mercredi 8 mars 2023

A propos de crème à l'orange

 

On m'a interrogé hier à propos de crème au citron, à l'orange, au pamplemousse.
Et l'on m'a signalé que  les crèmes à l'orange auraient été moins prises que les crèmes au citron, pour une même recette.

Mon interlocuteur m'a bien assuré que la recette qu'il avait été utilisée était à la même au gramme près, pour les divers agrumes... mais je ne vais certainement pas me lancer dans une interprétation d'un résultat que je n'ai pas vérifié moi-même.

Car j'ai trop vu, en 20 ans de séminaire de gastronomie moléculaire, des idées données par des participants du séminaire et qui étaient entièrement réfutées par l'expérience.
Je me souviens ainsi les discussions sur l'ail bleu, où certains participants nous disaient  avec assurance comment faire bleuir de l'ail, qui, finalement, expérimentalement, n'a jamais bleui !  

Parfois, ceux qui transmettent ces idées insuffisamment vérifiées, quand ils sont confrontés aux faits expérimentaux qui les réfutent, invoquent des conditions différentes. Pourquoi pas, mais, quand même, on comprendra que je sois prudent et que je veuille d'abord faire la vérification.

Par exemple dans un prochain cellulaire ; nous allons donc utiliser la recette qui nous sera donnée pour faire des tests précis et c'est seulement ensuite, si nous voyons un effet, et seulement si nous le voyons, que nous passerons un peu de temps à essayer de comprendre un phénomène qui pour l'instant reste tout à fait hypothétique.

mardi 7 mars 2023

Ne disons pas des choses que nous ne comprenons pas !

Je reçois parfois des messages bien obscurs, et je propose de nous assurer toujours de ce que nous disons, sous peine de dire... des choses que nos interlocuteurs ne comprennent pas.

Par exemple, ce matin, à propos de carottes : "C'est que l'agriculture avance. Les terpènes, et les metabolites sont bien dans l'agriculture régénératrice."

Oui, l'agriculture évolue,  et oui, l'agronomie établit - pas toujours- l'intérêt de certaines pratiques. Cela étant, quel rapport avec les "terpènes" et les "métabolites" ? Observons que, tout d'abord, les métabolites (des végétaux, ici) sont les composés produits par les plantes leur de leur métabolisme.
Il y a des métabolites primaires ou secondaires.
Pour les métabolites primaires, ce sont des composés présents dans toutes les cellules d'une espèce végétale ou fongique, qui sont indispensables à la croissance, au développement et à la reproduction de l'espèce. Ce sont par exemple les sucres, ou les acides aminés.
Pour les métabolites secondaires, ce sont des composés, dont les molécules sont le plus souvent de petite taille, ne participant pas directement aux processus vitaux, produites par les organismes vivants de façon parfois très spécifique et contribuant à leur adaptation à l'environnement (par exemple moyens de défense, de communication intra- ou interspécifique).

Les terpènes ? Ce sont des composés très abondants dans les végétaux : on en connaît plus de 30 000. Et, pour beaucoup, ils contribuent à l'odeur des fleurs et des fruits, par exemple. Ainsi le limonène (+) est dans l'odeur des agrumes ; l'eugénol dans le clou de girofle, etc.
Mais pourquoi évoquer spécifiquement les terpènes ?

Quant aux métabolites, ils sont présents dans tous les végétaux... évidemment !

Mais mon interlocuteur voulait sans doute me dire que l'agriculture régénératrice aurait produit des végétaux avec plus de terpènes ou de métabolites ? C'est loin d'être établi ! Et mon confrère Léon Guéguen, qui a exploré cette question, n'a pas vu d'effet dans les décennies récentes.

Continuons de lire mon interlocuteur avec :
"Pensez vous que si le bicarbonate écarté les pesticides il pourrait de même écarté d autre molécules. Cela voudrait dire que le bouillon ou même la carrotte aurez des transformation différentes qu avec juste de l'eau salé. "
Là, il faut que je réécrive en interprétant :
"Pensez-vous que, si le bicarbonate écartait les pesticides, il pourrait de même écarter d'autres molécules ? Cela voudrait dire que le bouillon, ou la carotte, auraient des transformations différentes d'une cuisson des carottes dans de l'eau salée."

