jeudi 6 avril 2023

Couramment, les cuisiniers ajoutent de la crème à un liquide, puis font réduire. Pourquoi ?

 La pratique a de quoi choquer : quel belle odeur, au dessus de la casserole ! Pour le physico-chimiste, qui voit le monde microscopique avec les yeux de l’esprit, c’est du gâchis : pensons à toutes ces belles molécules odorantes qui sont perdues, et finissent dans les hottes aspirantes, au mieux dans les cuisines. Ne vaudrait-il pas mieux qu’elles finissent dans les assiettes ? 

 

La crème est une de ses meilleures armes, pour y parvenir. Oui, la crème, car elle contient de la matière grasse et de l’eau. L’eau dissout les molécules sapides, et la matière grasse dissout les molécules odorantes. Autrement dit, tout ce qui accompagne la crème, lors d’une cuisson où elle est présente, a des chances de rester piégé, à condition qu’il y ait un couvercle. 

 Considérons le cas des champignons, par exemple. La cuisson classique, dite en cassolette, est d’une remarquable intelligence empirique, car, quand on chauffe à couvert des champignons,  du champagne, de la crème, sel et poivre, alors les champignons libèrent des molécules odorantes qui vont se dissoudre dans la matière grasse de la crème ; ils libèrent aussi des molécules sapides, qui, elles, vont se dissoudre dans la « phase aqueuse » faite par le mélange du champagne et de l’eau de la crème. 

Bref, tout ce qui sort des champignons  est retenu… à condition que l’on n’ait pas chauffé et que l’on ait ajouté un couvercle ! Oui, un couvercle, contre lequel les vapeurs viennent se refroidir, et, se recondensant, remettre dans le liquide les molécules qui auraient été éliminées par l’évaporation. 

 

D’où la règle très importante à ajouter pour ce type de cuisson : il faut cuire dans la crème, sous un couvercle. 

 

Le hic, c’est la réduction ! Oui, parce que, alors, l’eau de la préparation est évaporée. Or l’évaporation de l’eau entraîne avec la vapeur les molécules odorantes. C’est même un procédé ancien de la parfumerie que l’extraction des huiles essentielles à la vapeur d’eau. Si on veut faire chic, on peut dire « hydrodistillation », mais c’est la même chose (évidemment, on recondense les vapeurs, pour récupérer une huile essentielle qui flotte sur l’eau recondensée). 

 

Alors, comment faire pour avoir une sauce liée, quand on veut crémer ? Cela paraît tout à fait évident : puisque la réduction fait partir les molécules odorantes, une première solution consiste à distiller, disons simplement à récupérer les vapeurs de la réduction, puis à remettre dans la casserole la partie « huile » qui a été récupérée : ce sont des odeurs à l’état pur ! Pas pratique pour les petites quantités. 

Alors je  propose l’analyse suivante : la réduction permet d’éviter qu’il y ait trop d’eau dans la préparation, ce qui force à réduire. Or la crème apporte de l’eau au jus ou au produit initial, ce qui force à réduire. 

Pourquoi ne pas réduire la crème par avance, doucement, en grande quantité, comme on fait pour le beurre clarifié, afin d’obtenir un produit concentré en matière grasse de la crème, que l’on ajouterait au produit ou au jus. Un couvercle, un petit chauffage qui n’élimine pas l’eau, et le tour serait alors joué ! 

 

Enfin, pourquoi ne pas imaginer que les cuisiniers réclament aux fabricants des crèmes déjà réduites, qu’il suffirait d’ajouter aux préparations, afin d’éviter les réductions ?

Quelles huiles utiliser en cuisine ?

 Hier, lors d'une séance publique de l'Académie d'Agriculture de France, consacrée au lipides dans l'alimentation, et notamment aux huiles végétales, il a  eu une question, en fin de séance, alors que nous avions discuté de détails sur la constitution des triglycérides, sur la composition des diverses huiles, sur leur production, sur leurs améliorations, et cetera... Et cette question, toute simple, était  : "Quand on cuisine, finalement quelle huile doit-on utiliser ?" 

