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vendredi 1 décembre 2023

Tradition, innovation, patrimonial... Méfions-nous de nos acceptions exagérément mélioratives

 

Alors que nous lançons un programme européen nommé Tradinnovation, je vois que les mots tradition et innovation, qui forment la base du nom, sont très discutables.

Les traditions, en effet ne sont pas toutes bonnes :  l'esclavage a été traditionnel !
De même, ce qui est "patrimonial" n'est pas nécessairement  bon : certains gènes de prédisposition au cancer nous viennent de nos parents, certaines maladies génétiques, et un héritage est parfois une dette, comme le savent bien les notaires.

Et l'on a intérêt, également, à ne pas gober trop vite l'innovation.

En réalité, nos travaux ne doivent avoir qu'un objectif : faire un futur meilleur que le passé.
L'histoire  montre que, progressivement, l'humanité s'est débarrasée de  comportements intolérables. Nous avons évoqué l'esclavage, mais souvenons-nous aussi de  la féodalité : chaque printemps, les chevaliers partaient en guerre pour aller conquérir les terres avoisinantes.

La guerre n'a hélas pas disparu, mais au moins n'est-elle plus systématique !

Il y a aussi l'école,  qui est une innovation merveilleuse. Je ne dis pas qu'elle va parfaitement, mais,  quand même, nos efforts portent certains fruits, notamment en matière de combat contre la pensée magique, cette pensée enfantine, irréfléchie, irrationnelle, qui fait le lit des tyrannies.
Chercher à comprendre c'est déjà désobéir mais surtout c'est commencer la lutte contre les tyrannies, refuser ce qu'elles veulent nous imposer. On se souviendra de René Descartes qui proposait de "N'accepter comme principe du raisonnement que ce dont il est impossible de douter",  et "Ne recevoir jamais aucune chose pour vraie que je ne la connusse évidemment être telle ; c'est-à-dire, d'éviter soigneusement la précipitation et la prévention, et de ne comprendre rien de plus en mes jugements que ce qui se présenteroit si clairement et si distinctement à mon esprit, que je n'eusse aucune occasion de le mettre en doute".
Bref, il faut une pensée rationnelle, claire, loyale.

L'innovation, d'autre part, a une courte vue , quelle que soit l'acception qu'on lui donne, quand elle propose seulement de considérer comme merveilleuse des méthodes, des techniques qui sont seulement nouvelles, dont on a pas évalué  l'intérêt moral. Cela doit se faire à titre individuel, mais aussi en termes collectifs, et, là encore, on ne tombera pas dans le piège d'une connotation méliorative du mot.

Et c'est l'occasion d'observer que  les connotations sont très idiosyncratiques : pour certains, le mot tradition est un repoussoir, alors que c'est un sésame pour d'autres ; idem pour innovation (avec souvent une interversion des groupes).

Bref, finalement, au  cours de nos travaux, nous aurons intérêt à passer tout ce que l'on nous proposera au filtre d'une analyse  rationnelle, intelligente.

samedi 27 mai 2023

Et si l'industrie alimentaire innovait comme le prêt à porter ?

 Et si l'industrie alimentaire innovait comme le prêt à  porter ? On a beau regarder  : les aliments produits par l'industrie alimentaire semblent très classiques, et très comparables, selon les marques. Les salons professionnels, d'ailleurs, montrent bien que les innovations dans le domaine alimentaire portent surtout sur le conditionnement, plus que sur les aliments eux-mêmes. Ce sont les éternels cassoulets, choucroute, pizzas, salades de carottes ou de pomme de terre... Je n'ai pas besoin de vous inviter à faire la visite dans un supermarché pour vous convaincre que bien peu de changements ont eu lieu. 

 

Bref, je maintiens que  l'industrie alimentaire innove peu en ce qui concerne le contenu affiché des mets (et si ces mets étaient changés, en dépit ce qui est « affiché », alors ce serait déloyal!). D'ailleurs, l'industrie alimentaire voudrait-elle évoluer qu'elle le pourrait difficilement : nous sommes "biologiquement" collés à l'alimentation que nous avons eu enfant, et les changements de culture alimentaire sont difficiles. 

L'histoire d'Augustin Parmentier le démontre à l'envi : il fallut à la fois une famine et une intelligente stratégie pour déterminer les Français à consommer des pommes de terre. 

Arrêtons-nous à la stratégie : il donna au roi à consommer des pommes de terre, tout comme, plus tard, Auguste Escoffier assura le succès de sa pêche Melba en la nommant d'après une actrice célèbre. 

Dans les deux cas, c'est l'argument d'autorité... qui est largement utilisé par l'industrie de l'habillement, qui parvient, elle, à imposer des styles très variés et parfois quasi imbéciles : cela va de la casquette à l'envers jusqu'au pantalon troué par avance ! Comment l'industrie du vêtement s'y prend-elle ? D'abord, il y a un "artiste", qui dessine des vêtements qui sont réservés à une élite (sur mesure), et souvent portés dans des circonstances (défilés de mode, festivals de cinéma, galas...) qui s'apparentent à la consommation de pomme de terre par le roi ; puis l'argument d'autorité joue, et le public adopte les nouvelles modes, ce qui permet le développement de production en série. 