Et ma réponse est la suivante :

Tout d'abord, je ne comprends pas le mot "écarter", et je crois que cela n'a aucun sens de dire que le bicarbonate "écarterait" les pesticides lors de la cuisson de carottes dans l'eau.
D'ailleurs, quels pesticides ? Souvenons nous que 99 % des pesticides sont d'origine naturelle, naturellement produits par les plantes pour se protéger des prédateurs.
Quant aux pesticides utilisés par les agriculteurs, cessons un moment de les invoquer... surtout quand on n'y connait rien. Ils sont sur la surface des végétaux, mais mon interlocuteur lave-t-il ses carottes ?
Là, je sors d'une très rapide recherche bibliographique, et, à côté d'articles publiés dans des revues prédatrices (donc dont les articles doivent être rejetés a priori, je trouve :

Journal of Food Research; Vol. 1, No. 3; 2012
Processing Factors of Several Pesticides and Degradation Products in
Carrots by Household and Industrial Processing
Aurore Bonnechère, Vincent Hanot, Ruben Jolie, Marc Hendrickx, Claude Bragard, Thomas Bedoret, Joris Van Loco

Et je traduis le résumé de l'article (en anglais) :
Pour mesurer les quantités de résidus de pesticides sur des racines de carottes, des carottes ont reçu des pulvérisation, pendant la culture, de trois fongicides (boscalid, difenoconazole et tebuconazole), deux insecticides (chlorpyrifos et dimethoate) and un herbicide (linuron). Les formulations les plus concentrées ont été appliquées selon le guide des Bonnes Pratiques en Agriculture, afin d'obtenir des niveaux élevés de résidus. Puis les conditions de traitement ont été celles de l'industrie. Les effets des traitements de préparation des carottes ont été déterminés pour six pesticides et huit produits de dégradation. Le lavage diminuait la concentration en résidus de pesticides (pour tous les pesticides) d'environ 90 . C'était l'opération la plus efficace, suivie  de près par l'épluchage. Le blanchiment augmentait de 50 % l'élimination des résidus.Après découpe et lavage, les concentrations étaient inférieures à  5 ppb. En revanche, la concentration en résidus n'était pas diminuée par des cuissons par micro-ondes. Inversement, les résidus (sauf le difenoconazole) étaient réduits par la stérilisation. L'enchaînement des procédés réduisait de plus de 90 % les traces de pesticides. Les produits de dégradation n'ont pas été en quantités suffisantes pour être dosés.

Et c'est un exemple parmi des milliers : j'invite mon interlocuteur à aller faire le travail de lire ces documents.

Je lis encore :
"J'ai lu pas mal de choses sur les metabolites primaires et secondaires."
Bien... et alors ?

Puis "Ça devient du sequencage d'adn". Et là, je ne comprends vraiment rien : qu'est-ce qui devient du séquençage d'ADN ? D'où sort cette affaire d'ADN, alors que nous parlons de l'effet du bicarbonate sur des carottes ?
Décidément, le message que je reçois est bien confus.

Puis :
"J ai lu cette article qui pourrait vous faire réfléchir.  J ai vu aussi en ce moment on parle beaucoup de territoires avec l'agriculture. Chaque territoires ça culture grâce aux données que l on connaît."
Décidément, je dois être bouché, parce que je ne comprends pas ce que l'on me dit... d'autant que ce qui m'est envoyé n'est pas un article, mais une page internet d'Aprifel, l'organe de promotion des fruits et légumes... qui ne mentionne pas de bicarbonate.
 
Enfin, mon interlocuteur m'interroge :
"Petite question pourquoi la carotte au salon de l'agriculture.
Car lorsque l on connaît les progrès on peut encore ce poser plein de question et il nous manque mille milliard de réponse.."


Pourquoi la carotte au Salon de l'agriculture ? Disons que j'ai tenu un séminaire, le matin du 1er mars, sur la précision culinaire qui avait été décidée par les participants au séminaire précédent, comme c'est la règle. Puis fait une intervention sur la cuisine de synthèse le même jour à 14 h.


