dimanche 20 mars 2016

Une série de question. La première

1. EŠtes-vous plutôt sucré ou salé ?

Ca commence dur,  parce que,  au fond,  je suis certainement beaucoup plus salé que sucré, mais je suis surtout  acide : ah, une quetsche au vinaigre au milieu de l'après-midi, un cornichon...
Cela dit, la question est compliquée,  à de nombreux titres.
D'abord, parce que je comprends mal l'intérêt d'y répondre. Je suis salé, ou sucré, ou acide, ou amer, ou les autres saveurs, mais qu'est-ce que cela peut bien faire à mes interlocuteurs ? En quoi le fait de répondre aura-t-il la moindre utilité ?
Et voilà pourquoi mes réponse ne peut s'arrêter à un goût personnel : il faut que j'y mette de quoi intéresser un peu.
Par exemple, il n'est pas inintéressant de savoir, je crois, que l'on a longtemps dit que la cuisine française ne faisait pas de salé-sucré, mais les analyses que nous faisons au laboratoire montrent que c'est complètement faux. Dans un bouillon de carottes, ce que l'on voit en premier, à  l'analyse, c'est du sucre, puis des acides aminés (qui ont des saveurs originales). De même pour l'oignon, par exemple. Et l'on sait bien que si l'on cuit des carottes ou des oignons,  il y a un goût sucré, qui est dûu aux glucose, fructose, saccharose, abondants dans tous les tissus végétaux. Par conséquent, il est faux de dire qu'il  n'y a pas de sucre est dans le salé.
C'est encore plus faux quand on voit E‰mile Jung, merveilleux chef alsacien, faire des sauces (il est considéré comme un des meilleurs sauciers) :  il ajoute toujours du sucre à la fin de son travail.
Pour ce qui me concerne, j'utilise beaucoup de glucose en cuisine, parce que le glucose n'est pas sucré comme le saccharose, le sucre de table, mais il est doux et donne de la longueur en bouche. J'ai toujours, à côté de ma cuisinière  un gros sac de plusieurs kilogrammes de glucose et j'en mets une cuillère, deux cuillères, etc. dans mes préparations. C'est doux, pas exactement sucré.
Enfin le mot sucré ne veut rien dire: il y a des sucrés, il y a d'ailleurs des salés, des acides, des amers, des piquants.

samedi 19 mars 2016

Si le résultat d'une expérience est ce que l'on attendait, on a fait une mesure ; sinon, on a (peut-être) fait une découverte !

Cette phrase est du chimiste Frank Westheimer (https://en.wikipedia.org/wiki/Frank_Westheimer).
Je ne suis pas certain que le « peut-être » soit de lui, et, d'autre part, je n'ai pas l'origine de la citation, qui m'a été donnée par mon ami Jean-Marie Lehn. Mais la phrase a beaucoup d'intérêt scientifique, parce qu'elle résonne avec toutes les parties du travail scientifique.
# Par exemple, quand on fait une expérience pour tester une conséquence d'une théorie, on espère...

La suite sur http://www.agroparistech.fr/Si-le-resultat-d-une-experience-est-ce-que-l-on-attendait-on-a-fait-une-mesure.html

vendredi 18 mars 2016

Faisons des tableaux : les cases vides sont une invitation à les remplir, donc à travailler !

 Quand on parle  de tableaux à un physico-chimique, il pense immédiatement à Dimitri Mendeleïev, ce chimiste russe qui fit une classification des éléments dans un tableau dit "périodique" et qui parvint ainsi à prédire l'existence de nouveaux éléments ayant des propriétés qu'il avait calculées, prédites par le calcul. D'autre part, si l'on parle de tableaux  à un Alsacien, il pense à ce psychophysiologiste strasbourgeois, Abraham Moles, qui avait érigé les tableaux en système, ce qu'il nommait des matrices d'inventivité. Si l'on parle de tableaux à une personne un peu systématique, elle réagit immédiatement de façon très positive, parce que l'on sait bien qu'un tableau, c'est une façon d'organiser des données, de mettre de l'ordre, et d'y voir plus clair, là où régnait le chaos, les ténèbres.
Oui, les tableaux ont ceci de merveilleux qu'ils permettent d'organiser les données, et de voir des groupes. Pour commencer, on pose les données les unes au dessous des autres ; puis on transforme chaque entrée en ligne : on obtient ainsi un tableau avec de nombreuses lignes,  mais avec une seule colonne.
Déjà, on peut s'amuser à changer l'ordre des lignes selon des critères structurants, afin de voir apparaître des groupes, des catégories.
Mais on peut aussi ajouter des  colonnes qui seront initialement vides,  et l'on aura ainsi produit des cases vides que l'on pourra chercher à remplir. C'est un principe que nous mettons en oeuvre systématiquement dans notre groupe de gastronomie moléculaire : systématiquement,  nous ajoutons au moins une ligne vide et une colonne vide à tous les tableaux que nous créons,  parce que c'est une façon de nous pousser à travailler, et non pas de découvrir  (par exemple,  des éléments chimiques), mais d'inventer.

