dimanche 7 avril 2019

Question de crème pâtissière et de crème d'amandes

Ce matin, une question par Twitter :


Pour une crème pâtissière, on blanchit les oeufs avec le sucre, mais pour une crème d'amande, on blanchit le beurre avec le sucre en premier avant d’incorporer les oeufs. Je me demandais pourquoi on ne blanchit pas toujours les oeufs avec le sucre ? ordre = texture?



Commençons par donner le lien vers le Glossaire des métiers du goût, pour bien être sûr de savoir de quoi l'on parle :  http://www2.agroparistech.fr/Glossaire-Lettre-C.html

Je complète cela avec les recettes du Pâtisserie moderne, de Darenne et Duval :

Crème d'amandes fine : piler ou broyer 500 g d'amandes émondées et séchées avec 500 g de sucre, ajouter 500 g de beurre et 8 oeufs entiers ; travailler au mélangeur pour la faire monter et la rendre plus légère.
Crème d'amandes ordinaire : 250 g sucre, 6 oeufs et 4 jaunes, 200 g farine, 1 L lait ; cuire et mélanger à froid avec 150 g d'amandes en poudre fine, quelques gouttes d'essence d'amandes amères.

Crème pâtissière :  500 g sucre en poudre travaillé dans une terrine avec 12 jaunes d'oeufs ; ajouter ensuite 100 g farine, vanille, un grain de sel, 1 L de lait bouillant ; faire donner un bouillon sur le feu en remuant avec une spatule pour éviter d'attacher.

Cela étant, dans un Larousse, je trouve pour la crème pâtissière : Cuire fécule et la moitié du sucre avec du lait, vanille. A part, battre jaunes d'oeufs et reste du sucre. Arroser avec lait en fouettant. Cuire, refroidir, introduire le beurre en fouettant.

On observe une différence essentielle entre les deux crèmes (telles que données dans ce livre !) : la cuisson pour la pâtissière, mais pas pour la crème d'amandes ! Et cela s'accompagne évidemment d'une cuisson des oeufs.



Mais nous risquons de nous perdre dans les variations des recettes, les idiosyncrasies des pâtissiers, chacun donnant sa version. Il vaut mieux rester à des principes simples, à savoir qu'une des questions est d'obtenir un foisonnement. 

Commençons avec la crème anglaise, que l'on fait avec jaunes et sucres, que l'on bat : le blanchiment correspond à l'introduction d'une myriade de bulles d'air dans l'eau des jaunes (le sucre se dissout dans cette eau), qui forment donc un système assez stable pour résister à la cuisson avec le lait, comme je l'ai établi lors d'un séminaire de gastronomie moléculaire : un test sensoriel a clairement établi la différence, avec un moelleux bien supérieur des crèmes anglaises où le "ruban" (le foisonnement initial) avait été fait.
Pour une crème pâtissière, je n'ai pas fait l'expérience, mais je prends le pari que l'ajout de farine ou de fécule ne changera rien à l'affaire.
D'autre part, pour les crèmes aux amandes, il y a la crème fine, qui contient du beurre... et là, on gagne à savoir que  le beurre peut être foisonné, quand on lui ajoute un liquide, mais que l'on peut aussi y disperser un liquide, sans faire de mousse.Tout dépend donc de ce que l'on veut obtenir.

Plus exactement, les principes sont :
- du jaune battu peut foisonner (faire une  mousse), et le sucre contribue à la faire tenir
 - du beurre où l'on bat un liquide (du lait, du café...)  fait un système de type émulsion eau dans huile, plus lisse, plus "crémeux"
- si l'on chauffe du beurre avec un liquide, on obtient une émulsion, qui, si elle est ensuite foisonnée tout en refroidissant, conduit à du "beurre chantilly", très foisonné, comme une crème Chantilly
- la poudre d'amandes apporte un peu d'eau, de la matière grasse, des particules solides

Et je conclus qu'il est temps de ne plus suivre des recettes mais de comprendre ce que l'on fait, pour décider des propriétés des préparations que l'on souhaite obtenir : en me souvenant des principes ci dessus, je peux faire des combinatoires variées, obtenir des textures variées.

samedi 6 avril 2019

A propos de chocolat Chantilly



J'ai inventé le chocolat Chantilly en 1995, et il est maintenant partout. De nombreux étudiants s'y intéressent, et certains ont plus de formation scientifique que d'autres. Aujourd'hui, avec le message que je reçois, je ne suis pas certain de la représentation mentale que s'est fait mon interlocuteur, de sorte que j'utilise sa question pour donner des explications.