Une bonne pratique en matière d'expérimentation, c'est de s'assurer par avance, avant une expérience, que l'on a quelque chose d'obtenir un résultat.

Considérons, par exemple,  l'étude d'une émulsion par résonance magnétique nucléaire, et supposons que nous nous intéressions au composé tensioactif qui assure l'émulsification. Si l'on utilise un spectromètre RMN domaine fréquence de 300 MHz, alors le minimum dosable pour un composé, sans cryosonde, est d'environ 0,1 mg pour 1 g d'échantillon.

Or il suffit de très peu de molécules tensioactives pour obtenir une émulsion. Il serait donc idiot, et peut-être pire, d'utiliser la RMN dans l'objectif considéré, si la quantité de tensioactif est inférieure à la quantité détectable.

C'est donc une bonne pratique que de s'assurer, avant une expérience,  que nous aurons les 0,1 mg nécessaires pour faire le dosage.

Sans quoi, nous gaspillons du temps scientifique, de l'argent (pour le fonctionnement de l'appareil,  pour les consommables, pour l'électricité, le chauffage...).

Nous sommes comptables de l'argent qui nous est confié pour nos études, et c'est donc une bonne pratique que de ne pas nous lancer dans des études inutiles.

Faisons-nous maintenant l'avocat du diable en disant que rien est inutile et que la chance sourit aux esprits préparés. Serait-il possible, par exemple, que, lors de cette expérience inutile, nous apprenions des faits qui correspondent à une découverte ? Bien sûr, à partir des résultats de l'expérience ratée, nous pouvons essayer d'aller voir plus plus loin que le phénomène qui n'a pu être mesuré. Bien sûr, nous pouvons profiter des données qui ont été obtenues pour faire des calculs qui n'étaient pas ceux qui étaient initialement envisagés. Mais c'est alors par un hasard très grand que nous pourrions vraiment faire une découverte scientifique.

Je connais des cas où cela est arrivé et, en particulier, quand Nicolas Kurti et ses collègues ont découvert la désaimantation adiabatique nucléaire, parce qu'ils ont augmenté -contrairement à toute rationalité apparente-  l'intensité du courant utilisé dans un montage expérimental qui ne fonctionnait pas, et qu'ils ont vu un tout autre phénomène que celui qu'ils étudiaient.

Il y a aussi tout un livre du chimiste Jean Jacques, L'imprévu, ou la science des objets trouvés, qui évoque des découvertes faites par sérendipité. Mais à bien lire Jean Jacques, on verra quand même que c'est l'attention à tous les détails, et l'intérêt pour le non-découvert, la focalisation sur les étrangetés du monde, et non pas la négligence, qui ont engendré des découvertes.

Il y a cette phrase ancienne selon laquelle "la chance sourit aux esprits préparés", et il y aurait lieu de discuter du mot "chance".



lundi 6 mars 2023

Le respect du contrat

 

A propos du choix du phénomène dont on va explorer  les mécanismes, il y a, en germe tout le débat de sur différence entre les sciences de la nature et la technologie.

Les sciences de la nature  explorent les mécanismes des phénomènes, tandis que la technologie veut améliorer la technique.

Ce sont des objectifs qui sont a priori très différents, même s'il est vrai que l'on peut explorer des phénomènes qui ont, par ailleurs,  un intérêt technologique.

Par exemple, on peut vouloir mettre au point des matériaux supraconducteurs à température ambiante,  et c'est là une étude technologique qui conduira à être capable de produire de tels matériaux, une fois qu'ils ont été identifiés.

Mais la science n'a pas cela pour objectif  :  elle a pour objectif d'explorer le phénomène de supraconduction. Et tant mieux si, lors de cette exploration, on arrive à des idées qui permettent aux technologues de trouver des matériaux supraconducteurs à température ambiante, mais ce n'est pas l'objectif.

Cet exemple que j'ai pris est absolument universel, car il y a une vraie différence entre chercher les mécanismes et chercher des applications, en dépit de tout ce qui a été dit du contraire et qui ne m'a jamais convaincu, à commencer par les théories épistémologiques idéologiques.

