mercredi 11 juillet 2018

Je fais les présentations : le glucose

J'ai mis longtemps, mais ça y est : je viens finalement de comprendre que ce n'est pas à moi de parler de toxicologie ou de nutrition, même si cela me démange souvent de dire des choses justes à ce propos. Il faut dire que je ne suis pas seul à être en faute : mes interlocuteurs ne cessent de m'interroger à ce propos. Et oui, je sais combien la myristicine de la noix de muscade est toxique, ou le méthylchavicol du basilic et de l'estragon. Oui, je lis des publications scientifiques régulièrement à ce propos, et je suis au courant des évolutions des connaissances. Mais  je ne suis ni toxicologue ni nutritionniste, et je dois absolument refuser de me laisser entraîner sur des terrains qui ne sont pas les miens. Je vais m'efforcer que l'on ne m'y prenne plus.
Et puis, ma compétence est si merveilleuse ! Pensons : ce qui m'intéresse, ce que j'essaie de bien connaître, c'est l'aliment, le mets, sa constitution physique et chimique, les composés qui le constituent... Voilà ce dont je peux parler, et voilà ce dont je vais désormais et maintenant parler. Composé par composé, afin de bien les examiner, d'en voir les beautés.

Comme l'être humain vit d'eau, de protéines ou d'acides aminés, de lipides et de "sucres", il faudrait commencer par l'eau... mais si c'est désaltérant, si c'est indispensable pour faire des bouillons, des potages ou des consommés, ou encore des sauces, ce n'est pas le plus attrayant (j'ai interrogé mes amis). Commençons donc par ce que les enfants aiment : les sucres. Et commençons par le plus simple : le glucose.

Contrairement à une idée répandue en cuisine, le "sirop de glucose" n'est pas réductible à du glucose dans de l'eau, car ces sirops contiennent souvent d'autres composés, tel le fructose, ou des oligoglucoses. Non, le glucose est un sucre, le plus simple de tous en termes de molécule, et il se présente à l'état pur sous la forme d'une poudre blanche.
Goûtons : c'est doux, pas très sucré, avec beaucoup de douceur et de longueur en bouche.
Dans l'organisme, ce sucre circule dans le sang, et il est le carburant de nos cellules : si le sang le transporte, c'est pour qu'il soit distribué, via les ramifications sanguines, vers toutes nos cellules.
Les cristaux blancs qui forment cette poudre blanche que j'évoquais ? Ce sont des assemblages réguliers, tels des cubes superposés, de molécules de glucose. Et ces molécules, toutes identiques, sont des objets formés de six atomes de carbone enchaînés, avec en plus, attachés à ces atomes de carbone, des atomes d'hydrogène et d'oxygène. La "formule chimique", C6 H12 O6, signifie très simplement que la molécule de glucose a six atomes de carbone, 12 atomes d'hydrogène et six atomes d'oxygène. Pour les chimistes du siècle passé, le fait qu'il y ait deux fois plus d'atomes d'hydrogène que d'atomes d'oxygène, comme dans la molécule d'eau (de formule H2 O), avait fait imaginer que chaque atome de carbone était lié à une molécule d'eau, et c'est la raison pour laquelle le terme "hydrate de carbone"... mais les progrès de la chimie ont montré que cette idée était simpliste : oublions donc la terminologie fautive d'"hydrate de carbone", et faisons-la oublier à nos interlocuteurs.

A ce stade, je m'interroge : qu'est-ce que mes billets peuvent bien apporter de plus que les articles de Wikipedia ? Sans doute le fait que je suis assuré de ce que j'écris, alors que les articles Wikipedia contiennent parfois des erreurs ou des obscurités. Et, en l'occurrence, l'article consacré aux sirops de glucose évoque dès la troisième ligne un "dextrose équivalent" qui n'est pas expliqué, et que je soupçonne mes amis de ne pas connaître. L'article consacré au glucose commence, lui, par un cours de chimie, et, pire, de stéréochimie (j'écris le mot pour faire peur) qui rebutera certainement nombre de ceux qui s'intéressent à la cuisine sans formation scientifique.
Bref, il faut que je sois parfaitement clair et juste... mais n'est-ce pas un petit minimum ? Ne puis-je, de surcroît, être "intéressant", c'est-à-dire donner des idées pratiques, ou des connaissances surprenantes ?

