samedi 30 mai 2015

Comment être un bon convive ?




Jean-Anthelme Brillat-Savarin préconisait de parler sans prétention et d'écouter avec complaisance. Est-ce suffisant  pour être un bon convive ? 

La question est difficile, et cela vaut la peine d'analyser la question. 



Pensons que, dans les dîners, il y a notre personne, et nous dans la collectivité. Pour être heureux, nous devons être heureux personnellement, et nous devons être heureux ensemble. 



Etre heureux personnellement ? Il y a cette phrase merveilleuse, terrible mais juste, selon laquelle un égoïste est quelqu'un qui ne pense pas à moi. Oui, celui qui prend le sot-l'y-laisse de la volaille sans me l'offrir, celui qui prend la cerise sur le gâteau au mépris des autres, dont moi-même, n'est pas un bon convive... 

A contrario, il faut donc que je comprenne que, si je tiens à un repas réussi, où les autres soient aussi heureux que moi, je ne dois pas prendre le sot-l'y-laisse, ni la cerise sur le gâteau. D'ailleurs, si chacun est comme moi, on offrira les belles parties à chacun, qui le refusera, tour à tour, de sorte  que chacun aura été "honoré", en sera heureux individuellement. 

Mieux, ainsi, on aura donné au groupe l'occasion de choisir, pour une raison particulière qui pourra être discutée, et mettra en valeur un membre du groupe, qui en aura reconnaissance à tout le groupe, donc à chacun. 



Ce qui vaut pour la nourriture vaut pour la conversation, et l'on sait combien les autres sont heureux que l'on s'intéresse à eux, qu'on les questionne sur eux, sur leur santé, leur bien-être... ce qui conduit à penser que, comme pour le sot-l'y-laisse, on en arrive à une situation où chacun renvoie vers l'autre la question de parler de lui. Si d'aventure un convive ne la renvoyait pas, il nous serait reconnaissant de nous être enquis de lui, et nous aurions le bonheur de l'avoir rendu heureux. Et si nous sommes en mesure ou en devoir de répondre, ne pourrions-nous penser que se plaindre, être négatif, c'est poser du repoussant sur la table ? A contrario, proposer un sujet positif, c'est illuminer le coeur des autres. Oui, l'optimisme n'est pas une tournure d'esprit, mais une politesse, et le pessimisme est une impolitesse. 

Et si tous repoussent la possibilité de parler d'eux ? Alors on parlera d'autre chose que de soi, et ce sera encore mieux. Ne pourrait-on parler de ce qui est beau, de ce qui est émouvant, de ce qui est bon, de ce qui contribue à la bonne marche du monde ? Ne gagnerions-nous pas à partager avec nos commensaux nos émerveillements ? 

Ce qui est clair, c'est que la commensalité est une attention de toutes les secondes. Elle se prépare, elle se déguste, elle se savoure. Récemment, j'ai croisé dans la rue un de mes amis, Etienne Guyon, qui marchait en lisant. Que lisait-il ? Un poème. Pourquoi ? Parce qu'il prévoyait une marche avec des amis, et qu'il voulait apporter à la discussion un objet précieux, tout comme on apporte un mets quand on va retrouver des amis pour un pique-nique. Quelle belle idée ! 


Pas de débat possible avec les marchands de soupe !




Ce matin, un entretien radiodiffusé à propos de la place de la cuisine française. Le journaliste m'avait averti qu'il ferait l'avocat du diable, puisque c'était l'idée de l'émission. Pourquoi pas. 

En revanche, ce qui était plus intéressant, c'était d'être réuni avec un cuisinier qui venait d'écrire un livre de cuisine. On a eu droit, chaque  seconde, au fait qu'il avait écrit ceci dans son livre, et cela dans son livre... Le fait que l'on ait écrit quelque chose ne vaut  rien, du point de vue de l'argumentation, car on peut écrire n'importe quoi, sous sa signature. 

Il ne pouvait donc y avoir de débat, puisque l'objet du débat n'était pas la question de mon interlocuteur, laquelle était de faire penser qu'il faisait de la bonne cuisine, et que, en conséquence, il fallait aller dans son restaurant. 

Derrière  cette idée, tout y passait : la mauvaise qualité des produits alimentaires de l'industrie, la beauté des produits naturels, le danger des produits alimentaires transformés... avec toutes les contraditions qui vont  avec ces idées : la généralisation  de mauvaise  foi (et le sucre), pour le premier ; le fait que la cigüe soit naturelle pour le deuxième ; l'absence de preuve  (ou, plus justement, le refus de voir les faits) pour le troisième. 

