les mécanismes des phénomènes ; elle ne cherche ni à produire des médicaments, ni à faire des ordinateurs, etc.
La technique, elle, est la production. Elle est améliorée par la technologie, qui prend les résultats de la science pour les transférer.
C'est notamment pour cette raison qu'il faut absolument combattre des terminologies comme "technoscience", qui sont aussi absurde que "carré rond". 

Et pour terminer, j'ajoute que chaque champ - science, technologie, technique- est merveilleux... quand il est bien fait. Il n'y a pas de hiérarchie, la science qui serait mieux, ou la technique, ou la technologie : on ne compare pas des pommes avec des bananes. Et il faut les trois pour que nous parvenions, dans la plus grande clarté intellectuelle, à faire demain un monde meilleur qu'aujourd'hui.

Vive la Connaissance produite, partagée, utilisée pour le bien de l'humanité !

mercredi 4 avril 2018

Fait-on de la science différemment selon l'idée que l'on s'en fait ?

Pour différents scientifiques, il y a différentes idées de la science. Par exemple, les physiciens les plus classiques ne sont pas les chimistes :  dans le premier cas, on s'intéresse à des lois universelles, tandis que, dans l'autre, on examine les caractéristiques moléculaires des objets,  en y repérant une foule de règles moins générales, mais parfaitement fondées et qui, parfois, "expliquent" les grandes lois. Quant aux biologistes, ils font leurs études en se souvent que "tout ce qui se rapporte au vivant doit s'interpréter en termes d'évolution".

Ces perspectives différentes conduisent à des expérimentations différentes, à des travaux scientifiques de types différents. Dans le premier cas, puisque l'on ne s'intéresse pas aux détails des objets, il est évidemment inutile de les caractériser en détail, car sur quelles caractéristiques faire porter  les analyses ? En conséquence, les articles de physique ne comportent pas de longues sections de « Matériels et méthodes ». En revanche, dans le second cas, les parties de «Matériels et méthodes » sont parfaitement essentielles, car les caractéristiques déterminent absolument les objets que l'on étudie. Il y a d'ailleurs une boutade selon laquelle que les physiciens font des expériences très propres avec des matériaux très sales, tandis que les chimistes font des expériences très sales, avec des réactifs très propres ; et l'on ajoute alors « et les physico-chimistes ? ». Pour les biologistes, je connais moins, de sorte que je laisse mes amis se déclarer.
Mais la blague précédente, si son fond est juste, est fausse dans sa forme, car les chimistes sont des scientifiques comme les autres, pour qui la méthode est de (1) identifier un phénomène ; (2) le caractériser quantitativement ; (3) réunir les données en équations nommées "lois" ; (4) chercher des mécanismes (notions, concepts) compatibles quantitativement avec ces lois ; (5) chercher des conséquences testables des théories ainsi produites ; (6) tester les prévisions expérimentales.
Pour en revenir à notre discussion, il y a donc bien une différence de pratiques entre les deux groupes, et il y  aurait également des différences avec les géologues, les biologistes, etc. Mais il y a plus.

Pour certains, qui sont dans le camp de Carl Popper, la question centrale de la science est la réfutabilité des théories, et il y a une manière de faire, qui consiste à douter des lois que l'on produit soi-même. Pour d'autres, qui acceptent (je ne sais vraiment pas pourquoi) l'idée de « vérité scientifique », il y a une pratique scientifique bien différente, parce que comment, alors, penser que tout est faux ? Plus généralement, j'ai exposé dans mon Cours des gastronomie moléculaire N°1 diverses idées que les scientifiques se font des sciences de la nature. Et, par ailleurs, j'ai discuté les diverses stratégies scientifiques. Evidemment il y  une relation entre ces deux groupes : le cadrage de nos activités scientifiques dépend de la position épistémologique que nous adoptons.
Seulement, à titre d'exemple, citons cette « abstraire et généraliser », qui consiste à vouloir immédiatement chercher des caractéristiques générales, des catégories : là, on part d'un objet local, et on cherche ensuite à en retrouver les propriétés. C'est bien différent de cette stratégie qui veut découvrir des objets, et conduira à passer beaucoup de temps à mettre au point des outils d’analyse, qu'il s'agisse de microscopes ou de télescopes, ou encore d'autres outils qui révéleront des caractéristiques des objets du monde : leur spectre d’absorption lumineuse, leurs propriétés d'adhérence, leur tension de vapeur….