 

On voit exactement là apparaître un sujet que je ne cesse de discuter depuis des décennies, à savoir que la qualité d'un ingrédient culinaire est déterminé par l'usage culinaire que l'on en fait, et pas seulement réduite à sa constitution avant cuisson. 

Par exemple, la plus saine des huiles mal cuisinées fera le plus malsain des produits. 

Et oui, c'est bien la méthode culinaire employée qui déterminera le résultat, en terme de goût, en termes de santé, en terme économique, et cetera. 

Quelle huile utiliser pour sauter un steak ? pour faire des frites ? pour faire une salade ? 

La question est terrible parce qu'il est de notoriété publique que les bouteilles d'huile comportent toutes une indication :  pour friture ou bien pour assaisonnement. 

De sorte que, en réalité, il suffit de savoir lire pour répondre à cette question. 

Pourquoi des gens cultivés ne se reposent-ils pas sur ces indications ? 

Parce qu'elles sont écrites trop petit ? Parce qu'elles viennent de la part d'un fabricant dont on doute ? Parce que les discours deviennent incohérents à forc de se multiplier ? Parce que les injonctions diététiques nous embrouillent ? 

Hier, je n'ai pas analysé la question et j'ai juste répondu que  tout était marqué sur la bouteille. 

Mais en réalité, ce que la bouteille n'indique pas, c'est bien l'usage exact qui est préconisé, car, pour un public qui n'est pas spécialement éclairé, sauter un steak ou frire, ce n'est pas la même chose. Et l'ensemble des pratiques n'est, en réalité, pas spécifié par ces indications sommaire présente sur les bouteilles. 

 

Il y a donc lieu de se focaliser sur la cuisine bien plus qu'on ne l'a fait. C'est la cuisine je le répète qui détermine la qualité des ingrédients culinaires parce que la cuisine est la clé de ce que nous mangeons.

Il y a aussi la façon dont nous manions les ingrédients même avant de les cuire par exemple : c'est ainsi que la même huile peut avoir des compositions très différentes selon qu'elle aura été stockée au frais, à l'obscurité et sans oxygène, ou au chaud, et à la lumière, à l'air libre : le rancissement produit des modifications considérables de composition dans le second cas, engendrant notamment des composés malsains. 
 
Il y a donc lieu d'apprendre à manier les ingrédients culinaires de l'achat à la consommation.

mercredi 5 avril 2023

La chimie moderne est l'œuvre de nombreuses personnes, mais le nom de Lavoisier est celui qui domine. Pourquoi ?

Alors que Lavoisier érigea  l'oxygène en un principe  essentiel, ce n'est pas lui qui découvrit cet élément, mais Joseph Priestley, l'homme à qui l'on doit également la découverte d'une multitude de gaz.

Priestley fut un pilier, avec Stephen Hales et quelques autres, de la chimie dite « pneumatique », la chimie des gaz. 

Lavoisier n'a donc pas découvert l'oxygène ; alors qu'a-t-il fait ? Bien des choses, mais la principale est, avant Dimitri Mendeleiev, d'avoir créé un système, un cadre pour  ranger les découvertes - trop nombreuses- qui avaient été faites depuis les débuts de la chimie. 

A l'époque, certains chimistes interprétaient les phénomènes à l'aide d'une idée fausse,  nommé le « phlogistique ». Le phlogistique aurait été d'une matière que le feu aurait communiquée aux métaux que l'on calcine. Toutefois, la notion conduisait à des masses négatives. 

Lavoisier fut celui qui fit le pas de considérer que, quand on chauffait de l'oxyde de mercure (une poudre rouge) et que  l'on obtenait du mercure métallique, de masse moindre puisque l'oxygène qui était fixé était éliminé, on avait plutôt le départ d'une matière que l'arrivée de phlogistique. 

