vendredi 9 mars 2018

Questions de vitamine C

A propos de vitamine C, je reçois ce matin un message :

"J'ai l'impression que les fruits et légumes d'aujourd'hui, même issus de l’agriculture biologique, sont grandement dépourvus de vitamine C. J’ai en effet observé qu’aujourd’hui, à la découpe, la plupart des fruits et légumes ne noircissent plus. Dans le temps, je me souviens avoir souvent utilisé un jus de citron pour stopper l’oxydation et ainsi reconstituer la molécule d’acide ascorbique. Cet été, j’ai eu le bonheur de ramasser dans un verger (non traité, non traité, quasi à l'abandon, différentes variétés de fruits  et j’ai observé que ceux-ci noircissaient rapidement après découpe. J’en ai déduis qu’ils étaient riches en vitamine C puisque non manipulés (OGM, traitement etc.).
Est-il juste d’affirmer cela ? Comment puis-je en apporter la preuve scientifique ?

Je commence par la fin : la science n'apporte pas de "preuve", puisque cela n'est pas son objectif. Elle se limite à établir des faits, en vue de produire des théories qui sont sans cesse affinées.
Une mesure de la teneur en vitamine C ne serait donc pas une "preuve scientifique", mais une simple preuve...

... en supposant que ce soit vraiment une preuve. En effet, imaginons que l'on prenne un échantillons de fruits, bio ou pas, où l'on doserait la vitamine C : on n'aurait de supériorité éventuelle que sur un échantillon, et pas sur tous les fruits. Bref, on n'aurait qu'une indication probable... à  condition d'avoir travaillé rigoureusement, d'avoir comparé des variétés identiques, cultivées de la même façon à l'exclusion du traitement, dans le même verger, etc. Dès qu'il y a des statistiques, il n'y a pas de preuve, mais des indications plus ou moins probables.

Mais arrivons maintenant à l'observation de notre correspondant. Je commence par quelques données :
1. quand on coupe un végétal, cela libère des polyphénols et des  enzymes polyphénoloxydases
2. ensemble, sans vitamine C, enzymes et polyphénols réagissent pour faire du brun
3. la vitamine C, et d'autres composés, préviennent ce brunissement (d'ailleurs, orange et citrons, riches en vit C, ne brunissent pas)
4. la vitamine C qui empêche le brunissement est "consommée" par la réaction

Autrement dit, les fruits observés par notre correspondant ne contenaient pas beaucoup de vitamine C, contrairement à ce qui était dit.






Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)    

jeudi 8 mars 2018

"Les stages sont plus fatigants que les cours"

 A la réflexion, je reste choqué : un étudiant vient de me dire que les stages sont beaucoup plus fatigants que les cours.

Tiens, pourquoi donc ? Ce que je sais, c'est que, personnellement, une intense concentration me fatigue plus -même si je m'ennuie bien moins- que les "distractions", et je sais aussi que les relations humaines demandent de l'énergie... parce que j'y mets toute mon intelligence. Cela est à mettre en relation avec les études de physiologistes (désolé, je n'ai plus la référence) de la Faculté de médecine de Cochin, qui avaient montré que la fatigue intellectuelle était corrélée aux lentes dérives du rythme cardiaque, alors qu'ils étudiaient la fatigue des pilotes de ligne, dans des programmes d'ergonomie.

Pour en revenir à note jeune ami, je l'ai donc interrogé, pour savoir pourquoi il était plus fatigué en stage, et la réponse a été que (1) il se concentrait davantage et (2) il prenait à coeur le résultat des expériences qu'il faisait.
Mais cela est à prendre en creux : n'est-il pas honteux que les étudiants soient si peu engagés lors de leurs apprentissages théoriques ? si peu concentrés ou si peu "actifs") lors de leurs cours ? Plus exactement, au lieu de parler de honte, ne devons-nous pas parler de perte de temps ? D'autant que l'étudiant interrogé (intelligent, amical, confiant) reconnaissait que ce qu'il avait appris lors des années précédentes était oublié, reconnaissant aussi qu'il perdait beaucoup de temps, en cours, parce qu'il n'était pas complètement attentif, ou bien qu'il était perdu, ou s'ennuyait.