Observons qu'il s'agit là d'un mécanisme qui correspond pleinement à du "design", lequel est né avec la Révolution industrielle, et la collaboration des artistes à des industries produisant en série. 

 

Pourquoi l'industrie alimentaire ne pourrait-elle fonctionner de même ? 

L'introduction de véritables innovations aurait l'intérêt de la libérer du carcan de la concurrence, qui, depuis quelques années, conduit à une réduction désastreuse des marges bénéficiaires. Se pose alors la question de la collaboration de l'industrie avec les "artistes". 

Là, il faut reconnaître à la pratique culinaire trois composantes : technique, artistique, de lien social. Si l'industrie alimentaire est techniquement compétente, elle est souvent très faible artistiquement, et gagnerait donc à s'adjoindre le concours des meilleurs artistes. Comment y parviendra-t-elle, économiquement ? La pratique des droits d'auteur semble pouvoir être mise en oeuvre, pour le bénéfice commun des artistes et des sociétés qui les emploieront : cette pratique conduit à éviter de gros investissements, et incite les deux parties à oeuvrer de conserve pour assurer le succès de leurs produits.

vendredi 26 mai 2023

Qu'est-ce que cette innovation dont on rebat les oreilles ?

 
Dans un cours de master que j'ai donné à l'Ecole des Mines, la question de l'innovation m'a été posée, et  comme omnia definitio pericoloso est (toute définition est dangereuse), j'ai répondu en questionnant le mot, en disant que je n'étais pas bien certain de l'acception qu'il fallait lui donner, partagé entre la tentation de désigner ainsi la nouveauté technique et la proposition faite par d'autres de nommer ainsi l'objet qui « réussit ». 

Oui, j'ai bien lu quelque part cette définition : une innovation serait une nouveauté qui réussit. Elle ne me va guère, car qu'est ce que « « réussir » ? S'imposer comme un produit marchand ? A ce compte, on reconnaîtrait au football à la télévision des vertus que je ne vois guère ! 

La notion de réussite me gêne considérablement, car je ne suis pas sûr de partager les critères qui sont proposés. Oublions donc ce mercantilisme un peu bête, et cherchons mieux. 

Un collègue intéressant m'a dit un jour : l'innovation, c'est faire bien, faire mieux, faire autrement, faire autre chose. Pourquoi pas... mais pourquoi ? 

 

Comme souvent, je propose de revenir au mot, à son étymologie, son histoire. Que signifie « innovation » ? S'agirait-il de produire du nouveau ? L''utilisation du formalisme des systèmes dispersés (DSF, voir Hervé This, Formulation and new dishes, Cahiers de Formulation, vol. 16, EDP Science/Société des chimistes français, pp. 5-21. ), comme toute algèbre, conduit à l'introduction d'un nombre infini d'objets nouveaux, de sorte que, manifestement, la production de nouveauté n'a guère d'intérêt non plus. 

Insistons un peu, en fixant les idées par une image. Si nous produisons mécaniquement un nombre infini d'objets nouveaux, si nous les posons devant nous sur la table, la question n'est plus de produire un objet en plus ou en moins, mais plutôt de sélectionner des objets ainsi produits. Lesquels ? Cette fois, des critères (de choix) s'imposent. 

En cuisine, un critère (technique) est le soin, lequel n'a rien à voir avec la nouveauté. 

Un autre critère est le bon, soit le beau à manger, et là encore, mille artistes différents produiront mille représentations personnelles de la Vierge à l'Enfant. 

Un troisième critère est le « je t'aime », et là encore, d'autres choix seront sélectionnés (bien que des recouvrements soient possibles). 

 

Bref, la question se retourne donc vers ceux qui me la posent : quels sont vos critères ? Mes collègues de l'Ecole des Mines, comme moi, hésitent à employer le mot d'innovation, le sachant... miné. Ils parlent de conception. 

Pourquoi pas, mais où s'arrête la conception ? Les parents qui conçoivent l'enfant : que font-ils ? La conception est étymologiquement la représentation par la pensée. Les parents conçoivent l'enfant en le pensant, et ce n'est qu'une conséquence que la réunion de deux semences dont l'union est fructueuse. Dans cette acception, la conception est  un acte formel, qui doit faire l'objet de nos soins, et non une matérialisation qui s'apparenterait à toute la période de la grossesse, à la transformation  de l'ovule fécondée en enfant. Dans cette acception là, il faudrait se préoccuper des règles formelles qui permettent au programme de s'exécuter, en supposant que l'épigénétique, c'est-à-dire l'influence de l'environnement sur le déroulement particulier du programme, n'a pas d'effet. Ce serait dommage de se priver de cette source de variabilité et... d'innovation !

vendredi 5 mai 2023

Nos séminaires modifiés

  Lors d'un récent séminaire de gastronomie moléculaire (tous les troisièmes lundis du mois, de 16 à 18 heures ; public, gratuit),  les participants ont voté pour une modification du déroulement de nos rencontres : nous avons décidé de réserver un moment pour  considérer les questions d'innovation, à partir  du travail effectué lors des séminaires. 