Si nous faisons de la science, il peut pratiquer de se concentrer sur la perspective des découvertes que nous allons faire alors que nous explorons un phénomène, mais ce serait une mauvaise pratique que de faire de la technologie, de viser l'invention.
En revanche, si nous faisons une étude technologique, alors ce serait une erreur, voire une faute,  que de lancer une étude scientifique au sens précédent, car ce n'est pas ce n'est pas cela le contrat qui nous a été proposé.

Je crois que  le respect du contrat qui a été proposé au scientifique est une bonne pratique scientifique.  

dimanche 5 mars 2023

Des bonnes pratiques à propos de la sélection des phénomènes que nous étudions

 
La première étape du travail scientifique est l'identification d'un phénomène que l'on étudiera.

A ce propos, on comprend que l'exploration de certains phénomènes serait condamnable  et, a contrario, il y a une bonne pratique qui consiste à explorer des mécanismes de phénomènes dans des conditions d'expérimentation qui sont parfaitement éthiques.

Par exemple, l'expérimentation humaine ne peut se faire que dans des conditions extraordinairement cadrées, et certaines explorations ne peuvent pas se faire.

Par exemple, il serait condamnable de priver des patients d'un traitement que l'on sait efficace, lors d'une étude d'un nouveau médicament, et c'est la raison pour laquelle on compare le nouveau médicament au plus efficace connu.

Il y a évidemment lieu, bien avant de commencer un travail, à s'interroger sur les conséquences d'une étude, et c'est ainsi qu'en 1984, des biologistes du monde entier avaient signé un moratoire pour arrêter les études de biologie moléculaire le temps d'une réflexion éthique suffisante.

Aujourd'hui, il y a heureusement des comités d'éthiques dans les institutions de recherche de la plupart des pays, pour rappeler à tous que nous devons avoir des pratiques éthiques, au sens très large : tout aussi bien dans le respect des personnes et des autres organismes vivants, mais, aussi, en relation avec l'environnement.


samedi 4 mars 2023

À propos de bonnes pratiques dans la vie scientifique

 À propos de bonnes pratiques dans la vie scientifique

Je me souviens d'une époque pas si  ancienne où, dans les laboratoires de chimie, le directeur (le "patron") signait toutes les publications scientifiques, et même celles qui décrivaient des travaux auxquel il n'avait pas participé.

Après la Révolution de mai 1968, le remarquable chimiste Guy Ourrisson fut l'un de ceux qui renversèrent la tendance, notamment à propos de la signature des publications scientifiques.

Aujourd'hui, les bonnes pratiques ont considérablement évolué à ce propos, et l'on en est même à s'interroger pour savoir si les membres du comité de thèse d'un doctorant, voire le directeur de thèse, doivent ou non consigner les publications des doctorants qu'ils "encadrent".

Certes, je discute ici par anticipation d'un point qui sera disputé plus loin, mais il me sert surtout à évoquer la question de la conduite des individus dans les laboratoires.

De même que le sexisme est bien plus condamné que par le passé (heureusement !), de même que les patrons peuvent être condamnés pour du harcèlement, sexuel ou moral (heureusement !), il y a lieu de considérer les bonnes pratiques en termes de comportement dans les laboratoires.

Les écoles doctorales ont eu pour bénéfice de mettre un peu d'ordre dans l'affaire, et cela n'est pas terminé,  mais c'est en bonne voie, au moins pour les thèses des sciences de la nature, où les doctorants, qui ne sont plus des étudiants puisqu'ils ont dépassé le stade de la deuxième année de master, doivent être payés, par le laboratoire, ou par le ministère, ou par un industriel.

Il y a donc une évolution considérable depuis 1968. D'ailleurs les directeurs de laboratoire n'ont plus droit qu'à deux mandats successifs, à la suite de quoi ils doivent retourner à la paillasse ou bien  où aller vers d'autres tâches.

