vendredi 6 avril 2018

Au premier ordre, Condillac

Enfin, je comprends que mes hésitations personnelles à propos de la "querelle de Lavoisier contre Poincaré" ne concerne qu'une partie réduite de mes amis ! Je me suis trompé de combat, et il faut promouvoir absolument l'usage d'une langue juste, et ne cesser de proposer ces trois liens :

http://atilf.atilf.fr/
http://www.cnrtl.fr/etymologie/aviser
http://www.projet-voltaire.fr/blog/


Mais je me vois bien incompréhensible, et j'explique, maintenant.
Naguère, émerveillé par les avancées intellectuelles d'Antoine Laurent de Lavoisier, j'avais partagé avec mes amis mon admiration pour ses idées exprimées dans un texte sur les oxydes, où il introduit le formalisme actuel de la chimie : c'est bien à lui que l'on doit les équations chimiques telles que "NaOH + HCl →NaCl + H2O".
Partant de ce texte, j'avais découvert le Traité élémentaire de chimie, que Lavoisier publié pour proposer un cadre cohérent à la chimie moderne qu'il avait fondée, en bannissant l'idée abracadabrante de "phlogistique" (en gros, une matière de masse négative) et en réformant la terminologie chimique, reléguant dans les oubliettes de l'histoire  des terminologies alchimiques qui manquaient de ce systématisme rationnel qui est la marque des sciences : fini les "sublimés corrosifs" ambigus, les "cristaux de Saturne", les "mercure précipité" ou "mercure sublimé", les écumes de Diane, les cornes de cerf... aussi variables qu'incertains.
Mais, surtout, Lavoisier était inspiré par l'abbé de Condillac, qui revendiquait une langue juste pour une pensée juste. Et c'est ainsi que, dans l'introduction de ce traité, il écrit :

"C’est en m’occupant de ce travail, que j’ai mieux senti que je ne l’avois, encore fait jusqu’alors, l’évidence des principes qui ont été posés par l’Abbé de Condillac dans sa logique, & dans quelques autres de ses ouvrages. Il y établit que nous ne pensons qu’avec le secours des mots ; que les langues sont de véritables méthodes analytiques ; que l’algèbre la plus simple, la plus exacte & la mieux adaptée à son objet de toutes les manières de s’énoncer, est à-la-fois une langue & une méthode [iij] analytique ; enfin que l’art de raisonner se réduit à une langue bien faite.  [...]  L'impossibilité d'isoler la nomenclature de la science, et la science de la nomenclature, tient à ce que toute science physique est nécessairement fondée sur trois choses : la série des faits qui constituent la science, les idées qui les rappellent, les mots qui les expriment (...) Comme ce sont les mots qui conservent les idées, et qui les transmettent, il en résulte qu'on ne peut perfectionner les langues sans perfectionner la science, ni la science sans le langage". 

Oui, il faut de bons mots pour de bonnes pensées, car les mots sont comme les outils de l'ébéniste : on ne fera pas du bon travail si l'on confond le marteau et le ciseau à bois ! D'ailleurs, c'est surtout sur le langage technique que l'on voit l'importance de la juste terminologie : si le marin confond la drisse avec l'écoute, le bateau chavire !
Et, évidemment, c'est avec cette idée que je ne cesse de consulter les dictionnaires, et notamment les bons dictionnaires sont j'ai donné les liens
Avec http://atilf.atilf.fr/, on comprend ce que signifient les mots ; la partie inférieure des entrée donne l'étymologie et l'histoire des termes, ce qui explique notamment pourquoi il n'y pas d'exacts synonymes en français.
Mais pour en savoir plus de ce point de vue, il faut consulter : http://www.cnrtl.fr/etymologie/aviser
Et comme nous devons nous présenter à nos amis sous nos plus beaux atours, il n'est pas inutile de consulter celui-ci, également  : http://www.projet-voltaire.fr/blog/