A propos de glucose, il me vient à l'idée immédiatement ces "péligots de glucose" que j'avais introduit il y a longtemps, et qui sont comme des caramels, mais avec du glucose. Attention : la coloration est plus faible.
D'ailleurs, quand vous les aurez préparés, vous pourrez les décoller du marbre où vous les aurez coulés, pour les mettre dans un moulin à café. Puis, à l'aide d'une poudreuse (sorte de sucrier pour pâtissier), faites-en des disques sur du papier sulfurisé que vous aurez recouvert d'un masque circulaire, et cuisez rapidement à four très chaud : vous obtiendrez des disques croustillants, avec lesquels vous agrémenterez vos desserts.

Voilà pour aujourd'hui. Promis, je vais essayer de m'améliorer.

mardi 10 juillet 2018

Un emballage comestible ?

Il y a bien des façons de faire des emballages comestibles, et l'un des plus classiques est l'utilisation d'amidon, dont on forme des films, comme cela a été bien exploré par l'Inra de Montpellier.

Toutefois, on se souvient utilement que l'on sait faire du papier à partir de la cellulose : du bois, des chiffons, des papiers sont mis à macérer dans l'eau ; puis ils sont destructurés au marteau, ce qui fait la "pâte à papier". Enfin, celle-ci est coulée en couche mince sur un linge : l'eau s'égoutte et il reste une couche de "non tissé", de fibres entrecroisées. Quand cette couche sèche, on obtient un papier.

En cuisine ? On évitera évidemment les bois, les chiffons sales ou les papiers plein d'encre. Non, on produira plutôt de la cellulose quasi pure en extrayant le jus de carottes (pelées, bien sûr) : le résidu solide sera lavé et séché, et c'est lui qui sera utilisé pour faire les feuilles souhaitées.
D'ailleurs, il y a bien d'autres utilisations pour la cellulose : j'avais proposé à mon ami Pierre Gagnaire, il y a plusieurs années, de l'utiliser dans des confitures, pour leur donner une mâche un peu originale :
http://www.pierre-gagnaire.com/pierre_gagnaire/travaux_detail/89


Tout cela étant dit, il y a bien des façons d'agrémenter notre papier. Car on se souvient que l'amidon chauffé fait un empois, par exemple. Ou que des colorants alimentaires peuvent colorer ! Sans compter l'introduction de sucre, de sel, de composés odorants...


L'orfèvre


L'orfèvrerie ? Le mot me fait penser à   deux questions :
 - quelle est la relation entre l'art et l'artisanat d'art ?
- pour la recherche scientifique, quelles conséquences l'analyse de l'activité artistique sont-elles utiles ?

Pour la question de l'art, tout d'abord, autant dire que je ne suis pas au clair. Je comprends bien qu'un peintre en batiment n'est pas Rembrandt, que les objectifs de Rembrandt et du peintre en bâtiment ne sont pas les mêmes... Mais les "métiers d'art" sont dans la zone grise, ni art à la Rembrandt ni peinture en bâtiment. Manifestement, il y a lieu d'évoquer la question de l'intention, et la question de curseur. Le peintre en bâtiment n'a pas l'intention d'émouvoir, mais de couvrir un mur de façon aussi "jolie", disons soignée, que possible. Il y a le technicien qui s'aventure vers le beau, ou, inversement, l'artiste qui applique son talent à des oeuvres plus régulièrement demandées.
En musique ? De même, il y a le musicien qui ouvre son coeur afin de "partager la pulsation cosmique", comme le dirait le chef d'orchestre Benjamin Zander, ou bien le musicien de bal, qui doit seulement faire danser, et auquel on demande principalement de donner un rythme. Et, là encore, ce qui est troublant, c'est ce tour de notes qui est "beau", que le musicien soit un musicien d'art ou un musicien de technique. Même pour un exécutant médiocre, certains enchaînements de notes d'un Mozart, par exemple, sonnent à faire fondre le coeur le plus dur. C'est d'ailleurs une étonnante leçon des cours d'interprétation du Benjamin Zander précédemment cité que de reconnaître que la musique n'est pas belle en proportion des mines compassées des exécutants, mais, bien au contraire, de l'exécution fidèle à la grammaire de l'écriture. Mais il faut expliquer davantage : dans les cours d'interprétation, on voit bien que l'application bête de la pulsation conduit à une "musique" ânonnée, alors que le simple respect des temps forts et des temps faibles, des mesures fortes et des mesures faibles, des cadences fortes et des cadences faibles (de groupes de quatre memsures) permet d'obtenir une musique émouvante.
Indépendamment de l'objectif (sans doute variable, donc) des hommes et femmes des "métiers d'art"la loi reconnaît cette catégorie : "personnes morales qui exercent, à titre principal ou secondaire, une activité indépendante de  production, de création, de transformation ou de reconstitution,  de réparation et de restauration du patrimoine, caractérisée  par la maîtrise de gestes et de techniques en vue du travail  de la matière et nécessitant un apport artistique.". Ce qui ne nous aide guère.