Un débat avec un marchand de soupe ? Impossible. Et même s'il se dit  de bonne  foi, c'est sa soupe qu'il veut vendre. 

Evidemment, j'avais une stratégie, puisque ce n'est pas la première fois que je rencontre cette situation : j'ai proposé d'avancer, de travailler, de faire mieux que ce que nous faisons. J'ignore que les auditeurs auront retenu, mais je ne crois guère pouvoir faire mieux que de montrer de l'enthousiasme, dans ce type de circonstances. 


lundi 25 mai 2015

La cuisine créerait-elle son objet ?

"La chimie crée son objet" : la phrase est paradoxale.

On dit qu'elle est du chimiste Marcellin Berthelot... mais est-elle vraiment de lui ? Voir Marcellin Berthelot, Autopsie d'un mythe, par Jean Jacques, Belin.

L'attaque de Berthelot (d'accord, c'est facile de s'attaquer à un mort)  n'est pas gratuite : l'homme n'était pas qu'un pur esprit, mais un individu qui fit beaucoup pour se forger une image publique, et si des esprits de notre temps lui emboîtent le pas avec sa formule "La chimie crée son objet", c'est qu'il y a un argument d'autorité, qu'on doit donc attaquer dès la racine ; ayant montré que l'homme ne méritait pas l'admiration aveugle qu'on lui porte aujourd'hui, il nous sera plus facile d'accepter la réfutation de sa formule.

Berthelot, donc, avait le chic pour que l'on pense de lui que c'était le plus grand chimiste de tous les temps... mais qu'en reste-il  ? Des mesures imprécises de calorimétrie, une prétention de la chimie à dominer le monde, et le fait qu'il lutta bien maladroitement contre la théorie atomique et moléculaire, ce qui valut à la France de prendre du retard en chimie sur toutes les autres nations industrialisées.
Il était si "puissant" (ministre de l'instruction publique, ami des puissants) qu'il conduisit au  moins une génération de chimistes à s'écarteler entre une notation chimique incohérente, qu'il prônait, en parfait conservateur, et la notation "moderne", utilisée par le reste du monde.
Berthelot avait endossé l'habit du chimiste du camp laïc, et il avait utilisé cette position pour attaquer les vrais savants, Louis Pasteur, Pierre Duhem, Claude Bernard... Le chimiste d'un parti ? La politique, c'est un autre critère que la compétence en chimie ! Et, pour la littérature, par exemple, Alain Robbe-Grillet a bien montré l'inanité de la "littérature politique"  !


Reste que Marcelin Berthelot est au Panthéon, avec son épouse, puisqu'il avait su parfaitement se faire une statue de son vivant. Grand bien lui fasse.  En attendant, revenons à sa formule. La chimie créerait son objet ? Il faut d'abord se demander ce qu'est la chimie : j'ai fini par comprendre que la chimie est une activité scientifique. 

Mais quel est l'objet de la chimie ? Elucider les mécanismes des phénomènes, et non pas produire des molécules nouvelles, ce qui est une activité technique. Une activité technique utile pour atteindre l'objectif fixé, mais un moyen, pas une fin. D'autre part, la chimie comporte une branche analytique qui ne synthétise rien du tout. Et là, la chimie ne crée pas son object. Bref, la formule est un vague baratin qui s'habille avec l'argument d'autorité : tout ce que je déteste.



La cuisine ? Si l'on restait à une volonté de faire formule, au risque d'embrouiller nos amis, ne pourrait-on également dire que la cuisine crée son objet... comme toute activité technique ? Mais ce serait faire trop d'honneur à Berthelot que de le suivre sur ce chemin pourri. Je préfère proposer "Les cuisiniers créent des mets, c'est-à-dire des constructions moléculaires qui ont pour objet de s'adresser au corps (nourrir) et à l'esprit. 


dimanche 17 mai 2015

Comment apprendre


Dans un autre billet, j'ai expliqué que j'avais finalement compris que la question de l'enseignement n'était pas celle de l'enseignement, mais celle de l'apprentissage, par les étudiants. J'ai proposé de diviser la question en "quoi apprendre ?" (et pourquoi ?), et en "comment apprendre". 