Pour le chocolat chantilly, vous écrivez la courbe de fusion du chocolat est assez raide, pouvez vous me donner des explications ...les AG saturés solidifient entre 20 et 50 degrés. si je regarde la courbe du beurre. Comment cela intervient-il sur les bulles d'air ?

Commençons par décrire la production du  chocolat chantilly. On part d'eau (ou d'une solution aqueuse qui peut avoir du goût, tels le thé, le café, le jus de fruits, etc., mais qui reste essentiellement composée d'eau. On y chauffe du chocolat : cette matière, qui est principalement faite de graisse et de sucre, s'émulsionne, car le chauffage fond la matière grasse, qui vient former des gouttelettes qui se dispersent dans l'eau, tandis que les petits cristaux de sucre libérés par la fonte des graisses viennent se dissoudre dans l'eau ; le chocolat contenant également des particules végétales, ces dernières sont également libérées, et viennent se disperser dans l'eau.
# Quand cette émulsion est obtenue, on pose la casserole sur de la glace ou de l'eau froide (pour aller plus vite), et l'on fouette : le fouet introduit des bulles d'air, ce qui produit une émulsion foisonnée. Toutefois, vient le moment où la matière grasse cristallise ("fige"), ce qui augmente la viscosité de l'émulsion, et piège durablement les bulles d'air. La mousse obtenue est le chocolat Chantilly.

Que cela signifie-t-il que "la courbe de fusion du chocolat est assez raide" ? 

Cela signifie que si l'on regarde la quantité de liquide dans du chocolat, on voit que, tant que la température est inférieure à 30 degrés environ, presque toute la matière grasse  est à l'état solide ; puis quand on augmente la température de quelques degrés seulement (vers 37 °C), alors toute la matière grasse du chocolat devient liquide. Ce comportement diffère de celui du beurre, dont la matière commence à fondre dès - 10 °C, et dont la fusion s'achève vers 55 °C. En pratique, cela signifie que, pendant que l'on prépare le chocolat Chantilly, rien ne se passe au début du battage, mais tout d'un coup, on voit la préparation blanchir, en même temps que sa consistance change. Avec du beurre Chantilly, au contraire, on aurait plus de temps pour poursuivre le battage, et la transformation serait plus progressive.

Comment cela intervient-il sur les bulles d'air ? 

Je crois que c'est clair : des bulles dans un liquide remontent vers la surface, sont donc peu stables, alors que, dans une matrice solide, ces bulles sont piégées.

mardi 2 avril 2019

Today, received an email from a competitor for the International Contest for Note by Note cooking, and there was a question :


Question 1)
baking soda(Sodium Bicarbonate, Sodium hydrogen carbonate)
liquid glucose
fruit powder(after freeze&dry and grind)
wheat flour
gluten
honey(=invert sugar)
juice from juice extractor
extract powder 
-> These 8 ingredients are all pure compounds? Can I use all of them for the contest?
-> If i can't use wheat flour, what's gonna be the best replacement for it?



Here are the answers :

- bicarbonate is indeed a pure compound

- "liquid glucose": sometimes its a mix of glucose and fructose, but sometimes it is really pure glucose in water

-fruit powder: this is clearly a mixture of compounds, not a pure one

- wheat flour : the is a complex mixture of amylose, amylopectine, proteins, and more ; instead, you can use gluten and corn starch (almost pure amylopectin)

- honey : contrary to what you write, this is not the same as invert sugar ; and this is certainly not a pure compound

For sure, you can use them, because the rules of the contest say only that the evaluation will be better with pure compounds instead of fractions, but the farther from pure compounds, the lower the evaluation.



But they was, you can easily make mixes of glucose, fructose and sucrose, if you need, and, as said, mix gluten (a mixture of gliadins and glutenins) and corn starch. For fruit powders, why not use cellulose, pectin, sugars, colorants and odorant compound, instead?