Oui, les cases vides sont des invitations à les remplir,  à imaginer, à faire mieux, à faire plus. Et si l'on part du principe que nous sommes ce que nous faisons, cette pratique est merveilleuse :  si nous faisons mieux, c'est que nous sommes mieux. 

mercredi 9 mars 2016

Quand Pasteur était chimiste, une expérience pédagogique sur la scène de la Reine Blanche

Mes amis Ludovic Jullien et Clotilde Policar décrivent des mises en scène : 

1848. Pasteur, jeune chimiste à l’Ecole Normale Supérieure, fait une découverte inattendue sur les cristaux d’acide tartrique. Elle va contribuer à transformer la représentation que l’on a des molécules, qui deviennent des objets dotés d’une forme.
2016. Quatre étudiants de l’ENS se penchent sur ces travaux à partir d’un récit de Pasteur : reproduire les expériences, comprendre le contexte mais aussi retracer le moment particulier de la découverte. Biot, illustre chimiste, confiera son émotion au jeune Pasteur : « Mon cher enfant, j'ai tant aimé les sciences dans ma vie que cela me fait battre le cœur ».
Cette présentation des travaux novateurs du jeune Pasteur aura lieu le 20 mars à 11h au Théâtre de la Reine Blanche (2bis Passage Ruelle, 75018 Paris) dans le cadre du cycle "Scènes de sciences" (http://www.reineblanche.com/portfolio_page/scenes-de-science).
Ce spectacle marque l’aboutissement d’une activité pédagogique menée avec un groupe d’étudiants de L3 autour de l’émergence de la représentation tridimensionnelle des molécules à partir de textes historiques de Louis Pasteur. Cette activité répartie sur un semestre a amené à produire le texte de la pièce (qui verra jouer en particulier Eric Ruf, administrateur de la Comédie Française, mais aussi étudiants et encadrants), le diaporama et les expériences associées...

Ludovic Jullien et Clotilde Policar

dimanche 6 mars 2016

Je ne sais plus sous quelle plume j'ai lu ce paragraphe très faux

Habituellement, je note scrupuleusement l'origine des citations que je relève, mais je ne fais cela que lorsque cela en vaut la peine. Pour des textes moins intéressants, je ne prends pas cette peine... et c'est la raison pour laquelle je ne retrouve pas l'origine de ce paragraphe : "Je ne pense pas que la modélisation mathématique prédictive soit de nature scientifique. Je crois que c'est une prophétie moderne tout comme l'a été l'astrologie, utilisant les données de l'astrophysique. Elles sont invérifiables, ne se confirment jamais, et on ne peut jamais les contredire, car les données scientifiques contradictoires sont cachées ou alors elles génèrent la création de nouveaux modèles."

Pourquoi s'y arrêter ? Pourquoi commenter un tel texte s'il est si faux ? Parce qu'il pose une question lancinante, en science de la nature : celle de la modélisation. Son analyse permet, j'espère, de mieux travailler, à l'avenir.

Commençons par le début : "Je ne pense pas que...". Notre auteur ne le pense pas ? On se moque de ce qu'il pense ou qu'il ne pense pas (en science, pas de gourou, par d'argument d'autorité !), et la question n'est pas là. Elle est de savoir si la modélisation mathématique prédictive est ou non de nature scientifique... ce qui impose d'abord de savoir ce qu'est la modélisation, puis la modélisation mathématique, puis la modélisation mathématique prédictive, et, ensuite, de se demander si un tel objet peut être de nature scientifique.
La modélisation ? C'est l'activité de la science tout entière. Si nous identifions les phénomènes, si nous les quantifions, si nous réunissons les données en lois, et si nous faisons de ces lois des théories, aussi nommées des modèles, c'est pour identifier des mécanismes d'une autre façon que par pur arbitraire, et, d'ailleurs, les mécanismes identifiés se confondent avec les modèles.  Au coeur de la science, il  y a donc le modèle.
Mieux encore, au coeur des sciences quantitatives, que  l'on nomme aussi des sciences de la nature, il y a des modèles mathématiques, tant il est juste que, au coeur de l'activité scientifique, il y a cet éblouissement/hypothèse selon lequel "le monde est écrit en langage mathématique".
Modèle mathématique prédictif ? Tout modèle, dans la mesure où il est fait d'équations qui s'appliquent (voir les billets consacrés aux ajustements) dans des cas où l'expérience n'a pas été faite (un nombre réellement infini, donc), est donc nécessairement prédictif... et c'est précisément cette exposition à la réfutation qui fait qu'il est scientifique. Un modèle mathématique non prédictif serait tautologique, et non scientifique !
Mais, en réalité, je finasse, parce que notre auteur visait surtout les modèles de climat, et nous devons nous intéresser à ces derniers, plus spécifiquement. Nos collègues climatologues sont face à des questions très compliquées, parce que les paramètres sont innombrables. De ce fait, ils doivent faire de nombreuses approximations pour obtenir des modèles approchés. Approchés, pour comme dans n'importe quelle science !
La capacité prédictive de ces modèles ? Elle est la même que pour n'importe quel autre modèle, mais là n'est pas la question. Ce que l'on sous-entend souvent, c'est que ces modèles sont moins bons que d'autres. Peut-être, je ne suis pas spécialiste. En revanche, ils sont tout autant "scientifiques", précisément parce qu'ils sont prédictifs.

