vendredi 5 mars 2021

Comment réussir un soufflé

 Comment réussir un soufflé

La question de la réussite des soufflés est aujourd'hui posée dans la culinosphère,  et l'on se reportera sans hésiter au travaux de la gastronomie moléculaire.
En effet, les souffléss sont les préparations que j'ai commencé à explorer dans les années 1980 et pour lesquelles j'ai fait mes premières découvertes.

Tout tient en trois points

Pour réussir des soufflés, l'essentiel est de :  
1. battre les blancs en neige très ferme
2.  passer le soufflé sous le grill avant la cuisson afin d'avoir une surface non seulement d'un joli aspect mais qui de surcroît retient les bulles de vapeur et augmente le gonflement
3. troisièmement, et c'est là le plus important, chauffer le soufflé par le fond, par exemple en plaçant le ramequin sur la sole du four, sa partie  inférieur, et en chauffant le four par le fond seulement si l'on peut.

Avec ça, le soufflet gonfle sans aucune difficulté, mais pourquoi  ?

Pour comprendre pourquoi les soufflés gonflent, il faut abandonner l'idée fausse de naguère, selon laquelle les soufflés auraient gonflé en raison d'une dilatation des bulles d'air à la chaleur. La preuve que c'est faux, c'est que, au séminaire de gastronomie moléculaire, j'ai montré des soufflés qui gonflaient parfaitement avec des blancs d'oeufs qui n'avaient pas été battus !
Non, en réalité, j'ai découvert que les soufflés gonflent parce que l'eau de l'appareil s'évapore. Un ordre de grandeur : un soufflé de 100 grammes perd 10 grammes à la cuisson, ce qui correspond à 10 litres de vapeur ! De quoi faire largement gonfler les soufflés, non ?
Et c'est évidemment au fond que la vapeur doit se former : elle pousse alors les couches du soufflé vers le haut.
La fermeté des blancs ? Les blancs fermes retiennent mieux les bulles de vapeur. Le passage sous le grill ? Il donne un joli aspect, en même temps qu'il retient des bulles.

Après, il y a bien des détails : la préparation du moule, la convection éventuelle, la température, la durée... Mais ce sont des détails.




jeudi 4 mars 2021

La gastronomie moleculaire n'a jamais été aussi active

 

Chers Amis

La gastronomie moleculaire n'a jamais été aussi active

1. Le 12 mai, visioconférence (en anglais) à l'occasion de la publication du Handbook of Molecular Gastronomy aux éditions CRC Press.
Les interventions couvriront les trois champs du livre :
- travaux scientifiques (= gastronomie moléculaire)
- applications de la gastronomie moléculaire à l'enseignement
- applications de la gastronomie moléculaire à l'art culinaire


2. Du 1 au 3 juin, le 10e International Workshop on Molecular and Physical Gastronomy (en anglais)
Sur le thème des "suspensions"


3. Le 4 juin après midi : finales des 8 et 9e Concours internationaux de gastronomie moléculaire.


Tout cela est organisé par le Centre international de gastronomie moléculaire AgroParisTech-Inrae.
Inscriptions (gratuites)  à icmg@agroparistech.fr


mercredi 3 mars 2021

Aujourd'hui je vous présente la solanine et ses cousines.


Quand Augustin Parmentier explora la pomme de terre, voulant la faire consommer aux Français qui mouraient alors parfois être faim, juste avant la Révolution de 1789, il l'explora du point de vue physico-chimique et publia  le résultat des travaux dans un ouvrage scientifique. Dans ce livre, naturaliste au sens d'une chimie naturaliste,  il signale que les  décoctions de peaux de pomme de terre ont un goût brûlant.

Ce que Parmentier ne savais pas, c'est que ce goût brûlant et dû notamment à des composés qui ont pour nom solanine, solanidine, chaconine. Ces composé sont naturellement présents dans les peaux de pommes de terre, et ils sont toxiques.

Bien sûr, on dira que c'est la dose qui fait le poison, de sorte que la question est de savoir si ces composés sont, ou non,  en quantités excessives dans l'alimentation.

Mais restons d'abord sur les composés eux-mêmes. je vais pas rentrer dans le détail de la constitution moléculaire de chacun, mais je commence par observer que le nom "solanine" (ou solanidine) est bien apparenté au nom de la famille botanique à laquelle appartiennent les pommes de terre : les "solanacées".
Et cela est juste, car c'est bien dans les pommes de terre que l'on a découvert ces composés.

D'autre part, j'ajoute que les solanines et leurs cousines sont des "alcaloïdes", à savoir que leurs molécules ont notamment un  atome d'azote, et, comme la strychnine, la nicotine, etc., elles ont une action  pharmacologique ou toxique.