J'étais donc dans un sentiment très condilliacien, pendant longtemps, jusqu'à ce que tombe sur ce texte de Poincaré sur l'invention mathématique. Poincaré ? Henri, bien sûr ; le mathématicien. Par Raymond, le président du Conseil. Henri Poincaré fut un mathématicien extraordinaire, et il s'intéressa à l'épistomologie, et, aussi, à la production des connaissances mathématiques. Dans un de ses textes, il écrit que la difficulté, pour lui, n'était pas d'avoir des idées mathématiques nouvelles, mais de mettre des mots dessus pour pouvoir les partager avec sa communauté.
Oui, à l'opposé d'un Lavoisier, pour qui les idées scientifiques peuvent naître quasi mécaniquement, du maniement des mots, Poincaré voit dans le langage -qu'il veut d'ailleurs tout aussi précis- une fonction plus utilitaire.

Un jour, descendant faire mon cours de gastronomie moléculaire, je compris que Lavoisier était dans l'erreur... pour la production scientifique. Le maniement automatique des mots est "mortifère", et il faut de l'induction pour faire de la science neuve. Il faut "faire des sciences en artiste", aurait dit Poincaré (pour les mathématiques). Oui, il y a cette étape inductive, et non déductive, essentielle en production scientifique.
J'avais donc relégué Lavoisier dans un coin... Mais je me reprends : la fréquentation quotidienne de mes jeunes amis montre que la question essentielle n'est pas d'abord la production scientifique, mais son apprentissage. Et, pour apprendre, il faut les bons mots. Les idées de Poincaré viendront bien plus tard, et elles n'ont pas de place pour commencer.
Oui, les idées condillaciennes sont au premier ordre, et les variations de Poincaré n'arrivent qu'ensuite.


Il faut le dire avec force : 

ayons de bons mots pour bien penser  ! 









Comment faire un bon texte d'enseignement ?



Comment faire de bons documents qui expliquent aux étudiants des points scientifiques ? Je me demande s’il n'y a pas lieu de commencer par réfléchir, et, notamment, analyser de mauvais documents, en vue d'identifier les caractéristiques que nous devrons absolument éviter. Bien sûr, il y a d'innombrables mauvais cours, de sorte que le travail est immense, mais je me propose, dans les mois qui viennent, de prendre des exemples successifs, afin de constituer progressivement un corpus qui pourra servir ultérieurement de guide avant la rédaction, puis de check list après qu'elle aura été faite.

Ainsi j'ai sous les yeux un cours de statistiques que j'avais lu trop rapidement par le passé, et que j'avais mis de côté parce que je le trouvais « trop difficile ». Là, ayant pris le temps de le lire lentement, j'ai compris qu'il n'était pas difficile, mais mauvais !
Dans les 20 premières pages, je trouve toute une série de définitions : je comprends qu'il faut les connaître, et, en me mettant dans la position de l'étudiant, je consens évidemment à bien les comprendre, puis à bien les apprendre. Mais vient bientôt, sans que le livre ne signale de changement de régime, une série de formules qui sont en réalité des résultats qui ne sont pas présentés comme tels, mais simplement énoncés, négligemment, sans aucune mention du fait qu'il faut les démontrer. C'est comme s'ils étaient parfaitement évidents, au même niveau que des définition.
Pourtant, je viens de m'assurer, en y passant du temps, que la démonstration de plusieurs d'entre eux nécessite plusieurs pages de calcul pour chacun ! Autrement dit, la compréhension de ce texte nécessite des pages de lecture supplémentaire, éventuellement à l'aide de documents que j'ai dû chercher moi-même, sans aucune indication de l'auteur du livre !
Le livre est donc ainsi fait de phrases, suivies de formules, il n'y a aucune explication. Or c'est un livre universitaire proposé à un niveau « élémentaire », de sorte que je sais bien que les étudiants qui l’auront en main ne pourront absolument pas -sauf exception bien sûr- comprendre ce qui est écrit ! Que pourront-ils faire alors ? Simplement répéter tels des perroquets ce qu'ils auront appris par cœur, sans savoir d'où cela vient… ni si c'est juste ! A moins bien sur qu'ils ne fassent comme moi, à savoir qu'ils passent beaucoup de temps à chercher ailleurs les démonstrations qui ne sont pas données.


