mardi 2 septembre 2014

Je saurai attendre pour boire mes vins d'Alsace.

Cet été, mes amis viticulteurs, en Alsace, m'ont fait goûter des vins d'Alsace vieux (1996, par exemple).
Stupéfaction !  Dans les années 1960 ou 1970, les vins étaient souvent trop soufrés, et ils donnaient parfois mal au crâne. Mais ils se conservaient encore mal. Cette fois, la démonstration était faite que la conservation n'était plus un problème, au contraire !
Les gewurtztraminer, souvent un peu doux, avaient perdu cette rondeur de jeunesse pour prendre une corpulence parfaite, qui laissait voir les véritables formes élégantes du cépage. Mieux, les riesling, que je trouve souvent faibles quand ils sont jeunes, avaient pris un merveilleux caractère, tout d'élégance.

Décidément, merci à mes amis viticulteurs : mon idée est changée. Du coup, toutes mes bouteilles de vin d'Alsace sont partis dans la rangée inaccessible, celle de derrière, pour attendre dix ou vingt ans, voire plus.
Je ne boirai plus de vins d'Alsace jeune : je saurai attendre !

vendredi 29 août 2014

Si la notion de molécule est inconnue du public, comment celui-ci pourra-t-il décider raisonnablement de l'utilisation d'organismes génétiquement modifiés ?


Dans un billet précédent, je discutais ce fait essentiel : les « petits marquis » (on pourrait dire aussi « les intellectuels coupés du reste du monde ») que sont certains d'entre nous doivent être conscients que, en première approximation « le monde » ne comprend pas ce qu'ils font. Je ne dis pas, évidemment, avec morgue ou supériorité, que le public est ignorant, mais je dis qu'il ne connaît pas les sciences. Il a pourtant d'autres connaissances. Par exemple, un confiseur sait parfaitement le degré exact de changement de la matière qu'il travaille, quand il fait un fondant... mais il ne sait pas résoudre des équations ; et, inversement, un physicien serait bien incapable de faire un feston en sucre filé. De même pour un ébéniste, un garagiste...
Toutefois c'est un fait que notre monde est plein de techniques avancées, pour lesquelles des choix doivent être faits collectivement. Et c'est un fait que les objets techniquement avancés ne sont « compréhensibles » que si l'on dispose de connaissances scientifiques que peu ont, malgré les efforts admirables de l'Education nationale.

Bref, le public connaît mal les sciences et les technologies : c'est un fait. Or, dans un billet précédent, j'avais pris l'exemple de la différence entre composé et molécule, très généralement incomprise en dehors du cercle des chimistes. Nous devons tirer les conséquences de l'observation selon laquelle cette différence n'est pas comprise/connue : si le public ignore ce qu'est une molécule, comment pourrait-il comprendre ce qu'est l'ADN ? Du coup, comment peut-il comprendre ce que sont les OGM ?
Et si le public ne « comprend » pas ce que sont les OGM, comment peut-il rationnellement refuser une technique qu'il ignore (car beaucoup « refusent » l'utilisation des OGM, ou des PGM (plantes génétiquement modifiées)) ?
Soyons plus positifs : comment expliquer à notre entourage ce qu'est l'ADN, afin que les décisions prises collectivement le soient en connaissance de cause  ?

L'ADN étant une molécule dans une cellule, l'expérience semble devoir montrer qu'il faut d'abord expliquer ce qu'est une cellule. Je ne suis pas certain  (on aura compris qu'il s'agit là d'une figure de rhétorique) que l'ensemble de nos concitoyens savent que les levures (pas les poudres levantes !) sont des cellules, de petits sacs vivants ! Vivants ? L'explication est difficile mais on n'aurait pas tort, je crois, de commencer par dire que la possibilité d'une reproduction est essentielle. Évidemment je n'utiliserais pas le mot « reproduction » si je veux me faire comprendre, parce qu'il a plus de trois syllabes, et je préfère me contenter de dire qu’une cellule est un objet petit, visible au microscope et qui, à la bonne température et en présence de nutriments (là, il faut expliquer), grossit, grossit encore, puis se divise en deux objets identiques au premier. Mieux encore, je ne crois pas inutile de montrer, encore et encore, des images de cette division ou, mieux, des films ! Par exemple, j'ai trouvé ceci : www.snv.jussieu.fr/vie/images_semaine/imagealaune_38/imagealaune_38.html

