mardi 28 février 2023

A propos d'Edouard de Pomiane

 Sur twitter, j'ai été interpelé à propos d'Edouard de Pomiane, un merveilleux personnage, un extraordinaire poête de la cuisine, qui publia des interprétations des phénomènes culinaires et fut, en quelque sorte, un personnage de la préhistoire de la discipline nommée gastronomie moléculaire et physique. 

Pomiane tint l'une des premières émissions de cuisine à la radio, et il fut l'auteur de nombreux best-sellers, mais, sur twitter, j'ai mis en garde des interlocuteurs quant à la fiabilité de ses textes. 

Car oui, on est finalement jugé au résultat de ses actions... et les livres de Pomiane fourmillent d'erreurs. Il écrit, par exemple, que l'on ne pleure pas si l'on mord une cuiller en bois en épluchant des oignons... et j'ai vérifié expérimentalement que ce n'est pas vrai. Il écrit, par exemple, qu'il faut un fouet en fils de fer et une bassine en cuivre pour monter les blancs en neige... mais nous n'avons pas vu - expérimentalement- de différence entre ce système et un fouet en plastique dans un bol en verre... pour lesquels il n'y a pas cet "effet pile" dont parle Pomiane. 

Et ainsi de suite. Le pire, selon moi, est sa confusion entre technique, technologie et science, confusion qui le conduisit à introduire une sorte de chimère qu'il nomma "gastronotechnie".

Mais, pour autant, Pomiane eut une oeuvre intéressante historiquement, et j'ai publié un article où je cherche plus de justesse dans les appréciations : il est ici : https://seafile.agroparistech.fr/f/eea3fb23125346d29a19/?dl=1



samedi 25 février 2023

Deux recettes alsaciennes :

 Là, sur l'exemple d'une merveilleuse préparation que j'avais faite à l'Hôtel Renaissance de la Défense, pour mon ami Jean-Pierre Lepeltier, je propose un dessert alsacien :


1. macérer des épices de vin chaud dans de l'huile
2. dans un blanc d'oeuf, battre en ajoutant l'huile, de sorte que l'on obtienne une émulsion blanche (comme une crème, donc)
3. mettre deux centimètres dans un verre, et passer au four à micro ondes une vingtaine de secondes (jusqu'à gonflement).
4. ajouter du marc de gewurtztraminer
5. terminer par une mousse au siphon : blanc d'oeuf et gewurtztraminer, par exemple
6. napper de noix grillées.

 
Et j'imagine une sauce poisson, qui pourrait être du type de mon invention que j'ai nommée un priestley :
1. mixer très finement de la chair de truites de Guidat (Orbey)
2. ajouter du lait, ou un autre liquide (par exemple du riesling chauffé afin que l'éthanol soit évaporé)
3. cuire comme une crème anglaise jusqu'au nappage

dimanche 19 février 2023

Le blog d'un inconnu pour qui le summum de l'intelligence n'est ni la bonté ni la droiture, ni la connaissance.

 Un ami me signale un blog qui me critique... d'une façon qui révèle combien les préjugés sont puissants, et combien l'ignorance est une plaie. J'ai l'habitude, mais j'en profite pour rectifier des erreurs courantes : souvenons-nous du merveilleux Jean Largeault qui disait qu'il aimait les mauvais livres, parce que, a contrario, ils lui faisaient comprendre ce qu'il aimait vraiment.

Commençons par :
La Palice l’avait sûrement dit avant Hervé This :
« La cuisine, c’est de la physique et de la chimie » !


D'une part, je ne pense pas que Jacques de Chabannes, seigneur  de la Palice, ait dit cela... car la chimie n'est apparue qu'entre le tome 1 et le tome 4 de la publication de l'Encylopédie de Diderot, d'Alembert et Jaucourt, soit plusieurs siècles après.
D'autre part, non, la cuisine, ce n'est ni de la physique, ni de la chimie... tout simplement parce que la physique et la chimie sont des sciences de la nature, alors que la cuisine, c'est de la technique, doublée d'art. Ne confondons pas tout.

