samedi 3 février 2018

Allons-y pour quelques questions

Les élèves des classes de Première doivent faire des "travaux personnels encadrés", et très nombreux sont ceux qui s'intéressent à la gastronomie moléculaire, ou à la cuisine moléculaire, ou encore à la cuisine note à note (pas assez).

 J'ai déjà discuté la différence entre les trois champs, en observant une fois de plus que la gastronomie n'est pas une cuisine d'ordre supérieur, et je déplore que certains élèves s'intéressent encore à la cuisne moléculaire, alors qu'elle est bien dépassée par la cuisine note à note.

Le plus souvent, j'oriente les élèves vers les parties "questions et réponses"  et "questions and answers" de mon site https://sites.google.com/site/travauxdehervethis/, puisqu'il y a des milliers de réponses à des questions, mais, parfois, survient une question qui n'a pas sa réponse dans le site, et que je discute ici. Par exemple :

Quelle est l'importance de nos sens dans notre alimentation ?

La question permet de rappeler cette idée de Theodosius Dhobzansky : tout ce qui se rapporte à du vivant doit s'interpréter en termes de biologie de l'évolution.
Et c'est la raison pour laquelle les travaux de Claude Marcel Hladik et de ses  collègues du Muséum national d'histoire naturelle sont si passionnants : nos amis et collègues étudient comment mangent les singes... et découvrent notamment que les primates ont coévolué avec les plantes, ces dernières offrant des fruits sucrés (les sucres sont de l'énergie) en échange de la dispersion des graines, noyaux, etc. Mais pour reconnaitre l'énergie, ne faut-il pas des yeux qui voient les couleurs, un nez qui voit, une bouche qui perçoit la saveur, par exemple ?
Sans compter -ce sont des travaux d'autres collègues, nutritionnistes ou physiologistes, cette fois- que la perception des goûts permet d'anticiper la digestion de composés particulièrement importants pour notre organisme (le calcium, les graisses, les acides aminés...), en même temps qu'il signale au cerveau quand il faudra s'arrêter de manger.  Mais comment répondre mieux à nos jeunes amis ? En les renvoyant à mon livre "Mon histoire de cuisine" (Editions Belin), sans quoi je serais ici en train de le réécrire.




Qu'est ce que la cuisine moléculaire va changer dans notre perception des aliments ?

Drôle de question, car la cuisine moléculaire est une technique culinaire rénovée. En gros, au lieu de battre au fouet, on utilise un siphon ; au lieu d'utiliser une sorbetière, on utilise de l'azote liquide ; au lieu de perdre son temps à dégraisser les bouillons à la cuiller, on utilise une ampoule à décanter ; au lieu d'avoir des braisages secs et durs, on valorise des viandes par de la cuisson à basse température...
Les recettes sont les mêmes que par le passé, avec la cuisine moléculaire... et rien de nos aliments ne change profondément... contrairement à la cuisine note à note... mais je ne discute pas ici cette dernière, puisque nos amis ne posent pas la question.

La société actuelle est-elle prête à ce type de changement ?

Non seulement elle est prête... mais les siphons sont en vente dans les supermarchés, les fours ont maintenant des fonctions basse température... et les cuisiniers confondent tant la gélatine avec les gélifiants que j'avais introduits (agar-agar, alginate, etc.) qu'ils en viennent à parler de "gélatine végétale"... ce qui n'est pas possible, puisque la gélatine est extraite des animaux. Ils veulent dire "gélifiant".

Bref, la révolution de la cuisine moléculaire est faite, et il faut absolument passer à la suite : la cuisine note à note.



Catégorie, espèce chimique

Qu'est-ce qu'un composé ?

Voilà une question lancinante... qui montre la faillite de l'enseignement de chimie au collège. En effet, je me souviens bien que nos cours commençaient par bien distinguer un corps pur, un mélange, une molécule, et je me souviens bien, aussi, d'ailleurs, que certains de mes condisciples  avaient le plus grand  mal à comprendre la notion de mole, de molécule, et les différences entre les divers objets.
Je me souviens aussi de ma déception à recevoir de tels cours, alors que je m'attendais presque à accéder immédiatement à des explosions, des transformations merveilleuses, la Pierre philosophale, en quelque sorte. 

Pour la difficulté de certains à penser la notion de mole, je suis un peu démuni, mais pour le reste, je suis bien certain que oui, ces introductions étaient ennuyeuses. Commencer par une série de définitions ? Ce n'est pas amusant.
Et beaucoup ont dû fermer les écoutilles à ce moment, jugeant que la matière n'avait pas grand intérêt (je passe, d'ailleurs, sur la confusion entre la technique chimique, la chimie proprement dite donc, et la science de la chimie, qui est en réalité la physique). 