Mais surtout, il y a lieu maintenant de considérer le comportement des individus dans les laboratoires, comportements individuels ou comportements en société, et toujours à mettre en regard des lettres de mission qui sont confiées et du Code national de la recherche.

De plus en plus, les activités scientifiques sont codifiées, et c'est ainsi que se sont ajoutées des lois qui protègent notamment les plus jeunes.

Par exemple, tout stage de plus de 8 semaines doit donner lieu à une indemnité.  Cela concerne essentiellement les étudiants en deuxième année de master.

Pour les doctorants, je milite pour qu'on ne les confonde plus avec des étudiants, ce qu'ils ne sont pas en vertu d'un accord européen, mais qu'on les considère plutôt comme des jeunes scientifiques qu'ils sont. Certes ils ont une carte d'étudiant qui leur donne des avantages associés à leur salaire limité, mais en réalité, ce sont des jeunes scientifiques qui doivent maintenant progresser dans la carrière scientifique ou technologique.

Pour les étudiants en stage, le travail est codifié à savoir que la réglementation nationale indique bien que les stages sont des séquences d'études, donc sous la responsabilité de leurs institutions qui les envoient en stage.
Et la réglementation nationale veut que les stages permettent aux étudiants de transformer des connaissances en compétences.

De sorte qu'il est anormal que certains étudiants en stage soient réduits à faire des photocopies ou à observer les actions du personnel qu'ils suivent.

D'ailleurs, à propos de ces stages, je propose d'être honnête quand on est encadrant, ce qui signifie d'une part que l'on doit permettre aux stagiaires de transformer leurs connaissances en compétences, sans quoi on ne doit pas accepter l'étudiant en stage.

Ce qui signifie aussi que l'on s'engage à évaluer ce travail de transformation des connaissances en compétences, ce que ne pourra pas faire le professeur responsable vu qu'il n'est peut-être pas compétent dans l'activité que l'étudiant va découvrir.

Ce qui a pour corollaire que s'il y a un rapport (écrit, donc) et une présentation orale, cela relève d'un exercice qui est donné à l'étudiant par son institution, par ses professeurs, et qu'il est tout à fait anormal que la structure d'accueil du stagiaire révise le document écrit, ou fasse la présentation orale.

Il y a lieu de dire cela explicitement, car je vois beaucoup trop souvent des encadrants de stage qui réécrivent les rapports des stagiaires, de sorte que ce ne sont pas les stagiaires qui sont notés mais les encadrants.

Je vois aussi les encadrants invité aux soutenances, mais je ne crois pas bon qu'ils y soient présents, car l'évaluation d'une présentation orale relève de la compétence de l'institution d'enseignement, et pas de l'entreprise où le stage a été fait. C'est l'exercice oral qui est  (doit être) jugé, et pas le travail scientifique, dont l'évaluation revient à l'encadrant.

Personnellement, je signale explicitement aux professeurs des stagiaires qui me rejoignent que je ne participe en aucune manière au rapport... sans que cela m'empêche de conseiller beaucoup mes jeunes amis à ce propos.
Oui, je donne de nombreux documents très détaillés sur la façon de faire, mais  je laisse à l'étudiant la responsabilité de son travail. Je ne refuse évidemment pas de donner des conseils, mais, vu la précision des documents de cadrage que je donne aux étudiants à propos de communication orale et de communication écrite, les étudiants n'ont qu'à faire le travail qui n'est pas difficile.

Par exemple, quand je dis que, dans un texte, il faut faire la chasse aux adjectifs et aux adverbes pour  les remplacer par la réponse à la question "Combien ?", je vois mal ce que je peux dire de plus, sauf renvoyer l'étudiant à son travail dès que je vois un adjectif ou un adverbe :  un étudiant qui ne supprime pas les adjectifs et les affaires alors que je le lui ai conseillé ne mérite pas que je perde du temps à le lui redire.

D'ailleurs, j'ajoute qu'il est très important que les professeurs et les encadrants des stagiaires ne mettent pas ces derniers en porte-à-faux.
Imaginons que j'insiste pour que l'on écrive "en revanche" plutôt que "par contre" ; un professeur qui corrigerait cet "en revanche" non seulement serait fautif, mais, en plus, ne serait pas éthique.

