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mercredi 9 juin 2021

À propos de technique culinaire : du soin et de la construction



Nous sommes bien d'accord  : l'activité culinaire, c'est de l'amour, de l'art, de la technique.

Pour la technique, j'avais identifié une caractéristique essentielle, qui est le soin  : car faire quelque chose soigneusement, c'est dire aux autres "je t'aime".

Ce qui montre que les trois composantes de la cuisine ne sont pas séparées : technique avec soin, art avec souci d'autrui, amour pour ce qu'il est.

Cea étant, pour en revenir à la technique, il y a lieu de voir plus que le soin, parce que cuisiner, c'est en réalité parler -par les mets- à ceux que l'on nourrit. Et il y a lieu d'être certain que les convives nous entendent bien, qu'ils nous comprennent. Là, la construction, la structure sont essentielles.

Je propose de prendre une comparaison avec les jardins  : il ne suffit pas de tailler correctement, avec soin, selon les règles... La construction est essentielle.

Sans cette dernière, un jardin n'est qu'une jungle, et le soin du jardinier est invisible. 

Oui il faut l'intervention du jardinier qui va donc transformer le naturel en artificiel. Il évitera que le lierre enserre tous les arbres, il organisera les masses végétales de telle façon que l' œil puisse s'y retrouver, au point même que le lierre ou d'autres adventices deviennent des objets domestiqués, qui viendront concourir à l'oeuvre.

Je ne reviens pas ici sur la discussion un peu caricaturale qui oppose des jardins à la française et des jardins à l'anglaise, mais même dans les jardins les plus apparemment dédordonnés, c'est quand l'œil voit une organisation, une construction, une architecture, un dessin, voire un dessein,  que l'on dit alors qu'il y a du jardin.

De la même façon, en cuisine, un mélange d'ingrédients ne fait pas un plat admissible, et même la ratatouille doit être organisée pour prendre un peu de sens gustatif.

Oui, la technique passe par le soin, mais elle passe aussi par la construction, l'architecture, l'organisation.

Et c'est ainsi que la cuisine est belle !

mardi 4 février 2020

Galettes des rois


On me demande de parler de galette, puisque c'est environ la saison, et je réponds que j'en ai déjà parlé souvent. En revanche, je ne retrouve pas les billets où je l'ai fait, je sorte que je me vois obligé de reprendre ici l'analyse.

Et cette analyse consiste principalement à dire que la galette s'obtient simplement en soudant deux disques de pâte feuilletée après avoir mis au milieu une garniture si l'on y tient. Car on peut très bien se limiter à de la pâte feuilletée, que l'on aura évidement dorée à l'or et au sucre.





Mais en général, donc, il y a deux questions  : celle de la pâte feuilletée, et celle de la garniture.


Commençons par la garniture, qui est  souvent une préparation crémeuse,  comme une crème pâtissière avec de la poudre d'amande. La crème pâtissière contient de l'oeuf, du sucre, du lait, de  la farine. Rien que les ingrédients qui plaisent, surtout si l'on ajoute la poudre d'amande qui est un must en pâtisserie. Je n'insiste guère : il suffit de dire que cette crème est à la fois comme une crème anglaise, avec l'oeuf qui forme des grumeaux microscopiques en cuisant, et la sauce blanche, où les grains d'amidon qui s'empèsent en cuisant donnent  de l'épaisseur, de la consistance.
Pour la pâte feuilletée, j'en ai également parlé souvent :  le procédé classique de production des pâtes feuilletées, avec du beurre enveloppé dans de la pâte, le tout étant étendu et replié six fois, conduit à des empilements de feuillets de beurre et de feuillets de pâtes. Quand on a replié 6 fois, il y a 729 feuillets de beurre et 730 feuillets et de pâtes,  qui se séparent à la cuisson parce que l'eau de la pâte s'évapore, formant une vapeur qui prend beaucoup de place. Plus exactement, les feuillets se séparent... s'ils n'ont  pas été soudés, ce qui s'obtient quand le coup de rouleau est bien régulier, que le pâton a été travaillé de façon aussi délicate, régulière que possible.

Mais on le voit,  tout cela est assez facile. 