Comment en sommes-nous arrivés là ? Ne devons-nous pas rapidement trouver des moyens de ne pas pérenniser cette terrible situation, qui, en réalité, ne concerne pas un seul étudiant isolé, mais beaucoup  ?   Oui, des cours bien faits (en supposant que l'on doive faire des cours) devraient être épuisants, et les études universitaires devraient sans doute être les plus actives de l'existence... Non, je me reprends : elles ne doivent être ni épuisantes ni plus actives, mais dans la continuité : les études doivent être actives et merveilleuses, fatigantes parce qu'intensives, avec des étudiants bien engagés dans le processus d'obtention des connaissances et des compétences.


Et cela permettrait d'asseoir mon idée selon laquelle les "trimestres" d'études universitaires devraient être pris en compte dans le calcul des temps de travail en vue de la retraite. Je maintiens que, après certaines journées de travail intellectuel, je suis plus fatigué qu'après des travaux physiques.




Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)   

mercredi 7 mars 2018

De l'importance des mots en chimie

Il me semble que j'avais sept ans : je venais de recevoir une boîte de chimie pour Noël, et c'était peu après que mon père m'ai dit, me montrant une bibliothèque neuve qu'il avait fait faire dans le nouvel appartement où nous avions déménagé : "Tu vois, tu peux tout lire". Pour le sourire, il faut ajouter que la bibliothèque était surtout pleine de dictionnaires de grecs, de textes de Georges Dumézil, de livres de médecine, de livres d'art...

Mais bon, j'avais ma boite de chimie, et c'était cela le plus important. J'avais commencé par souffler dans de l'eau de chaux pour voir qu'elle se troublait, par renverser un verre sur une bougie qui avait les pieds dans l'eau et observer que le niveau de l'eau montait avant que la bougie s'éteigne...


Puis j'avais lu dans le livret (très mal fait, et plein d'erreurs, je le sais aujourd'hui) d'accompagnement du matériel que l'azote était utilisé comme engrais.

L'azote, un engrais ? Mon père avait de superbes rosiers, dans les jardinières des balcons, et je voulus favoriser leur croissance : il fallait y mettre de l'"azote".



Mais où trouver cet azote ? Bientôt, j'appris que l'ammoniaque contenait de l'azote. Et allons-y pour mettre de l'ammoniaque au pied de toutes les plantes... qui ont crevé.





On le voit : la confusion entre élément, molécule, atome, composé... est source d'erreurs, de confusion. Cette expérience n'est pas à l'origine de mon attachement pour le sens juste des mots, mais elle ne m'a pas non plus fait sortir de cette idée... qui est celle qu'Antoine Laurent de Lavoisier exprime dans l'introduction de son Traité élémentaire de chimie !

mardi 6 mars 2018

A propos de confitures

Ce matin, des questions, à propos de confiture :



Est il vrai que les pectines sont détruites à partir d une certaine température ?
Le fait d arrêter la cuisson puis de la reprendre puis de l arrêter etc permet il d épaissir la confiture mieux que de simplement poursuivre la cuisson
Bref en 1 mot comme en 100 comment cuire la confiture
2) est il vrai qu une fois mise en pot il faut abaisser la température brutalement en trempant le pot dans de l eau froide sous prétexte que la température monte dans le pot et inactive la pectine ?


Commençons par exposer les grands principes. 

La confiture, c'est un gel, que l'on obtient en cuisant des fruits avec du sucre. Parfois, on ajoute de l'eau, mais c'est inutile si l'on chauffe après avoir laissé les fruits macérer un peu dans le sucre, de sorte que de l'eau des fruits soit sortie, ce qui empêchera le sucre de caraméliser au fond de la casserole.

Le gel qui se formera quand la confiture refroidira nécessite trois conditions :
1. une quantité suffisante de sucre (entre 45 et 65 pour cent)
2. une quantité suffisante de "pectines" qui auront été extraites des fruits, lors de la cuisson
3. une acidité suffisante


Pour la première condition, ce n'est pas difficile : il suffit de savoir que les fruits sont majoritairement faits d'eau, de sorte qu'il suffit de peser.

Pour la deuxième condition, il faut expliquer que les fruits sont faits de "cellules", petits sacs vivants qui sont limités par une "paroi cellulaire", faite de molécules de cellulose (le résidu solide que l'on obtient quand on centrifuge des fruits, des légumes, la pulpe des jus d'orange...) et de molécules de pectine : que l'on imagine des fils qui se dispersent dans le liquide de la confiture, et qui, au refroidissement, iront s'assembler en une immense toile d'araignée (dans toute la configure), ce qui tiendra l'eau et les morceaux de fruit.