Puis :
Hervé This aime d’ailleurs beaucoup nous gratifier de lapalissades qu’il enrobe d’un jargon très élaboré pour nous vendre ses « vérités » scientifiques que je trouve souvent assez réductrices,
Ah bon, des lapalissades ? Que l'on me les montre : cela me permettra de m'améliorer. Quant au jargon, je dépasse rarement les mots atomes, molécules, composés... et je renvoie enfin à un billet qui explique que la "vérité" n'a rien à voir avec les sciences, lesquelles produisent des théories insuffisantes pour les réfuter;
Surtout, en cuisine, nos séminaires de gastronomie moléculaire n'ont cessé de montrer combien la technique culinaire était... perfectible ! Désolé si les a priori de certains ont été abattus, expérimentalement !

On y arrive :
ce qu’a d’ailleurs prouvé la cuisine moléculaire avec ses tubes à essais et ses éprouvettes, ses cuissons à l’azote liquide, ses fumées fumeuses et ses poudres de perlimpinpin !
Là, on voit l'auteur réactionnaire, qui ne peut supporter que du nouveau s'ajoute au classique... pour faire ce qui deviendra classique. Je prends souvent l'exemple du do-fa dièse de Jean-Sébastien Bach, si critiqué, de Mozart "qui mettait trop de notes dans sa musique", etc.

Continuons :
Car la cuisine n’est évidemment pas qu’une somme d’ « expériences ». Il y a aussi le savoir-faire ancestral, la transmission et le petit côté magique qui ne s’explique pas mais qui fait la différence au niveau du goût. Le petit supplément d’âme qui flatte aussi le palais et l’estomac.
Mais oui, la cuisine n'est pas une somme d'expériences (pourquoi entre guillemets ?), et je renvoie notre auteur à mon livre : La cuisine, c'est de l'amour, de l'art, de la technique.
Quant à l' "âme", commençons par montrer qu'elle existe ;-)

Enfin :
Toujours est-il que Mardi-Gras est un bon jour pour expérimenter la physique et savoir quelle est votre tendance à vous : force centrifuge ou force centripète ?
Pauvre auteur, qui ignore que, dans une rotation, il n'y a pas de force centripète, mais seulement une force centrifuge, et de l'inertie.

Mais évidemment, si tout ce qu'il écrit est une sorte de "poésie", pourquoi pas dire que les chiens sont des chats, les marteaux des tournevis...

Et puis, je ne peux être honoré que par l'estime de gens estimable. Inversement, être dénigré par quelqu'un dont les écrits sont fautifs ou de mauvaise foi, c'est plutôt une sorte de compliment qu'il me fait.


vendredi 17 février 2023

Les questions éthiques pour un journal scientifique



Sur la page d'entrée des Notes académiques de l'Académie d'agriculture de France, journal scientifique, technologique et technique, en ligne, au modèle diamant, nous venons d'introduire un fichier qui décrit les la façon dont nous considérons les questions éthiques pour cette publication.

Il s'agit en quelque sorte d'être clair avec notre environnement, à savoir les lecteurs, les auteurs, les bibliothécaires, le monde en général...

C'est l'occasion aussi de rappeler quelques règles de bonnes pratiques dans le milieu scientifique.

Par exemple peut signer un article ? Il est malhonnête, par exemple d'ajouter un auteur qui n'aurait pas contribué au travail, car la présentation d'un travail scientifique doit être signée par les auteurs de ce travail et par les auteurs du travail seulement.
Bien sûr, on est encouragé à remercier quelqu'un qui nous aidé, mais cette personne n'a pas le droit de prendre la responsabilité d'un travail en signant un article scientifique si elle n'a pas participé vraiment au travail.

Nous décrivons aussi comment sont gérés les manuscrits, comment ils sont évalués par les pairs, ce qui peut se passer en cas de conflit entre des auteurs et des rapporteurs, quel est le rôle des éditeurs...