Je trouve qu'il y a malhonnêteté de la part de l'auteur à livrer ainsi un simple squelette dont il n'est pas signalé qu'il s'agit d'un squelette. Il n'y a pas de mode d’emploi donnée en introduction, ni même des phrases qui signaleraient que les résultats sont démontrés par ailleurs. L'auteur a vraisemblablement recopié les résultat d’un autre cours. Il n'y a ni traitement nouveau de la matière, ni explication. Ce livre est un mauvais livre d’enseignement.

Un collègue qui faisait de tels cours m'a expliqué un jour qu'il attendait que les étudiants fassent le travail d'aller chercher eux-mêmes les démonstrations qu'il ne donnait pas. Pourquoi pas, si tel est le jeu, et si ce jeu reste raisonnable en terme de temps passé. Mais quand même, n'y a -t-il pas une certaine paresse à faire ainsi ? Pourquoi ne pas donner directement les détails ? Pourquoi se contenter de donner des listes de résultats démontrés, au lieu de donner les résultats et leur démonstration ?

Plus positivement, je vois que cette analyse nous conduit à non seulement donner la suite des résultats, correctement enchaînés, mais à choisir des options. Soit on peut indiquer aux étudiants où ils trouveront les démonstrations. Soit on peut donner celles-ci dans des sections ou dans des annexes, si l'on souhaite conserver une lisibilité du chemin que l'on fait parcourir eaux étudiants.
Mais en tout état de cause, je crois que l'enseignant a l'obligation d'être parfaitement clair, sans quoi il ne mérite pas sa position.

Sourions un peu avec cette anecdote du professeur qui écrit au tableau une suite de résultats. Un étudiant interrompt : « Monsieur, comment passez-vous de la litre 3 à la ligne 4 ? » Le professeur répond : « C'est évident, voyons, c'est évident. » L'étudiant insiste : « Pardonnez moi, mais je comprends pas. » Le professeur s'arrête cette fois, contemple longuement le tableau noir et dit : « Mais si, c'est évident. Oui, c'est évident… Oui, bon, enfin, donnez-moi une seconde ». Il quitte la salle et ne revient qu'après une demi heure, se campe devant le tableau, et commente : « Et bien oui, c'est évident… »

Je n'arrive pas à croire que cette stratégie soit bonne, et j'attends de mes collègues de bons arguments avant que j'imagine son utilisation. Personnellement, quand j'étais étudiant, j'ai toujours été extrêmement reconnaissant aux enseignants qui prenaient le temps et la peine de mettre toute leur intelligence au service des explications les plus limpides, les plus claires. Cela nécessitait du temps d'étude de ma part, mais au moins, je n’étais pas une vieille chaussette dont on se débarrasse dans un panier de linge sale. J'ai le plus grand mépris pour les enseignants paresseux, ou prétentieux, ou négligents, et je vois donc ainsi une règle absolue pour la préparation des textes d’enseignements des sciences de la nature, résumée dans cette formule de François Arago : 
« La clarté est la politesse de ceux qui s'expriment en public ». 





jeudi 5 avril 2018

Les sciences de la nature ? Il n'y a qu'une méthode !

Ces temps-ci, je vois nombre d'amis qui confondent rigueur et science.  La rigueur, c'est la rigueur, et Flaubert était rigoureux, ou Mozart, par exemple... mais ils n'étaient pas scientifiques pour autant. De la rigueur, on peut en mettre dans toute activité humaine, et c'est d'ailleurs le propre des gens que j'aime que de ne pas être des tas de viandes avachis, mais au contraire des êtres dressés autour d'une "colonne vertébrale" (quelle est la vôtre ?).