Finalement, en dépassant la question stratégique et en arrivant à la question de l'évaluation, on voit qu'il est bon d'arriver au point où nous nous plaçons en rapporteur de nous même, et de nous demander  non pas seulement quelle activité scientifique, ou quel type d'activités, nous avons, mais pourquoi nous avons ce type d'activités.
Il est tout à faire remarquable que ce genre de discussions n'apparaisse jamais dans les articles scientifiques qui sont publiés, comme si les chercheurs devaient se résoudre un peu honteusement à des travaux strictement « techniques ». Le chimiste Jean Jacques, qui a fait toute sa carrière ou presque au Collège de France, a publié quelques ouvrages de réflexion sur sa pratique scientifique. Il s’agissait de livres très personnels, où, d'ailleurs, Jean Jacques mettait au premier plan la « sérendipité », c'est-à-dire cette chance qui sourit aux esprits préparés, cette attentions aux aléas expérimentaux. J'ai un peur que cette emphase n'ait été qu'idiosyncratiques.

Et c'est assez éloigné de ce que je propose de faire. Par exemple, dans nos documents de cadrage des travaux scientifiques, nommés DSR, il y a très rapidement, après le titre, l'énoncé de la question étudiée, et, surtout, les raisons pour lesquelles on fait cette étude.
Evidemment, on évitera des réponses convenues, telles celle qui justifie une étude de la couleur des aliments par une phrase qui dirait que la couleur est un paramètre essentiel de l'appréciation desdits aliments, ou celle qui justifie une analyse d'oignons par une phrase qui fait état du fait que les oignons sont les tissus parmi les plus consommés de l'alimentation humaine. Ce sont en réalité là des explications de nature technologique et non pas scientifique, et il vaut bien mieux s'interroger pour véritablement répondre honnêtement, même si cela est très difficile, à la seule question que doive se poser un scientifique : comment la science progressera-t-elle éventuellement grâce aux études que je propose de faire ?

Quelle stratégie ?

Un de mes amis se lamente que le public français doute de la science. Il se fonde sur un sondage publié par un grand quotidien national... et je l'interroge, tout d'abord, avant de discuter les idées qui ressortent du sondage : pourquoi le sondage a-t-il été produit ? Qui l'a produit ? Comment a-t-il été produit ? Pourquoi ses résultats sont-ils publiés en ce moment-même ?
En effet, je ne suis plus assez naïf pour croire que ce sondage soit venu sans intention, et je propose de bien interroger les circonstances, parce que nous risquons d'avoir des surprises : le monde de la communication est plein d'ambitieux, de malhonnêtes, d'idéologues... qui cherchent à nous influencer dans une direction qui les arrange.

Et, n'ayant pas les réponses à ces questions, je refuse absolument de discuter avec mon ami : ne cherchons pas à savoir la couleur des carrés ronds... puisque ces objets n'existent pas.

Pour autant, je suis heureux de discuter avec mon ami, intelligent et soucieux du bien collectif, parce que cette discussion me permettra de mieux de voir la tache aveugle de mes yeux... moi qui ne voit rien qu'un militantisme actif, même si je l'hybride avec des réflexions stratégiques. Oui, j'ai décidé d'être un "hussard de la connaissance", parce que je suis convaincu (une idée, pas une opinion molle) que c'est la clé des Lumières.

Et, en matière de stratégie de communication, en vue d'introduire plus de loyauté et de rationalité dans les débats publics, tout me ramène à un débat, sur une grande chaîne de télévision nationale, contre un "biologiste" (disons plus justement qu'il discutait de questions d'histoire naturelle)  malhonnête, lequel vendait  ses livres en même temps que l'idée des pouces verts, l'homéopathie, la mémoire de l'eau... 
J'ai compris ce jour là que je  n'avais qu'une possibilité : pour montrer quelque chose d'aussi chatoyant que mon opposant foireux (malhonnête), je devais montrer de l'expérience, encore de l'expérience, et toujours de l'expérience, d'où le style de mes conférences (en général), d'où le style de mes cours...
Et ces expériences doivent être les plus amusantes de la chimie... même quand elles n'ont rien à voir avec le sujet traité : c'est de la crédibilité que l'on gagne en montrait de véritables faits  : Jean de la Fontaine disait "Si Peau d'Âne m'était conté, j'y prendrais un plaisir extrême"... et il est vrai qu'amuser mes interlocuteurs permet de gagner du crédit, d'établir les faits (expérimentaux)... et de faire passer des messages rationalistes supplémentaires. Cela, plus beaucoup de gentillesse (le summum de l'intelligence, c'est la bonté et la droiture), beaucoup d'énergie, cela fera mon compte.
Un détail, d'ailleurs : en écrivant "rationaliste", je viens d'hésiter... parce que cela serait très mal ? Au contraire, c'est essentiel, car c'est seulement ainsi que l'on fera advenir ces Lumières qui permettent de lutter contre les tyrannies et les malhonnêtetés.
Soyons des Hussards de la connaissance !

mardi 3 avril 2018

La découverte des molécules et des atomes

On dit parfois qu'Albert Einstein a découvert atomes et molécules. Ou le physicien Jean Perrin. Bref, les physiciens créditent les physiciens de cette découverte.