Le risque que font courir solanine et consorts ? Il dépend à la fois du danger, c'est-à-dire la toxicité intrinsèque, et de l'exposition.

Dès lors, il faut se demander combien on consomme de ces composés et savoir si l'on dépasse de la dose journalière admissible.

Observons tout d'abord que certains d'entre nous mangent très souvent des pommes de terre, et notamment dans des pays où les frites sont vendues dans les rues, comme ils le sont dans des enseignes françaises de restauration rapide.

Dans une étude assez récente, il a été montré que pour un pays où la restauration de rue laissait la peau des pommes de terre, alors la population dépassait la dose journalière admissible.

Et pour la France ? Cette fois, l'Agence nationale de sécurité des aliments a été récemment saisie,  car la solanine n'est pas présente seulement dans les pommes de terre, mais aussi dans les aubergines, par exemple, qui est de la même famille végétale que les pommes de terre. Il a aussi, il faut faire un peu attention et ne pas multiplier les consommations.
J'ai juste pour terminer  : la solanine, la solanidine, la chaconine ne doivent rien, absolument rien à l'intervention de l'être humain. Ce sont les plantes qui les produisent naturellement, quelles que soient les conditions de culture. La nature n'est pas bonne, et il y a du génie humain chaque fois que notre espèce parvient à prendre dans la nature ce qui lui faut sans s'exposer à tous ses dangers.

PS. Voici le résumé d'un avis de l'Agence européenne de sécurité des aliments  :
The European Commission asked EFSA for a scientic opinion on the risks for animal and human health related to the presence of glycoalkaloids (GAs) in feed and food. This risk assessment covers edible parts of potato plants and other food plants containing GAs, in particular, tomato and aubergine. In humans, acute toxic effects of potato GAs (a-solanine and a-chaconine) include gastrointestinal symptoms such as nausea, vomiting and diarrhoea. For these effects, the CONTAM Panel identifed a lowest-observed-adverse-effect level of 1 mg total potato GAs/kg body weight (bw) per day as a reference point for the risk characterisation following acute exposure. In humans, no
evidence of health problems associated with repeated or lon g-term intake of GAs via potatoes has been identifed. No reference point for chronic exposure could be identifed from the experimental animal studies. Occurrence data were available only for a-solanine and a-chaconine, mostly for potatoes. The acute dietary exposure to potato GAs was estimated using a probabilistic approach and applying processing factors for food. Due to the limited data available, a margin of exposure (MOE) approach was applied. The MOEs for the younger age groups indicate a health concern for the food consumption surveys with the highest mean exposure, as well as for the P95 exposure in all surveys. For adult age groups, the MOEs indicate a health concern only for the food consumption surveys with
the highest P95 exposures. For tomato and aubergine GAs, the risk to human health could not be characterised due to the lack of occurrence data and the limited toxicity data.

mardi 2 mars 2021

A propos des accords mets-vin



Ce soir, je reçois ce message :

Je travaille actuellement sur un sujet de science alimentaire sur les accords mets et vins.  
Je suis aujourd'hui en recherche d'informations scientifiques sur les accords mets et vins, à savoir quelles sont les composantes chimiques et/ou organoleptiques qui régissent ces accords ? Avez-vous déjà étudié ces relations, si oui auriez-vous des articles à me suggérer ?



Et ma réponse


Merci pour votre message amical.
La question est d'autant plus intéressante qu'elle est plombée par des gens (je connais au moins un sommelier dont les dents rayent le parquet)  qui disent n'importe quoi, parce que :
1. ils cherchent à paraître savants (ce qu'ils ne sont pas)
2. ils le font parce qu'ils vendent leurs compétences
3. ils ne "cadrent" pas bien la question.

Il faut commencer par observer que l'appréciation gustative (mets ou boissons, ou les deux) est d'abord une question sociale, ensuite une question artistique, et seulement enfin une question technique.
Par exemple, l'appréciation de l'amertume est une question de culture, ces saveurs étant rejetées par les jeunes enfants. Et c'est ainsi que certains en viendront à aimer le durian, et d'autres la boulette d'Avesnes.
Donc surtout pas ne pas mélanger les phénomènes physico-chimiques avec les questions du "j'aime" ou du "je n'aime pas". Et ne pas chercher du côté de la théorie du "food pairing", qui est très pourrie (à venir, dans le Handbook of molecular gastronomy, parution avril, un chapitre qui fait le constat de façon serrée, scientifique).