Comment apprendre ? Voilà une question extraordinairement difficile, et, comme souvent, je propose de commencer par quelque chose de simple, de pratique. Un jour, un de mes fils est rentré de l'école primaire avec une récitation à apprendre. Je lui ai demandé si le professeur lui avait dit comment apprendre  cette récitation, et il m'a dit que non. J'ai donc fait un mot à ce collègue en lui disant que j'avais demandé à mon fils de ne rien apprendre, tant qu'il ne saurait pas comment faire. Après tout,  cette école-là ne me convient pas : c'est comme si, en classe d'éduction physique, on notait les élèves en fonction de leur  résultat à la course ; les enseignants ne sont pas là pour constater des capacités que les élèves ont déjà, mais pour leur apprendre à faire, en l'occurrence à courir ! Et les élèves, en conséquences, doivent  être notés sur leur apprentissage, pas sur leurs capacités. 

Pour en revenir à mon fils, l'enseignant lui dit alors qu'il fallait lire la récitation suffisamment de fois pour  finir par la retenir. Cette méthode de mémorisation est-elle bonne ? Apparemment pas, si l'on en juge d’après les Grecs ou les univesitaires du Moyen Âge et de la Renaissance, qui, pour apprendre, se composaient une maison intérieure, avec des pièces très caractéristiques où ils déposaient mentalement des notions à retenir. Apparemment pas si l'on en juge  d'après ceux qui ont passé l'internat en médecine et qui, souvent, ont d'abord structuré le savoir qu'ils voulaient retenir. A propos de mémorisation, et puisque l'enseignement ne cesse de solliciter cette capacité (vous comme moi, nous avons eu des récitations à apprendre), il faut dire qu'il existe des méthodes de mémorisation variées, de sorte que l'on attend du corps enseignant qu'il collige ces méthodes, qu'il les compare quantitativement, et qu'il transmette ensuite les plus efficaces,  au lieu que chacun dise paresseusement « C'est comme cela que je fais ». Mieux, je propose que nous commencions par recueillir ces méthodes auprès  de ceux dont le succès montre qu'ils savent les mettre en œuvre. 

Ce qui vaut  pour la méorisation vaut évidemment pour d'autre capacités. Et on aura raison de ne pas s'arrêter à la mémorisation, car la mise en œuvre de compétences n'est pas la mémorisation de connaissances.  



Se doter de compétences ? La question est également notoirement difficile, et, là encore, il y a sans doute lieu de diviser le problème. Par exemple, c'est un fait que l'on peut disposer parfaitement de la théorie du frapper dans une balle de tennis (un exemple sans intérêt, mais les gestes de laboratoire relèvent du même ordre d'idées), et ne pas parvenir aussi bien qu'un champion à l'envoyer là où on voulait. Là,  il y a donc lieu  d'effectuer un apprentissage particulier, ce que l'on nomme parfois un entraînement. Toutefois, comme pour la mémorisation, l'entraînement peut se faire de différentes façons, et au lieu d'une simple répétition, il y a sans doute lieu d'analyser,  structurer, comparer quantitativement. 

Pour l'instant, on a souvent fait l'économie de ces comparaisons, de ces analyses, et cette économie s'est faite pour de nombreuses raisons, notamment parce que les étudiants ne sont pas des cobayes et qu'ils doivent apprendre avant de servir à des analyses utiles à la collectivité. En faisant cette remarque, on ne saurait éviter de la rapprocher de la recherche clinique en médecine où la  même question se pose et où,  pourtant,  des  études sont faites en vue d'évaluer l'efficacité des médicaments. Il y a dont lieu, semble-t-il, de faire le même type de travail, avec les mêmes règles déontologiques, de consentement éclairé, d'éthique en général. Car c'est ainsi seulement que l'ensemble de la collectivité pourra bénéficier de résultats fiables, et non pas de méthodes arbitraires ou idiosyncratiques. 

Une anecdote pour  terminer : récemment une étudiante en première année médecine m’interrogeait, et, lors de la discussion, je l'interrogeais moi-même sur sa propre méthodes d' apprentissage en lui demandant si cette méthode était efficace. La jeune fille répondit que oui,  cette méthode était efficace puisque c'était celle d'une de ses amis qui était meilleurs qu'elle. Meilleure, mais combien ? Et surtout bonne ? A l'analyse, il apparut que cette amie en était à sa deuxième première année de médecine, ce qui montre que la méthode n'avait pas prouvé son efficacité. 

La vraie question : quelles méthodes les meilleurs d'entre nous mettent-ils en œuvre ? 


jeudi 14 mai 2015

Je ne veux pas être responsable de la poussière du monde ; ou mieux, je veux (activement) beauté et intelligence





Ah, la poussière du monde ! Cette idée m'avait été donnée par le moine Citrouille Amère, surnom de Shitao, un peintre chinois qui produisit un remarquable traité de peinture, intitulé L'Unique Trait de Pinceau. 