Ce qui est apparent, d'après les innombrables échanges que j'ai aujourd'hui avec le monde, le public, mes interlocuteurs, mes amis que je rencontre lors de conférences ou par email, c'est que toutes les notions introductives de la chimie ne sont pas acquises, et que les efforts de nos professeurs sont donc en pure perte.
Il faut d'ailleurs observer que nombre d'entre eux "suivent les manuels", et que les manuels ne sont pas toujours merveilleusement faits. Pour avoir travaillé dans l'édition scolaire, je peux attester que le temps de rédaction, après  la publication des programmes, est court : quelques mois... alors que je mets dix ans avant de faire un livre ? Certes, les manuels sont parfois rédigés par des équipes, mais je peux attester que le temps manque cruellement pour arriver à quelque chose de bien différent de ce que l'on avait.
Et puis, ne suffit-il pas de lire ces manuels ? Certes, ils ont fait beaucoup de progrès, avec des photographies en couleur, des encadrés... Les éditeurs et les auteurs se sont donné beaucoup de mal, ont dépensé beaucoup d'énergie... mais la question n'est pas là : il reste que ces définitions, données dans un cadre rigoureux, ne correspondent pas au besoin, ne font pas rêver. Et si le socle est vermoulu, rien ne peut s'ériger. 

En vulgarisation, au contraire, on éviterait absolument de commencer par donner des définitions, et l'on prendrait sans doute un exemple, un exemple marquant, frappant, excitant.
On commencerait par montrer l'intérêt de la chose, sans formaliser immédiatement.
Existe-t-il une bonne raison pour laquelle l'enseignement pourrait faire différemment ? Le cadre scolaire est-il une justification suffisante ? Je ne le crois pas, car seul l'objectif compte : que les élèves acquièrent la notion enseignée. Et les enfilades de définitions ennuyeuses sont contre productives. Il faut donc les abandonner. 



Et répondre à la question de mon interlocuteur : qu'est-ce qu'un composé ? 

Mais avant de  répondre à sa question de fond, je propose de considérer sa question de détail : cette personne me dit que je lui dis qu'un composé, c'est un ensemble de molécules identiques. Pourquoi ne comprend-elle pas cela ? Parce que c'est abstrait, et que je propose toujours d'être d'abord concret.
Un composé ? On perle aussi d'espèce chimique, pour simplifier. Une espèce, c'est une catégorie, un groupe d'objects identiques.
Une espèce animale, par exemple le chat, c'est une catégorie d'animaux qui sont tous des chats.
En chimie ? Prenons l'eau, qui est donc un composé. L'eau est une matière, et, surtout pour un élève qui étudie les lettres, les mots sont importants. Il y a des noms d'objets particuliers (ce crayon), des noms de catégories (les marteaux). Parmi les catégories, il y a des catégories abstraites ou concrètes.


Bref, tout cela est bien difficile, et je propose d'être encore plus concret.i Parfaitement concret.

Prenons un verre, et mettons-y de l'eau.
Dans le verre, il y a de l'eau, et cette eau est une matière : nous pouvons  la toucher, la voir, la sentir (elle ne sent probablement rien), la boire, la sentir couler dans la bouche. La matière de notre corps interagit avec elle. Si nous prenons une loupe, nous continuons à voir la même chose : de l'eau. Mais si nous prenions un super-microscope, nous verrions un grouillement de petits objets tous identiques. Ces objets doivent avoir un nom : ce sont des molécules. De même pour  du sucre : un cristal de sucre serait vu, au super-microscope, comme un ensemble de petits objets tous identiques : des molécules. Mais les molécules dans l'eau  et les molécules dans le sucre apparaîtraient différemment, au super-microscope, et cela nous oblige à dire que l'eau est faite de molécules d'eau, et le sucre de molécules de sucre. 

Si nous regardons maintenant ces molécules avec non plus des super-microscopes, mais des super-super-microscopes, nous voyons que chaque molécule d'eau est faite d'objets de diverses sortes, et que les molécules de sucre sont faites d'objets de diverses sortes. Ces objets ont un nom : atome. 

Le fer ? Ou plus exactement, ce clou en fer ? Lui n'est pas fait  de molécules, mais d'atomes, et, mieux, d'atomes tous de la même sorte : des atomes de fer. Le fer est le nom d'un élément, une matière dont tous les atomes sont identiques. 

La vodka ? Cette fois, on verrait deux sortes de molécules  : des molécules d'eau et des molécules d'une autre sorte, que l'on nomme éthanol. La vodka est un mélange, donc. 

Et les composés, dans cette affaire ? L'eau, matière, est un composé, puisqu'elle est faite de molécules qui sont faites, "composées" de plusieurs sortes d'atomes. Le fer n'est pas un composé, et la vodka n'est pas un composé, puisque ce n'est pas un corps  pur. 

Le sel ? Celui de cuisine, le "chlorure de sodium",  n'est pas composé de molécules, mais d'ions, d'atomes qui ont échangé de petites parties, les "électrons"... mais faut-il d'emblée aller dans les complications ? Je propose que nos réponses aux questions soient progressives... sans quoi nous retomberons dans la litanie des définitions, et ne répondront pas bien aux questions de nos amis. 






Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

vendredi 2 février 2018

Les valorisations de l'huile

Soit de l'huile, qu'en faire ?
On se propose ici de discuter des formulations de l'huile, afin de mettre cette dernière en valeur… quand elle en vaut la peine.
Partons du fait qu'un système matériel peut s'examiner du point de vue physique et du point de vue chimique. On peut donc changer le système de ces deux façons.
Commençons par la chimie, en observant qu'une huile « de terroir » est composée au premier ordre de triglycérides : l'huile est un mélange de très nombreux composés de ce type, différant par les résidus en acides gras. Chaque type de triglycéride a un point de fusion particulier, c'est-à-dire un comportement particulier. Par exemple, il y a des triglycérides solides à la température ambiante et solide dans la bouche, à la température de 37 degrés, et ils seront comme des solides. Mais il y a aussi des triglycérides solides à la température ambiante et liquides en bouche. Puis les triglycérides liquides à la température ambiante, et, donc, également liquides en bouches. Plus finement, la viscosité des liquides augmente avec la température. Et, surtout, le mélange des divers triglycérides donne à un mélange de ces derniers des comportements mécaniques ou rhéologiques particuliers. Puis, à des ordres bien supérieurs, l'huile contient des composés qui peuvent être odorants, sapides, ou avoir une action trigéminale (la fameuse « ardence » de certaines huiles d'olive).
Une première de diversifier l'huile initiale consiste donc à la fractionner, soit en séparant la partie odorantes/sapides/trigéminales de la masse des triglycérides, ce qui revient à faire une « huile essentielle d'huile », soit en fractionnant les triglycérides.
Comment faire un tel fractionnement ? On peut distiller, à pression atmosphérique ou sous vide, afin de limiter les dégradations, mais on peut aussi faire des « cristallisations fractionnées », comme quand on met de l'huile d'olive au réfrigérateur, ce qui permet de séparer des cristaux de triglycérides par filtration. Ainsi, on obtient des huiles différentes à partir de l'huile initiale… en répétant quand même que le terroir, c'est surtout la partie odorante/sapide/trigéminale.
Les traitements chimiques précédents conservent tous les composés, mais on peut aussi ne faire disparaître, ou bien en faire apparaître. La manière la plus simple est bien sûr le simple chauffage, qui fait des « goûts de cuits », mais il peut aussi chauffer en présence d'autres composés, comme par exemple avec des bases, pour faire des savons… ce qui me fait penser que, si l'on a séparé d'abord les composés non triglycéridiques et qu'on les remet ensuite dans les savons, on aura des « savons de terroir ».
Pour la question physique, les solutions découlent principalement de l'idée des « systèmes dispersés » : à l'aide d'autres produits, qui peuvent être des gaz, des liquides ou des solides, on peut faire des gels, des mousses, des émulsions, des suspensions. Les solides ? Par exemple, du sucre, du sel, mais aussi des acides citrique ou tartrique, des acides aminés, des grains d'amidon… ou des mélanges de tous ces produits. Pour les liquides, il peut s'agir de vin, de café, de bière, de thé, de bouillons, d'eau de pressage de l'huile… Les gaz ? C'est principalement l'air, mais le dioxyde de carbone, si utile pour l'effervescence des boissons gazeuses, ne doit pas être oubliée.
Pour faire une émulsion, on part d' « eau » (liste précédente), on y dissout des composés tensioactifs, et l'on disperse de l'huile, tout comme lors de la confection d'une sauce mayonnaise. Les composés tensioactifs ? Les plus courants sont les phospholipides et les protéines… que l'on trouve naturellement dans les matières végétales que l 'on a pressées pour obtenir l'huile : les tissus végétaux sont faits de cellules qui sont elles-mêmes limitées par des membranes faites phospholipides, avec des protéines incluses. Le procédé est exactement comme dans une mayonnaise, et le goût final dépendra du goût de l'huile et de celui de la phase aqueuse. La consistance de l'émulsion ? Elle dépend de la proportion d'huile et d'eau, mais aussi du procédé, les homogénéisations permettant de bien stabiliser les émulsions, comme le sait bien l'industrie du lait.
Pour les suspensions, la dispersion de solides dans l'huile peut inclure des solides cristallisés, ou amorphes, ou des gels simples ou complexes.
Le sucre, par exemple, est fait de cristaux, mais on sait faire un sirop concentré que l'on coule sur un plan de travail froid pour obtenir un « verre » que l'on peut diviser. Mais, pour faire plus évolué, on peut disperser un gel dans l'huile, ce qui permet d'obtenir des systèmes que j 'ai nommé des gerhardts. Partons par exemple d'une « eau » (le jus de citrons de Menton si nous voulons valoriser de l'huile d'olive) et gélifions-la à l'aide d'un gélifiant qui peut être la gélatine, l'agar-agar, etc. Une fois le gel pris, mixons-le gel dans l'huile, et nous obtenons alors un gerhardt hydrophobe.
Observons que nous aurions pu faire un peu plus complexe en dispersant un « gibbs », que l'on obtient en faisant une émulsion coagulée : on part d'eau, on ajoute des protéines thermocoagulantes, puis on émulsionne de l'huile, et l'on coagule les protéines par chauffage.
Mais nous avons grillé les étapes, car nous aurions aussi pu disperser de l'eau dans le gel, simplement. Ou bien évoquons les « gels d'huile », tel le gibbs précédent que l'on chauffe pour en évaporer l'eau.
Il existe bien d'autres solutions, mais la complexification risque de conduire à des procédés coûteux, alors que l'on sait bien que l'industrie alimentaire se limite au plus simple, tels les yaourts qui résultent seulement du stockage du lait avec des ferments… ce qui me conduit à évoquer les procédés microbiologiques qui conduisent éventuellement à d'autres solutions, pour l'huile.
Terminons avec les mousses. On peut partir d'eau et de protéines, fouetter pour faire une mousse, et disperser ensuite de l'huile dedans. Ou bien on peut faire de « l'huile Chantilly », en faisant une émulsion que l'on foisonne en la refroidissant, comme l'on fait pour une crème fouettée. A ce jour, je crois être le seul à avoir réalisé un tel produit (avec de l'huile d'olive). Un tel système n'est pas stable au réchauffement, mais on n'oubliera pas que l'on peut stabiliser une mousse comme dans ces « würtz » que j'ai proposés il y a longtemps.






Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine) 

A propos de crème au beurre

Les recettes qui ratent sont des occasions d'analyse, de compréhension. Et, dans ces travaux d'exploration, j'ai l'impression qu'il vaut toujours mieux faire la chose au premier ordre, disons en première approximation, quitte à voir ensuite si le résultat ne suffirait pas à répondre à la question posée.

Voyons un exemple, avec un message arrivé ce matin : 

Monsieur,
En espérant que vous voudrez bien m'éclairer sur ce phénomène, je me permets de vous faire part d'un problème rencontré depuis quelques années avec le gâteau susnommé (dit aussi Le Cannois). Je précise tout de suite que nous faisons ce gâteau depuis 3 générations dans ma famille, et que je n'avais jamais eu ce problème pendant des décennies (j'ai commencé très jeune...). N'étant pas scientifique, je vais tenter de vous le décrire. 
Voici la recette : travailler une tasse de sucre avec 100 gr de beurre ramolli. Ajouter 2 oeufs, puis le jus d'une demi-orange, les zestes d'une orange et d'un demi-citron, enfin 1 tasse de farine et un sachet de levure alsacienne. Cuire à four moyen 1/2 heure. Mélanger le jus de l'autre demi-orange avec une petite tasse de sucre et verser ce mélange sur le gâteau chaud dans son moule. 
Le problème : depuis quelques années, quand j'ajoute le jus d'orange, le mélange sucre + beurre + oeufs, bien lisse et homogène auparavant,   se décompose : je ne sais comment décrire exactement à quoi il ressemble, n'ayant pas les termes adéquats. On a l'impression que le gras se sépare du reste en quelque sorte. L'ajout de la farine ensuite  ne rend pas complètement  l'appareil homogène et même si le goût ne semble pas altéré, la consistance une fois cuit me semble moins aérée.
Peut-être vous faudrait-il une photo ? Ou bien comprenez-vous tout de suite la réaction qui s'opère dans l'appareil ? Serait-ce lié à la fabrication du beurre qui a changé ? 
Par avance, je vous remercie vivement si vous pouvez dissiper ce mystère culinaire, et vous adresse mes salutations gastronomiques.

Ouf, c'est trop touffu pour un petit esprit comme le mien. Allons à l'os, à savoir que la recette est (pour ce qui concerne les masses) : 

1. sucre et beurre
2. oeuf entiers
3. jus d'orange
4. farine
5. poudre levante
6. cuisson
7. ajout de liquide sucré

Des données supplémentaires : 

 - le sucre, c'est du sucre
- le beurre, c'est environ 80 pour cent de matière grasse et 20 pour cent d'eau
- les oeufs apportent de l'eau, des protéines, des phospholipides : environ 50 grammes d'eau, plus le reste
- le jus d'orange, c'est essentiellement de l'eau
- je milite pour que la poudre levante soit nommée poudre levante, et pas "levure", car la "levure" est un ensemble de cellules vivantes, alors que la poudre levante est un mélange de poudres minérales qui produisent un gaz en présence d'eau et de chaleur
- la cuisson coagule les protéines et empèse la farine

Mais c'est en réalité beaucoup trop, pour analyser la question de ma correspondante, parce que la catastrophe survient seulement quand on ajoute le jus d'orange au mélange beurre + sucre + oeuf. Il faut donc analyser plus finement ce mélange. 

Quand on mélange du sucre et du beurre, il pourrait se produire que, avec beaucoup de sucre et peu de beurre, les grains de sucre s'entourent de beurre, mais, en réalité, dans le procédé décrit, on disperse les grains de sucre dans le beurre. Il peut se produire que le sucre reste sous la forme de grains, mais il se peut aussi que le sucre se dissolve dans l'eau du beure, formant des poches de sirop dans la matière grasse. Et c'est l'hypothèse que je privilégie, car de toute façon, on ajoute ensuite des oeufs, c'est-à-dire beaucoup d'eau. La recette qui m'est transmise est imprécise (une tasse ?), mais je compte 20 grammes d'eau venant du beurre, plus 100 grammes d'eau venant des oeufs. Tant qu'une tasse de sucre fait moins que 120 grammes, tout le sucre peut se dissoudre... d'où ma prévision d'un appareil très lisse. Bref, je crois que l'on est, à ce stade, à une émulsion de type eau dans huile... assez fragile : je sais que j'ai réussi à mettre 200 pour cent de d'eau dans du beurre, mais l'émulsion devient de plus en plus instable (et molle).

Et si l'on ajoute encore du jus d'orange, on a bien intérêt à bien ajouter le jus d'orange très doucement, en fouettant vigoureusement, sans que la préparation chauffe excessivement, sans quoi l'émulsion tourne comme une mayonnaise qui rate ! J'observe que l'on ajoute du jus d'orange, lequel est un liquide acide, qui peut modifier la stabilité des protéines.