Pour la science, j'ai discuté dans mon livre Cours de gastronomie moléculaire N°1 : Science, technologie, technique (culinaires), quelles relations ?, la question du mot "science", que les sciences de la nature ont eu tendance à "confisquer"... mais il y a des sciences de l'humain et de la société, qui ne se confondent pas avec elles. Et l'on a le droit de parler de la "science du cuisinier", ce qui ne signifie pas que les cuisiniers soient des scientifiques... au sens des sciences de la nature.





Focalisons nous donc à partir de cette phrase sur les sciences de la nature.
Quel est leur objet, leur unique objet  ?

Chercher les mécanismes des phénomènes, par l'emploi de la "méthode scientifique". 



Et qu'est-ce que cette méthode ?


Elle tient en six points :
1. identifier un phénomène
2. le quantifier (tout doit être "nombré", disait déjà Francis Bacon)
3. réunir les données de mesure en équations nommées "lois"
4. produire des "théories" en regroupant les lois et en introduisant des "mécanismes", assotis de nouvelles notions, concepts... ; à noter que, évidemment, tout doit être quantitativement compatible avec ce qui a été mesuré en 2
5. recherche de conséquences logiques, testables,  des théories
6. tests expérimentaux de ces prévisions théoriques
7. et ainsi de suite à l'infini en bouclant, car une théorie n'est qu'un modèle réduit de la réalité, pas précis à l'infini (un exemple : Georg Ohm, à partir de ses mesures imprécises, a identifié la loi d'Ohm, mais quand, un siècle après, on y a regardé de plus près, on a vu que la relation entre la différence de potentiel et l'intensité électrique était plutôt sous la forme de marches d'escalier... et c'est l'effet Hall quantique).


Tout cela étant clair, on pourrait me demander : comment êtes-vous sûr que cette méthode est la méthode scientifique ? Ma réponse est que je soumets cette vision à tous les scientifiques du monde entier, dans les pays du monde, à raison d'environ 200 conférences par an, et jamais je n'ai eu de réfutation. Cela est publié... mais, surtout, c'est tiré de l'analyse des travaux des Lavoisiers, Faraday, Pasteur, Einstein, etc. Bref, ce n'est pas une invention personnelle.

D'autre part, on observera que la science (de la nature) ne se confond pas avec la technologie ou l'ingéniérie, ni avec la technique.
La technologie a une visée applicative que la science n'a pas. Je rappelle que la science cherche seulement les mécanismes des phénomènes ; elle ne cherche ni à produire des médicaments, ni à faire des ordinateurs, etc.
La technique, elle, est la production. Elle est améliorée par la technologie, qui prend les résultats de la science pour les transférer.
C'est notamment pour cette raison qu'il faut absolument combattre des terminologies comme "technoscience", qui sont aussi absurde que "carré rond". 

Et pour terminer, j'ajoute que chaque champ - science, technologie, technique- est merveilleux... quand il est bien fait. Il n'y a pas de hiérarchie, la science qui serait mieux, ou la technique, ou la technologie : on ne compare pas des pommes avec des bananes. Et il faut les trois pour que nous parvenions, dans la plus grande clarté intellectuelle, à faire demain un monde meilleur qu'aujourd'hui.

Vive la Connaissance produite, partagée, utilisée pour le bien de l'humanité !

mercredi 4 avril 2018

Fait-on de la science différemment selon l'idée que l'on s'en fait ?

Pour différents scientifiques, il y a différentes idées de la science. Par exemple, les physiciens les plus classiques ne sont pas les chimistes :  dans le premier cas, on s'intéresse à des lois universelles, tandis que, dans l'autre, on examine les caractéristiques moléculaires des objets,  en y repérant une foule de règles moins générales, mais parfaitement fondées et qui, parfois, "expliquent" les grandes lois. Quant aux biologistes, ils font leurs études en se souvent que "tout ce qui se rapporte au vivant doit s'interpréter en termes d'évolution".