Pour la troisième condition, il faut savoir que le fruits sont parfois TRES acides, mais que cela n'apparaît pas en bouche, grâce au sucre. L'acidité réelle se mesure classiquement par un nombre nommé pH sur une échelle de 0 à 14 : entre 0 et 7, c'est acide, et entre 7 et 14, c'est basique. Par exemple, des framboises même mûres peuvent avoir un pH de 2 !


Ca y est, nous pouvons maintenant répondre aux questions

Les pectines sont-elles détruites lors de la cuisson ? Oui, en même temps que les pectines sont extraites des fruits, elles sont progressivement dégradées : il y a donc un bon équilibre à obtenir entre le temps nécessaire pour extraire les pectines, et leur dégradation, qui ne permettrait plus la prise en gel. Et c'est pour cette raison qu'il est utile de faire macérer les fruits avec le sucre avant de cuire : on prépare l'extraction.

Arrêter et reprendre la cuisson ? Bof, je ne crois pas que cela serve à quoi que ce soit. A cela prêt que l'on peut dégrader les structures, dans une précuisson, puis laisser macérer. Mais je crois vraiment que c'est du détail, par rapport aux grands principes énoncés plus haut.

Comment cuire la confiture ? En chauffant... assez longtemps. D'ailleurs, une idée : pourquoi ne pas cuire d'abord une partie des fruits, assez longtemps (par exemple 20 minutes), avant d'ajouter une autre partie des fruits et ne cuire que 5 minutes ?

Pour la mise en pots : refroidir rapidement les confitures est risqué, car un choc thermique risque de briser le verre des pots ! Quant à la température, elle ne sera pas supérieure, dans le pot, à ce qu'elle était dans la bassine. Donc laissons nos confitures tranquilles, et focalisons-nous plutôt sur des questions telles que : faut-il fermer les pots quand ils sont chauds, ou devons-nous attendre qu'ils aient refroidis ? Ou bien : faut-il fermer tout de suite et retourner les pots pour qu'ils refroidissent la tête en bas ? Ou bien encore est-il utile de mettre de la cire ? Ou un disque de papier trempé dans l'alcool ?

Réponses une autre fois.












Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)  

lundi 5 mars 2018

A propos de distillation

On parle souvent de distillation : "distillation du marc", "distillation des huiles essentielles"... Mais, bien souvent, les idées sont floues, et nos interlocuteurs confondent la distillation avec l'entraînement à la vapeur d'eau, ou la rectification et la simple séparation par évaporation.
Bref, regardons-y de plus près.

Une définition, tout d'abord : la distillation est un procédé de traitement de mélanges liquides en vue de séparer des composés dont les températures de vaporisation sont différentes. Sous l'effet de la chaleur ou d'une faible pression, les substances se vaporisent plus ou moins successivement, et les vapeurs sont recondensées.
Je ne vais pas faire l'histoire de la distillation, car ce serait un immense chapitre. En revanche, je me propose de citer diverses applications, associées à des techniques différents.

Ainsi, quand on chauffe de l'eau de mer, la vapeur d'eau (que l'on peut recondenser ensuite) est parfaitement exempte de sel. On récupère de l'eau pure, comme quand l'eau de mer s'évapore, puis nous revient sous la forme de pluie.

D'autre part, il y a cette technique qui consiste à placer des fleurs odorantes dans de l'eau que l'on chauffe : cette fois, c'est de l'entraînement à la vapeur d'eau. En effet, quand les fleurs libèrent des composés odorants, ces derniers quittent l'eau, où ils sont peu solubles. La formation de vapeur, par chauffage, fait s'élever de la vapeur d'eau, qui entraîne les molécules odorantes évaporées, lesquelles sont ensuite remplacées. Si l'on refroidit les vapeur chargées de molécules odorantes, alors on récupère de l'eau à la surface de laquelle flottent une "huile essentielle" faite des composés odorants à l'état quasi pur.