Facile ? Oui facile mais il y a des différences extraordinaires entre les recettes,  et l'on peut s'interroger sur les qualités d'une bonne galette des rois. Là, cette question est la même que celle que j'ai posée à mon ami Charles Blanck, vigneron alsacien, pour comprendre pourquoi le vin de Zind-Humbrecht, en Alsace,  était si exceptionnel. Et la réponse de mon ami Charles a été en quelque sorte évidente : tout est fait à la perfection, depuis le saut du lit au matin jusqu'au  coucher le soir. Les soins de la vigne, la manipulation des raisins, la conduite de la fermentation, l'élevage des vins...  Il ne s'agit pas de bio ou de biodynamie, ou que sais-je, mais de soin : a chaque étape, le vigneron veut faire quelque chose de parfait, d'aussi parfait que possible, et cela se sent finalement.
Il y a là quelque  chose qui doit me faire réfléchir à mon analyse du travail technique, pour laquelle je disais que le soin était l'essentiel. J'avais analysé le soin en termes d'amour, en expliquant quel travail soigné, c'est aussi une façon de dire je t'aime parce que cela se voit. Mais dans le cas du vin, c'est plus : c'est une question d'effet sur le produit final.

Et il en va de même pour la galette !

vendredi 31 janvier 2020

Tout compte


Dans un billet précédent,  j'ai évoqué la confection du vin, et plus exactement l'obtention de vins de très grande qualité par « serrage de tous les boulons ».
Oui, c'est à chaque instant que l'on peut perfectionner le procédé pour arriver à des produits aussi merveilleux que possible : en sélectionnant les sols, en plantant correctement les poteaux, en taillant bien la vigne, en travaillant correctement le sol, en palissant, en surveillant, en récoltant quasi grain par grain à parfaite maturité, en soignant le transfert vers les chais, en pressant sans attendre dans des matériels propres, en chouchoutant le moult, en  mettant en bouteille, en stockant les bouteilles... Tout compte !


Et là, passant dans une pâtisserie, j'ai bien vu sur une tartelette au chocolat et aux framboises que les framboises étaient parfaitement mûres et choisies, que l'aspect de la pâte était lisse, régulier, bien abaisse et entonné, qu'il y avait eu du soin. Sur la pâte, il y avait une belle ganache de chocolat : je n'ai pas eu l'occasion de goûter cette tartelette, mais, quand même, vu les framboises et la pâte, je me doute que le pâtissier avait apporté beaucoup d'attention à la qualité de son chocolat, à la réalisation de sa ganache...
Ce qui est vrai pour la confection du vin l'est aussi pour la cuisine, pour la pâtisserie, pour la charcuterie, etc., et ce n'est pas seulement l'aspect visuel qui compte mais le goût, bien sûr, l'organisation des saveurs, des odeurs, des couleurs...


D'ailleurs cela n'est pas l'apanage des métiers de bouche, car quand on écrit un texte, tout compte aussi : l'orthographe, la grammaire, la rhétorique, l'originalité des sujets traités, le traitement, la mise en page...
Et quand on fait de la science, également : il faut que les expériences soient aussi parfaites que possibles, et que  les calculs ne soient pas seulement justes, mais aussi élégants !

Je le répète : tout compte !


mardi 10 juillet 2018

L'orfèvre


L'orfèvrerie ? Le mot me fait penser à   deux questions :
 - quelle est la relation entre l'art et l'artisanat d'art ?
- pour la recherche scientifique, quelles conséquences l'analyse de l'activité artistique sont-elles utiles ?

Pour la question de l'art, tout d'abord, autant dire que je ne suis pas au clair. Je comprends bien qu'un peintre en batiment n'est pas Rembrandt, que les objectifs de Rembrandt et du peintre en bâtiment ne sont pas les mêmes... Mais les "métiers d'art" sont dans la zone grise, ni art à la Rembrandt ni peinture en bâtiment. Manifestement, il y a lieu d'évoquer la question de l'intention, et la question de curseur. Le peintre en bâtiment n'a pas l'intention d'émouvoir, mais de couvrir un mur de façon aussi "jolie", disons soignée, que possible. Il y a le technicien qui s'aventure vers le beau, ou, inversement, l'artiste qui applique son talent à des oeuvres plus régulièrement demandées.
En musique ? De même, il y a le musicien qui ouvre son coeur afin de "partager la pulsation cosmique", comme le dirait le chef d'orchestre Benjamin Zander, ou bien le musicien de bal, qui doit seulement faire danser, et auquel on demande principalement de donner un rythme. Et, là encore, ce qui est troublant, c'est ce tour de notes qui est "beau", que le musicien soit un musicien d'art ou un musicien de technique. Même pour un exécutant médiocre, certains enchaînements de notes d'un Mozart, par exemple, sonnent à faire fondre le coeur le plus dur. C'est d'ailleurs une étonnante leçon des cours d'interprétation du Benjamin Zander précédemment cité que de reconnaître que la musique n'est pas belle en proportion des mines compassées des exécutants, mais, bien au contraire, de l'exécution fidèle à la grammaire de l'écriture. Mais il faut expliquer davantage : dans les cours d'interprétation, on voit bien que l'application bête de la pulsation conduit à une "musique" ânonnée, alors que le simple respect des temps forts et des temps faibles, des mesures fortes et des mesures faibles, des cadences fortes et des cadences faibles (de groupes de quatre memsures) permet d'obtenir une musique émouvante.
Indépendamment de l'objectif (sans doute variable, donc) des hommes et femmes des "métiers d'art"la loi reconnaît cette catégorie : "personnes morales qui exercent, à titre principal ou secondaire, une activité indépendante de  production, de création, de transformation ou de reconstitution,  de réparation et de restauration du patrimoine, caractérisée  par la maîtrise de gestes et de techniques en vue du travail  de la matière et nécessitant un apport artistique.". Ce qui ne nous aide guère.