Lavoisier  identifia la matière perdue à l'oxygène (je fais vite : pour ceux qui sont intéressés, voir les chapitres que j'ai co-signés avec mon vieil ami Georges Bram, dans le livre Quand la science dit « c'est bizarre », aux éditions du Pommier). 

Pourquoi Lavoisier arriva-t-il à cette idée ? Parce qu'il avait confiance dans la balance, et que, comme le montrent amplement ses travaux, il travaillait très précisément, avec des balances remarquablement précises : nos balances électroniques n'ont rien à envier aux siennes. 

Contrairement à ce qui est prétendu sans preuve, sans référence, Lavoisier n'a jamais dit « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme », ce qui est une vieille idée grecque... mais il a mis cet idée en application, constamment (et notamment quand il a montré que si de l'eau chauffée longuement prenait de la masse, c'est parce que le pot où elle était chauffée en avant perdu). 

Je ne fais pas ici une biographie de Lavoisier, mais je conclus en observant que, dans tous ses travaux, Lavoisier mit merveilleusement en oeuvre la méthode des sciences quantitatives : « tout nombrer », disait Francis Bacon ! Rendons des hommages appuyés à Lavoisier (aller à la découverte de son travail, c'est mieux que se débarrasser de l'hommage avec une statue sur laquelle les pigeons vont faire leurs crottes!). 

Au fait, savez-vous que son oeuvre est en ligne ? N'hésitons pas à passer un peu de temps sur http://www.lavoisier.cnrs.fr

mardi 4 avril 2023

Le grainage des blancs d'oeufs battus en neige

Lors du battage des blancs en neige, il arrive parfois que de petits grains blancs opaques apparaissent : c'est le grainage. 

Pourquoi ce phénomène ? 

Je n'en sais rien, et je n'ai pas trouvé d'explication dans des publications scientifiques. 

Ce qui semble apparaître, lors des expériences, c'est que ce grainage survient quand la vitesse de battage est très rapide. 

D'autre part, des expériences ont montré, dans notre laboratoire, que le grainage pourrait être réversible, que les grains finissent par disparaître spontanément, à condition d'attendre assez longtemps. 

De plus, lors des expérience que j'ai effectuées il y a plusieurs dizaines d'années sur le battage des blancs en neige, j'ai observé que des blancs battus, redescendus, battus à nouveau, et ainsi de suite, finissaient par ne plus grainer. 

Comment interpréter ce phénomène ? 

Je répète que je ne sais pas, mais c'est un bon départ que de considérer que le blanc d'œuf est fait d'environ 90 pour cent d'eau et de 10 pour cent de protéines. 

D'autre part, des idées simples de physique nous permettent de penser que, si des structures visibles apparaissent, c'est que leur diamètre est supérieur à la longueur d'onde de la lumière, ce qui signifie que les agrégats formés par les protéines ont un diamètre supérieur  à 400-800 nanomètres. 

Lors du battage, on sait que les protéines sont dénaturées (« déroulées », puisque les protéines sont comme de petites pelotes). Ce déroulement a divers degrés, et l'on peut envisager qu'il soit insuffisant pour induire une coagulation, mais suffisant pour former ces agrégats. Si le grainage est réversible, c'est vraisemblablement que les forces entre les protéines ne sont pas des forces très fortes, et qu'elles ne sont notamment pas des « ponts disulfures », lesquels assurent la coagulation des blancs. 

Mais il faut surtout considérer que le mystère demeure, et je compte sur des énergies fraîches pour explorer le phénomène. 

lundi 3 avril 2023

Connaissez-vous la loi sur le commerce de 1905 ?

 Connaissez-vous la loi sur le commerce de 1905 ? 

C'est une merveilleuse loi, puisque, en substance, elle réclame que les produits alimentaires dont il est fait commerce soient sains, loyaux,  marchands. 

