mardi 24 mars 2009

Questions de sécurité

Je reçois cette belle question :

Que pensez vous des problemes de Blumenthal (fermeture de son restaurant...400 clients pretendants avoir été intoxiqué ?)
La cuisine 'moléculaire' est elle plus risquée en terme d'hygiène que la cuisine classique ?
Le dosage des produits doit il être aussi regardé en apport des rosques d'intoxication ?


Et voici ma réponse :

Un point, tout d'abord : on ne convainc pas des gens qui ne veulent pas être convaincus.
Donc je ne m'adresse à vous que parce que je suppose que vous êtes bienveillants, et intéressés honnêtement (contrairement à quelques journalistes dont l'a priori est sidérant, vu leur métier qui devrait être d'investigation).

Les faits, d'abord :
Un client a rapporté un virus de voyage, et il l'a transmis à une quarantaine de personnes.
Quand Heston Blumenthal a annoncé qu'il offrirait un repas à toute personne ayant été malade dans son restaurant (une vraie erreur!), alors 400 personnes environ se sont signalées.
Le restaurant a été fermé (ce qui est courageux), il est aujourd'hui réouvert... et fonctionnera de la même façon qu'avant, parce qu'il n'y a pas lieu de changer.

L'analyse : la cuisine moléculaire, c'est une cuisine qui fait usage de nouveaux ustensiles, ingrédients, méthodes.
Comparons donc l'ancien et le nouveau.

L'usage de chinois, où les micro-organismes vont se loger entre les mailles, le barbecue, qui dépose des benzopyrènes cancérogènes sur les aliments, la noix muscade, dont la myristicine peut tuer, la pomme de terre, dont la peau contient de la solanine toxique, le gaz, avec ses risques d'explosion, les tuyaux en plomb, qui causent du saturnisme, les conserves avec le risque de botulisme, et je m'arrête là tant il y en a.
Il est important que la tradition n'est pas une garantie de sécurité, au contraire :
- d'une part, l'esclavage est traditionnel... et il n'est pas bon
- d'autre part, nombre d'aliments traditionnels confectionnés ne passeraient pas les tests de sécurité s'ils tombaient sous le coup des "novel food".
- la modernité augmente l'espérance de vie d'un trimestre par an tous les ans

La cuisine moléculaire? Aucune raison qu'elle soit plus dangereuse.
Oui, l'azote liquide est à -200°C, et l'on perdrait des yeux si l'on avait des projections dans l'oeil... mais c'est la raison pour laquelle, de la même façon qu'on ne fait pas sortir le gaz pendant des heures avant d'y mettre le feu, on met des lunettes quand on manipule l'azote liquide. Ce n'est pas plus dangereux que de courir avec un couteau pointe en l'air!!!!!!
Les alginates et autres gélifiants? Les populations asiatiques en utilisent depuis des millénaires... et elles ne sont pas moins bien que nous! D'ailleurs, pourquoi la gélatine serait-elle saine, à ce rythme?
Les "additifs"? La catégorie est hétérogène, mais le E460 est de la chlorophylle certainement plus pure que le vert d'épinard préparé dans les cuisines!.
Et puis, au fond, il faut regarder cas par cas. Savez vous, par exemple, que la première opération de la production du sucre (lequel ne fait peur à personne) est nommée "défécation" (quel joli mot!), et consiste à verser de la chaux dans le mélange d'eau et de betterave broyée, afin de faire sédimenter les particules? Pourquoi ne s'inquiète-t-on pas de la chaux utilisée, qui, il faut le dire, n'est pas plus "naturelle" que la carotte ou le navet?

Bref, vous avez raison de vous interroger, et je vous remercie de me donner l'occasion de dire ici que la cuisine moléculaire n'est ni mieux ni moins bien que la cuisine classique.
Bien faites, la cuisine classique et la cuisine moléculaire sont parfaitement acceptables. Mal faites, elles sont toutes deux dangereuses.