Qu'est-ce qui pourrait avoir changé et qui expliquerait les échecs récents ? 

La loi impose que le beurre ne contiennent pas plus de 18 pour cent d'eau, de sorte que je vois au contraire une évolution positive, qui protège la recette. Les oranges seraient-elles  plus acides  ou moins acide? Pas certain. Bref, je risque de passer bien longtemps à chercher toutes les modifications possibles alors que la question est moins de comprendre que de réaliser un cannois réussi. Et la règle me semble alors la même que pour les crèmes au beurre : ajouter les liquides très lentement, en battant énergiquement. Car la farine ne parviendra effectivement pas à rétablir une émulsion qui aurait tourné, ni la coagulation des oeufs à forcer un ensemble stable dans toute la masse.



Reste maintenant à faire l'essai.













Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

Comment faire un bon TPE ou TIPE

Un travail personnel encadré ?  Un travail d'initiative personnelle encadrée ?

Ces deux exercices sont proposés aux élèves respectivement en classe de Première ou de préparation aux écoles d'ingieurs, et la gastronomie moléculaire, d'une part, la cuisine moléculaire ou la cuisine note à note, d'autre part, attirent de nombreux élèves, qui m'interrogent donc à propos de sauce mayonnaise, de soufflé, de perles d'alginate, etc.
Les mêmes sujets reviennent sans cesse, et j'ai déjà discuté la question du manque d'originalité, en signalant qu'un sujet rabâché n'est pas condamné pour  autant... si le candidat fait quelque chose d'original, et montre en quoi ce qu'il fait ne provient pas d'un des innombrables sites qui ont traité le sujet. Ici, je cherche à considérer la question, en prenant le cas terrible de la sauce mayonnaise, sans doute la plus étudiée des préparations dans les TPE ou les TIPE. 

Première faute à ne pas faire : choisir un sujet trop vaste. Première option à bien prendre : choisir un phénomène. 

J'ai déjà expliqué souvent que les TPE ou TIPE sont en réalité des exercices où l'on demande aux  élèves de montrer qu'ils savent appliquer le savoir qu'ils ont à des cas concrets (puisque les élèves disent préférer du concret).
Et, selon les textes officiels, l'exercice vise à mettre en oeuvre la méthode scientifique, laquelle passe par
(1) identification d'un phénomène,
(2) quantification dudit phénomène,
(3) réunion des données en "lois" synthétiques,
(4)  proposition de mécanismes compatibles quantitativement avec les lois,
(5) recherche d'une  prévision déduite de la "théorie" (l'énoncé de l'ensemble des mécanismes),
(6) test expérimental de la prévision théorique,
et l'on boucle à l'infini, puisqu'une théorie est toujours insuffisante. 

Cette description permet à la fois de comprendre que la science n'a pas de fin, mais, également, elle conduit à comprendre que n'importe quelle phrase théorique mérite une exploration.
A propos de la mayonnaise ? On a dit que les phospholipides du jaune d'oeuf étaient responsable de l'émulsification, c'est-à-dire de la dispersion de l'huile, en gouttelettes, dans l'eau apportée par le jaune (50 % du jaune) et par le vinaigre (jusqu'à 94 %).
Puis on a découvert que les protéines étaient plus importantes, au point que l'on peut  faire une sauce émulsionnée sans jaune, mais avec seulement du blanc, lequel est fait de 90 % d'eau et de 10 % de protéines.
Que faire, maintenant ? Considérer des cas où cette description théorique est prise en défaut, comme par exemple quand une émulsion se déstabilise, parce que des solutés de l'huile migrent à la surface des gouttelettes d'huile, et en chassent les protéines.
Ou bien faire la chasse aux adjectifs (les protéines étaient plus "importantes") pour les remplacer par la réponse à la question "Combien ?". 

Mais je m'aperçois que je vais bien trop vite, et qu'il y aurait lieu, de façon plus coordonnée -en vue d'aider nos jeunes amis-, de repartir de la question : soit un élève qui a décidé d'étudier la mayonnaise pour son TIPE ou son TPE ; que pourrait-il faire ? 

Commencer par identifier un phénomène, donc.
La confection de la mayonnaise ? Un sujet bien trop vaste, puisqu'il y a beaucoup trop de phénomènes.
 Analysons, en effet.

Supposons que nous partions d'un oeuf.
Nous le "clarifions" : la rupture de la coquille est un premier phénomène.
Puis nous séparons le jaune du blanc. Si le jaune, qui est "liquide", peut se séparer, c'est qu'il est pris dans une membrane, comme on s'en aperçoit en piquant un jaune  avec une épingle, et en laissant couler doucement le jaune par le trou. Comment cette membrane se rompt-elle qvuand on "touille" le jaune dans le bol ?
Puis on ajoute du vinaigre au jaune : là, il est bon de savoir que le jaune est fait de "granules" (visibles au microscope optique) dispersés dans un plasma, de sorte que se pose la question de savoir comment le vinaigre et le jaune se mêlent. Le plasma est-il seulement dilué par le vinaigre ? Les granules sont-ils modifiés ?
Passons à l'ajout d'une goutte d'huile qui est battue par le fouet : comment une goutte au contact d'un fil du fouet se divise-t-elle ? 