Alors que nous mettions en œuvre à cette idée pour la première fois à propos de mousse au chocolat, j'ai proposé plusieurs  possibilités. La première consiste à généraliser l'opération de production de mousse au chocolat, laquelle est le mélange de blancs d'œufs battus en neige à une préparation un peu épaisse, qui peut figer. Et si, au lieu de chocolat, on utilisait de la viande, du poisson ? En confectionnant  par exemple un priestley, c'est-à-dire une crème anglaise  pour laquelle les protéine du  jaune d'œuf ont été remplacées par d'autres protéines. Imaginons un priestley de langoustines que l'on ferait en broyant finement des langoustines et en ajoutant un liquide, avant de faire prendre cette sauce en la chauffant ; après refroidissement, on ajoute les  blancs battus en neige, de sorte que nous obtenons un priestley foisonné... 

Une autre possibilité d'innovation ? Si  nous voulons rester dans la famille des préparations au chocolat,  je propose maintenant un «  chocolat chantilly »... mais il est vrai que cette innovation est ancienne, puisque je l'ai proposée dès 1995. Autre chose ? On m'a fait observer que le goût « riche » du jaune d'œuf manquait dans le chocolat chantilly. 

Qu'à cela ne tienne, remettons-le... en évitant toutes les difficultés de la mousse au chocolat classique. Par exemple, prenons une casserole, et mettons y de 200 g d'eau, puis 40 g de sucre (comme dans une recette classique de mousse au chocolat). Sur le feu doux, ajoutons 100 g de sucre et 125 g de chocolat. Quand l'émulsion de la matière grasse est faite, posons la casserole sur des glaçons ou dans de l'eau froide et fouettons : après un moment, on obtient une consistance de crème fouettée, qui est le chocolat chantilly. Reste alors à lui  ajouter le jaune d'œuf. 

On le voit : pas de possibilité de ratage, comme avec la mousse classique. Le chocolat chantilly contourne la difficulté, que les participants du séminaire ont vue considérable. Bref, les possibilités d'innovations sont nombreuses.

samedi 19 novembre 2022

Juxtaposition

Pour donner du sens, il faut donner des « formes gustatives » à reconnaître. Juxtaposer deux goûts, c’est aussi tendre au convive une sensation (le heur des deux goûts) et une question : pourquoi l’artiste a-t-il précisément voulu cette juxtaposition ?

 

J'ai fait une proposition d'innovation à mon ami Pierre Gagnaire : 


 

Mon cher Pierre,

 Nous avons vu, le mois précédemment, comment le cuisinier jouait des concentrations en molécules aromatiques ou sapides.
Il donne un sens au met, fait œuvre, en jouant seulement de la concentration des molécules du goût, tout comme le musicien équipé d’un seul tambour peut déjà tenir sa partie, variant seulement le rythme avec lequel il frappe la peau tendue. En peinture, le rythme serait analogue à la répétition spatiale d’une couleur : pensons à des bandes de largeurs et d’espacement différents.

 

Toutefois, le rythme peut s’enrichir du son, le tableau de diverses teintes. Le plat, aussi, peut réunir des goûts variés qui évitent la monotonie du monochrome. A l’arrangement spatial s’ajoute le contraste, si important en peinture que le chimiste Michel-Eugène Chevreul engendra une école de peinture, néo-impressionniste, quand il découvrit que le voisinage d’une couleur modifie la couleur adjacente : par exemple, le bleu foncé semble jaunir le blanc voisin, en raison d’un phénomène visuel inconnu à l’époque de la découverte de la « loi du contraste simultané des couleurs » (la loi de Chevreul), mais bien exploré depuis.
Bref, le contraste a ses lois, et le contraste culinaire, notamment, mérite d’être exploré.

 La suite se trouve ici : https://pierregagnaire.com/pierre_gagnaire/travaux_detail/78

dimanche 17 avril 2022

Les gehrardts


En 1998, j'avais proposé des "royales de l'extrême", quand j'avais cherché quelle quantité de liquide un œuf pouvait gélifier.

Gélifier : c'est-à-dire faire prendre comme une crème prise.

Pour le savoir, j'étais parti de différentes quantité de liquide, et, dans chacune, j'avais ajouté un œuf battu.

J'avais mis l'ensemble des récipients au four chauffé, et j'avais regardé à partir de quelle quantité de liquide la crème ne prenait plus. Le résultat, c'est environ 0,7 litre pour un oeuf de taille moyenne.

