dimanche 8 juillet 2018

Emerveillement partagé : Ludwig Boltzmann était extraordinaire !

Il y a des beautés ésotériques, hélas pas accessibles à tous. Notamment à propos de calcul, de mathématiques. L'idée du wronskien, par exemple, me fascine depuis longtemps, tout comme le simple produit scalaire.

Mais aujourd'hui, c'est  à propos de transfert de chaleur, ou d'évolution de concentration, que je m'émerveille. Le merveilleux physicien français Jean-Baptiste Fourier, au 18e siècle, a ainsi écrit deux équations pour décrire, d'une part, le transfert de chaleur de part et d'autre d'une paroi dont les deux faces sont maintenues à des températures constantes (pensons au mur d'une maison, dont l'intérieur est chauffé et dont l'extérieur est à la température de l'extérieur), et, d'autre part, le transfert de chaleur dans une barre dont on chauffe une extrémité. Cette second équation, pour le régime "non stationnaire", est la même que celle qui décrit l'évolution de la concentration en sirop dans un verre d'eau, à partir d'une goutte de sirop déposée au centre du verre. Dans ce second cas, on parle de la seconde équation de Fick, du nom du physicien allemand Adolph Eugen Fick... mais c'est en réalité la même que celle de Fourier.

Résoudre cette seconde équation n'est pas facile, et ce n'est pas toujours possible : on ne sait le faire que dans des cas particuliers, tel quand la chaleur varie à travers une plaque, ou autour d'une sphère, etc. Surtout, pour y parvenir, il faut manipuler l'équation en "changeant de variable" : à savoir que, dans l'équation initiale, on considère la température en fonction de la position dans l'espace et du temps. Le temps est ce que l'on nomme une variable. Mais pour être capable de résoudre l'équation, c'est-à-dire de trouver l'expression de la température en tout point de l'espace en fonction du temps, il faut ne pas chercher en fonction du temps, mais en fonction de l'inverse de la racine carrée du temps !

Comment a-t-on trouvé cela ? Rassurons les étudiants qui ne se sentiraient pas capable d'imaginer une telle transformation : ni Fourier ni Fick n'ont trouvé la chose, et il a fallu le génie de Ludwig Boltzmann pour y parvenir, après une longue recherche !

Et voici mon émerveillement : n'est-il pas extraordinaire que Boltzmann ait réussi à où deux grands scientifiques avaient échoué ?

samedi 7 juillet 2018

Comment signer soixante dix publications scientifiques par an ?

Une revue interroge un collègue qui signe 70 publications par an, et notre homme d'expliquer que si l'on a un bon réseau, alors on a son nom sur de nombreuses publications, et l'on est bien évalué par les institutions scientifiques. Evidemment, le titre de l'article "Comment signer 70 publications par an" est fait pour choquer, preuve qu'il n'est pas décemment possible de signer 70 publications par an. D'ailleurs, le collègue n'est pas l'égal d'Albert Einstein, qui ne signait certainement pas 70 publications par an, et il n'est pas non plus l'égal de Henri Poincaré, qui publiait tant que l'Académie des sciences a introduit une règle afin qu'il n'encombre pas les Comptes rendus de l'Académie des sciences, à une époque où l'on imprimait sur du papier. Donc ces 70 publications sont indues, et je crois très néfastes que nos institutions mettent ce genre de comportements en avant.

 Car il ne s'agit pas d'être bien évalué, personnellement ou collectivement, mais de faire de la bonne science, de faire avancer la connaissance ! Cela ne se fait pas au rythme ici prôné. Oui il faut publier ce que l'on découvre... mais il faut d'abord découvrir. Et cela ne se fait pas rapidement, même quand on est très actif.

Oui, aussi, on hésite toujours entre les gros articles importants, et les petits textes, montrant un résultat localisé... mais même pour de tels résultats, il ne s'agit pas de s'arrêter à un résultat de mesure : il faut aussi des interprétations solides, intelligentes, profondes, conceptuelles. Soixante dix par an ? Allons, soyons sérieux.

La vérité en science ?