Courage !

dimanche 31 mars 2019

La liaisons par des roux


Lors de notre séminaire de gastronomie moléculaire de mars 2019, nous avons exploré la question de la liaison des veloutés à l'aide des roux. Autrement dit,  la question était la liaison par la farine et autres produits amylacés. Car c'est cela, un velouté : un liquide auquel on ajoute une matière amylacée (le plus souvent de la farine), et que l'on cuit en vue d'obtenir un épaississement plus ou moins notable. Ainsi, dans un potage, un léger épaississement suffit, alors qu'on veut une liaison plus forte pour une sauce blanche, par exemple.

Plus précisément, nous avons cherché à savoir si la cuisson soutenue d'un roux permet - ou pas- de mieux lier un velouté, et  nous avons également cherché si le vinaigre conduisait à une refluidification des sauces.

Nous avons donc commencé par faire un roux très léger, en cuisant moitié beurre et moitié farine. Puis nous avons divisé ce roux unique en trois.

Le premier roux a été très peu cuit.
Le deuxième roux a été cuit jusqu'à apparition d'une couleur brune soutenue, et la disparition des bulles (de vapeur) dans la casserole, preuve que toute l'eau (du beurre) avait été évaporée, et que la température avait augmenté au delà de 100 degrés.

Commençons donc par expérience sur la cuisson des roux différemment cuits. Nous avons pris les deux premiers roux (léger, cuit brun) et nous leur avons ajouté la même  quantité d'eau. Puis nous avons cuit le premier velouté jusqu'à l'épaississement maximal de la sauce, et nous avons cuit le velouté à base de  roux brun dans les mêmes conditions, sur le même feu, et cette fois l'épaississement a été bien moindre :  la cuisson poussée des roux ne permet pas un épaississement des velouté aussi important qu'avec un roux léger.

Enfin  nous avons cuit  le troisième roux, mais avec du vinaigre,  et,  cette fois-ci, nos amis cuisinier professionnel ont été surpris de voir que l'épaississement se faisait très bien,  et que, même, le velouté (sauce poivrade) était  d'un aspect plus engageant qu'avec un roux ordinaire et de l'eau.
L'observation est intéressante, parce que l'aspect est très important, en cuisine. Avec de l'eau ou du vinaigre cristal, on voyait mieux les différences que si on avait ajouté un bouillon.
Mais je sais combien les différences de température peuvent changer les résultats, de sorte que nous avons attendu que les trois roux soient à la même température pour véritablement comparer. Et finalement, le roux peu cuit est celui qui a conduit à la plus grande liaison,
peu supérieure à celle du velouté au vinaigre.
Évidemment, en cuisine, ce n'est ni de l'eau ni du vinaigre cristal que l'on utilise pour faire les sauces... mais  j'ai vu des professionnels goûter deux fois la sauce poivrade,  signe qu'il y avait là une base pour un travail gustatif.



J'y pense :  nos travaux étaient-ils de nature "scientifique" ? Je réponds à cette question qui m'a été posée par un des participants du séminaire, en  observant que la méthode scientifique commence par l'observation des phénomènes. Même si toutes les conditions de rigueur expérimentales n'étaient pas réunies, nous avons fait des observations que nous allons reprendre, afin de confirmer nos premières impressions.

samedi 30 mars 2019

Le beurre de cacaco, c'est du beurre de cacao, et le chocolat, c'est du chocolat : pas de traficotages !

Nous sommes bien d'acord : même si les mots "sain", "marchand" et "loyal", qui sont à la base de la loi sur le commerce des denrées alimentaires, sont à discuter, il ne faut pas tourner autout du pot : est loyal, honnête, ce qui est loyal, honnête. Et l'honnêteté départage les gens honnêtes des gens malhonnêtes, qui sont en réalité des salauds.