Ces royales de l'extrême, je les avais nommées des lavoisiers, en l'honneur du chimiste Antoine Laurent de Lavoisier, qui avait exercé ses talons sous l'Ancien Régime, juste avant la Révolution française.

Plus récemment,  j'ai imaginé un peu la même chose mais avec des protéines animales, c'est-à-dire plus précisément de la viande ou du poisson.

En effet, dans les lavoisiers, ce sont les protéines d'oeuf qui font prendre, mais toute protéine qui peut coaguler convient.

Or dans la viande et dans le poisson, il y a également des protéines, qui  peuvent coaguler :  la preuve en est qu'on fait des terrine à partir de viandes ou de poissons.

L'idée est donc toute simple :  il s'agit de broyer de la viande ou du poisson, et d'ajouter un liquide pour faire en quelque sorte l'inverse de mon expérience initiale de 1998.

On peut même éviter faire l'expérience si l'on sait calculer puisque l'oeuf contient 10 % de protéines pour le blanc et 15 % pour le jaune. En revanche,  dans la viande ou le poisson, la proportion de protéines est environ double.

De sorte que, si l'on s'y prend bien, on doit pouvoir faire prendre plus d'un litre de liquide à partir de seulement 50 à 100 grammes de viandes ou de poisson...

... à condition d'avoir bien extrait les protéines de la viande ou du poisson.

Et l'on obtiendra une crème prise sans œuf.

Cette fois encore,  il faut donner un nom : je propose gehrardt en l'honneur du chimiste alsacien Charles Gehrardt, qui contribua à la chimie organique moderne.

Bien sûr, il ne faudra pas oublier de donner du goût : ce sera celui du liquide puisque le liquide sera dominant.

mercredi 4 novembre 2020

L'innovation ? Il s'agit d'être très clair : c'est une question de technologie, pas de science


Tout a commencé
avec la préparation d'une conférence que je dois faire en mars, pour une communauté internationale de cuisiniers. L'organisateur me demande :

Pourriez-vous nous indiquer brièvement comment votre présentation va discuter la question de l'innovation ?

Et j'avais répondu :
 

Les inventions mensuelles que je présente depuis 20 ans, d'abord pour mon ami Pierre Gagnaire (en français, car -même si je suis alsacien- c'est une langue très intéressante : voir https://pierregagnaire.com/pierre_gagnaire/travaux/2) sont une démonstration que les sciences de la nature sont si puissantes qu'elles rendent cela possible. Si ce n'est pas de l'innovation, qu'est-ce que c'est ?
Mais avec la "cuisine note par note", le pouvoir d'innovation est encore plus grand, parce que c'est un nouveau continent, comme lorsque l'Amérique a été découverte. Et la question est maintenant : allez-vous traverser l'Atlantique pour le découvrir ?
Gardez à l'esprit que dans mes cours de Master sur l'innovation, en particulier (mais pas seulement dans le cadre du programme Erasmus Mundus Plus "Innovation alimentaire et conception de produits ; voir par exemple https://tice.agroparistech.fr/coursenligne/main/document/document.php?cidReq=FIPDESMOLECULARGASTR&curdirpath=/Cours_2019-2020 et https://tice.agroparistech.fr/coursenligne/main/document/document.php?cidReq=FIPDESMOLECULARGASTR&curdirpath=/docs%20HTHIS/7_applications_of_mg), je démontre que l'introduction de nouveaux plats n'est rien de vraiment... car j'ai introduit trois infinités de nouveaux systèmes. Non, la question c'est l'art et l'amour, et là la question est beaucoup plus intéressante.



Manifestement, je n'ai pas été assez clair, parce que je reçois ensuite la réponse suivant :
 
J'apprécie votre réponse rapide. Si je vous comprends bien, votre travail (gastronomie moléculaire, cuisine moléculaire et cuisine note par note) ne consiste pas à créer de "nouveaux plats", c'est bien plus que cela. À bien des égards, le processus de création de vos plats n'a pas pour but d'innover, mais plutôt d'exprimer l'art et l'amour ? Ai-je bien compris ?
Questions complémentaires :
1.       Pourquoi la cuisine "note par note" est-elle comme la découverte de l'Amérique ? Pouvez-vous en dire plus ?
2.       Qu'est-ce qui stimule ou inspire votre créativité ?
3.       Lorsque vous décomposez les aliments en leurs composés élémentaires, vous pouvez obtenir des milliards de nouvelles combinaisons de plats. Toutes ces possibilités vous dépassent-elles parfois ? Comment choisissez-vous les combinaisons qui fonctionnent ensemble et assurez-vous qu'elles mènent à un beau produit final ?  