Cette technique diffère de la distillation du vin, qui consister à chauffer une solution contenant de l'eau et de l'éthanol (l'alcool produit par fermentation des sucres) : les vapeurs sont enrichies en éthanol, de sorte que le refroidissement des vapeurs conduit à une solution hydro-alcoolique plus chargée en alcool.
Mais il y a de nombreuses variantes. Par exemple, quand on distille dans un récipient clos où l'on fait le vide, on peut provoquer l'évaporation à des températures inférieures de celles de la pression atmosphérique. On peut même voir bouillir de l'eau à la température ambiante ! Cette technique permet d'éviter la dégradation des composés fragiles des mélanges.

Puis il y a des différences entre des distillations discontinues, où l'on charge le système à distiller avant de procéder à la distillation, et des distillations continues, où l'on peut alimenter l'appareil régulièrement en cours de distillation.

Au fait, il faut quand même signaler que les cornues, avec leur bec allongé, sont aujourd'hui largement remplacés. Pour distiller les marcs, par exemple, on utilise des systèmes en cuivre avec des tubulures qui favorisent le refroidissement des vapeurs. Mais, en laboratoire, les systèmes sont bien plus efficaces, avec des colonnes de verres qui sont refroides par l'extérieur par de l'eau. Ainsi, afin de ne pas répéter les opérations d'évaporation-condensation plusieurs fois sur les distillats, on utilise des colonnes à rectification.
 C'est ainsi que se raffine le pétrole : après vaporisation, il est envoyé dans une tour de distillation atmosphérique, où chaque plateau correspond à une étape du fractionnement et donne un produit spécifique : les produits légers sont recueillis dans la partie supérieure de la tour (butane et propane, essence légère ou naphta), les produits moyens (essence lourde, kérosène et gazole) sont récupérés en soutirage latéral, et le résidu atmosphérique est recueilli au fond de la tour.

Je m'arrête là : il y a des traités entiers de la distillation !
















Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)  

dimanche 4 mars 2018

A propos de pâtes à tarte

Ce matin, un ami m'interroge :

xxx se plaint régulièrement de ne pas pouvoir faire ou rattraper ses pates brisées, même en suivant scrupuleusement (dit-elle) des recettes  : 
1) soit la pâte ne s'étale pas bien, se casse à l'étalement
2) soit elle s'effrite (sable ?) complètement après cuisson
De sorte qu'un rappel de la physicochimie des pâtes sablées/brisées/feuilletées serait fort utile!

Pour faire simple, il faut d'abord distinguer les pâtes faites de nombreuses couches très minces, que nous dirons "feuilletées", et les pâtes d'un seul tenant, plus ou moins friables, parmi lesquelles nous devrons distinguer les pâtes brisées et les pâtes sablées.


Commençons pas les pâtes feuilletées

Au début, il y a la pâte, que  l'on fait simplement en malaxant de la farine avec de l'eau. A noter que cette farine peut venir de blé, de riz, de maïs, mais aussi de châtaigne, de blé noir, de lentilles, et de bien d'autres produits qui contiennent de l'amidon.
Quand la farine est de blé, le malaxage produit un "réseau", comme un échaffaudage volumineux qui emprisonnerait les grains d'amidon. Ce que l'on peut voir en faisant d'abord une pâte bien travaillée, puis en malaxant doucement cette dernière dans de l'eau  a: on voit une poudre blanche se séparer d'une sorte de "filet" mou. Il y a deux siècles, on a nommé respectivement amidon et gluten ces matières.
Mais revenons à notre pâton : quand on l'étale, le filet de gluten s'étire, et l'on peut, s'il est bien établi (parce qu'on l'aura travaillé beaucoup), étirer la pâte en une couche très mince, qui couvre la table de la cuisine. Puis, en déposant des pommes (par exemple) et en roulant la pâte autour comme on fait d'une momie, on obtient un grand nombre de couches de pâte, qui vont devenir croustillantes à la cuisson : c'est la recette du strudel, de la croustade ou du pastis gascon, les ancêtres de la pâte feuilletée.
Pour la pâte feuilletée, on obtient un résultat supérieur avec bien moins de travail : on enferme du beurre dans de la pâte, puis on étend et on plie en trois, on étend et on plie en trois, six fois de suite, ce qui conduit à 730 couches de pâte séparées par 729 couches de beurre. Ainsi, à la cuisson, on a immédiatement 730 couches croustillantes très minces : c'est la pâte feuilletée.