Bien sûr, il y a lieu d'être extrêmement clair sur les questions de copyright, car la loi de 1957 décrit bien que la propriété d'une œuvre appartient à celui qui l'a produite et elle règle des questions de d'attribution des droits d'exploitation de l'oeuvre en échange de droits d'auteurs, par exemple.
Pour les revues scientifiques, surtout en ce moment, la question est compliquée car avec mes modèles dit en libre accès, c'est-à-dire pour lesquels les lecteurs ne payent pas, les auteurs en viennent à payer... et cela doit être discuté.

En l'occurrence, dans les Notes académiques, il y a pas de conflit d'intérêt de ce point de vue, car les auteurs ne payent pas non plus.

Dans notre déclaration éthique, il y a lieu aussi de discuter des questions d'éthique de l'expérimentation scientifique, par exemple quand il y a des volontaires humains qui participent à une étude et que leurs données personnelles sont utilisées pour un travail scientifique.

Et ainsi de suite : il y a toute une série de confédération qu'il faut absolument discuter clairement même si une instance internationale - le Comittee of Publication Ethics, ou COPE- donne des indications largement reconnues par la communauté.

A minima, notre document d'éthique se réfère aux documents du COPE, et nous déclarons  que nous adhérons à ses recommandations.

Et c'est ainsi, avec un contrat clair entre la revue et le monde où elle s'inscrit,   que nous pourrons travailler dans un cadre  honnête et juste.

jeudi 16 février 2023

Il faut justifier ses dires, ou être capable de le faire.


Je fais ce billet parce que cela fait quelques plusieurs fois en quelques jours que des correspondants me soumettent des "récits", des "thèses", sans justification et que, cela venant de personnes qui sont extérieures à la production de connaissance, je vois délivrer des informations douteuses et sans référence.

Par exemple, un de mes correspondants me signale qu'un chimiste vers 1930 aurait découvert "la molécule qui fait synthétiser le récepteur de l'amertume des légumes". D'abord, il n'y a pas une amertume, mais de nombreuses amertumes. Ensuite, puisqu'il y a de nombreuses amertumes, il y a de nombreux récepteurs. Ensuite, il n'existe pas de molécule qui déclencherait la synthèse de ces récepteurs. Bref, une telle phrase montre... qu'elle est très fausse, et que notre interlocuteur a mal recopié une information juste, sans comprendre, ou bien qu'il a recopié une information fausse sans comprendre que l'information était fausse.

Mais si la phrase qui m'est tendue est si fausse, que faut le reste ? Rien, en l'occurrence... d'autant que tout cela est donné sans référence.

Certes, moi-même, je ne donne pas toujours mes sources, mais je publie assez largement, publiquement, mon adresse email, en avertissant que je tiens à la disposition de ceux qui les demanderaient les références qui justifient mes dires.

Par exemple, je renvoie à mon livre Casseroles et éprouvettes pour le document qui fait état  d'études de marquage fluorescent fondé sur l'usage l'ion calcium pour détecter des  récepteurs de composés sapides amers.

Plus généralement, tout ce que je dis, tout ce que j'écris, se fonde sur des références. Et des références primaires, pas des sources secondaires, dont il y a lieu de douter. Chaque fait que je délivre doit être fondé sur une référence solide qui l'établit.

D'ailleurs, toutes les personnes qui ont publié des articles scientifiques avec moi pourront  témoigner du fait que je réclame  sans cesse "une phrase -> une référence ou plus ».

Oui, tout ce qui est écrit dans un article doit être sourcé, référencé et avec des règles très particulières que j'ai exprimé dans des nombreux billets et textes sur les bonnes pratiques en sciences.

Je sais qu'il y a des groupes où des adultes sont poussés à s'améliorer, notamment par la production de textes sur des sujets qu'ils choisissent, produisant des documents spéculatifs, des  "mémoires", mais il faut répéter que la qualité  d'un document analytique (pas la littérature) tient à la sélection des faits et idées rapportés, et au référencement de ces faits et idées.
Il est notamment essentiel de savoir reconnaître de bonnes sources... pour ne pas en citer de mauvaises sans analyse critique  : si l'on cite une référence médiocre en la prenant pour argent comptant, alors on endosse la médiocrité de cette référence.