Là, il faut vraiment que je m'explique mieux, ce que je fais maintenant

1. À propos de "votre travail (gastronomie moléculaire, cuisine moléculaire et cuisine note par note) ne consiste pas à créer de "nouveaux plats", c'est bien plus que cela", ma réponse est : c'est sûr, la gastronomie moléculaire n'a rien à voir avec l'innovation car c'est une science de la nature, et le but ici est de "chercher les mécanismes des phénomènes, en utilisant la "méthode scientifique", qui passe :
1. identification d'un phénomène
2. la caractérisation quantitative du phénomène
3. le regroupement des données de mesure (à partir de 2) en "lois" (c'est-à-dire en équations)
4. introduire de nouveaux concepts afin de faire des "théories" (c'est-à-dire des groupes d'équations + des concepts proposant une description quantitative du phénomène)
5. la recherche de prédictions testables de la théorie
6. tests expérimentaux des prévisions théoriques (à partir de 5)
Et ainsi de suite,  pour toujours.

Vous voyez que le but des sciences de la nature n'a rien à voir avec l'innovation.
L'innovation est le but de la technologie, et ici, oui, la cuisine moléculaire et la cuisine note par note sont intéressées.

Au fait :
1. avec Nicholas Kurti, nous avons introduit la "gastronomie moléculaire" (ou plus précisément la "gastronomie moléculaire et physique"
2. mais nous promouvions également la cuisine moléculaire (et s'il est vrai que nous avons montré comment la faire, nous ne l'avons pas "pratiquée", car elle est destinée aux chefs, pas aux scientifiques
3. J'ai introduit la cuisine note par note en 1994, et je la fais connaître dans le monde entier ; je la pratique quotidiennement dans ma cuisine, mais je n'oublie pas que je ne suis pas un chef.
Et enfin, n'oubliez pas que ma vie quotidienne est une science, pas une cuisine. J'attache une de mes productions, et vous verrez que cela n'a rien à voir avec la cuisine (l'article sur les statgels et les dynagels)


2. A propos de votre " le processus créatif derrière vos plats n'a pas pour but l'innovation, mais plutôt l'expression de l'art et de l'amour ? "
Pas exactement. Les plats que j'invente sont sans aucun doute la démonstration que les sciences de la nature sont si puissantes qu'il est facile d'innover techniquement. Mais je recommande aux chefs cuisiniers : parce que l'innovation technique est si facile (du moins pour moi), concentrez-vous sur l'amour et soyez.

Questions complémentaires :

1. La cuisine note par note montre en effet un immense continent de nouvelles possibilités culinaires : nouvelles consistances, nouvelles saveurs, nouveaux goûts, nouvelles odeurs, nouvelles couleurs.

2. N'oubliez pas que ma "créativité" est une question de science. Et ici, c'est une question très difficile, mais vous trouverez la réponse dans mon article sur la "stratégie scientifique" (voir document ci-joint)

3. Me submerger ? Pourquoi en effet ? Mais oui, pour les chefs, la question est maintenant de choisir ce qu'ils veulent faire. Et c'est pourquoi je dis que vous avez une autre question que celle de l'"innovation" (technique).
Disons-le autrement :
- avec mes "formalismes", je vous montre une infinité de nouveautés (imaginez que je les mette sur une table, devant nous)
- Lequel choisissez-vous ? Il est évident qu'il vous faut un autre critère que la technique
D'ailleurs, toutes les combinaisons "fonctionnent ensemble", il n'y a pas de problème ici.

Mais finalement, vous avez dit le bon mot "beau produit final" : beau, et c'est pourquoi j'ai fait mon livre "La cuisine, un art quintessenciel" (The University Press of California), dont le titre en français était "La cuisine : c'est l'amour, l'art, la technique". Vous voyez : l'art ! Parce que "bon" signifie "beau à manger", et cela n'a rien à voir avec la technique.



mercredi 19 février 2020

Des questions à propos de mes oxymores thermiques



Ce matin, suite à la publication d'"oxymores thermiques", je reçois des questions de jeunes amis intéressés par mon "innovation".
Rappelons tout d'abord de quoi il s'agit : faire des alternances de brûlant et de glacé, en utilisant les propriétés amusantes du four à micro-ondes.

Et voici les questions de mes correspondants :

Nous voudrions savoir d’où vous est venue l’idée de faire cet “ oxymore thermique”.
Comment avez-vous su quels ingrédients étaient nécessaires et peuvent-ils être remplacés par d’autre ?
Avez-vous faits plusieurs tentatives avant de réussir votre dessert ?
Pouvez-vous donner ou est-ce que votre dessert à un nom ?



D'où est venue mon idée des oxymores thermiques ? De plusieurs endroits à la fois. Tout d'abord, mon Cours de gastronomie moléculaire N°1 est en réalité, pour la seconde partie, un traité d'innovation, qui correspond d'ailleurs au cours que je donne (voir le cours en ligne sur https://tice.agroparistech.fr/coursenligne/main/document/document.php?cidReq=FIPDESMOLECULARGASTR&student_table_page_nr=1&student_table_per_page=20&student_table_column=2&curdirpath=%2Fdocs+HTHIS%2F7_applications_of_mg&cidReq=FIPDESMOLECULARGASTR).