Puis les pâtes brisées et sablées

Si l'on se contente de faire la masse de pâte d'un seul tenant, alors il faut penser qu'il y a deux cas extrêmes :
- soit on disperse les grains de farine dans le beurre
- soit on disperse le beurre dans le réseau de gluten qu'on aura obtenue en malaxant d'abord la farine avec l'eau.
Dans le premier cas, on a quelque chose de sableux, de friable : les grains de farine sont "cimentés" par le beurre, qui font à la cuisson et reprend au refoidissement... à condition qu'il ne fasse pas trop chaud. C'est la pâte sablée.
Dans le deuxième cas, on a quelque chose de dur, qui se tient, mais qui manque de friabilité. C'est la pâte brisée.

D'où la réponse aux problèmes de notre amie  : si la pâte est friable, ou bien si la pâte s'effrite après cuisson c'est que le réseau de gluten n'est pas suffisant, ou bien que le beurre n'est pas assez dur. Cela peut découler soit d'une insuffisance de gluten dans la farine, soit d'une température excessive, soit d'un travail insuffisant de la pâte (je rappelle qu'il faut "fraser" la pâte, à savoir la presser contre le plan de travail à l'aide de la paume de la main).


Quant à inventer de nouvelles pâtes à partir de ces connaissances, c'est évidemment facile... mais je vous renvoie à mon livre "Mon histoire de cuisine", aux éditions Belin.




















 Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)  

samedi 3 mars 2018

Si l'on venait à manquer de beurre

Ceux qui suivent trop ces "informations" qui sont souvent de la désinformation ou de l'intoxication intellectuelle s'émeuvent : il y aurait une pénurie de beurre.

De fait, hier, alors que j'avais acheté sans difficulté du beurre dans un supermarché, j'ai été interrogé par un journaliste qui préparait un article sur le thème : "puisqu'il y a une pénurie de beurre, comment s'en passer"... interview qui est arrivé alors que je sortais du tournage d'une émission de télévision, pour une chaîne nationale, sur le thème de la margarine.

Décidément, il faut expliquer les choses.



De quoi le beurre est-il fait ? 

Commençons par expliquer que les corps gras sont majoritairement faits de composés nommés des "triglycérides". Pas (ou très peu) d'acides gras, dans cette affaire, contrairement à ce que des publicités fautives nous répètent de façon lancinante ! Toutes les molécules de triglycérides sont comme de minuscules peignes à trois dents, avec le "manche" qui ressemble à la molécule de glycérol (la glycérine), dont la colonne vertébrale est faite de trois atomes de carbone, et avec des dents qui ressemblent aux molécules d'acides gras, qui sont, elles, de longues chaînes d'atomes de carbone, liées à des atomes d'hydrogène, et, avec un groupe acide à une extrémité.
En réalité, les molécules de triglycérides sont donc composées d'un résidu de glycérol et de trois résidus d'acides gras.

Chaque triglycéride a un point de fusion très précis (par exemple 34 degrés, ou - 5 degrés, ou 47 degrés...), mais les mélanges de triglycérides, eux, sont des solides à températures suffisamment basse, qui fondent progressivement à mesure que la température augmente.
Et c'est ainsi que la matière grasse laitière, qu'elle soit dans le lait ou dans la crème ou encore dans le beurre ou le fromage, commence à fondre à partir de  - 10 degrés, et finit de fondre à  55 degrés. Pour ce mélange particulier de triglycérides qu'est le beurre de cacao, la fonte commence à 30 degrés, et s'achève à 37 degrés.

Bien sûr, à part dans les huiles, il est rare que les matières grasses ne comportent que des triglycérides : par exemple, le beurre peut comporter de l'eau, avec toutefois une réglementation qui limite cette quantité à 16 pour cent (sans quoi des commerçants indélicats mettraient plein d'eau dans le beurre, et vendraient de l'eau au prix du beurre).


Le bon beurre

Le beurre, pour y revenir ? Il est préparé à partir du lait, lequel est une "émulsion", c'est-à-dire une dispersion de gouttelettes de matière grasse dans de l'eau. Il y a 36 grammes de matière grasse par litre (environ un kilogramme) de lait.
Quand on laisse le lait reposer, les gouttelettes de matière grasse viennent flotter à la surface, formant une émulsion plus concentrée : c'est la crème, dont, évidemment, la teneur en matière grasse dépend du temps de repos du lait.