Cela étant fait, sans oublier notre objectif (expliquer ce qu'est l'ADN), pourquoi ne pas nous limiter, dans un premier temps, à interroger nos amis -au lieu de leur déverser des connaissances ex cathedra-  en leur demandant comment la division qu'on leur a montrée a pu avoir lieu ?
La notion de molécule étant acquise (voir le billet antérieur), ne pourrait-on alors indiquer (OK, le chemin est long) comment un simple bricolage permettrait de construire une cellule, par exemple à l'aide de ces molécules de lécithine, dont on pourrait faire une vésicule ? Puis, d'autre part, à partir  de l'idée de molécules, ne pourrions-nous pas arriver à celle d'ADN, et, mieux encore, à celle d'ADN auto reproducteur ? Il resterait alors à mettre un ADN auto reproducteur dans une vésicule auto reproductrice et l'on aurait...  l'objet que  je rêve de voir un jour, à savoir une cellule vivante artificielle.
Je sais qu'un tel exploit ne réfutera pas le vitalisme, mais en associant la présentation de cette réalisation à des idées sur le mouvement moléculaire d'origine thermique, je crois que nous aurions avancé.

dimanche 17 août 2014

La loi n'est pas la fin de la science



L'avantage, quand on est « insuffisant », c'est que l'on a la possibilité de s'améliorer. L'avantage, quand on n'a pas de maître, c'est que, certes, on fait des erreurs qu'il nous aurait peut être évitées, mais que, si l'on traque le « symptôme », on peut progresser.
Je me souviens ainsi d'un jour où je lisais un manuscrit d'article scientifique qu'une revue m'avait demandé de « rapporter ». Je lisais donc d'abord l'introduction, m'assurant que la question posée était claire, que la bibliographie avait été bien faite. Puis je regardais attentivement la partie « Matériels et méthodes », afin de m'assurer que les informations étaient suffisantes, que toutes les précautions méthodologiques avaient été bien prises par les auteurs. Je passais aux résultats, et m'assurais que rien d'exagéré n'était produit, que les résultats correspondaient donc bien aux méthodes mises en œuvre, que le traitement statistique était bien fait. Puis je lus la discussion, pour voir si tout était cohérent.
Tout allait bien. Certes, il y avait des détails à corriger, mais rien de bien grave... sauf que je trouvais l'article médiocre.
Logiquement, j'aurais dû dire à l'éditeur que l'article était acceptable, mais quelque chose me retenait. Quoi ? Je ne savais pas. De sorte que je décidais de lire une fois de plus, et je ne retrouvais que bien peu de choses supplémentaires à corriger. Je mis le manuscrit dans mon cartable, et décidai de laisser passer la nuit.
Le lendemain matin, dans l'autobus, je le sortis de mon cartable, je le relus... et tout s'éclaira ! Les auteurs avaient caractérisé un phénomène, et ils n'avaient en réalité pas considéré les mécanismes compatibles avec les lois qu'ils avaient dégagées ! Ce n'était donc pas un travail scientifique, en quelque sorte, mais seulement une étape sur le chemin scientifique.
A la réflexion, ma réaction était injuste* : tout ce qui figure sur le chemin de la science (observation de phénomènes, caractérisation quantitative, réunion des mesures en lois synthétiques, recherche de mécanismes, prévision théorique, test expérimental de ces prévisions) est un bout de science, et mérite donc publication, parce que cela fait avancer le travail.


* En réalité, pas complètement : ajuster des données par une fonction, comme les auteurs l'avaient fait, nécessite d'avoir une raison de choisir cette fonction particulière !


vendredi 15 août 2014

Quelle est la question à laquelle je ne pense pas ?


Quand  on effectue des travaux scientifiques, la question posée en titre s'impose à nous à chaque instant.