Je ne comprends pas bien pourquoi, mais les cultures chinoises ou japonaises m'ont longtemps ébloui (et j'utilise le terme à  bon escient), au point que j'ai "gobé" bien des idées que je récuse aujourd'hui. La question de l'unique trait de pinceau, par exemple, me semble aussi fausse que la critique des "cuisines d'assemblage" par les cuisiniers français classiques. 

Pour le cas de la cuisine, il s'agirait de produire le plat d'un coup, et de ne pas superposer des éléments cuits séparément. Par exemple, pour une tarte au citron meringuée, il faudrait cuire en une fois la pâte, avec sa garniture, et sa meringue... ce qui est sans doute impossible théoriquement si l'on veut une pâte bien croustillante, une garniture bien moelleuse et une meringue parfaite ; celui qui superposerait pâte cuite à part, garniture cuite à part et meringue cuite à part serait sanctionné, lors des épreuves des Meilleurs Ouvriers de France... alors que, paradoxalement, le résultat serait  supérieur. 

De même, selon Shitao, il faudrait peindre d'un trait, sans reprise, sans rature, parce qu'il serait impossible de corriger un trait erronné, ce qui imposerait une longue méditation avant de tracer les traits. Mais, là encore, en vertu de quelle loi ne pourrait-on pas corriger ? Après tout, les gommes ne sont pas faites pour les chiens !

C'est ce même Shitao, donc, qui m'avait communiqué cette idée de "poussière du monde" qu'il aurait fallu combattre, afin d'être capable de produire une oeuvre d'art. D'où la méditation, notamment. Il aurait fallu se vider l'esprit pour que seul l'unique trait de pinceau puisse advenir correctement.

Longtemps, j'ai propagé l'idée de la poussière du monde, en y voyant les imbécilités que le monde ne cesse de sécréter, les platitudes, les lieux communs, les clichés, les conversations insignifiantes faites pour "meubler", pour créer le lien social sans autre support que cette volonté implicite de socialité.
Mais il ne suffit pas d'énoncer un mot pour faire exister un concept : carré rond, père Noël... Et la poussière du  monde  existe-t-elle vraiment ?
Je crois, finalement, que c'est nous qui la sécrétons, et pas le monde ! C'est nous qui  admettons des discussions insignifiantes, qui y participons. C'est nous qui, souvent par timidité, acceptons cet avatar du Guide de la conversation et des bonnes manières, qui permettait, lors des dîners bourgeois, de ne parler ni de religion, ni d'armée, ni de politique. C'est nous qui nous vautrons dans  l'énoncé du dernier film ou roman à la mode, fut-il écrit par un petit marquis dont la prétention n'est égale qu'à l'incapacité à écrire des phrases correctement agencées (sans parler de rhétorique, bien sûr, dont ils ignorent tout). C'est nous, donc, qui sommes responsables de la poussière du monde, et non le monde qui voudrait nous empoussiérer. 

Dans la mythologie alsacienne, partie ensuite en Allemagne, puis dans les pays du nord de l'Europe, il y a ce concept du Ragnarok, ce moment où les Géants viendront combattre les dieux, raison pour laquelle ces derniers recrutent des guerriers qui occupent le Valhalla. Les Géants  ? Dans une certaine acception de la mythologie, ils seraient l'équivalent de cette poussière du monde engendrée par le monde... mais on se souvient que je propose plutôt que nous soyons les créateurs de la poussière. De même, les Géants sont dans les dieux, et pas des entités menaçantes extérieures. Nous portons en nous  la responsabilité de faire exister le monde, avec ses Géants, sa poussière. Une fois que l'idée est claire, il devient plus facile d'éviter poussière et Ragnarok, poussière du monde et fin du monde.


Mieux encore : jusque ici, ce billet est négatif ; il refuse la poussière du monde, il refuse l'existence de la poussière du monde. Plus positivement, la question n'est-elle pas de faire advenir beauté et intelligence. Elles sont en nous, mais comment les faire advenir ? Savoir qu'elles sont en nous nous fait un devoir de les en extraire, pour que, tel un soleil, elles  éclairent notre vie. Nous les obtiendrons à force de travail, de soin, de patient labeur... 


lundi 11 mai 2015

Enseigner ou apprendre ? Apprendre !



Je me repens amèrement, car je viens encore de voir une erreur terrible que j’avais faite, et à propos de cette activité essentielle qu’est l’enseignement.