Passons donc à notre question scientifique. Il faut imaginer une différence entre un "scientifique technique" et un "scientifique artiste". Ce qui me ramène au billet que j'avais fait, et qui distinguait le talent, qui fait ce qu'il peut, et le génie, qui fait ce qu'il doit. Mais l'évocation n'est pas suffisante. Et les scientifiques sans talent (ni génie) ? C'est une belle question : comment imaginer cela ? qu'est-ce que cela peut être ?

La question étant difficile, je reviens à l'objectif de la science : identifier les mécanismes des phénomènes.
Bien sûr, l'ambition est considérable, et il peut y avoir des ambitions plus modestes : par exemple, caractériser quantitativement les phénomènes, ou bien réunir des données expérimentales en lois, ou encore tester des conséquences théoriques...  Mais l'idée de l'orfèvre vaut, au delà, parce qu'il y a un soin infini dans la production !

lundi 9 juillet 2018

Nos étudiants doivent travailler dans l'industrie !


Peut-être ai-je tort de m'exprimer à ce propos, parce que le sujet est politique, donc sujet à controverses, mais c'est en réalité une réponse à des questions que me posent des étudiants.

Beaucoup sont un peu égarés par la cacophonie sociétale, et ils ont une idée fausse du monde réel -et pas fantasmé par des média- où ils vivent. Par exemple, je me souviens d'un étudiant en stage dans notre groupe de recherche qui voulait faire de la science, parce que, disait-il, l'industrie aurait été un milieu humainement effroyable. Il faisait une double erreur : d'une part, à propos de l'industrie, et d'autre part à propos  de la science.
A propos de l'industrie : je ne sais comment il avait eu cette idée fausse sur l'industrie, parce que, quand même, l'industrie, c'est 90 % pour cent au moins de notre pays, et à moins d'admettre que l'humanité est inhumaine, comment penser que toutes les sociétés, petites, moyennes ou grosses, ne soient composées que de gens terribles ? Méfions-nous des généralités, disait justement Michael Faraday)
D'autre part, à propos de science, la question était quand même de savoir s'il avait les capacités pour en faire... et cet étudiant-là était un des plus faibles qui soient jamais venus dans notre groupe. Pour mieux comprendre, d'ailleurs, j'ajoute que j'accepte TOUS les étudiants qui veulent venir apprendre, sans tri, sans sélection, et non pas parce que j'ai besoin de main d'oeuvre (je sais très bien faire ce qui m'amuse tout seul), mais surtout parce que je me sens une obligation morale depuis que la première stagiaire m'avait harcelé pour venir en stage, alors que je refusais tout le monde, et qu'elle m'avais convaincu avec l'observation : "Vous, on vous a accepté en stage".
Bref, pour en revenir à l'étudiant qui détestait l'industrie (sans la connaître), il était aussi enfantin qu'un enfant qui déteste les épinards sans les goûter, et, surtout, il n'avait ni les capacités pour faire de la science, ni les connaissances acéquates... ni la capacité de travail pour rattraper son retard.  Je me trompe peut-être, mais je ne crois pas que ce garçon ait pu, depuis qu'il nous a quitté, devenir capable de faire de la science. En réalité, il faisait partie de ce grand nombre de personnes que la vulgarisation fascine, mais qui ressemblent aux papillons de nuit qui viennent se brûler les ailes sur les bougies qui brûlent dans la nuit.
Cet exemple est le pire de ceux que j'ai rencontrés, mais il n'en demeure pas moins que beaucoup de nos stagiaires venus de l'université ne comprennent pas pourquoi ils devraient viser une carrière "industrielle", et ils veulent faire de la "recherche", sans savoir ce que recouvre ce mot, et sans en avoir la capacité, alors que la fin de leurs études approche. A ce propos de "recherche", je me suis expliqué dans un billet précédent.
D'autres étudiants confondent science, technologie et technique, ce qui, on en conviendra, ne peut guère les aider pour faire des choix... en supposant que le retard qu'ils ont pris leur permettent de le faire encore.
Et d'autres encore ne comprennent pas pourquoi les institutions scientifiques ne peuvent pas accepter tous les postulants, pourquoi tout le monde ne peut pas être fonctionnaire.