Et ainsi de suite : on voit que l'analyse de la sauce mayonnaise  se divise en un nombre considérable de phénomènes... et que le sujet "la sauce mayonnaise" est bien trop vaste ! 

Autre écueil : vouloir faire de la recherche scientifique, lors de ces travaux de TPE ou de TIPE. 

En effet, les élèves méconnaissent le fait que nos connaissances sont bien trop faibles, et qu'ils vont rapidement buter  sur la limite des connaissances actuelles.
Par exemple, la division d'une  goutte d'huile par le fil du fouet est un problème très difficile de physique des fluides. Or les textes officiels ne demandent pas aux élèves de faire de la recherche scientifique, mais seulement d'explorer les phénomènes. Ce serait déjà merveilleux, pour ce cas de division de la gouttelette, s'ils comprenaient la physique qui est mise en oeuvre pour décrire le phénomène.
Oui, on leur propose de faire une expérience à propos du phénomène exploré, mais certainement pas une expérience qui mette en oeuvre des faisceaux de neutrons, par exemple. A eux d'imaginer ou de reproduire des expériences qui sont à leur portée.
Par exemple, on pourrait très bien imaginer un petit dispositif qui mette en évidence l'effet de la vitesse de passage du fouet dans la goutte d'huile, avec une interprétation du phénomène prise à des publications scientifiques déjà publiées. Cette option aurait le mérite de conduire nos jeunes amis à travailler pour comprendre les publications, grâce à la formation qu'ils ont déjà. 

Car c'est là un point important de ces travaux : on demande aux élèves de faire état des connaissances qu'ils ont reçues, de mettre en oeuvre toutes ces lois P = m.g, U  =  R. I dans des cas concrets. Répétons que le but n'est pas qu'ils produisent de la connaissance scientifique, même s'ils en sont en réalité capables.
On leur demande de faire un beau travail soigneux, intelligent, cohérent, organisé... Tout cela est dans les textes officiels : pourquoi se lancer sans les regarder d'abord ? 







Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

jeudi 1 février 2018

Les confits

Ce matin, une question, à propos de confits : 


Bonjour Monsieur This.
Il y a plusieurs années, je réalisais des confits de toutes sortes dans ma cuisine. Je testais alors des épaules d'agneau confites à l'huile d'olive, des échines de porc au saindoux, les cuisses de canard à la graisse de canard...
Seulement à l'époque, j'avais trouvé la température idéale pour confire mes viandes: Je les mettais au sel la nuit, les rinçais le lendemain, les faisais sauter et le soir je les plongeais dans la graisse (huile, saindoux...) "aux environs" de 70°C (c'est à ce moment que ma mémoire flanche), sur une plaque au minimum (+ thermo-sonde),  de sorte que j'aille me coucher et que ma viande confisait jusqu'au lendemain matin sans pour autant durcir.
Ma question: y a-t-il une température idéale pour créer le phénomène d'osmose entre les muscles d'une viande et la matière grasse afin de confire ?






  
Ma première réponse est que le mot "osmose" est souvent mal utilisé, et, en l'occurrence, il ne s'agit pas d'osmose. Et puisque je contredis mon correspondant-ami, je lui donne en prime une façon de faire les fruits au sirop.





Commençons par expliquer ce qu'est l'osmose, en mettant une mirabelle dans un sirop très léger... par rapport à la mirabelle. Oui, la mirabelle, c'est beaucoup d'eau et du sucre. Si on fait un sirop avec une proportion plus faible de sucre que dans la mirabelle, alors j'ai fait observer il y a longtemps que la mirabelle tombe au fond du sirop...  parce qu'elle est moins dense (on peut presque négliger l'influence du noyau dans l'affaire, en tout cas en première approximation.
Inversement, la mirabelle dans un sirop très chargé en sucre se met à flotter... de sorte que l'on trouve le bon degré de sirop en partant d'un sirop trop concentré, et en ajoutant de l'eau : quand la mirabelle commence  à descendre, le sirop est à la bonne concentration.

Mais cela nous a éloigné de l'osmose, et nous allons y revenir. Ce qui se passe, quand on laisse une mirabelle pendant longtemps dans un sirop trop léger, c'est que le fruit gonfle et éclate. Inversement, dans un sirop trop concentré, le fruit se ratatine.
Pourquoi ? Parce qu'il y a de l'osmose, ce qui signifie que la peau des fruits laisse passer l'eau, et pas le sucre.
Prenons le cas d'un sirop concentré : de l'eau du sirop passe dans le fruit, et de l'eau du fruit passe dans le sirop, mais comme le sirop est très concentré, l'eau est plus "tenue" par le sirop que par le fruit... qui finit par perdre son eau, se ratatine. Phénomène inverse pour le sirop trop léger.