Ensuite il y a la question artistique : on aurait fait entendre du Debussy à Mozart qu'il serait sauté au plafond d'effroi. Là encore, une question difficile, culturelle... et qui était à l'origine de mon meilleur livre "La cuisine, c'est de l'amour, de l'art, de la technique", lequel est à ma connaissance le premier traité d'esthétique culinaire jamais publié.

Enfin, il y a la question technique, et là, il y a des faits :
- par exemple, la complexation des protéines salivaires par des tanins (seulement certains des polyphénols)
- par exemple, des phénomènes à base de pH
- par exemple, la force ionique qui provoque le relarguage des composés les plus hydrophobes
- par exemple...
Et c'est ainsi que j'avais fait une quotidienne sur ce thème, il y a plus de dix ans, sur France Inter, l'été, avec Philippe Faure Brac.

Cela étant, vous avez vu que j'ai mis le social et l'art avant la technique... car on a le droit d' aimer la sensation bizarre du bordeaux tannique avec de la salade bien vinaigrée (et je connais des gourmands qui l'aime).
Autrement dit, il n'est pas nécessaire de vouloir justifier des accords, mais, surtout, il y a lieu de bien séparer les faits et les interprétations. Ce qui signifie poser les faits physiologiques, biologiques, sociaux... et ne pas aller plus loin.
Tout cela, bien sûr, doit être fondé sur une bonne appréciation de ce qu'est le goût : saveur (un nombre infini de saveurs), odeur (ne parlez svp pas d'arôme mais de composés odorants), trigéminal, oléogustation, sensation du calcium, couleur, nom (pour les réflexes conditionnés type acidité, gras ou amidon), consistance, température, et autres.

Un point de méthode, maintenant : comment allez vous faire pour trouver les bonnes sources ? A la réflexion, je partirai de l'analyse de la question, avec (pour les professeurs qui en sont bien ignorants), un état de la perception sensorielle du goût ; puis un état des phénomènes connus sur des influences en bouche (température, pH, salinité, etc) ; puis un état des influences mutuelles ; puis une rechercher de l'évolution artistique de la question (un travail difficile, jamais fait), et enfin un état des effets sociaux (pour ce que l'on en sait, sans jamais dépasser les faits, et, surtout, sans vouloir des conclusions quie ne sont pas accessibles).

Pas opposé à vous aider à bien faire, car cela serait utile que quelqu'un pose tout ce que je vous ai dit par écrit.
bien à vous

Si l'on ne sait pas ce qu'il y a sous le capot, quel individu sommes-nous ?



J'ai déjà évoqué cet "ilchimisme" que je crois être un fléau de notre temps, et les déclarations atterrantes de députés (idiots ? malhonnêtes ? démagogues ? autre ?) disant qu'ils traitaient sans pesticides les végétaux afin de tuer les insectes est une nouvelle occasion de nous interroger sur cette difficulté démocratique : comment prendre des décisions rationnelles quand on ne comprend pas les termes de la question ?

Commençons par insister : oui, des députés (mais le peuple élit aussi les plus bavards, ou les plus prétentieux, et pas toujours les plus compétents) ont bien dit qu'ils traitaient leurs plantes à l'aide de composés qui n'étaient pas "chimiques", qui n'étaient pas des pesticides, et qui tuaient les insectes. Quoi, ils se moquent de nous : des produits qui tuent des insectes ? En français, cela a un nom : pesticide. Quelle honte !

Mais passons. Réfléchissant à cette difficile question de l'ilchimisme, j'ai évidemment la réponse : c'est à l'école que se construit la connaissance, que s'élabore la citoyenneté, sur une connaissance intime du monde où nous vivons, et pas seulement par le maniement du langage, ou des relations sociales. Rien de nouveau : Platon critiquait déjà la  rhétorique politicienne, et ses méfaits.

Mais, m'interrogeant sur les causes de l'ilchimisme qui afflige certains de nos concitoyens,  je viens de trouver une comparaison amusante : quelqu'un qui refuserait de connaître la composition d'un aliment ou d'une boisson, n'est-ce pas comme quelqu'un qui refuserait de savoir qu'il y a un moteur dans une voiture.
Serait-ce bien raisonnable ? Bien intelligent ? Bien civique ?

Bien sûr l'idée n'est pas d'imposer à chacun de savoir exactement comment marche le moteur, mais quand même, il y a une limite à l'ignorance, non ? Et voilà pourquoi il nous faut des cours de chimie dès l'école ! Il en va de la démocratie.

lundi 1 mars 2021

A propos de pâtes

Cela fait longtemps que nous étions dans l'incompréhension, avec divers amis du séminaire de gastronomie moléculaire,  à propos des pâtes : les pâtes à tarte, mais qui servent souvent à autre chose que ces dernières, par exemple pour faire des tourtes, des rissoles, des pâtés chauds, etc.