Ces perspectives différentes conduisent à des expérimentations différentes, à des travaux scientifiques de types différents. Dans le premier cas, puisque l'on ne s'intéresse pas aux détails des objets, il est évidemment inutile de les caractériser en détail, car sur quelles caractéristiques faire porter  les analyses ? En conséquence, les articles de physique ne comportent pas de longues sections de « Matériels et méthodes ». En revanche, dans le second cas, les parties de «Matériels et méthodes » sont parfaitement essentielles, car les caractéristiques déterminent absolument les objets que l'on étudie. Il y a d'ailleurs une boutade selon laquelle que les physiciens font des expériences très propres avec des matériaux très sales, tandis que les chimistes font des expériences très sales, avec des réactifs très propres ; et l'on ajoute alors « et les physico-chimistes ? ». Pour les biologistes, je connais moins, de sorte que je laisse mes amis se déclarer.
Mais la blague précédente, si son fond est juste, est fausse dans sa forme, car les chimistes sont des scientifiques comme les autres, pour qui la méthode est de (1) identifier un phénomène ; (2) le caractériser quantitativement ; (3) réunir les données en équations nommées "lois" ; (4) chercher des mécanismes (notions, concepts) compatibles quantitativement avec ces lois ; (5) chercher des conséquences testables des théories ainsi produites ; (6) tester les prévisions expérimentales.
Pour en revenir à notre discussion, il y a donc bien une différence de pratiques entre les deux groupes, et il y  aurait également des différences avec les géologues, les biologistes, etc. Mais il y a plus.

Pour certains, qui sont dans le camp de Carl Popper, la question centrale de la science est la réfutabilité des théories, et il y a une manière de faire, qui consiste à douter des lois que l'on produit soi-même. Pour d'autres, qui acceptent (je ne sais vraiment pas pourquoi) l'idée de « vérité scientifique », il y a une pratique scientifique bien différente, parce que comment, alors, penser que tout est faux ? Plus généralement, j'ai exposé dans mon Cours des gastronomie moléculaire N°1 diverses idées que les scientifiques se font des sciences de la nature. Et, par ailleurs, j'ai discuté les diverses stratégies scientifiques. Evidemment il y  une relation entre ces deux groupes : le cadrage de nos activités scientifiques dépend de la position épistémologique que nous adoptons.
Seulement, à titre d'exemple, citons cette « abstraire et généraliser », qui consiste à vouloir immédiatement chercher des caractéristiques générales, des catégories : là, on part d'un objet local, et on cherche ensuite à en retrouver les propriétés. C'est bien différent de cette stratégie qui veut découvrir des objets, et conduira à passer beaucoup de temps à mettre au point des outils d’analyse, qu'il s'agisse de microscopes ou de télescopes, ou encore d'autres outils qui révéleront des caractéristiques des objets du monde : leur spectre d’absorption lumineuse, leurs propriétés d'adhérence, leur tension de vapeur….


Finalement, en dépassant la question stratégique et en arrivant à la question de l'évaluation, on voit qu'il est bon d'arriver au point où nous nous plaçons en rapporteur de nous même, et de nous demander  non pas seulement quelle activité scientifique, ou quel type d'activités, nous avons, mais pourquoi nous avons ce type d'activités.
Il est tout à faire remarquable que ce genre de discussions n'apparaisse jamais dans les articles scientifiques qui sont publiés, comme si les chercheurs devaient se résoudre un peu honteusement à des travaux strictement « techniques ». Le chimiste Jean Jacques, qui a fait toute sa carrière ou presque au Collège de France, a publié quelques ouvrages de réflexion sur sa pratique scientifique. Il s’agissait de livres très personnels, où, d'ailleurs, Jean Jacques mettait au premier plan la « sérendipité », c'est-à-dire cette chance qui sourit aux esprits préparés, cette attentions aux aléas expérimentaux. J'ai un peur que cette emphase n'ait été qu'idiosyncratiques.