On entend parfois parler de vérité, à propos de science. On dit (parfois) que la science est la recherche de la vérité, ou que la science est le domaine de la vérité... Mais tout cela est-il bien légitime ?
La science considère des « faits », et, si je ne méconnais pas les innombrables débats à propos de ce mot (tout comme d'ailleurs à propos de vérité), il faut éviter de se contorsionner intellectuellement. C'est un fait qu'un morceau de sodium qui tombe sur de l'eau fait au minimum une grande lueur, ou au maximum une explosion ; en tout cas, il se passe quelque chose. Cela a été, cela est, et cela sera si l'on refait l'expérience dans les conditions où nous l'entendons tous : à savoir à la température ambiante, avec des masses macroscopiques que l'on n'aurait aucune peine à préciser. De même, c'est un fait que la pomme tombe de l'arbre, dans les conditions (que l'on pourrait préciser) habituelles.
Les faits ne sont ni vrais ni faux : ce sont des faits. Il n'y a pas de valeur de vérité pour les faits : un « fait faux » n'est pas un fait, tout comme un « carré rond » n'existe pas.
Et les théories ? Là, c'est encore plus simple, parce que les théories scientifiques sont toutes insuffisantes, donc fausses. De sorte que, bien entendu, elles ne sont alors pas « vraies ».
Et, en conséquence, la science ne cherche certainement pas la vérité, mais elle cherche les mécanismes des phénomènes, sous la forme de théories (idées, concepts, relations quantitatives entre des concepts) qui sont insuffisantes et dont on cherche lentement à augmenter les capacités prédictives. Souvent, on avance par petits pas, et, parfois, il y a un saut conceptuel, un changement complet de cadre descriptif, comme quand on est passé de la physique classique à la physique quantique.

Mais pas de vérité, dans tout cela !

vendredi 6 juillet 2018

Qu'est-ce qu'un journal de bord ?

Il y a de ces mots ou expressions que nos interlocuteurs comprennent sans comprendre, et je viens de m'assurer que mes jeunes amis ignorent ce qu'est un "journal de bord"... parce qu'ils n'ont jamais fait de bateau ! Ce n'est pas une critique que je fais... mais une obligation que je me donne de l'expliquer le plus clairement possible... parce que cela peut avoir des conséquences sur leur travail technologique ou scientifique, par exemple.

Commençons par nous remettre à  l'époque pas si lointaine où l'on n'avait pas de GPS, pas de Waze, pas de Google Map. Et, plus encore, entrons sur un bateau à  voiles.
Nous sommes à  Benodet, et nous voulons gagner  les îles Scilly (les "Sorlingues", si bien décrites par ce merveilleux livre qu'est Rôle de plaisance, de Perret). Il se peut que nous soyons dans la configuration suivante :


Pour un voillier, c'est bien ennuyeux, parce que si le vent pousse, il est donc bien impossible de "remonter au vent", sauf à "tirer des bords", c'est-à-dire faire des zigzags, comme cela :

 

Mais imaginons qu'il y ait des cailloux, sur le chemins : 


Là, une telle route est très risquée, car comment sait-on qu'on est cent mètres plus à droite ou à gauche ? Décidément, il vaut peut-être mieux faire une route différente :


Bon, nous sommes prêts, partons dans la direction que nous avons tracée sur la carte... mais il faut savoir quand virer de bord, pour ne pas tomber dans les cailloux. Ce que l'on fait, alors, c'est que, sur le "journal de bord", on consigne l'heure de départ, et l'on utilise un appareil nommé un "loch" pour mesurer la vitesse. Puis, en utilisant le fait que la distance est égale au  produit du temps par la vitesse, on calcule l'heure à  laquelle on doit changer de bord.
Mais, évidemment, imaginons que le vent faiblisse, à  un moment donné, il faudra absolument consider l'heure à  laquelle c'est arrivé, et la vitesse que l'on fait alors, afin de suivre le déplacement du bateau sur la carte.

C'est cela, un journal de bord : un document où sont consignées toutes les indications relatives à  la marche du bateau, afin d'arriver sain et sauf à  bon port.

Pourquoi dois-je discuter cela ? Parce que, en recherche scientifique, on a quasiment la même question, et que tout ce que nous faisons doit être consigné. Même nos erreurs, même nos hésitations !
Je ne crois pas inutile de renvoyer mes amis vers le Diary du physicochimiste Michael Faraday :


C'est son "cahier de laboratoire", et plus d'un d'entre nous devrait prendre exemple : on voit que c'est d'une remarquable clarté. Ce qui me fait penser au cahier de laboratoire de Pierre Gilles de Gennes, qui, de même, était quasiment calligraphié. La pensée n'est pas rapide, et la seule chose qui importe est le résultat final, qui doit être parfait.