 

 

 Sain : cela signifie que les produits ne nous empoisonnent pas.
Loyaux : cela signifie que ce dit être vendu correspond à ce qui l'est vraiment. Marchand : cela signifie... 

 

Un  exemple simple : quand  : on achète des pommes,  le marchand  ne doit pas nous vendre des pommes tallées, abîmées, et c'est pour cette raison  que l'on voit les marchands des quatre saisons, les épiciers, les responsables de rayonnages dans les grandes surfaces, retirer progressivement, au cours de la journée, des produits endommagés. 

 

Évidemment aucun produit n'est parfaitement sain, parfaitement loyal, parfaitement marchand ! 

 

Par exemple, à propos de santé : dans les girolles, réputées saines, il y a de l'amanitoïdine, un composé toxique de l'amanite phalloïde. 

Dans l'eau de vie, il y a de l'éthanol, l'alcool commun, lequel est un poison... et aussi un peu de méthanol, qui est neurotoxique.  

Dans le pain, il y a de l'acrylamide, un composé que les chimistes redoutent. 

Dans l'estragon et le basilic, il y a de l'estragole, qui est tératogène et cancérogène. 

Dans les pommes de terre (les trois premiers millimètres sous la surface), il y a des glycoalcaloïdes toxiques (d'où le paradoxe : pour populariser la consommation de la pomme de terre, Antoine Augustin Parmentier dut combattre les préjugés de son temps et faire penser que les tubercules étaient...sains ;-) ). 

 

Toutefois c'est une bonne chose de ne pas confondre le gros et le détail. 

Le gros, cela consiste à  dire que du vin, une eau-de-vie sont sains si l'on n'en abuse pas, par exemple (luttons contre les hygiénistes qui ont le fantasme d'une vie saine !). 

Pour l'alimentation en général, cela consiste à ne pas redouter naïvement les benzopyrènes (cancérogènes) des viandes grillées quand on est fumeur, ou encore ne pas se préoccuper de l'estragole quand on n'en abuse pas. 

Pour les plus raisonnables d'entre nous, l'essentiel est de nous renseigner pour mieux savoir ce que nous mangeons, et de chercher les risques, non pas les dangers (une hache suspendue par un fin fil au-dessus de notre tête présente un risque important, parce que la hache est dangereuse ; rangée dans un placard fermé, et posée au sol, la hache ne présente presque plus de risque, alors qu'elle est toujours aussi dangereuse). 

 

Bref la loi de 1905 est merveilleuse ! Nous pouvons chercher à l'améliorer, car toute chose humaine est perfectible ; nous devons, même, chercher à l'améliorer... mais quand même, cette loi est merveilleuse, car elle protège le citoyen (observez que je ne parle pas de "consommateur", mot que je déteste parce qu'il place d'emblée l'individu en vache à lait de l'industrie).

 

Et pour ceux qui voudraient en savoir plus, il y a toujours la possibilité d'aller consulter l'Académie d'agriculture de France, où la Section VIII a organisé l'an passé une séance publique sur ce thème. Des éléments sont sur le site http://www.academie-agriculture.fr


dimanche 2 avril 2023

Droit et sciences de la nature

 Que viennent faire les sciences de la nature  dans les affaires de droit ? 

Voila la question qui se pose, quand il est question, dans le blog d'un scientifique, de droit alimentaire. 

 

D'abord, le livre dont il est question, aujourd'hui, a pour titre Traité pratique de droit alimentaire. Il est publié aux éditions Lavoisier Tec et Doc, et il a été assorti à la fois d'une revue, et d'une grande rencontre, à AgroParisTech, le 17 octobre 2013. 

Une rencontre où, comme pour tout ce que je fais, nous avons essayé de nous rendre utile. 