Dans le livre, c'est une méthodologie que je propose, et, d'ailleurs, dans mes cours du master Food Innovation and Product Design, je fais discuter aux étudiants la notion de "plat intéressant". Les paraxodes sont toujours intellectuellement stimulants, tout comme les oxymores, ou autres figures.
Bref, marchant dans la rue, je cherchais une idée à donner, comme chaque mois, à mon ami Pierre Gagnaire, et j'en ai trouvé plusieurs, en associant des impossibles : du mou/dur, du chaud/froid, du blanc/noir, etc.

La réalisation ? Pour avoir du chaud et du froid simultanément, je me souvenais de mon expérience, que j'avais montrée dans mes émissions de télévision Toque à la loupe, où je faisais bouillir de l'eau dans un "saladier" en glace. L'idée est simple : on met dans le congélateur un saladier, avec dedans, de l'eau où l'on place un autre saladier plus petit ; une fois que l'eau est congelée, on démoule les deux saladiers et l'on obtient un saladier de glace. Et quand on met de l'eau dedans et qu'on fait chauffer au four à micro-ondes, l'eau bout sans que la glace ne fonde.
De ce fait, il était facile d'arriver à l'oxymore thermique, en donnant du goût.

Et la réalisation est simple : ce plat fait partie de ceux que je conçois intellectuellement, et qui fonctionnent à tout coup.

Un nom ? Oxymore thermique ;-)


lundi 21 octobre 2019

Quelle est la question à laquelle je ne pense pas ?


Étonnant phénomène que celui que j'ai détecté hier,  lors d'une conférence que je donnais :  je montrais l'évolution de la cuisine au cours du temps ;  puis je montrais  l'état de la cuisine d'aujourd'hui dans différents pays. Je signalais donc l'organisation de mes exemples selon  deux axes perpendiculaires,  l'un vertical pour le temps et l'autre horizontal pour la répartition géographique.
Et immédiatement, j'ajoutais qu'il nous fallait donc chercher sans attendre un troisième axe perpendiculaire aux deux autres.
Cette proposition n'était pas indécente intellectuellement... sauf que, le soir venu, je me suis aperçu qu'il était un peu paresseux de chercher seulement un troisième axe perpendiculaire aux deux autres  : pourquoi pas, aussi, un quatrième, puis un cinquième, etc. ?

Pourquoi n'avais-je pas proposé immédiatement plusieurs axes, et non pas seulement un de plus ?  Une première analyse me fait comprendre que le troisième axe s'est imposé parce que nous vivons dans un espace à trois dimensions. Certes, mais,  quand même, il n'est pas interdit de penser les espaces les espaces  à quatre, cinq, six, etc.  dimensions ? 

Il y avait donc une erreur terrible, et si l'on se préoccupe d'innovation,  alors il apparaît clairement que le nombre trois doit appeler le nombre quatre, qui doit appeler  le nombre cinq,  et ainsi de suite à l'infini !

lundi 18 février 2019

Création créativité invention innovation

Il y a des 'intellectuels de pacotille qui mélangent tout et notamment ces mots qui font florès dans l'industrie : création, créativité invention, innovation.

Pourtant il suffit presque d'écouter les mots pour comprendre qu'ils ne désignent pas la même chose !

La création, c'est... la création, à savoir l'acte de produire quelque chose.
La créativité c'est la capacité de produire quelque chose et, plus exactement, de produire plusieurs choses.
L'invention, c'est le fait d'inventer ou encore l'objet inventé lui-même, mais dans l'acception que je retiens ici, c'est donc cetacte qui consiste à produire quelque chose de nouveau.
Et la capacité de produire des inventions, c'est l'inventivité.
L'innovation, c'est, en dépit de tous les débats qui ont eu lieu, souvent avec des acceptions idiosyncratiques retenues par chacun des protagonistes, la mise en œuvre des inventions.

 On le voit, tout cela est bien différent et il suffit donc en réalité d'écouter les mots pour comprendre ce dont on parle. On comprend en particulier que, si l'objectif est clair, alors le chemin qui peut mener l'est aussi.

Par exemple, pour la création, il suffit de créer,  c'est-à-dire en gros de travailler.

Pour la créativité, il y a là une autre question, puisque il s'agit de trouver une  méthode pour arriver à des créations, et sous-entendu avec réactions différentes. D'ailleurs j'ai dit "une méthode", mais, en réalité, pourquoi n'y en aurait-il pas plusieurs ? La première des choses à faire semble donc de colliger ces méthodes avant d'apprendre à les mettre en œuvre. Il y a donc là beaucoup de travail ce qui nous ramène à peu près au cas précédent. En tout cas,  je ne crois pas aux langues de feu qui tombent du ciel et nous confèrent des "dons". Le travail, vous dis-je.