Et c'est assez éloigné de ce que je propose de faire. Par exemple, dans nos documents de cadrage des travaux scientifiques, nommés DSR, il y a très rapidement, après le titre, l'énoncé de la question étudiée, et, surtout, les raisons pour lesquelles on fait cette étude.
Evidemment, on évitera des réponses convenues, telles celle qui justifie une étude de la couleur des aliments par une phrase qui dirait que la couleur est un paramètre essentiel de l'appréciation desdits aliments, ou celle qui justifie une analyse d'oignons par une phrase qui fait état du fait que les oignons sont les tissus parmi les plus consommés de l'alimentation humaine. Ce sont en réalité là des explications de nature technologique et non pas scientifique, et il vaut bien mieux s'interroger pour véritablement répondre honnêtement, même si cela est très difficile, à la seule question que doive se poser un scientifique : comment la science progressera-t-elle éventuellement grâce aux études que je propose de faire ?

Quelle stratégie ?

Un de mes amis se lamente que le public français doute de la science. Il se fonde sur un sondage publié par un grand quotidien national... et je l'interroge, tout d'abord, avant de discuter les idées qui ressortent du sondage : pourquoi le sondage a-t-il été produit ? Qui l'a produit ? Comment a-t-il été produit ? Pourquoi ses résultats sont-ils publiés en ce moment-même ?
En effet, je ne suis plus assez naïf pour croire que ce sondage soit venu sans intention, et je propose de bien interroger les circonstances, parce que nous risquons d'avoir des surprises : le monde de la communication est plein d'ambitieux, de malhonnêtes, d'idéologues... qui cherchent à nous influencer dans une direction qui les arrange.

Et, n'ayant pas les réponses à ces questions, je refuse absolument de discuter avec mon ami : ne cherchons pas à savoir la couleur des carrés ronds... puisque ces objets n'existent pas.

Pour autant, je suis heureux de discuter avec mon ami, intelligent et soucieux du bien collectif, parce que cette discussion me permettra de mieux de voir la tache aveugle de mes yeux... moi qui ne voit rien qu'un militantisme actif, même si je l'hybride avec des réflexions stratégiques. Oui, j'ai décidé d'être un "hussard de la connaissance", parce que je suis convaincu (une idée, pas une opinion molle) que c'est la clé des Lumières.

Et, en matière de stratégie de communication, en vue d'introduire plus de loyauté et de rationalité dans les débats publics, tout me ramène à un débat, sur une grande chaîne de télévision nationale, contre un "biologiste" (disons plus justement qu'il discutait de questions d'histoire naturelle)  malhonnête, lequel vendait  ses livres en même temps que l'idée des pouces verts, l'homéopathie, la mémoire de l'eau... 
J'ai compris ce jour là que je  n'avais qu'une possibilité : pour montrer quelque chose d'aussi chatoyant que mon opposant foireux (malhonnête), je devais montrer de l'expérience, encore de l'expérience, et toujours de l'expérience, d'où le style de mes conférences (en général), d'où le style de mes cours...
Et ces expériences doivent être les plus amusantes de la chimie... même quand elles n'ont rien à voir avec le sujet traité : c'est de la crédibilité que l'on gagne en montrait de véritables faits  : Jean de la Fontaine disait "Si Peau d'Âne m'était conté, j'y prendrais un plaisir extrême"... et il est vrai qu'amuser mes interlocuteurs permet de gagner du crédit, d'établir les faits (expérimentaux)... et de faire passer des messages rationalistes supplémentaires. Cela, plus beaucoup de gentillesse (le summum de l'intelligence, c'est la bonté et la droiture), beaucoup d'énergie, cela fera mon compte.
Un détail, d'ailleurs : en écrivant "rationaliste", je viens d'hésiter... parce que cela serait très mal ? Au contraire, c'est essentiel, car c'est seulement ainsi que l'on fera advenir ces Lumières qui permettent de lutter contre les tyrannies et les malhonnêtetés.
Soyons des Hussards de la connaissance !

mardi 3 avril 2018

La découverte des molécules et des atomes

On dit parfois qu'Albert Einstein a découvert atomes et molécules. Ou le physicien Jean Perrin. Bref, les physiciens créditent les physiciens de cette découverte.