Puis, quand on baratte la crème, c'est-à-dire quand on la brasse énergiquement, on obtient une masse grasse dont un liquide aqueux se sépare : c'est le beurre, qui, comme dit plus haut, a une teneur en eau réglementée.

Le beurre est cher ? C'est légitime : il faut quand même avoir élevé des vaches, avoir trait ces dernières, et avoir produit le beurre.
Bien plus facile que presser des graines de tournesol  pour faire de l'huile ! Et, de fait, la question du prix du beurre se pose depuis longtemps, et notamment depuis l'époque du chimiste Michel Eugène Chevreul, qui encouragea le chimiste Hyppolite Mege à produire une copie du  beurre qui fut nommée margarine.
Initialement, dans le premier brevet de Mège, en 1869, la recette de la margarine utilisait de la graisse de boeuf clarifiée, de la mamelle de vache broyée, un peu de lait, du bicarbonate de sodium et un colorant jaune.
Mège, qui prit ultérieurement le nom de Mège-Mouriès pour se distinguer d'homonymes, prétendait avoir fait un produit "supérieur"... mais je n'échange pas du bon beurre contre de la margarine ! En effet, la margarine n'as pas de goût (sauf si l'on a ajouté des composés odorants (que la réglementation nomme fautivement des "arômes", alors qu'il faudrait parler de compositions ou extraits odoriférants), et c'est juste de la graisse utilisable pour des usages techniques... qui oublient que la cuisine est d'abord une activité artistique, qui veut faire bon. Si c'est pour manger des nutriments, ce n'est pas la peine de cuisiner.



Pallier une pénurie de beurre

Mais laissons cette cuisine sans goût aux ignorants, et revenons à la margarine pour en dire qu'elle fut introduite afin de pallier un coût élevé du beurre. Mège-Mouriès vendit son brevet à la société Margarine Unie (qui deviendra Unilever), qui en a fait ... son "beurre".
D'ailleurs, comme la graisse de boeuf est plus coûteuse que l'huile, la société Unilever a rapidement appris à remplacer la graisse de boeuf par de l'huile : comme les comportements de fonte d'une émulsion d'huile ne permettent pas de faire des pâtes à tarte, l'industrie a "hydrogéné" les triglycérides, leur permettant de fondre à température supérieure.
On observera qu'il aurait été loyal de nommer différemment les émulsions aux matières grasses hydrogénées, afin de bien éclairer le public (la loi sur le commerce des denrées alimentaires de 1905 revendique que les produits vendus soit loyaux, sains et marchands). D'autre part, on n'aura pas lieu de craindre les émulsions faites de graisses hydrogénées, surtout depuis les progrès de l'industrie alimentaire dans ce domaine, il y a plus de deux décennies.


Autrement dit, voici au moins deux idées pour pallier une éventuelle absence de beurre : utiliser de la graisse de boeuf (clarifiée), ou utiliser de la margarine, pour les usages de type pâtisserie. Pour les cuissons ou d'autres usages tels que la confection d'émulsions (sauce mayonnaise, par exemple), pas besoin de beurre : l'huile suffit.


 Mais la vraie question est celle du goût : une huile neutre est sans intérêt, autre peut-être que de faciliter économiquement des cuissons où le goût est apporté par ailleurs. Mais une huile sans goût ne vaut pas une huile avec goût, pas plus qu'une margarine n'aura le goût de beurre.
Bien sûr, on peut aussi imaginer de donner du goût à une margarine, en y ajoutant des composés sapides ou odorants variés, tel le diacétyle, ou bien le 1-cis-hexén-3-ol, ou des "arômes beurre" (qu'on devrait plus justement, plus honnêtement, nommer des compositions odorantes reproduisant l'odeur du beurre). Car le beurre n'est pas le nec plus ultra : on peut sans doute faire "mieux" (en définissant préalablement ce que le "mieux" signifie, et en n'oubliant pas qu'est bon ce que j'aime personnellement).







Terminons en signalant que le public est un peu girouette, à l'aune de l'histoire : quand le beurre se fit cher, du temps de Mège, la chimie qui produisit la margarine fut portée aux nues. De même, la chimie triompha quand le blocus continental provoqua une pénurie de sucre (de canne, importé des colonies), et que l'on découvrit comment faire du sucre de betteraves.
Je parie qu'un certain  public qui jette l'anathème à la chimie aujourd'hui en dira du bien demain, quand le prix du beurre aura augmenté !

















 Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)