Pour l'invention, il y a encore beaucoup de façons de faire, et j'ai écris dans un de mes livres comment des typologies, des formalismes, permettent d'y parvenir. Je ne veux pas répéter ici ce qui a fait l'objet de cet ouvrage, mais qu'il me suffise de dire que ces méthodes sont parallèles, et parfois convergentes, mais pas toujours. Je vous  invite à les découvrir    :
 




Enfin l'innovation est un mot très débattu, avec des chapelles qui s'étripent, et je propose que l'on évite les formules à l'emporte-pièce comme celle qui consiste à dire que l'innovation est une invention qui réussit. En réalité l'innovation, c'est la mise en œuvre de l'invention. On comprend alors pourquoi le sens à glisser vers la réussite, mais je propose de rester à cette dernière acception, plus juste.

mardi 28 août 2018

Il faut parler de cuisine !

Hélas, ce que j'ai fait m'intéresse moins que ce que je fais ou ce que je vais faire... et j'en oublie de bien signaler les travaux que je fais avec mon ami Pierre Gagnaire.
Pour mémoire,il s'agit pour moi de donner à Pierre une invention par mois : je fais un texte qui décrit la chose, et Pierre publie cette description sur son site, charge à lui de faire des recettes qui utilisent l'invention.

Et là, il était en retard, mais une salve vient d'arriver : je montre la chose, en vous invitant à y aller voir de plus près.


Vive l'Art culinaire et la Gourmandise éclairée !

mardi 14 août 2018

Directeur scientifique

Dans un billet précédent, j'ai évoqué la question des "directeurs scientifiques" pour des institutions de recherche telles que l'Inra ou le CNRS. Et j'avais conclu que la tâche était bien difficile... mais je renvoie mes amis vers ce texte que je ne veux pas refaire ici.
Aujourd'hui, c'est une question différente que je veux discuter : celle de ce qui est nommé "directeur scientifique" pour l'industrie.

Oui, pour des sociétés comme l'Air liquide, ou Rhodia, ou Lafarge, etc., qu'est-ce qu'un "directeur scientifique" ? Pour commencer, observons que ces sociétés n'ont pas pour vocation de faire de la recherche scientifique, mais bien plutôt de la recherche technologique ou technique. Je ne dis pas que ces sociétés ne puissent pas payer des scientifiques pour faire de la recherche scientifique, mais j'observe que chaque fois que cela s'est produit, les espoirs ont été déçus... et les services de recherche scientifique ont été les premiers fermés, quand les bénéfices de ces sociétés ont diminué. Et je crois préférable de bien penser une répartition des tâches qui confierait à l'Etat le soin d'organiser la recherche scientifique, le soin à l'industrie de chercher des applications des résultats obtenus par la recherche scientifique, par ce qui se nomme plus justement de la recherche technique ou technologique. La question, dans un fonctionnement de ce type, c'est de bien organiser les relations entre les scientifiques et les services techniques.

Mais considérons le cas d'une grosse société, qui vend des produits ou des services : ordinateurs, médicaments, matériaux, programmes informatiques, aliments... Il s'agit de faire des produits nouveaux pour être en avance sur les concurrents, pour proposer aux clients des produits qui rendent de meilleurs services que les produits des concurrents : programmes plus rapides, médicaments plus actifs, aliments meilleurs, etc. Pour cela, il faut effectivement des ingénieurs qui ne sont pas ceux qui font tourner les usines (les ingénieurs "procédés"), mais des ingénieurs qui connaissent suffisamment les sciences pour comprendre, pour pister ce qui se produit de plus avancé en science, afin d'en faire le meilleur usage.
Raison pour laquelle j'ai proposé que les écoles d'ingénieurs organisent les études autour des trois fonctions : apprendre à chercher les résultats des sciences, apprendre à sélectionner ces résultats en vue d'une application particulière, apprendre à transférer ces résultats pour améliorer les techniques couramment mises en oeuvre.

Pour diriger les ingénieurs qui feront donc ce triple travail, il faut (peut-être) un directeur, mais quel est la nature de ce directeur ?  Si cette personne est un scientifique, c'est bien un directeur scientifique.... mais dans la mesure où il ne fait plus de science, n'usurpe-t-il pas son titre ? Au fond, on n'est scientifique que si l'on pratique la recherche scientifique, mais si l'on fait de la direction d'ingénieur engagé dans la technologie, on n'est plus scientifique, n'est-ce pas ? Etre scientifique, ce n'est pas comme un titre de docteur en médecine ; c'est une activité.
Oui, ce directeur n'est donc généralement pas un directeur scientifique, sauf quand, il y a plusieurs années, une société comme Rhône Poulenc s'est adjoint les conseils de Guy Ourisson, Jean-Marie Lehn, Pierre-Gilles de Gennes et Claude Hélène, pour guider les ingénieurs vers de l'innovation : nos quatre collègues n'usurpaient pas le titre de "directeur scientifique", puisqu'ils indiquaient des "directions", ce qui est le propre d'un "directeur", et qu'ils étaient scientifiques.
En revanche, aujourd'hui, dans de nombreux cas, les "directeurs scientifiques" sont en réalité des directeurs technologiques ou des directeurs techniques. Et ils ont évidemment une grande importance industrielle !