C'est pour cette raison qu'il faut DAVANTAGE de chimie, c'est à dire de connaissance (puisque la chimie, ce ne sont pas des produits, mais une science, donc une activité de recherche de connaissances, que l'on peut ensuite distribuer aux praticiens pour qu'ils en fassent bon usage).

Vive la chimie!!!!

dimanche 22 mars 2009

Un site, enfin!

La fonction d'un blog, c'est d'émettre des messages réguliers, sur un thème.
En revanche, la fonction d'un site, c'est notamment de procurer des informations variées, organisées non pas chronologiquement, mais fonctionnellement.
Un tel site vient d'être créé à l'adresse : http://sites.google.com/site/travauxdehervethis/
N'hésitez pas à le visiter et à m'indiquer des modifications qui vous sembleraient nécessaires.

dimanche 8 mars 2009

Vient de paraître


Nous sommes bien d'accord : les scientifiques doivent produire des connaissances, et non perdre leur temps à faire de l'épistémologie, ce qui est une activité de philosophes.
Ce n'est pas que la philosophie soit moins bien que la science, mais simplement que la science est la science, et la philosophie la philosophie. Si l'on est scientifique, c'est pour faire de la science.

Pour autant, il y a des choses qui méritent d'être dites, sur la pratique de la science, ses "raisons". Je propose quelques idées dans le livre qui vient de paraître :
La sagesse du chimiste

Hervé This


Chapitre 1.
La chimie, entre sagesse et folie
Le chimiste sage sait la nature de son activité
La chimie est une science expérimentale
La chimie n’a pas toujours été ce qu’elle est
A la conquête des airs
Des goûts et des couleurs
Le cycle des transformations, symbolisé par le phénix ?
La science n’est pas technologie, même si elle a des applications
Le chimiste sait manier le langage de sa science
Questions de mots
Au bout des doigts, l’esprit
Manipuler !
L’amélioration de l’esprit
Au début était l’expérience

Chapitre 2.
La chimie transforme la matière
La chimie, fille du canon
La chimie n’est pas une collection de papillons
Oui, les molécules sont belles… parce que leur structure détient les clés de leur réactivité
Les leçons de l’évolution
Et dans l’enseignement


Chapitre 3.
Ascétisme et rigueur ?
Sans compter… le calcul
De l’expérience à la loi
La pureté
L’existence indémontrable des molécules

Chapitre 4.
Le chimiste sage sait les limites de sa science
La biologie n’est pas la chimie, puisque celle-ci n’est pas la biologie
La chimie, science modeste

Chapitre 5.
Le chimiste est fou parce qu’il vit dans un autre monde
Mais il y a une composante artistique
Et une composante d’amour


Chapitre 6
La chimie n’est pas la cuisine
La cuisine n’est pas de la chimie
Le chimiste sage n’admet pas l’argument d’autorité
Qui doit cuisiner : le cuisinier ou le chimiste ?
Ne pas manger dans les laboratoires

Chapitre 7.
Et demain ?
L’albumine n’existe pas
La fin d’une spécificité organique
La création de la vie ?

Bibliographie

Apprendre dans une école d’ingénieurs ?