Ici, j'ai parlé de science, mais, au fond, puisque je veux que la plupart de mes jeunes amis aillent dans l'industrie, afin de mettre leurs compétences présentes et futures au service d'une augmentation de la "richesse nationale", je veux conclure en disant que je ne vois pas de raison pour laquelle cette excellence que je discute ici ne soit pas également présente dans l'industrie.

jeudi 5 juillet 2018

Conseil à de jeunes amis qui veulent faire de la "recherche"

Cela ne cesse de me tomber sur le nez : j'accueille de jeunes amis qui veulent faire de la "recherche", je réponds à d'innombrables emails de jeunes qui veulent faire de la "recherche"... mais les discussions approfondies que j'ai avec eux démontrent à l'envi que ce mot est galvaudé, pourri, connoté, fantasmé...

De la recherche ? Un coordonnier qui se préoccupe de bien enfoncer les clous dans les talonnettes, et qui change de marteau, de clous, de matériau de clous, de façon de taper sur le clous fait de la "recherche" : ce "technicien" (du grec techne, qui signifie "faire") a une "recherche technologique", que j'ai dite "locale", qui lui permet de faire mieux, voire bien.

D'autre part, imaginons un "ingénieur" de l'industrie alimentaire qui soit en charge de la confection de pizza, et qui veut "innover" en faisant des pizzas au basilic. A moins d'être vraiment naïf, on comprendra que l'on ne va pas déposer les feuilles de basilic une à une sur les pizzas où l'on aura déposé de la sauce tomate (à l'aide d'une buse doseuse). Que fera-t-on pour parvenir au but fixé ? Une certaine industrie jargonnante nomme ce type de travail de la "recherche et développement" : s'il est vrai qu'il faut chercher à obtenir l'objectif, il faudra ensuite non pas "développer" (un anglicismes qui permet à certains de parler sans comprendre ce qu'ils disent), mais de "mettre au point". Mais, oui, il y a là de la "recherche".
Cette recherche industrielle, technologique au sens véritable, est parfois bien plus élaborée : par exemple, quand on encapsule des composés odorants dans des nanocapsules, on a intérêt à être très bien formé à la chimie, à la physique, à la biologie, aux mathématiques, et ce n'est pas un savoir universitaire du siècle passé qui permettra de telles innovations.

Et j'en arrive maintenant à la "recherche scientifique", qui est donc l'activité des scientifique. Ce travail ne se distingue du travail précédent que par son objectif : alors que l'ingénieur veut obtenir un "objet" technique, le ou la scientifique cherche à produire une connaissance nouvelle, et pas une connaissance réductible à l'application de théories établies... puisque la science est précisément dans la critique des théories précédentes, en vue de les remplacer par des théories améliorées... voire complètement différentes. Et l'on doit ajouter qu'une théorie n'est pas un vague discours poétique tel qu'on le trouve dans une revue de vulgarisation ou une émission dite "scientifique" à la télévision : c'est du calcul, encore du calcul, toujours du calcul, des équations, encore des équations, toujours des équations... Es bien fini le temps où l'on collectionnait des papillons : la biologie est devenue moléculaire, et même la recherche de filiations entre groupes de papillons est moléculaire, donc réductible  à des équations.

D'ailleurs, en science, on distinguera utilement le travail technique de production de données, et le travail théorique, de production de concepts. Non pas que l'un soit mieux que l'autre, mais surtout que la science n'est pas réductible à la technique.

 Tout cela étant dit, je crois que mes jeunes amis comprennent que ce qu'il cherche à  faire n'est manifestement pas l'activité scientifique (quand elle est ainsi honnêtement décrite) : ils trouveront leur voie utile à la collectivité nationale dans l'industrie... mais c'est là une autre affaire.

mardi 3 juillet 2018

Bouillons, courts bouillons et fumets

Les coquilles d’œuf permettent-elles de clarifier les bouillons ? Le poisson de mer est-il plus blanc quand il est cuit dans du lait que quand il est cuit au court-bouillon ? Les fumets de poisson deviennent-ils amers quand ils sont cuits plus de 20 minutes ? Voici les questions  que nous avons explorées expérimentalement lors de notre dernier séminaire de l'année universitaire, en juin.