 

Car le monde "technique" de l'alimentaire a des raisons d'en vouloir au monde du droit : mon collègue Jean-Paul Branlard, de l'Université de Sceaux, ne montre-t-il pas brillamment que, en raison de diverses jurisprudences idiotes, on arrive aujourd'hui à pouvoir vendre, dans les restaurants, des "coqs au vin" sans coq ni vin ? Et le Codex alimentarius n'admet-il pas que les mayonnaises soient faites à partir de moutarde, alors que cette dernière "est le savorisme particulier de la rémoulade", comme l'explique bien le cuisinier français Philéas Gilbert, en 1934 (pour les non cuisiniers, une mayonnaise s'obtient par dispersion d'huile dans un mélange de jaune d'oeuf et de vinaigre, avec addition  de sel et de poivre ; pas de moutarde, sans quoi la mayonnaise devient une rémoulade, ce qui est aussi différent qu'un marteau d'un tournevis, étant donné que la cuisine se préoccupe d'abord, essentiellement, du goût !). 

 

Bref, il y a des raisons de s'intéresser au droit, pour le monde technique. Mais pour le monde scientifique ? 

 

Ici, je dois revenir à la première ligne de mon billet, où j'évoquais des "sciences de la nature". En ces temps de plomb où la confusion intellectuelle règne, où les science studies sont des roquets qui aboient contre les "sciences de la nature", il est plus que jamais indispensable de bien distinguer les "sciences dures" et les "sciences molles"... parce que l'on ne confond pas les tournevis et les marteaux. 

 

Les sciences de l'humain et de la société sont merveilleuses, mais elles ne se confondent pas avec les sciences de la nature, celles qui furent codifiées par des Galilée, des Bacon... 

 

Pour ces dernières, tout est dit avec : 

Le recours à l'expérience

La formalisation mathématique, qui évite les divagations théoriques.

 

D'ailleurs, les sciences de la nature se sont donné des verges pour se faire battre, en usurpant le nom de "science", car ne parle-t-on pas depuis toujours de la "science du maître d'hôtel", du cuisinier, du coordonnier ? 

 

Science, c'est savoir, et les sciences quantitatives doivent avoir un autre nom. Jadis, ce nom était philosophia naturalis, qui a été fautivement traduit en "philosophie naturelle", mais que l'on aurait mieux fait de nommer "philosophie de la nature". 

Ou "physique"... puisque la physis est le mot qui s'impose depuis Aristote, au moins. 

 

Physique ? Pourquoi pas. Mais la biologie, la chimie, par exemple ? P

 

our désigner l'ensemble de ces disciplines, la terminologie "sciences expérimentales" ne convient pas, car les sciences de la nature ne se réduisent pas à l'expérience, leur méthode étant : 

Identification d'un phénomène

Quantification de ce dernier (Bacon parlait de "nombrer")

Réunion des données quantitatives en lois synthétiques (et l'on lira avec intérêt le livre de Meyerson, à propos des "lois")

Recherche des mécanismes admissibles, correspondant à ces lois

Recherche de conséquences prédictives à partir des théories

Tests expérimentaux de ces conséquences, en vue de réfuter la théorie, insuffisante par nature.

 

Bref, il n'y a pas que l'expérience ! De sorte que l'expression "science expérimentale" est bien insuffisante. 

 

Alors pourrait-on parler de sciences de la nature ? 

 

C'est ma conclusion actuelle. Cela étant posé, pourquoi la science quantitative s'intéresserait-elle au droit, et au droit de l'alimentation ? 

 

En réalité, la science ne s'intéresse à rien, parce que la science n'est pas une personne, et je propose de ne pas tomber dans la faute intellectuelle qui consiste à confondre les activités et les êtres humains. 

Autant les derniers ont le droit de s'intéresser au droit, parce qu'il intervient dans le monde où ils vivent, autant la science quantitative n'a rien à voir avec le droit. 

 

Autrement dit, le scientifique (de la nature) perd un peu son temps quand il considère le droit de l'alimentation (avec "droit alimentaire", on tombe dans la même faute du partitif qu'avec "philosophie naturelle"), mais peut-il vraiment éviter d'être "dans la cité" ? 