Soyons simples, avant de tout compliquer. Une école d’ingénieur forme certainement des cadres, des banquiers, des hommes politiques… mais elle forme aussi des ingénieurs ! D’ailleurs, si les écoles d’ingénieurs conduisent à des postes de responsabilité importants pour la vie de la nation, n’est-ce pas, surtout, parce que sortent de ces écoles des personnes qui ont voulu acquérir, en travaillant, des connaissances opératives, des méthodes rationnelles, donc applicables dans de nombreux aspects de la vie de la nation ?
La question est compliquée. Abandonnons-là pour l’instant, et revenons au constat : les écoles d’ingénieurs forment des ingénieurs. De quoi s’agit-il ?
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Pour la partie « technique » du métier d’ingénieur, il y a de nombreux aspects, mais, a priori, il s’agit d'abord d’orchestrer la production et d’innover, afin que cette production se fasse dans des conditions modernes.
Oui, on peut travailler le métal à la main, mais une société qui ferait ainsi serait submergée par la concurrence, laquelle utiliserait des machines. Survivre dans le monde industriel, c’est innover… d’où l’emphase mise sur ce mot « magique » dans le monde industriel.
Une conclusion s’impose alors aux écoles d’ingénieurs : puisque les ingénieurs devront innover, qu’enseigner aux futurs ingénieurs ? A innover, notamment.
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Considérons les relations (simples) de la technique, de la technologie, de la science.
La technique, c’est le faire, la production : le mot techne, en grec, signifie « faire ».
La technologie (il suffit de lire le mot pour comprendre), c’est l’étude de la technique… évidemment en vue de son perfectionnement, de sa rationalisation.
La science, enfin, c’est la science, c’est-à-dire la recherche des mécanismes des phénomènes, par l’usage de la méthode scientifique.
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Observons que la technologie n’est pas la technique (ce qui semble clair), mais qu’elle n’est pas non plus la science.
Pourquoi, alors, les élèves ingénieurs pratiqueraient-ils la science ? La méthode de la « formation par la recherche » (tarte à la crème de l'enseignement supérieur) doit être questionnée.
Une métaphore pour commencer : l’expérience professionnelle conduit à donner des réflexes, fondés précisément sur la confrontation répétée avec des situations analogues, reconnues comme telles. En gros, on se fait des « cals » pour éviter les ampoules.
Du coup, imaginons que les élèves ingénieurs pratiquent la science au cours de leurs études, ils auraient des cals appropriés à la science (recherche des mécanismes)… mais pas à l’innovation ! Et c’est un fait que, personnellement, mes enseignants à l’ESPCI nous ont plus d’une fois répété que nous apprendrions ensuite, sur le tas. A quoi bon, alors, suivre des enseignements qui ne forment pas aux compétences nécessaires ?
Révisons la question de la science dans les écoles d’ingénieurs. S’il faut innover, il faut des connaissances pour innover, et une méthode pour transformer ce savoir en techniques, méthodes… C’est là une des branches de la technologie : le transfert technologique. Bien sûr, si l’on dispose de connaissances anciennes, il y a fort à parier que d’autres, avant nous, auront fait le transfert innovatif. Il faut donc transmettre aux étudiants des connaissances nouvelles, de pointe, afin qu’ils puissent ensuite en faire des applications innovantes, modernes.
Conclusion : c’est la science la plus moderne qu’il faut que les écoles d’ingénieurs transmettent aux étudiants.

Ce n’est pas suffisant, bien sûr : il faudra enseigner la méthode de transfert. Qui peut l’enseigner : des personnes qui la connaissent bien, ou des personnes qui ne la connaissent pas bien ? Les premières, semble-t-il ! Or les premières sont des personnes qui ont du succès, qui ont fait leurs preuves dans ce transfert. Ce sont les ingénieurs les plus remarquables que les écoles d’ingénieurs doivent inviter, en leur demander de formaliser leurs connaissances, de proposer un savoir théorisé, et non seulement des exemples.
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Cette réflexion s’assortit d’une réflexion sur les stages. Où faire des stages, quand on est élève ingénieur ? Si le métier d’ingénieur est dans le transfert technologique et l’innovation, alors il faut sans doute avoir fait un stage où l’on découvre des techniques de pointe, scientifiques, afin de pouvoir faire du transfert, ultérieurement, mais il faut aussi un stage industriel, où l’on découvre non pas le monde industriel, comme une tarte à la crème le dit parfois, mais plutôt du transfert !

Merci de bien vouloir m'aider à corriger des idées simples ("tout ce qui est simple est faux, mais tout ce qui est juste est inutilisable").

dimanche 15 février 2009

Les sciences appliquées sont comme des carrés ronds : elles n'existent pas!

Je sais, il y a des centres d'enseignement et de recherche scientifique et technologique nommés INSA, en France, et il y a des chaires de "sciences appliquées", ou "applied sciences", en France ou à l'étranger, mais quelle confusion!