Un exemple récent : un étudiant en stage au laboratoire devait utiliser de l'acétaldéhyde pour une expérience. Il avait prévu de peser une certaine quantité d'acétaldéhyde, de la mêler à une certaine quantité d'eau en vue d'une expérience ultérieure.
Tout cela semble bien anodin, mais quand on manipule des quantités aussi petites que des milligrammes, ce qui est à peine pesable sur des balances de grande précision, tout ce complique. En particulier, notre ami ignorait que l'acétaldéhyde peut s'évaporer,  de sorte que la quantité finalement présente au cours de l'expérience  pouvait différer notablement de  celle qu'il voulait utiliser. 
Je lui ai donc conseillé de faire une expérience préalable, qui consistait à poser un verre de montre sur une balance de précision, à déposer une goutte d'acétaldéhyde, et à peser à intervalles réguliers.

A ce stade, on voit déjà qu'une certaine culture s'impose, pour faire l'expérience : qui ignore que l'acétaldéhyde s'évapore rapidement, surtout en été,  quand il fait chaud dans le laboratoire, n'aurait pas eu l'idée d'aller faire cette expérience préliminaire. Bien sûr, une bonne méthodologie peut nous aider. Par exemple l'emploi de l'acétaldéhyde doit être précédé de la lecture des fiches de sécurité lesquelles ne montrent pas de toxicité particulière, mais signalent les inflammabilités, des pressions de vapeur saturante, etc. Une lecture critique de ces données aurait pu faire penser que l'acétaldéhyde s'évaporait,  et qu'il valait donc mieux en suivre l'évaporation, afin, ultérieurement , de connaître les phénomènes pouvant survenir lors de l'expérience.

L'étudiant fit donc l'expérience, et, consciencieusement, il releva les masses au cours du temps. Pourtant, tout était faux, encore une fois par ignorance (j'insiste : ce n'est pas une faute, seulement une caractéristique universelle que nous pouvons nous efforcer de combatttre) : voulant bien faire, il utilisa une balance placée sous une hotte aspirante, afin d'éviter la toxicité de ce composé organique. Toutefois les balances de précision sont très sensibles aux courants d'air, et celle-ci étant placée dans un courant d'air constant, elle marquait une valeur constamment fausse. Notre ami aurait été alerté si la balance avait divagué... mis elle divaguait de façon invisible.  Il fallait arrêter l'aspiration pendant la mesure, et la réarmer juste après.

Toutes précautions prises, notre ami observa une diminution rapide de la masse, dans un premier temps, avant une diminution plus lente.
Il se mit à imaginer mille phénomènes compliqués... omettant la possibilité que le petit volume enclos dans la balance (il y a des portes en verre que l'on ferme pour éviter les courants d'air) pouvait se saturer de vapeur d'acétaldéhyde. Une fois la pression de vapeur saturante établie, l'évaporation devait ralentir, le liquide étant en équilibre avec la vapeur. Autrement dit, notre ami ne mesurait pas l'évaporation libre de l'acétaldéhyde, mais plutôt l’établissement de l'équilibre entre le liquide et la vapeur. Il aurait fallu garder la balance ouverte, afin que les vapeurs soient éliminées, et, mieux, utiliser un léger courant d'air pour entraîner les vapeurs afin qu'elles ne modifient pas l'évaporation.

Cette fois, notre ami aurait-il pu dénicher le diable caché dans les détails expérimentaux ? Là encore, il fallait connaître la pression de vapeur saturante, et analyser le système. L'analyse n'est pas le plus difficile pour un esprit clair, mais la connaissance de pression de vapeur saturante s'invente difficilement, et, surtout, elle aurait imposé de retracer le chemin de nombreux grands scientifiques du passé. L’enseignement scientifique sert précisément à cela : nous mettre, nains, sur les épaules de géants.

Finalement, la question « quelle est la question à la quelle je ne pense pas », est une question terrible, puisqu'elle nous renvoie à notre culture scientifique, puisqu'elle nous dit que nous ferions bien de ne rien ignorer des travaux de ceux qui nous ont précédés. Nous pouvons avoir confiance dans notre esprit analytique,  mais cela est insuffisant, et nous serions bien avisés de compter sur les forces de la collectivité, celle de notre temps comme celle du passé, celle des différents laboratoires du monde, pour parvenir à des expérimentations fiable.
Dans les publications scientifiques, le rôle des rapporteurs est essentiel, puisqu'il permet parfois de  pointer ainsi les taches aveugles que nous avions. Bien sûr, nous avons intérêt à grandir, mais pourquoi nous priver du bonheur de collaboration  avec des collègues remarquables ?