Notre auteur de continuer : "Je crois qu'il s'agit d'une prophétie moderne comme l'a été l'astrologie à un moment donné, utilisant les données de l'astrophysique".
En réalité, il confond les modèles de climat et leurs prévisions. Pour un modélisateur scientifique, la prévision donnée par un modèle est une prévision qu'il faut tester par confrontation avec l'expérience. Un point c'est tout. C'est donc une critique infondée qui est faite.
D'ailleurs, il y a confusion entre les modèles et ceux qui les utilisent. Et une différence avec les prophéties, dont la définition est : "Annonce d'événements futurs par une personne sous l'inspiration divine". Les climatologues n'ont pas d'inspiration divine : ils font leur travail de modélisation mathématique, parfaitement scientifique.

Enfin "Elles sont invérifiables, ne se confirment jamais, et on ne peut jamais les contredire, car les données scientifiques contradictoires sont cachées ou alors elles génèrent la création de nouveaux modèles." Au fait, à quoi se rapporte ce "Elles" ? Dans le texte de l'auteur, le seul féminin pluriel est "les données astrophysiques". Quoi, les données astrophysiques seraient invérifiables ? Allons, un peu de sérieux ! Quand un satellite ou un télescope enregistre des rayonnements, cela est parfaitement vérifiable, au contraire, parfaitement vérifié, même. Contredire une donnée ? Allons : on peut contredire une personne, pas une donnée. On peut montrer qu'une mesure est fausse (les mesures sont d'ailleurs toujours fausses par principe, puisque la valeur mesurée est approchée, aussi près que le permet la précision de l'instrument, mais pas plus), mais on ne la contredira pas.  Ce que montre cette phrase, donc, c'est combien l'auteur du paragraphe est approximatif... d'autant que son "Elles" aurait dû être sans doute un "Elle", pour faire référence à la modélisation mathématique, ou un "aux" s'il avait évoqué explicitement les "modèles de climat". La fin de la phrase ici discutée est également intéressante : en science, la réfutation conduit toujours  à de nouveaux modèles, et c'est même là l'objectif que l'on vise : remplacer une théorie, un modèle, par une théorie "meilleure", en ce sens qu'elle décrit mieux (mais toujours de façon insuffisante, par principe) les phénomènes.

En cours d'article, on lit aussi "tous les modèles se sont révélés faux". Et oui, en science, tous les modèles sont "faux", disons insuffisants ou approchés si l'on préfère, mais la question n'est pas de faire des modèles "justes", ce qui serait un fantasme au moins aussi grand que de croire qu'une mesure puisse être juste. En science, d'ailleurs, les adjectifs sont interdits, et l'on doit répondre à la question "combien ?". Combien faux ? Combien juste ? Là est la seule question.
D'ailleurs, ne confondons pas l'activité scientifique, et l'utilisation de la science à des fins que je propose de qualifier de technologique.  C'est bien souvent l'utilisation de la science qui engendre des discussions, et pas la science elle-même. Ce qui pose la question des "experts" et du détournement trop fréquent de leur discours par les agences d'état en charge des champs techniques : l'aliment, le médicament, le climat...  Mais c'est là une question différente, politique, épineuse. Et je repars à mes études... de modèles insuffisants que nous devrons perfectionner.

mercredi 2 mars 2016

Ne pas confondre

Ce matin, je suis un peu désolé, parce que des élèves qui préparent un TPE, alors qu'ils me disent être au bout de leur travail, confondent cuisine moléculaire et gastronomie moléculaire.

Moi qui croyais être clair !

J'avais préparé un document, mais, du coup, j'ai préparé une image, pour ceux qui ne comprennent pas bien ce qu'ils lisent (j'ai repris mon document : les mots sont pourtant clairs) :