Passons donc à notre question scientifique. Il faut imaginer une différence entre un "scientifique technique" et un "scientifique artiste". Ce qui me ramène au billet que j'avais fait, et qui distinguait le talent, qui fait ce qu'il peut, et le génie, qui fait ce qu'il doit. Mais l'évocation n'est pas suffisante. Et les scientifiques sans talent (ni génie) ? C'est une belle question : comment imaginer cela ? qu'est-ce que cela peut être ?

La question étant difficile, je reviens à l'objectif de la science : identifier les mécanismes des phénomènes.
Bien sûr, l'ambition est considérable, et il peut y avoir des ambitions plus modestes : par exemple, caractériser quantitativement les phénomènes, ou bien réunir des données expérimentales en lois, ou encore tester des conséquences théoriques...  Mais l'idée de l'orfèvre vaut, au delà, parce qu'il y a un soin infini dans la production !

samedi 2 septembre 2017

Le plaisir de l'expérience bien faite

C'est amusant comme tout change lorsque l'on passe d'un contexte où l'enseignant contraint les étudiants à un système où chaque étudiant est personnellement en charge de sa propre destinée.

Ainsi, moi qui adorait la physique chimique depuis l'âge de six ans, je me suis étonné, pendant mes études supérieures, de voir que je n'avais pas d'intérêt pour faire spécialement bien ce que l'on me demandait, notamment les travaux pratiques. Et pourtant, ces manipulations étaient de celles que je m'amusais à faire chez moi ! A l'analyse, je crois que je n'avais pas envie de faire plaisir aux enseignants qui me demandaient ces travaux... preuve que le système était mal conçu, puisque j'aurais dû me faire plaisir à moi même.
Certes, les travaux pratiques proposés manquaient de sens, de contexte, notamment parce que les enseignants s'étaient arrêtés à produire des protocoles sans grâce, qui nous étaient transmis sans justification, un peu anonymement, et, je le répète, sans que le sens de tout cela n'apparaisse.
On me fera observer que j'aurais dû y mettre mon intelligence (voir les billets où j'explique que la poussière du monde n'existe que si nous la faisons exister), mais, à l'époque,  je ne voyais pas l'intérêt de ce qui m'était proposé : je ne voyait ni la difficulté de ces travaux pratiques, sans le piquant de la difficulté, donc, ni leur intérêt réel, parce qu'aucun autre objectif que local n'apparaissait : il s'agissait de simples travaux conventionnels, utiles pour ceux qui ne les avaient pas faits, mais inutiles pour ceux qui étaient un peu en avance. Or cela faisait des années que je savais déjà faire les manipulations proposées ! Oui, il manquait au minimum  cet aiguillon qu'est la difficulté, la sensation d'apprendre vraiment, et, je le répète, je manquais de l'intelligence qui m'aurait permit de mettre du passionnant dans du banal.

A l'inverse, aujourd'hui,  au laboratoire, je trouve nos expérimentations passionnantes, et pour plusieurs raisons. L'une des premières, c'est que ces expériences ont un objectif très clair : il ne s'agit pas moins que de répondre à des questions scientifiques réelles, plutôt que de répéter des protocoles en vue d'obtenir des produits qui seront jetés. Nous avons des interrogations, et nous comprenons que chaque pas vers le sommet de la montagne nous en rapproche. Chaque pas doit être bien fait, sans quoi nous ne nous rapprochons pas. Nous y mettons donc tout notre soin, notre intelligence, car il y a cet objectif supérieur qui nous guide.
Mais il y a mieux : dans les expérimentations de laboratoire de nos études actuelles, je trouve (parce que je l'y mets) surtout ce bonheur du travail bien fait. Quand il y a une pesée, par exemple, il m'apparaît clairement qu'il vaut mieux ne pas la faire que de la faire mal, parce que je veux vraiment savoir la masse que je pèse, et non pas seulement faire la pesée. Et puis, le plaisir d'avoir un beau résultat, un belle "construction" !