Pourtant, c'est oublier des images comme la suivante :




 Il s'agit d'une des figures de "La chimie dans l'espace", de Jacobus Henricus Van't Hoff, un texte paru en... 1875, soit bien avant qu'Einstein ne fasse ses travaux ou que Jean Perrin n'étudie le mouvement brownien.  Et vous avez bien lu le titre ! Quatre ans avant, d'ailleurs,  Van't Hoff avait publié un article où il représentent les atomes de carbone d'une molécule de glucose, en indiquant même les angles entre les liaisons chimiques, et les distances interatomiques.

Mais, plus généralement, la France était terriblement en retard, sur le reste du monde chimique, notamment depuis que Marcellin Berthelot s'était opposé à cette idée de molécules composées d'atomes. En France, il avait eu quelques opposants, avec Würtz, Gerhardt, Laurent, mais Berthelot et sa clique, qui verrouillaient les postes, considéraient avec retard que la théorie était abusive. D'ailleurs, alors que Berthelot se vantait d'être un pionnier de la synthèse organique, la France était très en retard de ce point de vue (et Berthelot n'était certainement pas le pionnier qu'il prétendait être).


Bref, il ne faut pas reconnaître à Perrin d'avoir montré l'existence des atomes, puisque les chimistes la connaissait déjà depuis plus de 40 ans !

dimanche 1 avril 2018

Peser est un jeu


Dans nos expériences, nous devons souvent peser... et ceux qui connaissent l'histoire de la chimie savent combien cela est un acte scientifique important. Antoine Laurent de Lavoisier, par exemple, utilisa des balances extrèmement précises pour ses déterminations essentielles ; il ne cessa de faire des bilans de matière !





Après lui, les pesées sont devenues un art, parce que l'on chercha à minimiser les erreurs. Il y eut les améliorations techniques, les compensations, les doubles pesées... Au point que l'on parle sans exagération de "gravimétrie" comme d'une science de la pesée.

Bien au-delà des connaissances rudimentaires de nos jeunes amis qui n'ont que quelques années de rares travaux pratiques, et qui, face à des balances électroniques, ignorent tout de... tout en ce qui les concerne. Et ce n'est pas de leur faute, si la pesée s'apprend, car une bonne pesée est tout aussi difficile que par le passé... d'autant que l'on pèse bien autant avec sa tête, en réfléchissant, qu'avec ses mains.

Il faut penser à tout. A éviter des courants d'air qui fausseraient les mesures, que ces derniers viennent des pièces où l'on manipule, ou bien des hottes aspirantes sous lesquelles se trouvent les balances. A l'horizontalité des balances : on s'assure  que la balance est sur un support bien stable, sans vibration. A la suite de quoi on règle deux molettes qui sont à l'avant de la balance et au-dessous d'elle, afin qu'une bulle d'air dans un niveau vienne au centre de ce dernier, lequel est repéré par un cercle.

Quand la balance est ainsi stable, on l'allume, et on commence par la contrôler, ce qui signifie que l'on pèse un étalon afin de vérifier que la balance donne des indications cohérentes. Si c'est le cas, alors on peut procéder à la pesée, avec tare et répétition de la mesure.

Pour nombre d'étudiants qui sont gavés d'images de télévision où l'on voit des accélérateurs de particules géants, bourrés d'électronique, ces pesées semblent bien prosaïques, bien rudimentaires, et de ce fait bien en deça des fantasmes scientifiques qu'ils avaient, de sorte que ces pesées ne sont pas toujours aussi bien faites que l'importance de leurs résultats le réclame.

Faut-il brandir cette "importance" ? Ou bien, ne peut-on apprendre à "jouer avec les balances", c'est-à-dire à les utiliser au maximum de leurs possibilités ? Je ne sais pas, mais ce que je sais, c'est que nous devons redonner à la pesée toute l'aura qu'elle mérite, car "donnée mal acquise ne profite à personne" !

Pétition

Pétition d'avril :
Comme disait Aristote dans la Rhétorique, la littérature doit préférer l'impossible vraisemblable au possible invraisemblable.