Je ne critique pas nos étudiants, mais je propose d'être de ceux qui les aident en leur disant des choses justes, pas démagogiques. C'est pour eux, et pour eux seulement, que je fais ce billet.

Je propose donc de dire, de façon très élémentaire, que ce monde où nous vivons (eux aussi !) -pensons pour l'instant à la France- est un monde où chacun utilise (je ne dis pas "consomme") des ingrédients alimentaires ou des aliments, des briques et des peintures pour se loger, des voitures, bicyclettes, trains et avions pour se transporter, des vêtements, des ordinateurs...
Cela, nous le payons avec l'argent que nous gagnons par notre travail... de production : le plus souvent, nous échangeons notre activité, notre "industrie", contre de l'argent qui paye ces biens dont nous avons besoin. D'ailleurs, je dis "des biens", mais il peut s'agir de services !
Et l'industrie alimentaire de produire des aliments qu'elle fait payer, ce qui paye ses salariés, qui achètent des ordinateurs à sociétés micro-électroniques, des voitures à des constructeurs, de l'énergie à des société idoines, des vêtements à des sociétés textiles ; et chacune de ces sociétés fait payer les biens qu'elle produit, afin de distribuer l'argent qu'elle gagne à ses salariés, qui achètent etc.

On le voit, dans cette affaire de production de biens et de services, les fonctionnaires n'ont pas leur place. Ils ne la trouvent que parce que l'état prélève des impôts, pour harmoniser le fonctionnement de la collectivité nationale. Cet argent permet de créer les routes qui servirons à tous : pour que les citoyens puissent aller travailler ou partir en vacances, pour que les transporteurs routiers puissent faire leur métier, et, plus généralement pour que les citoyens puissent circuler. Il permet de payer des fonctionnaires dans des agences de régulation du commerce, dans des institutions de contrôle de l'hygiène (afin que n'importe qui ne puisse pas empoisonner tout le monde en vendant des aliments malsains).
Je passe sur les nombreux  services de l'état, pour me concentrer sur la recherche scientifique. C'est parce que l'innovation est la clé de la réussite industrielle que l'état paye des scientifiques, qui produisent de la connaissance que les ingénieurs peuvent ensuite transférer, afin d'améliorer la technique. Ce qui pose d'ailleurs une grave question pas résolue, à savoir que les petites entreprises et les artisans n'ont pas d'ingénieurs pour faire ces transferts. D'où des structures nationales pour les aider.

L'argent de l'état étant limité, le nombre de scientifiques ne peut être très grand, l'on ne peut donc embaucher que les "meilleurs". D'où des concours, qui viennent souvent bien tard, après une thèse, un ou deux séjours post-doctoraux : parfois, on n'a de poste qu'à un âge avancé... et un salaire qui est loin d'être celui d'un ingénieur dans l'industrie.
Personnellement, contribuable, je revendique que les institutions de recherche scientifique n'aient que les plus capables : ceux qui ont les "capacités" de faire de la recherche scientifique.

Quelles capacités, au fait ? Comprendre la science n'est pas suffisant : c'est bien pour un ingénieur, qui doit en faire un transfert, mais pas pour un scientifique, qui doit surtout produire de la connaissance.
D'ailleurs, il faut dire aux postulants que la science que l'on fait n'est pas celle du 18e, du 19e ou même du 20e siècle : c'est celle du 21e siècle. La connaissance de la science des siècles passés (mécanique quantique, relativité, prémisses de la biologie moléculaire...)  est bien insuffisante, et il faut bien comprendre la science d'aujourd'hui pour l prolonger. Pour cela, il faut avoir un esprit ouvert, pas dogmatique, afin d'être capable de mettre en question les théories que l'on s'est donné du mal à comprendre. Certainement il faut être rigoureux, minutieux, imaginatif (pour introduire des concepts nouveaux). Certainement aussi il faut savoir calculer comme chantent les rossignols, puisque les deux pieds de la science sont l'expérience et le calcul.