D'ailleurs, cette observation me conduit à reprendre une discussion ancienne : depuis des années, je demande aux étudiants comment ils feront pour ne pas s'ennuyer à la millième pesée. Je leur dis que l'ennui ne naît pas de l'uniformité, mais de la désinvolture, et je les invite aussi à s'interroger sur chaque geste. En fait, la série de manipulations que je viens de terminer moi-même (quel bonheur que ces expérimentations, je me répète parce que je sors encore émerveillé) m'a montré que cette question que je posais n'a pas de sens : si je pèse, j'ai une raison de le faire, à savoir que je veux la valeur la plus précise possible, et  je ne m'ennuie pas, puisque je suis à la recherche de cette bonne valeur.
D'ailleurs à propos de pesées, je conseillai aux étudiants venus en stage de  toujours peser trois fois, afin de calculer une moyenne et un écart-type. Toutefois, en pratique, je pèse personnellement bien plus que trois fois, et pour mille raisons, mais, surtout, parce que je veux vraiment cette meilleure valeur. Et quand on fait ainsi très bien, alors on arrive toujours aux trois mêmes valeurs, de sorte que la moyenne des valeurs  est la valeur trouvée trois fois de suite, et que l'écart type est nul. Allons-nous alors supprimer de nos protocoles cette prescription de peser trois fois, puis de calculer moyenne et écart-type ? Je crois que non, car ces protocoles permettent aux étudiants en stage d'apprendre, et, en l'occurrence, je les sais souvent désarçonnés par les écart-types nul. Cela signifie-t-il qu'il n'y a pas d'incertitude sur la mesure ? Évidemment non (je ne termine pas la discussion pour vous laisser le plaisir de réfléchir). Sans compter que c'est une bonne pratique que de répéter une mesure !


Mais la pesée n'est  évidemment qu'un des milles actes que l'on fait lors d'une expérimentation, d'une préparation d'échantillons ou d'une analyse de ces derniers. Ce que je veux faire partager ici, c'est ce bonheur de l'expérimentation bien faite. Oui, il y a un immense bonheur à réaliser une expérience aussi parfaitement que possible, à tout penser, tout préméditer, tout bien exécuter et tout bien interpréter enfin. Chaque moment d'une expérience a ses plaisirs, jusqu'au lavage des verreries, que j'ai discuté dans d'autres billets.
La partie théorique ? Plus je pratique les sciences quantitatives, plus je m'aperçois que cette partie ressemble absolument à la partie expérimentale, avec ces mêmes chausse-trappes, ces mêmes difficultés… Il n'y a guère de différence entre la maîtrise du niveau d'un liquide dans une burette, avec le ménisque qui doit affleurer un trait, et le calcul d'une concentration, par exemple, avec l'emploi raisonné du nombre de décimales que l'on calcule, les fameux  « chiffres significatifs ». Il n'y a guère de différence entre la planification d'un protocole et la planification d'un calcul, et de ce fait il y a ce même plaisir à faire soigneusement une interprétation, structurée, et à faire une expérimentation bien planifiée, bien exécutée.


Au fond, pour toutes les tâches des sciences quantitatives, il y a la même question du soin. Pour mémoire, je rappelle que ces taches sont l'identification d'un phénomène, sa caractérisation quantitative, avec la planification des expériences, la préparation des échantillons, leur analyse, l'analyse des donnés, les interprétations, la réunion des données de mesure en équations, la recherche de mécanismes, les tests expérimentaux des théories … Et bien, pour toutes ces tâches, il y a ce même bonheur inouï de faire bien… au point que je ne comprends plus aujourd'hui comment, étudiant, je n'ai pas su dépasser le cadre scolaire pour arriver à retrouver ce bonheur de l'expérimentation, du travail scientifique bien fait que j'avais depuis l'âge de six ans.
Oui, il est bien vrai que la vertu doit être sa propre récompense, mais je n'ai eu idée, exprimée par cette phrase, que  tardivement. Je suis convaincu que le renversement que je propose pour les études supérieures doit se fonder sur cette idée. D'ailleurs, j'ai bon espoir, car je sais que les étudiants sont friands de travaux personnels, de projets. Ave cette façon d'étudier, ils sont en situation de responsabilité, heureux de construire leur  savoir et leurs compétences.

Oui, la vertu est sa propre récompense.