Procès

Il faudra que les journalistes commencent à se méfier : le "quatrième pouvoir" n'a pas la liberté d'écrire n'importe quoi :


‘Pink Slime’ Defamation Suit Subpoenas Hit Food JournalistsFive food journalists have been subpoenaed by Beef Products in its defamation lawsuit against ABC News over its reporting about the meat product referred to as “lean, finely textured beef” by industry but dubbed “pink slime” in the popular press.

Naturel ? Du commerce !

Dans le Washington Post, un artible de Roberto A. Ferdman (24 juin 2014) :

The word “natural” helps sell $40 billion worth of food in the U.S. every year—and the label means nothing


 Je traduis : rien ne fait autant vendre aux Américains que le mot fabuleusement ambigu "naturel". Parmi les 35 propositions santé ou alimentation, il y a des mots tels que "naturel", "bio", "sans graisse", "écologiquement responsable"... Ces indications permettent de vendre pour plus 377 milliards de dollars d'articles aux Etats-Unis, pour la seule dernière année (source Nielsen).

L'industrie alimentaire américaine vend pour 41 milliards de dollars, chaque année, d'aliments dont l'étiquetage porte ce mot, et le mot n'a pas de définition par la Food and Drug Administration. Cette dernière indique sur son site : "D'un point de vue scientifique, il est difficile de définir un produit "naturel", parce que l'aliment a certainement été transformé, et qu'il n'est plus le produit de la terre.

Bref, tous les pays reconnaissent que l'industrie alimentaire ne fait pas bien, de ce point de vue.

Il faut le dire  : aucun aliment n'est naturel !

mercredi 13 août 2014

On n'a pas assez enseigné la micro-chimie.


Les travaux pratiques de chimie ? Il y en a autant de sortes que d'établissement... mais je m'étonne du résultat : sans sourciller, les étudiants qui ont été formés par ces séances utilisent des expériences qui utilisent des grammes ou des dizaines de grammes de réactifs, et des centaines de grammes de solvants. Tout cela est très fautif !
En quoi ?
D’abord, les réactifs coûtent parfois extraordinairement chers, de sorte qu'il y a une indécence économique à procéder sur de telles quantités. D'autre part, les solvant doivent être recyclés, ou jetés, ce qui pose des problèmes de pollution, mais, aussi, ils exposent les expérimentateurs à des vapeurs dangereuses, d'autant plus dangereuses que les volumes de solvant ont été grands. Et puis il y a le risque d'explosion et d'intoxication, toujours présent, et qu'il faut réduire autant que possible : alors qu'un milligramme de produit ferait une explosion anodine, un gramme suffit à endommager un bâtiment, à mettre des vies en danger !
Il est donc tout à fait anormal de faire des expériences qui utilisent des quantités de produit du même ordre de grandeur que celle qui sont utilisées lors de trop nombreux travaux pratiques. Des travaux pratiques qui font manipuler des quantités de l'ordre du gramme sont de la mauvaise formation, en plus des risques que l'on fait courir aux étudiants. Bien sûr, on peut choisir des expériences pour lesquelles le danger est limité, mais elles ne préparent alors pas aux véritables travaux de chimie. Dans la vraie vie, dans la vraie vie scientifique au quotidien, on ne manipule pas de telles quantités, et si les étudiants n'ont pas appris à manipuler de très petites quantités, alors ils ne sont pas préparés.
Une des raisons pour lesquelles la chimie physique s'est dotée d'appareils d'analyse capables d'identifier les produits en très petite quantités est précisément la nécessité de réduire les quantités à utiliser lors des expériences. La conclusion s'impose : les enseignants de chimie ou de chimie physique ne doivent pas proposer aux étudiants en travaux pratiques d'utiliser des quantités notables de produits ou de solvant.
Évidemment, au lieu de dénoncer des fautes, nous ferions mieux d'encourager la communauté tout entière à apprendre la microchimie aux étudiants. Cela passe par une rénovation des matériels, car il est vrai que les ballons où l'on manipule des milligrammes sont bien différents de ceux où l'on manipule des grammes.

Dans les laboratoire de chimie, chassons les verreries susceptibles de contenir plus que quelques grammes au total !