La question des références est absolument essentielle en sciences et on ne répétera jamais assez que l'on ne doit se référer qu'à des textes "primaires", et ne pas citer des auteurs qui citent d'autres auteurs, et ainsi de suite.

Souvent, il y lieu de bien choisir les sources citées. Notamment quand  plusieurs auteurs ont contribué à établir le fait :  c'est l'auteur qui a établi le fait particulier que nous citons qui doit être cité et nul autre.

On n'a donc pas un choix considérable sauf à vouloir préciser des conditions d'établissement du fait.
Par exemple, si une méthode  d'analyse a été mise au point par un chercheur M, et que l'équipe N a utilisé cette méthode pour obtenir un résultat d'analyse particulier, alors on a le droit de citer à la fois N et M,  dans la mesure où l'on veut expliquer à la fois la méthode et son résultat.

Ce qui vient d'être énoncé n'est pas anodin, car la science demande des "moyens de la preuve", à savoir comment un résultat a été établi. Si l'équipe M a cité l'équipe N pour la méthode qu'elle a mise en œuvre, alors il devient légitime de citer M et N.

J'en profite aussi pour signaler que nous n'avons pas le droit de choisir entre plusieurs publications que l'on cite. Il y en a une et une seule, qui a été la première a  établir le fait que nous citons, et c'est celle-là qui doit être citée et nul autre.

Même si nous avons des amis qui ont travaillé sur le sujet et à qui nous voudrions faire plaisir ! Même si nous avons à coeur de citer toute une communauté.

Non, la bonne pratique en matière de référencement des informations consiste à citer, qu'on les aime  ou  pas, les personnes précises qui ont établi les faits que nous utilisons dans notre argumentation.

Et je reviens à la question initiale  :  de toute façon, un récit ne vaut rien s'il n'est pas correctement sourcé, et nous ne devons avoir aucune confiance dans un récit dont les composantes ne sont  pas clairement établies, ne sont pas fiablement établies.

mardi 14 février 2023

Un soufflé pour la Saint-Valentin



Une fois de plus, nous n'avons pas besoin de recette... pour faire un soufflé à la vanille.

Pour la Saint-Valentin, je propose donc un soufflé à la vanille, et je m'aperçois que c'est quelque chose de très simple à faire.

Car un soufflé à la vanille,  c'est un soufflé, d'une part, et à la vanille d'autre part.
Mettre un goût de vanille dans un soufflé,  ce ne sera pas difficile ;  de sorte que je propose de nous concentrer d'abord sur le soufflé.


Un soufflé,  c'est une préparation qui doit gonfler au four parce que l'eau s'évapore au fond du ramequin, poussant vers le haut les couches de soufflé qui sont plus hautes que les couches du fond qui s'évaporent.

Il faut donc partir d'une préparation qui contient de l'eau  : pour un soufflé, cela peut être une sorte de sauce blanche, ou bien une purée de fruits, par exemple.  

Ici, choisissons l'option "sauce blanche", en chauffant d'abord du beurre et de la farine, pour faire un "roux" de couleur claire, puis en ajoutant du lait, et en cuisant jusqu'à obtenir un épaississement.

Quand cette sauce a refroidi on lui ajoute la vanille, puis des jaunes d'oeufs.

A part, on bat les blancs en neige et on les ajoute à la préparation précédente.

Puis on met l'ensemble dans un moule beurré et sucré, et l'on cuit au  four à la température de 180 degrés, pendant un temps qui dépend de la taille du soufflé (entre 15 et 60 minutes).

Surtout il faut mettre le soufflé sur la sole du four (la partie inférieure, chauffée), pour que ce soit le fond du soufflé qui chauffe en premier, que la vapeur formée, qui prend beaucoup plus de place que l'eau liquide, pousse les couches vers le haut.