Bref très peu de nos étudiants peuvent devenir scientifiques, et ceux qui le souhaitent doivent s'y prendre très tôt, et ne cesser d'apprendre. Guère de place pour la poussière du monde : les matchs de football, les "voyages", les agrégations décervelées au bistrot... Il faut aimer les équations différentielles, le calcul, les mécanismes moléculaires...

J'ajoute, pour terminer, que ne pas être scientifique n'est pas une tare ! Il n'y a pas de hiérarchie entre la production scientifique de connaissance et la production de biens : un astrophysicien n'est pas mieux qu'un constructeur de ponts, et il y a une fierté à être un bon ingénieur qui orchestre l'activité d'une équipe technique, ou à être un bon technicien qui fait une production de qualité, et, mieux, de qualité sans cesse améliorée.

Quel peut être le rôle d'un directeur scientifique ?

Nos systèmes de recherche comportent de nombreux échelons, avec les doctorants, les post-docteurs, les chargés de recherche, les directeurs de recherche, les directeurs d'unité,  les directeurs de départements, les directeurs scientifiques… On comprend que les directeurs d'unité ou de département ont une fonction d'organisation, et l'on comprend, avec la distinction de chargés de recherche et de directeurs de recherche, qu'il y a des chercheurs de maturités différentes.
Mais un directeur scientifique, de quoi s'agit-il vraiment ? Bien sûr, il y a pour certaines institutions des orientations générales qu'il s'agit de définir, des priorités quand l'institution veut répondre à des questions de société. On peut aussi imaginer qu'il y a des arbitrages à faire quand les moyens sont limités : arbitrages en termes de postes, en termes de soutien à l'achat de matériel… Sans compter la gestion des conflits humains, inévitables.
Mais diriger des recherches ? Plus j'y pense, moins je me sens compétent dans les champs qui ne sont pas ceux de ma propre recherche. Qu'aurais-je à apporter à propos de travaux qui ne sont pas les miens ? Certainement de la méthode. Et peut être précisément cette idée que je ne suis pas compétent dans les travaux qui ne sont pas les miens.
Je m'étonne d'ailleurs que certains collègues puissent me donner des conseils à propos de mon travail. Je me souviens d'un très grand physicien (ce n'est pas Pierre Gilles de Gennes) qui m'écrivait chaque année, quand nous échangions des voeux, que je devrais me tourner plus vers l'étude physique de la gastronomie moléculaire que vers son exploration chimique. Mais cet homme éminemment respectable était physicien, et il ne connaissait rien à la chimie. Comment pouvait-il en juger ainsi, si péremptoirement ? D'autant que, de surcroît, il ne connaissait de la gastronomie moléculaire que ce que je lui en montrais, et s'il est vrai que les méthodes physiques ont beaucoup d'intérêt, il n'en reste pas moins que les méthodes chimiques ont un intérêt non moins grand.
Suivre les conseils d'un tel homme ? Ce ne serait pas raisonnable. Et comme je sais résister, je n'ai gardé de ses propositions qu'une interrogation : que dois-je faire pour faire au mieux ? Oui, j'ai toujours intérêt à m'interroger sur la direction à emprunter pour mener mes travaux.

Ce que je dis à mon propos vaut évidemment pour tous, et si je suis un exemple à analyser, je ne suis pas un exemple à suivre. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle je ne cesse de m'interroger et d'interroger mes amis : à propos de méthodes scientifique, à propos de stratégie scientifique, à propos…
Oui, à propos de quoi ? Dans ma pratique scientifique il y a effectivement la direction et le chemin. Les questions sont innombrables et je ne crois pas que quiconque puisse m'indiquer avec certitude celles qui me conduiront à une grande découverte. Bien sûr, on peut me conseiller plus « localement », mais comment savoir si l'exploration de  l'acidification des abricots au cours de leur  cuisson sera plus ou moins intéressante que l'étude de la convection des bouillons de viande ? D 'autant que c'est peut-être la façon de parcourir le chemin plutôt que le chemin lui même qui conduira à la découverte...
A lire des Lavoisier, Dumas ou Chevreul, on comprend qu'une activité soutenue doit produire des faits, et que, de ceux-ci, la recherche d'analogies peut conduire à des interprétations. Mais c'est là quelque chose de si simple qu'il n'est pas nécessaire de me le conseiller, ni de le conseiller à la plupart des scientifiques.