Evidemment le cas du "en revanche" peut sembler sans intérêt, mais on pourrait en prendre d'autres : par exemple, très peu de mes collègues savent qu'il n'y a pas de virgule après un complément circonstanciel réduit à un mot en tout début de phrase, avant le sujet. Un correcteur de rapport qui ajouterait cette virgule, serait à la fois ignorant et fautif.

Ce que je dis de la forme vaut aussi pour le contenu. Je me souviens d'un étudiant au laboratoire qui avait décidé d'exprimer les incertitudes en indiquant la valeur minimum et la valeur maximum des dosages qui avaient été faits :   cela est parfaitement légitime... à condition d'avoir expliqué ce qu'on fait et pourquoi on le fait comme ça.
Bien sûr, le minimum est maximum ne disent rien de la distribution des mesures, mais si l'on donne la myenne, pourquoi pas une méthode plutôt qu'une autre.

Bref, nous ne devons pas mettre nos amis en porte-à-faux, et nous ferons bien de nous surveiller nous-mêmes avant de critiquer autrui, qu'il s'agisse d'un étudiant ou d'un collègue.

À propos de "motivation"

Ce matin, un jeune ami dont je discute le travail  (pour l'aider à faire mieux) me parle de "motivation" qu'il aurait ou qu'il n'aurait pas.

Je ne suis pas certain de bien comprendre ce mot, qui a d'ailleurs plus des trois syllabes des mots honnêtes, alors que je comprends mieux le mot "objectif". Et c'est ici le message : je ne crois guère à des  motivations extrinsèques, et je propose de penser plutôt à l'objectif que nous avons (ou que nous n'avons pas). 

Car, dans la discussion, en creusant un peu, je comprends qu'il y a souvent des objectifs... qui n'en sont pas : ils sont seulement affichés "pour la galerie", parce qu'il y aurait une pression sociale à avoir un objectif.

Or dire un objectif que l'on n'a pas, c'est  du mensonge, de la mauvaise foi : on dit qu'on a cet objectif mais cela n'est pas vrai et, en réalité, on dit cela pour se débarrasser de la question... pour les autres et pour soi-même.

Inversement, quand on a vraiment un objectif, on est tendu vers cet objectif et l'on a hâte de se mettre en chemin... ce qui signifie qu'il faut plutôt s'empêcher de partir immédiatement pour se donner le temps d'analyser le chemin avant de le parcourir, sous peine de ne jamais atteindre l'objectif. Qu'importe la prétendue "motivation" !

Le malheur, manifestement, c'est que nombre de nos jeunes amis n'ont pas d'objectif réel, et que, en cherchant un peu, ils trouvent et un vague sujet d'intérêt, qu'ils érigent en objectif affiché.

D'ailleurs, ma discussion de ce matin m'apprend pire : j'ai finis par comprendre certains étudiants en master ne travaillent pas au-delà des cours : ni avant d'y venir, ni après, ni pendant le week-end.
Sachant qu'ils ne comprennent pas tout ce qui est expliqué lors des cours, il y a lieu de s'interroger sur l'utilité de leurs études...  qu'ils n'aiment d'ailleurs pas : un  de ces étudiants vient de m'avouer qu'il "sacrifiait son temps" pour venir en master, en vue seulement d'avoir un diplôme, et d'avoir un travail plus tard.

En corollaire, je comprends qu'il y a lieu de changer mes enseignements. Le "spectacle" que je croyais devoir faire, pour "intéresser" les étudiants, est inutile. Il faut désigner les travaux que les étudiants doivent faire (voir mes billets sur les "cartes" des études, il faut les aider -quand ils le demandent- en leur indiquant des documents utiles, qui les aideront à comprendre, on peut les aider à dépister des incompréhensions spécifiques, on peut les aider à tester leurs connaissances, mais on ne pourra pas avoir leur objectif à leur place. 

 Ce qui me ramène à une conclusion précédente : les institutions doivent sans relâche aider les étudiants à identifier des objectifs, car ce sont ces derniers qui seront la garantie de leurs études.