Et c'est ainsi que le soufflé gonfle,  tandis que la partie supérieure vient crouter, et que, après un certain moment, les protéines de l'intérieur du soufflé coagulent, rigidifiant la structure, faisant comme une sorte d'échafaudage un peu mou : de la sorte, le soufflet se tiendra quand on le sortira du four et il sera très délicat.

On le voit, il y a de la matière grasse, du sucre, de la vanille et tout cela contribue à faire un goût délicieux.
On peut même améliorer un peu en ajoutant une goutte d'arôme de truffe car l'alliance truffe et vanille est proprement envoûtant.

Je t'aime !

Guider un étudiant

 Un étudiant m'interroge sur sa future carrière, et je lui réponds : 



Pour bien répondre à la question,  il faut que je commence par expliquer clairement  les choses :
1. tout d'abord je propose de faire une distinction entre
- technique,
- technologie
- sciences (de la nature)
2. d'autre part je propose de bien distinguer la gastronomie moléculaire et physique, d'une part, et la cuisine moléculaire d'autre part ;  sans oublier la cuisine de synthèse que j'ai également inventée, et surnommée  cuisine note à note.

Pour ce qui concerne les "sciences",  je vais en parler maintenant en sous-entendant  " sciences de la nature", et non pas les sciences de l'humain ou de la société.

Commençons donc par revenir à la première des deux distinctions : l'activité culinaire est une activité technique qui certes se double d'une composante artistique et  d'une composante sociale ; mais produire un plat, c'est un geste technique.

Cela est donc très différent d'une activité scientifique, au sens des sciences de la nature, lesquelles doivent  utiliser la "méthode scientifique" pour explorer les mécanismes des phénomènes.
J'ajoute sans attendre que les sciences de la nature ne sont pas concernées par les applications, notamment les applications techniques.

Au milieu, entre la technique et la science, il y a la technologie, le travail de l'ingénieur, qui utilise les résultats des sciences de la nature pour améliorer la technique. En anglais, on parle parfois de technologie et parfois d'ingénierie.

Pour arriver à la seconde distinction maintenant, il y a donc
- la gastronomie moléculaire,  dont le vrai nom est gastronomie moléculaire et physique, et qui est de la science (de la physique, de la chimie, de la biologie...), sans s'intéresser aux applications.
- la cuisine moléculaire, elle, est une technique : c'est de la cuisine rénovée par les apports de la gastronomie moléculaire ou par l'introduction de matériels venus des laboratoires.
- la gastronomie moléculaire, d'une part, et la cuisine moléculaire, d'autre part, diffèrent  de la cuisine de synthèse, ou cuisine note à note, pour laquelle la question n'est plus celle des matériels mais celle des ingrédients : au lieu de cuire avec des carottes, des navets, des viandes ou des poissons, on utilise des composés purs et l'on construit des plats.

Tout cela étant dit, je peux maintenant répondre à son email.


Il me dit tout d'abord qu'il est un étudiant  "cherchant un espace dans le vaste champ de recherche de la gastronomie moléculaire" : si le terme gastronomie moléculaire est bien utilisé dans votre phrase, alors cela signifie qu'il veut faire de la recherche scientifique.

Il ajoute que son background n'est pas en cuisine mais en sciences et effectivement, pour faire de la gastronomie moléculaire, il y a lieu d'avoir une formation scientifique et certainement pas une formation culinaire, technique.


Puis il me dit que depuis 10 ans il s'intéresse au café, en tant que consultant à propos de méthodes de fermentation par exemple : cela est un travail passionnant ; un travail technologique, pas scientifique, mais très intéressant... et j'en profite pour lui signaler que dans mon laboratoire, une doctorante (aujourd'hui docteure) a fait une thèse sur la torréfaction du café : elle, parce qu'elle se dirigeait vers l'industrie... et moi parce que la préparation du café s'accompagne de bien des phénomènes que je voulais explorer.

Il me dit aussi qu'il  travaillé dans le secteur de la viande et du lait avec des modélisations mathématiques de l'environnement des fermes,  et cela me semble tout à fait intéressant ; c'est encore un travail appliqué, donc technologique.