Ceux qui me lisent se souviennent que, il y a quelques années, passionné par la difficile et importante question de l’enseignement (il y a la carrière de jeunes amis en jeu), j’avais proposé une réflexion : je partais d’ "attendus", et j’en tirai des conséquences, d’où j’avais extrait des propositions de rénovation de l’enseignement supérieur (mais la réflexion dépassait ce cadre).

Or si l’enseignement semble consister à enseigner, c’est aux étudiants seulement qu’il revient d’apprendre. Et c’est donc...


La suite à lire sur http://www.agroparistech.fr/Enseigner-ou-apprendre-Apprendre.html

dimanche 10 mai 2015

Se prendre au sérieux ?

Aristophane fustigeait ceux qui se prenaient au sérieux (pour faire des guerres qui les enrichissaient et leur donnaient du pouvoir). Le monde a-t-il changé ? Pas sûr : récemment, un ami directeur de laboratoire dans une grande école scientifique s'est demandé, avec son équipe, s'il ne ferait pas mieux de se prendre au sérieux. J'explique. 



Les élèves de cette école doivent choisir des laboratoires d'accueil pour faire des stages. Pour qu'ils puissent choisir en connaissance de cause, on leur organise une séance où des enseignants-chercheurs viennent présenter des travaux en cours, auxquels les élèves pourront participer, s'ils le souhaitent. 

Dans cette école, comme dans toutes les écoles, il y a  des individus de diverses sortes, notamment  à propos  du "sérieux". Examinons d'abord le mot : "Qui s'intéresse aux choses importantes; se montre réfléchi et soigneux dans ce qu'il fait.".  Montaigne, lui, donnait le sens suivant : " qui n'a pas pour objet l'amusement, la distraction. 

Dans cette affaire, il y a deux questions... importantes : (1) la première est l'importance ; qui décrète de l'importante des choses  ? ; (2) ensuite, il y a l'amusement, qui se distinguerait de l'important... mais ne peut-on pas faire par amusement des choses "importantes", en supposant que l'on a déterminé ce qui est important ? 

Décidément, tout tourne autour de l'importance : " Qui atteint un niveau dont on juge qu'il est grand". Un niveau ? Avec quel indice ? Et qui est ce "on" qui juge ? 

Enfin, il y a ce que disait Jorge Luis Borges : "Je travaille avec le sérieux d'un enfant qui s'amuse". Tout est là ! 

Bref, dans une école, parmi les enseignants-chercheurs, il y a : 

- ceux  qui pensent que ce qu'ils font est important, et qui ne le font pas sentir aux autres

- ceux  qui pensent que ce qu'ils font est important, mais ne le font pas sentir aux autres

- ceux qui font ce qu'ils font sans penser que c'est important, mais font sentir aux autres que  ce qu'ils font est important

- ceux qui font ce qu'ils font sans penser que c'est important, et ne font pas sentir aux autres que ce qu'ils font est important

On aura compris que je mets la catégorie qui se prend au sérieux  (ceux qui cherchent à faire sentir aux autres que  ce  qu'ils font est important) avec les pisse-vinaigre de Rabelais. On se souvient que je ne mets pas dans cette catégorie ceux qui sont sérieux sans chercher à le faire sentir : après tout, n'était-ce pas ce que faisait Borgès ? 

Et on aura compris que je préfère par dessus tout ceux que leur activité passionne et qui,  joviaux, s'amusent de leurs travaux et cherchent à en partager le bonheur avec leur entourage. 



Le drame (si l'on peut dire), c'est que mon ami -qui fait de la très bonne recherche- ne voit pas les étudiants venir vers son laboratoire, mais se diriger plutôt vers les équipes qui se prennent au sérieux, qui sinalent à chaque phrase que ce qu'ils font est important, essentiel, fondamental... A vrai dire, c'était déjà ainsi quand j'étais élève à l'ESPCI : une bonne partie de la promotion était partie faire de la chimie analytique, captée par un professeur qui vendait bien sa salade. 

Toutefois le résultat, c'est que mon ami et son équipe ont organisé une réunion interne, pour se demander comment présenter leurs activités les prochaines années : devraient-ils jouer à ce jeu un peu malhonnête qui consiste à se taper sur la poitrine... afin de capter des esprits un peu faibles, puisque sensibles à des arguments idiots ? Je n'ai pas le résultat de leur réunion, mais, de même que l'on doit sans cesse combattre la pensée magique, je crois que nous devrions sans relâche dénoncer ceux  qui  font les importants, ceux qui se prennent au sérieux. 

Traquons ces deux mots !