Pourtant, c'est oublier des images comme la suivante :




 Il s'agit d'une des figures de "La chimie dans l'espace", de Jacobus Henricus Van't Hoff, un texte paru en... 1875, soit bien avant qu'Einstein ne fasse ses travaux ou que Jean Perrin n'étudie le mouvement brownien.  Et vous avez bien lu le titre ! Quatre ans avant, d'ailleurs,  Van't Hoff avait publié un article où il représentent les atomes de carbone d'une molécule de glucose, en indiquant même les angles entre les liaisons chimiques, et les distances interatomiques.

Mais, plus généralement, la France était terriblement en retard, sur le reste du monde chimique, notamment depuis que Marcellin Berthelot s'était opposé à cette idée de molécules composées d'atomes. En France, il avait eu quelques opposants, avec Würtz, Gerhardt, Laurent, mais Berthelot et sa clique, qui verrouillaient les postes, considéraient avec retard que la théorie était abusive. D'ailleurs, alors que Berthelot se vantait d'être un pionnier de la synthèse organique, la France était très en retard de ce point de vue (et Berthelot n'était certainement pas le pionnier qu'il prétendait être).


Bref, il ne faut pas reconnaître à Perrin d'avoir montré l'existence des atomes, puisque les chimistes la connaissait déjà depuis plus de 40 ans !

dimanche 1 avril 2018

Peser est un jeu


Dans nos expériences, nous devons souvent peser... et ceux qui connaissent l'histoire de la chimie savent combien cela est un acte scientifique important. Antoine Laurent de Lavoisier, par exemple, utilisa des balances extrèmement précises pour ses déterminations essentielles ; il ne cessa de faire des bilans de matière !





Après lui, les pesées sont devenues un art, parce que l'on chercha à minimiser les erreurs. Il y eut les améliorations techniques, les compensations, les doubles pesées... Au point que l'on parle sans exagération de "gravimétrie" comme d'une science de la pesée.

Bien au-delà des connaissances rudimentaires de nos jeunes amis qui n'ont que quelques années de rares travaux pratiques, et qui, face à des balances électroniques, ignorent tout de... tout en ce qui les concerne. Et ce n'est pas de leur faute, si la pesée s'apprend, car une bonne pesée est tout aussi difficile que par le passé... d'autant que l'on pèse bien autant avec sa tête, en réfléchissant, qu'avec ses mains.

Il faut penser à tout. A éviter des courants d'air qui fausseraient les mesures, que ces derniers viennent des pièces où l'on manipule, ou bien des hottes aspirantes sous lesquelles se trouvent les balances. A l'horizontalité des balances : on s'assure  que la balance est sur un support bien stable, sans vibration. A la suite de quoi on règle deux molettes qui sont à l'avant de la balance et au-dessous d'elle, afin qu'une bulle d'air dans un niveau vienne au centre de ce dernier, lequel est repéré par un cercle.

Quand la balance est ainsi stable, on l'allume, et on commence par la contrôler, ce qui signifie que l'on pèse un étalon afin de vérifier que la balance donne des indications cohérentes. Si c'est le cas, alors on peut procéder à la pesée, avec tare et répétition de la mesure.

Pour nombre d'étudiants qui sont gavés d'images de télévision où l'on voit des accélérateurs de particules géants, bourrés d'électronique, ces pesées semblent bien prosaïques, bien rudimentaires, et de ce fait bien en deça des fantasmes scientifiques qu'ils avaient, de sorte que ces pesées ne sont pas toujours aussi bien faites que l'importance de leurs résultats le réclame.

Faut-il brandir cette "importance" ? Ou bien, ne peut-on apprendre à "jouer avec les balances", c'est-à-dire à les utiliser au maximum de leurs possibilités ? Je ne sais pas, mais ce que je sais, c'est que nous devons redonner à la pesée toute l'aura qu'elle mérite, car "donnée mal acquise ne profite à personne" !