Puis il me dit que l'alimentation et la cuisine sont une de ses passions et il me dit à nouveau qu'il imagine une transition vers la gastronomie moléculaire, en m'interrogeant sur le fait qu'il soit ou non trop tard quand on a 30 ans  :  il sera peut-être intéressé de savoir que jusqu'à l'âge de 50 ans, j'ai eu deux vies, d'une part une vie d'édition scientifique, et d'autre part une vie de laboratoire ; j'ai abandonné l'édition scientifique à l'âge de 50 ans pour aller à plein temps faire de la science au laboratoire, ce que j'aimais par-dessus tout.

D'ailleurs, il faut ajouter que même si j'invente des tas de choses, je le fais malgré moi, et que je n'en suis pas fier. Plus exactement, si je devais être fier de quelque chose, ce ne serait que de mes découvertes, et pas de mes inventions.
D'ailleurs la cuisine n'est pour moi qu'une sorte de prétexte : c'est en cuisine que nous voyons des phénomènes que nous explorons scientifiquement ensuite. Et il n'y a pas de technologie dans l'affaire.

Il me dit avoir cherché des articles de gastronomie moléculaire et je peux éventuellement lui en donner beaucoup,  tout comme je peux lui donner des cours que je donne dans différentes circonstances, notamment le master "food innovation and product design".

Puis enfin il me pose  la question de savoir où aller, ou, plus exactement, de savoir s'il y a  des groupes de recherche dans son pays ? Je connais dans son pays de nombreux groupes de recherche en food technology et par exemple.

Mais ma question est plutôt de savoir s'il faut vraiment que mon interlocuteur se dirige vers des sciences de la nature, c'est-à-dire tout sauf la cuisine et les applications technologiques, pour aller faire de la science.
Il sera peut-être intéressé de savoir que dans mon laboratoire il n'y a pas de casserole ; nous ne cuisinons jamais et nous faisons essentiellement des études scientifiques qui n'ont pas d'application ...    sauf qu'en réalité les applications sont partout pour ceux qui les cherchent.

Je veux aussi lui signaler que c'est dans l'industrie alimentaire au sens large qu'il y a à la fois de l'emploi et des salaires convenables.
Je crois savoir que, dans son pays, beaucoup de mes collègues font à la fois de la recherche plutôt technologique d'ailleurs, et de l'enseignement, aussi, que de la recherche scientifique.

Et je le renvoie vers un de mes billets de blog qui montre combien la confusion est constante : https://hervethis.blogspot.com/2018/09/la-science-des-aliments-nest-pas-la.html

En réalité, beaucoup de ce qui est nommé science de l'aliment est en fait plutôt de la technologie de l'aliment et non pas de la science de l'aliment.
Il est intéressant par exemple d'observer qu'il y a des centaines voire des milliers d'articles  consacrés au thé ou au café mais qu'un nombre excessivement petit (voire pas du tout) s'intéresse au mécanisme des phénomènes c'est-à-dire à la science.
La majorité des articles s'intéressent à la composition du thé au du café, à des ingrédients, à des procédés mais pas à la science.

Puis il évoque une intention de collaborer avec un restaurant étoilé : manifestement, il s'agira de technologie ou de technique et pas de science sauf s'il s'agit de communiquer des informations nouvelles, scientifique, auquel cas il s'agira de formation ou d'enseignement mais toujours pas de science.

Il me dit que ce restaurant veut créer un groupe de recherche et d'innovation : je le mets en garde contre le mot recherche car on peut faire de la recherche scientifique ou de la recherche technologique... ou de la recherche artistique ; c'est toujours de la recherche mais ce n'est pas toujours de la science.
Bref, le mot recherche n'est pas synonyme de science et en tout cas s'il y a en jeu la création d'un tel centre, alors c'est manifestement de la technologie ou de la recherche artistique qui sont concernés.


Et là, j'ai fait du mieux que je peux... Mais je peux faire plus, si  vous le souhaitez  ?