Mais revenons au confits

Là, il n'y a pas d'osmose, mais le phénomène est le suivant. La viande est faite de "fibres musculaires" (pensez à des tuyaux plein d'eau et de protéines, un peu comme du blanc d'oeuf), et ces fibres sont groupées en faisceaux par ce que l'on nomme du "tissu collagénique", une sorte de colle. Tiens un peu comme un pinceau de peintre que l'on aurait trempé dans de la gelée fondue qui aurait refroidi et emprisonné les poils.
Quand on cuit la viande pendant longtemps -ce qui est le cas des confits-, alors le tissu collagénique se dégrade... un peu comme quand on chauffe une gelée.
Et les fibres sont alors libérées, ce qui attendrit bien sûr la viande.
Mais alors intervient non pas l'osmose, mais la capillarité : le liquide (en l'occurrence le gras liquide) peut entrer entre les poils du pinceaux, ici entre les fibres musculaires.
Je ne perds pas de temps à expliquer les raisons de ce phénomène passionnant, et je me limite à observer que la cuisson est alors comme une cuisson à basse température, mais dans de la graisse liquide au lieu d'être dans un liquide aqueux. Les températures à utiliser sont donc celles de la cuisson à basse température, et, personnellement, je fais des cuissons de plusieurs jours, mais sans jamais descendre sous 60 degrés, car il y a alors plus de risques microbiologiques... qui sont réels quand les thermosondes ne sont pas contrôlées régulièrement.

Le passage au sel ? Pourquoi pas, surtout quand on conserve la viande dans la graisse.
Le marquage ? Pourquoi pas, puisqu'il donne du goût... mais on peut aussi observer que le réchauffage du confit dans une poêle s'accompagne de ce même brunissement.
De bonnes idées : mettre des herbes aromatiques dans la matière grasse, utiliser une matière grasse de belle qualité gustative... puisqu'elle va se retrouver dans les confits : thym, romarin...

Inventer ? Rien de plus facile... à condition de soliloquer

La question de la créativité ou de l'innovation est lancinante, mais je m'en suis largement expliqué dans mon livre Cours de gastronomie moléculaire N°1 : Science, technologie, technique (culinaires) : quelles relations ? (Quae/Belin)  : ce livre est un manuel pratique d'innovation, en ceci qu'il introduit une méthode quasi automatique pour y parvenir.
Plus généralement, les "méthodes" sont des méthodes qui nous portent : il nous suffit de les mettre en oeuvre. Et voilà pourquoi, pour les étudiants, je propose que les parties "Informations" des cours soient sans intérêt, alors que les notions, concepts, méthodes sont les outils qu'ils doivent apprendre à utiliser. 

En science, aussi, cette question de la "créativité" est sans cesse discutée, et de très nombreux collègues ont souvent évoqué devant moi la difficulté d'avoir des questions de recherche, à moi qui, hélas, en déborde, au point que je propose de penser que le principal problème  n'est pas de trouver une question de recherche, mais plutôt de savoir sélectionner (voir des billets précédents, notamment à propos de bonnes pratiques en sciences de la nature, et tout particulièrement à propos de la première étape du travail) quelle question de recherche a un potentiel suffisant pour conduire à la découverte.

Et en cuisine ? Il y a un étrange paradoxe, à savoir que les cuisiniers suivent les recettes... alors que ces dernières sont bien impossibles à suivre, comme je l'avais largement montré dans mon livre Révélations gastronomiques (Belin) : les quantités font tout, mais impossible de décrire la quantité de cannelle, tant cette dernière est "concentrée" ; impossible de décrire même la quantité de farine, puisque ces dernières absorbent l'eau très différemment selon leur teneur exacte en "gluten", par exemple ; impossible de prescrire un goût, quand une asperge de début de saison ne ressemble pas à une asperge de fin de saison, quand la qualité des produits est si essentielle et si variable. De cette variabilité résulte souvent l'échec des recettes. 



Pour en revenir à la créativité, je propose aujourd'hui de partir d'une déclaration qui m'a été "offerte" par quelqu'un que j'invitais à participer au Septième Concours international de cuisine note à note :

"En cuisine je ne sais pas inventer. J'ai besoin d'avoir une recette toute faite que je suis à la lettre. Je ne m'y connais pas assez pour me permettre d'inventer."

Merveilleuse déclaration, qui me conduit aussitôt à inviter tous mes amis à lire ou à relire l'extraordinaire Thééthète de Platon (je n'en dis pas plus : ce qui ont lu le dialogue savent ce qu'il y a dedans, en substance, et les autres auront le plaisir de le découvrir). 

Repartons de l'observation : "En cuisine, je ne sais pas inventer". J'ai bien peur que cette déclaration ressemble à l'observation que je me faisais alors que je finissais mes études de chimie physique, et que je me disais : "Nos prédécesseurs ont découvert la relativité générale, la mécanique quantique... Que nous reste-t-il à faire ?
Dans un billet précédent, j'ai bien expliqué que chaque déclaration théorique peut être réfutée, de sorte que la science n'aura jamais de fin, et que les questions scientifiques fourmillent, de sorte que mon sentiment de fin d'études était tout à fait déplacé, et faisait surtout état de mon insuffisance épistémologique (mais, aussi, de celle de mes enseignants, puisque nous étions quasiment toute la promotion à partager mon sentiment).
Oui, si, étudiant, nous avons le sentiment de ne pas savoir "inventer", c'est bien que nos études ne nous ont pas donné le sentiment que, au contraire, nous avons tout en main pour le faire. Et voilà aussi pourquoi les TPE et le TIPE sont d'essentiels outils pédagogiques, qui doivent contribuer à éviter aux étudiants d'avoir ce sentiment. 

Bref,  en cuisine, comment inventer ? La question est vaste, et je propose de ne pas traiter la question de deux façons : 

- d'abord, en partant d'un lot d'ingrédients classiques

- ensuite, en partant des composés donnés aux concurrants du Concours de cuisine note à note. 