Tout cela  en préambule d'une discussion à propos du chocolat. Le chocolat, c'est une préparation que l'on obtient à partir du cacao, lequel contient à la fois ce qui se nomme beurre de cacao et une partie végétale qui résulte de la torréfaction des graines de cacao. À cette préparation, on a appris à ajouter du sucre pour faire des tablettes de chocolat, qui sont donc faites de moitié beurre de cacao et de moitié de sucre, environ.
Il y a quelques années, sous le prétexte de régulariser les cours du cacao, des industriels peu scrupuleux ont conduit la réglementation a changer, et il a été admis que l'on pourrait ajouter au beurre de cacao trois pour cent de matière grasse quine soit pas du beurre de cacao. Par matière grasse végétale, il faut t'entendre de la matière grasse végétale qui n'était pas présente dans le cacao le nom de beurre de cacao pour ce mélange.

Je récuse absolument le nom de chocolat pour un tel produit ! Le prétexte du changement était que l'on voulait régulariser les cours du cacao, afin d'enrichir les cultivateurs. Mon oeil ! C'était surtout une manoeuvre malhonnête pour se faciliter la vie. Et puis, n'aurait-on pas pu utiliser un autre terme que chocolat pour désigner de tels produits ? Certains ont argumenté en disant que certains fabricants avaient déjà cette pratique... mais alors il fallait sévir contre ces fabricants malhonnêtes, qui avaient usurpé le nom du chocolat. Bref, au lieu de niveler par le bas, on aurait mieux fait de niveler par le haut.
> Je pense que le combat n'est pas perdu et que nous devons absolument militer, aujourd'hui encore, pour que le chocolat soit seulement confectionné à partir de cacao. Il en va de la pluie élémentaire honnêteté.

A propos de plagiat en sciences

A propos de plagiat, les choses sont plus compliquées que ne le disent les vendeurs de logiciels anti-plagiat !
En effet, les résultats sont difficiles à interpréter, et souvent faux. De nombreux programmes font apparaître de faux positifs pour des phrases communes, des noms d'institutions ou des références. Et ils produisent aussi de faux négatifs, par exemple quand la source d'un texte plagié n'a pas été numérisée, contient des erreurs d'orthographe ou n'est pas accessible au programme.

Il y a quelques années, dans une école d'ingénieur que  je ne citerai pas voulait acquérir de tels logiciels pour contrôler les devoirs des élèves, et je m'y étais fermement opposé, parce que, en réalité, je ne veux pas que les "collègues plus jeunes" (ma terminologie pour ce que le reste du monde appelle encore "étudiants") inventent des phrases ou des textes, et que je revendique qu'ils aient fait correctement la bibliographie, et qu'ils citent les textes consultés.
Plus généralement, dans les articles scientifiques, dans les rapports, dans les documents de thèse, etc., aucun fait  ne peut tomber du ciel sans être référencé : une idée, une référence !
Certains estiment que le texte des auteurs cités ne peut être repris tel quel, mais je ne suis pas d'accord, car selon le bon principe condillacien (repris par Antoine Laurent de Lavoisier) qui veut qu'un mot soit homologue à une idée sans possibilité de synonymie, le changement du texte cité gauchit la pensée des auteurs cités !

Disons qu'il vaudrait mieux inviter à de l'intelligence, et, pour ce qui concerne les devoirs des élèves, par exemple, concevoir des exercices, des devoirs, des problèmes, des circonstances qui évitent la possibilité même du plagiat !


Une référence :
D. Weber-Wulff, Plagiarism detectors are a crutch, and a problem, Nature, Mars 2019, 567, 435.

mardi 26 mars 2019

Disneyland, hélas !

Une idée me vient, alors que des collègues plus jeunes vont à Disneyland (ou world, je ne sais pas et cela ne m'intéresse guère de savoir) : je propose de toujours poser la question, lors des entretiens d'embauche : "Etes-vous déjà allé à Disneyxxx ?". Et l'on excluerait immédiatement ceux et celles qui y sont allés, car c'est le signe d'intérêts qui ne sont guère élevés !

Mais plus charitablement, je crois utile de rappeler - ou dire- à nos jeunes amis qu'il y a les oies que l'on gave, d'une part, et les gaveurs d'oies, de l'autre ; qu'il y a le "peuple" et ceux qui le dirigent...

Depuis au moins aussi longtemps que la Rome antique, il y a eu le pain et les jeux. En termes modernes, cela signifie qu'il n'y aura pas de révolution les soirs où des matchs de football seront retransmis à la télévision.




Il suffit de le savoir ;-)