 

Ouf, cela fait un gros billet ! Il faudra revenir sur bien des points particuliers. Mais luttons contre un certain "droit", que l'industrie utilise pour faire admettre sous le nom de "sauce béarnaise" des sauces qui ne sont pas exclusivement faites d'une réduction d'échalotes dans du vinaigre, avec émulsion de beurre, le jaune d'oeuf apportant les tensioactifs nécessaires à la liaison, et l'estragon donnant son goût très particulier à la sauce. 

 

La loi de 1905 veut que les produits alimentaires soit "sains, loyaux, marchands". Aujourd'hui, il suffit de regarder un peu le monde de l'alimentation pour s'apercevoir que nous avons beaucoup de ménage à faire en matière de loyauté, c'est-à-dire en réalité d'honnêteté des transactions, à propos d'alimentation !

samedi 1 avril 2023

Pas d'adjectifs, pas d'adverbes

La mauvaise littérature fait un usage déraisonnable des adjectifs et des adverbes, tombant facilement dans le cliché ou la périssologie (la forme fautive du pléonasme) : « le blanc manteau immaculé de la neige », « un terrible drame »… 

L'épithétisme non voulu est redoutable, et les auteurs naïfs ne doivent pas s'étonner que leurs manuscrits soient si facilement refusés : une lecture d'un paragraphe suffit souvent à se faire une idée de la médiocrité des textes médiocres.

 Evidemment, en écrivant ce qui précède, je me surveille : n'ai-je pas écrit « mauvaise », « déraisonnable », « facilement », « redoutable », « naïfs », etc. ?
Oui, je m'en suis amusé, et l'on me connaît assez pour bien comprendre que cet amusement est pure joie de vivre, et non ironie caustique. Il s'agit d'aider mes amis à vivre mieux, et, en l'occurrence, à mieux maîtriser l'usage de la langue. 

Pourquoi cet accès soudain ? Parce que je viens de commencer la lecture critique d'un manuscrit scientifique soumis à une revue de chimie, et que je ne cesse d'écrire dans le rapport : « précis », combien ? « grande sensibilité analytique », combien ? « bien connu », de qui ? « forte proportion », combien ? 

La méthode des sciences de la nature faisant usage de la caractérisation quantitative des phénomènes, puis imposant que les mécanismes proposés pour les phénomènes soient « encadrés » par les lois quantitatives, on comprend que les adjectifs et les adverbes soient des mots difficiles à manier. 

Petit ? Jolitorax venu voir Astérix et Obélix disait que son canot était plus grand que le casque de son neveu mais plus petit que le jardin de son oncle. Et si l'on riait d'une telle déclaration, vu la différence important de taille des trois objets, il y avait le germe d'une saine pratique de la description scientifique. 

Oui, une gouttelette d'huile dans une sauce mayonnaise, avec un diamètre compris entre 0,001 et 0,1 millimètre est « petite » (sous-entendu, par rapport à nous), mais elle est énorme par rapport aux lipoprotéines qui sont dispersées dans le plasma d'un jaune d'oeuf, et, a fortiori, dans la sauce mayonnaise. 

 

Il faut répéter que la description scientifique n'est pas de la littérature, de la poésie ; l'information doit être aussi précise que possible, mais aussi succincte… et c'est la raison pour laquelle notre Groupe de gastronomie moléculaire s'est fait une règle de ne pas utiliser adjectifs et adverbes. 

 

Bien sûr, parfois, ils s'imposent, surtout quand la question est la communication, mais chaque fois que nous rédigeons un rapport, un article…, nous faisons, en fin de travail de rédaction, un balayage pour éliminer ces mots épineux. Et si cette règle que j'ai introduite il y a quelques décennies à mon usage était imposée à tous ? 

Et si elle figurait dans les « conseils aux auteurs » ? Merci de m'aider à penser que ma proposition est insensée.