S'il y a science, il y a recherche des mécanismes des phénomènes, et non pas application, tandis que, s'il y a application, il y a application, et non pas science, mais technologie. Les sciences appliquées n'existent donc pas, alors qu'il y a des applications des sciences.

Le constat est terrible : que penser de tous les endroits universitaires ou apparentés, où traîne le mot "science appliquée"? Suis-je un petit esprit, de ne pas pouvoir accepter l'idée des sciences appliquées, ou bien ai-je raison de suivre ce grand ancien qu'était Louis Pasteur?
Je livre quelques unes de ses observations à ce propos :

« Souvenez vous qu’il n’existe pas de sciences appliquées mais seulement des applications de la science".
Pourquoi le goût de la vendange diffère de celui du raisin, Comptes rendus du Congrès viticole et séricicole de Lyon, 9-14 septembre 1872, p. 45-49 (séance du 11 septembre 1872), in Œuvres complètes, tome 3, p. 464. Masson, Paris, 1924.

« Une idée essentiellement fausse a été mêlée aux discussions nombreuses soulevées par la création d’un enseignement secondaire professionnel ; c’est qu’il existe des sciences appliquées. Il n’y a pas de sciences appliquées. L’union même de ces mots est choquante. Mais il y a des applications de la science, ce qui est bien différent. Puis, à côté des applications de la science, il y a le métier, représenté par l’ouvrier plus ou moins habile. L’enseignement du métier a un nom dans toutes les langues. Dans la nôtre, il s’appelle l’apprentissage, que rien au monde ne peut remplacer ».
Œuvres complètes, Tome 7, p. 187 :Note sur l’enseignement professionnel, adressée à Victor Duruy, 10 nov 1863.

« Non, mille fois non, il n’existe pas une catégorie de sciences auxquelles on puisse donner le nom de sciences appliquées. Il y a la science et les applications de la science, liées entre elles comme le fruit à l’arbre qui l’a porté ».
P. 215, Pourquoi la France n’a pas trouvé d’homme supérieur au moment du péril, paru dans le Salut public, Lyon, mars 1871, et dans la Revue Scientifique, 22 juillet 1872, 2 e série, in Œuvres complètes tome 7.

On me fera remarquer que Pasteur était un esprit bien peu jovial, mais, si la jovialité m'est excessivement chère, il faut quand même reconnaître que ce n'était pas le dernier des imbéciles.
Etait-il excessivement pointilleux ? Ces questions de langage sont-elles futiles ? Cette fois, c'est le grand Antoine Laurent de Lavoisier que j'invite à relire :

L'impossibilité d'isoler la nomenclature de la science, et la science de la nomenclature, tient à ce que toute science physique est nécessairement fondée sur trois choses : la série des faits qui constituent la science, les idées qui les rappellent, les mots qui les expriment (...) Comme ce sont les mots qui conservent les idées, et qui les transmettent, il en résulte qu'on ne peut perfectionner les langues sans perfectionner la science, ni la science sans le langage ».
Lavoisier A. L., Traité élémentaire de chimie, Cuchet, Paris, 1793

Convaincu ? Si oui, merci de m'aider à lutter pour que l'on cesse de berner nos jeunes esprits. Mettons fin aux "sciences appliquées"... puisqu'elles n'existent pas!

mardi 3 février 2009

Un outil pour la science : les feuilles protocoles

Dans une démarche de "qualité", nous avons mis au point un outil quotidiennement utilisé, et nommé "feuilles protocoles". Il s’agit de fichiers où le travail est guidé précisément, à toutes les étapes, du titre à la signature attestant légalement du travail.

Ce document a été posé sur le site de l'Equipe INRA de gastronomie moléculaire, au Laboratoire de chimie analytique d'AgroParisTech : http://www.agroparistech.fr/Un-outil-de-travail-pour-la.html

A télécharger et à utiliser sans modération !