Finalement, quelles compétences des scientifiques ont-ils en termes de direction scientifique ? Si ce sont de bons scientifiques, ils ont manifestement bien intégré la méthode scientifique, qui, notamment, ne généralise pas hâtivement, procède de façon coordonnée, mettant en œuvre des travaux bien identifiés, ne confondant pas les sciences de la nature et leurs applications, ne suppléant pas au silence des faits, posant des questions plutôt qu'apportant des réponses.
Et cette dernière observation me fait souvenir de ma position à propos des rapporteurs ou des évaluateurs : j'ai dit ailleurs et je répète  ici qu'il s'agit surtout d'avoir un regard bienveillant, mais rigoureux ; il s'agit de poser des questions sur les divers aspects des travaux afin de s'assurer que nos amis ont un regard parfaitement lucide, clair, rationnel, sur les divers choix qu'il font, de la plus petite étape tactique jusqu'à la plus grande idée stratégique.
Oui, le directeur scientifique peut être un tel évaluateur, ou, au moins, l'organisateur d'évaluations ainsi menées, mais, dans ce second cas, il n'est plus un directeur scientifique, mais un administrateur de la science, ce qui est quelque chose de bien différent. C'est donc là une conclusion : au-delà du terme « directeur scientifique, de quoi s’agit-il ? De science, ou d'administration ?

Une conférence à Singapour

Et voici  une conférence en anglais :


Here is the video provided by NUS. The whole lecture is ~1hr 35mins. Do let us know should you have any trouble viewing it.

dimanche 8 juillet 2018

Emerveillement partagé : Ludwig Boltzmann était extraordinaire !

Il y a des beautés ésotériques, hélas pas accessibles à tous. Notamment à propos de calcul, de mathématiques. L'idée du wronskien, par exemple, me fascine depuis longtemps, tout comme le simple produit scalaire.

Mais aujourd'hui, c'est  à propos de transfert de chaleur, ou d'évolution de concentration, que je m'émerveille. Le merveilleux physicien français Jean-Baptiste Fourier, au 18e siècle, a ainsi écrit deux équations pour décrire, d'une part, le transfert de chaleur de part et d'autre d'une paroi dont les deux faces sont maintenues à des températures constantes (pensons au mur d'une maison, dont l'intérieur est chauffé et dont l'extérieur est à la température de l'extérieur), et, d'autre part, le transfert de chaleur dans une barre dont on chauffe une extrémité. Cette second équation, pour le régime "non stationnaire", est la même que celle qui décrit l'évolution de la concentration en sirop dans un verre d'eau, à partir d'une goutte de sirop déposée au centre du verre. Dans ce second cas, on parle de la seconde équation de Fick, du nom du physicien allemand Adolph Eugen Fick... mais c'est en réalité la même que celle de Fourier.

Résoudre cette seconde équation n'est pas facile, et ce n'est pas toujours possible : on ne sait le faire que dans des cas particuliers, tel quand la chaleur varie à travers une plaque, ou autour d'une sphère, etc. Surtout, pour y parvenir, il faut manipuler l'équation en "changeant de variable" : à savoir que, dans l'équation initiale, on considère la température en fonction de la position dans l'espace et du temps. Le temps est ce que l'on nomme une variable. Mais pour être capable de résoudre l'équation, c'est-à-dire de trouver l'expression de la température en tout point de l'espace en fonction du temps, il faut ne pas chercher en fonction du temps, mais en fonction de l'inverse de la racine carrée du temps !

Comment a-t-on trouvé cela ? Rassurons les étudiants qui ne se sentiraient pas capable d'imaginer une telle transformation : ni Fourier ni Fick n'ont trouvé la chose, et il a fallu le génie de Ludwig Boltzmann pour y parvenir, après une longue recherche !

Et voici mon émerveillement : n'est-il pas extraordinaire que Boltzmann ait réussi à où deux grands scientifiques avaient échoué ?