Bouillons clarifiés

On sait que les bouillons de bœuf sont souvent troubles et que, pour les clarifier, les cuisiniers utilisent du blanc d'oeuf, ou de la viande hachée, ou des légumes… mais des coquilles d'oeuf ? On voyait mal comment ces dernières pouvaient éventuellement agir.
Pour autant, rien ne vaut l'expérience, et nous avons donc volontairement produit un bouillon trouble en faisant tout mal :  650 gramme de tende de tranche, et 1 litre d'eau, avec 4 grammes de sel, ont été portés à ébullition  pendant 40 minutes. Le bouillon obtenu était effectivement trouble.

Hors du feu, nous avons sorti la viande, puis ajouté les coquilles de 10 œufs, simplement écrasées. Puis nous avons remis le bouillon sur le feu, coquilles incluses. A l'ébullition, nous avons vu une écume épaisse, ferme, qui a formé une sorte de « gâteau », qui a été retirée à la louche.  Le bouillon obtenu, passé dans un linge plié, était bien clair.
Pourquoi cet effet inattendu ? Sans doute parce que les coquilles conservaient du blanc d’œuf adhérent, dont on sait qu'il clarifie bien les bouillons. Pour s'en assurer, il conviendrait de répéter l'expérience en lavant les coquilles, et en les débarrassant de ce blanc adhérent, avant des utiliser : si vous faites des tests, merci d'envoyer vos résultats à icmg@agroparistech.fr  afin qu'ils soient communiqués à tous.


 Cuisson du poisson avec du vin ou avec du lait
Toujours lors de ce séminaire de juin, nous avons cherché à savoir si la chair des poisson était effectivement plus blanche, quand on cuit dans du lait. La précision culinaire complète est la suivante : Madame Millet-Robinet, dans La maison rustique des dames (Paris, Librairie agricole de la maison rustique, 1893, p.464) écrit  : « On fait cuire ordinairement le poisson de mer dans un court-bouillon à l’eau, auquel on rajoute quelquefois du vin blanc ; c’est une mauvaise méthode. Presque tous les poissons  de mer sont meilleurs, et leur chair est plus blanche et plus ferme lorsqu’ils sont cuits dans un court-bouillon composé de moitié lait,  moitié eau, un peu de sel et de poivre ».
Nous avons donc commencé par  faire un court bouillon  dans les règles de l'art, avec eau, carottes, échalotes, bouquet garni, sel. La cuisson a duré  une heure.
Puis, dans deux casseroles identiques, on amis  :
1. le court-bouillon et du vin blanc sec (tant pour tant)
2. 1 L de lait et autant d'eau.
On a commencé la cuisson à froid, avec des darnes alternées d'un même cabillaud (une sur deux dans les deux casseroles). Les deux casseroles étaient chauffées de la même façon, jusqu'à ébullition.
Puis on a comparé les darnes, après la cuisson :
- nous n'avons pas vu de différence de couleur (autant de choix par les participants pour l'un que pour l'autre, dans un choix en aveugle, et en croisant les produits à évaluer entre les évaluations)
- la différence de  fermeté était difficile à évaluer, parce que toutes les parties n'ont pas toutes cuites de la même façon, même quand les darnes étaient parfaitement immergées.
En tout état de cause, on ne peut pas conclure que la précision culinaire explorée soit juste.


L'amertume éventuelle du fumet de poisson

Enfin, nous avons cherché à savoir s'il est vrai que les fumets de poisson deviennent amers après plus de 20 minutes de cuisson. Pour nos expériences, nous avons prépapré un fumet de poisson avec les arêtes du cabillaud précédemment utilisé, de l'eau, du vin blanc sec, un poireau en rondelles, 10 champignons émincés, du sel. Les légumes sont sués avec du beurre, avant l'ajout du liquide.
Du fumet a été prélevé après 16 minutes de cuisson, et après 40 minutes… et nos dégustations en aveugle nous ont clairement montré que  le fumet le plus cuit (40 minutes) n'était pas amer. Mieux, il était meilleur que celui qui n'avait été cuit que 16 minutes.
Comment a-t-on pu transmettre une idée si fausse ?