Comment les nommer ? Le monde amateur ou professionnel est encombré de dénominations plus ou moins cohérentes,  avec notamment celles de pâte sablée, pâte brisée, pâte sucrée, pâte à foncer, etc. Et, d'autre part, on nous parle d'émulsion, de sablage, de crémage...

Or les enseignements culinaires s'étant déjà montrés incohérents par le passé,  avec les théories fautives des cuissons dites (fautivement) "par concentration" ou "par expansion", j'aurais dû me méfier bien plus tôt,  mais il a fallu qu'un formateur m'interroge sur la cuisson des légumes pour que je puisse le faire vraiment.
Et quand j'ai mis mon nez dans la question des pâtes, j'ai effectivement retrouvé la plus grande incohérence.

Du point de vue physico-chimique, les choses sont simples, en cela que si l'on travaille de la farine avec de l'eau, alors cette dernière vient ponter des protéines et former un réseau qui est nommé classiquement "gluten".  Cela durcit la pâte, mais, aussi, la fait tenir.
S'il y a du sucre, le réseau peut se faire de façon limitée voire pas du tout, et la pâte devient bien plus friable.

Mais reste la question de la dénomination, et, là, les travaux terminologiques de ces derniers mois m'ont fait comprendre qu'il n'y avait de légitimes que les définitions qui avaient de l'antériorité.
Autrement dit, il fallait aller chercher dans les livres de cuisine anciens les dominations des pâtes pour pouvoir choisir un nom juste.
Et finalement j'ai trouvé  d'abord des pâtes fines, avec de la farine blanche, et des pâtes bises, avec de la farine moins fine, moins blanche ou de seigle : "bis" signifie grisâtre.
Plus tard, dans l'histoire de la cuisine, on trouve des pâtes à foncer (on fonce effectivement un moule à tarte) ou des pâtes à dresser, qui étaient bien plus utilisées naguère, pour la production des pâtés, quand on n'avait pas de moule.

Mais, finalement, pour ces pâtes, la principale  caractéristique, c'est bien d'être soit friables, soit fermes. N'est-ce pas une dénomination suffisante ? Selon que l'on a du sucre ou non, c'est ou non une pâte sucrée, qui, comme dit plus haut, est souvent - mais pas toujours- plus friable.

Le procédé de fabrication doit-il être pris en compte dans la dénomination ?  Sablage, émulsion, crémage, et j'en passe...  Ma réponse est simple  : il n'y a lieu de stipuler le procédé que s'il donne des résultats particuliers. Sans quoi, c'est  juste une idiosyncrasie de plus,  qui doit donc être mise de côté.
Or d'anciens séminaires avaient comparé les mêmes pâtes par sablage et par "crémage" (un mot mal choisi), sans qu'on ait vu de différence.
 

De sorte que je conclus que le procédé est sans intérêt et que nous devons nous résoudre à parler de pâte à foncer friables ou fermes. C'est moins prétentieux... et tellement plus simple, pour les amateurs comme pour les jeunes  professionnels !

Je vous présente la tyrosine



Ah, le comté, merveilleux fromage, au goût frais et corsé quand il est jeune, puissant quand il s'affine... Et ses petits cristaux, dont la saveur ajoute au goût total !
Des cristaux de sel ? Non, des cristaux d'un composé nommé "tyrosine". D'ailleurs, il est amusant de voir l'étymologie de ce nom chimique... le fromage.
Le composé ? C'est un acide aminé, à savoir que ses molécules ont :
-  un atome de carbone lié à un groupe acide carboxylique, avec un atome de carbone lié à un atome d'oxygène, d'une part, et à un atome d'oxygène lié à un atome d'hydrogène, d'autre part ;
- un groupe amine, avec un atome d'azote lié à deux atomes d'hydrogène.
Pourquoi le trouve-t-on dans le fromage, comme d'ailleurs dans des jambons secs ? Parce que ces produits contiennent beaucoup de protéines, qui, lors d'un affinage, se dissocient en libérant des acides aminés. Or la tyrosine n'est pas très soluble... de sorte qu'elle cristallise facilement.
Mais je me hâte d'ajouter que les choses sont plus compliquées que ne le dirait la phrase "les cristaux du comté ou du parmesan sont de la tyrosine"... car il y a des cristaux variés dans les fromages, et pas seulement de tyrosine.
Au fait (pour les moins avancés en chimie), oui, ces cristaux sont des empilement réguliers de molécules de tyrosine. Oui, nous mangeons des molécules.