A partir d'ingrédients classique, nous pourrions nous donner de la viande de boeuf et des carottes. Qu'en faire ? De la viande de boeuf peut être divisée et servie crue (pas besoin de connaissances particulières pour savoir que les tartares existent) ou être cuite entière ou divisée. Cuite ? Elle peut être  bouillie, pochée, sautée, braisée, rôtie...
Tout dépend en réalité de quelle viande il s'agit : tendre (à griller, donc) ou dure (à braiser) ?
Pour les carottes, même question, mêmes réponses. Puis se pose la question de savoir si nous voulons cuire ensemble carottes et viande, ou si nous préférons les cuire séparément et les réunir ensuite. Les deux options sont possibles, mais on comprend que la cuisson simultanée est plus "paresseuse", ou "économe", selon le point de vue. Reste la question de savoir quels autres ingrédients ajouter... si nous en avons l'envie. Du  sel, poivre, bouquet garni ? Cela est presque un catéchisme, mais, au fond, pourquoi ?

Je propose plutôt de penser que tout est possible et que seul notre goût compte ! Le sel est effectivement utile, sensoriellement, parce qu'il interagit avec les autres récepteurs de la saveur, rehausse les sucrés (dans la carotte, il y a les trois sucres glucose, fructose, saccharose) et affaiblit les éventuelles amertumes, mais aussi parce qu'il conduit au relargage plus intense des composés odorants, de sorte que les plats prennent du "goût".
Le poivre ? Il a sa raison d'être, notamment parce qu'il stimule les récepteurs trigéminaux (les piquants, les frais), et le cuisinier alsacien dit bien que, pour un plat, il faut une partie de violence, trois parties de force, neuf parties de douceur.
Le poivre apporte de la violence, et l'on devra sans doute recourir à un brunissement des viandes ou des carottes pour faire de la force, si l'on n'ajoute pas d'autres ingrédients.
Mais au fait, pourquoi ne pas ajouter, ail, oignons, échalotes, poireaux, etc.? Aucune loi ne nous l'interdit.
D'ailleurs, aucune loi n'interdit d'ajouter du sucre dans le plat qui semble condamné à être salé... alors que nous pourrions faire un dessert. Oui, un dessert avec de la viande...

Pour "inventer", pour être créatif, on voit donc une règle : ne jamais supporter les règles, et les utiliser, même, pour les prendre à rebours. 

Dépassons le cas particulier de la viande de boeuf et des carottes. Plus généralement, soit des ingrédients I1, I2... In ; qu'en faire ? Chaque ingrédient peut être divisé et transformé individuellement. Ce qui conduirait à des Ii,1, Ii,2... Ii,k, et donc à des assemblages de la forme I1,α, I2,β... In,ξ.
Les transformations ? Nous les avons évoquées. Les ingrédients ? Soit nous regardons ce que nous avons dans le réfrigérateur et le garde manger, soit nous allons au marché, et nous établissons une liste.  Ce n'est pas le choix qui manque, bien au contraire : c'est l'abondance, l'excès de choix. Il nous faut un critère pour choisir, et tout critère convient, entre le lancer de dé, ou l'analyse physiologique, ou l'analyse de modes...



Passons maintenant aux ingrédients de la cuisine note à note, en restant sur les ingrédients dont disposaient les concurrents du Troisième Concours international de cuisine note à note.
Il y avait des protéines, des polyphénols, de l'octénol. Les protéines ? Elles coagulent quand elles sont chauffées en présence d'eau, mais on sait que  leur pyrolyse conduit à des goûts puissants. Les polyphénols ? Ajoutés à de l'eau, on dirait un début de sauce au vin. L'octénol ? Un puissant goût de sous-bois, de champignons.
Je ne sais pas pourquoi, mais cela me fait penser à de la viande avec une sauce au vin et des champignons.
Par exemple, grillons quelques protéines pour  leur donner un goût de viande grillée. Puis ajoutons ces protéines pyrolysées à des protéines non transformées et à de l'eau, à  raison de 50  pour cent de chaque ingrédient, histoire de faire comme dans les viande. Faisons une galette épaisse que nous salons, poivrons, et cuisons pour faire coaguler.
Nous obtenons une  galette qui a la consistance d'une viande. Divisons en cubes, puis mettons ces cubes dans une "sauce" faite d'eau, de polyphénols, d'un peu d'octénol, de glucose et de saccharose (puisque les végétaux apportent toujours ces sucres), ajoutons des protéines dans la sauce, comme nous le ferions avec du jaune d'oeuf ou avec la gélatine d'un pied de veau, et cuisons en touillant, afin que la coagulation des protéines dissoutes épaissise la sauce. Ca y est, nous avons un plat. 



La morale de toute cette affaire ? C'est que n'importe qui peut arriver à cette proposition -et à mille autres- avec des connaissances élémentaires, à savoir que les protéines peuvent coaguler, que les végétaux apportent  des saccharides, disons des sucres, que les viandes sont faites d'autant de protéines que d'eau. Rien de difficile. 

Oui, ce qui manque, c'est donc  la méthode, et je propose que  cette méthode soit le "soliloque"... mais c'est là un point que je devrai évoquer plus tard, dans un autre billet. 







Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)