lundi 26 février 2018

Le travail du mois

Chers Amis

Vous savez que, chaque mois, je fais une proposition "technologique" à mon ami Pierre Gagnaire, qui introduit cette nouvelle technique dans sa cuisine : il met au point entre une et quatre recettes qui utilisent la technique, met la recette en ligne... et l'utilise évidemment dans l'un ou l'autre de ses restaurants.

Cela se poursuit depuis 17 ans : n'est-ce pas la preuve que les sciences de la nature -en l'occurrence la gastronomie moléculaire- irriguent merveilleusement la technologie, la technique et l'art ?
Et n'est-ce pas, aussi la démonstration que la France est LE pays de l'innovation alimentaire  ?

Pour ce mois, vous trouverez nos travaux sur http://www.pierre-gagnaire.com/pierre_gagnaire/travaux_detail/118

Vive la Gourmandise éclairée !











Lors de notre dernier séminaire, je montrais cette photographie d'un plat servi par Andrea Camastra, dans son restaurant Senses, à Varsovie :



 On y voit de la viande... de sorte que mes amis m'ont fait observer que les plats n'étaient pas 100 % note à note. L'observation était légitime, mais la raison est la suivante :

Le menu est en quatre actes.

Le premier est un jeu 100 % note à note.

Puis il y a un mélange de cuisine classique, cuisine moléculaire, avec des "agréments" note à note... qui tiennent la place gustative principale. Ce second acte veut également rappeler que les cuisiniers de Senses maîtrisent parfaitement toutes les techniques, anciennes ou modernes. Par exemple, il y a des cuissons inédites des viandes, mais en l'occurrence, le goût des plats est un goût note à note.

Les troisième et quatrième acte sont la partie sucrée, entièrement note à note. Bien sûr, les techniques peuvent être classiques ou moléculaires, mais elles sont au service d'un goût entièrement nouveau.

Pas d'inquiétude, donc !  Et n'hésitez pas à aller à Varsovie avant qu'il ne soit trop tard, et que le monde entier de la cuisine ait réservé les places trois ans  à l'avance, comme chez Ferran Adria





Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)  

jeudi 1 février 2018

Inventer ? Rien de plus facile... à condition de soliloquer

La question de la créativité ou de l'innovation est lancinante, mais je m'en suis largement expliqué dans mon livre Cours de gastronomie moléculaire N°1 : Science, technologie, technique (culinaires) : quelles relations ? (Quae/Belin)  : ce livre est un manuel pratique d'innovation, en ceci qu'il introduit une méthode quasi automatique pour y parvenir.
Plus généralement, les "méthodes" sont des méthodes qui nous portent : il nous suffit de les mettre en oeuvre. Et voilà pourquoi, pour les étudiants, je propose que les parties "Informations" des cours soient sans intérêt, alors que les notions, concepts, méthodes sont les outils qu'ils doivent apprendre à utiliser. 

En science, aussi, cette question de la "créativité" est sans cesse discutée, et de très nombreux collègues ont souvent évoqué devant moi la difficulté d'avoir des questions de recherche, à moi qui, hélas, en déborde, au point que je propose de penser que le principal problème  n'est pas de trouver une question de recherche, mais plutôt de savoir sélectionner (voir des billets précédents, notamment à propos de bonnes pratiques en sciences de la nature, et tout particulièrement à propos de la première étape du travail) quelle question de recherche a un potentiel suffisant pour conduire à la découverte.

Et en cuisine ? Il y a un étrange paradoxe, à savoir que les cuisiniers suivent les recettes... alors que ces dernières sont bien impossibles à suivre, comme je l'avais largement montré dans mon livre Révélations gastronomiques (Belin) : les quantités font tout, mais impossible de décrire la quantité de cannelle, tant cette dernière est "concentrée" ; impossible de décrire même la quantité de farine, puisque ces dernières absorbent l'eau très différemment selon leur teneur exacte en "gluten", par exemple ; impossible de prescrire un goût, quand une asperge de début de saison ne ressemble pas à une asperge de fin de saison, quand la qualité des produits est si essentielle et si variable. De cette variabilité résulte souvent l'échec des recettes. 



Pour en revenir à la créativité, je propose aujourd'hui de partir d'une déclaration qui m'a été "offerte" par quelqu'un que j'invitais à participer au Septième Concours international de cuisine note à note :

"En cuisine je ne sais pas inventer. J'ai besoin d'avoir une recette toute faite que je suis à la lettre. Je ne m'y connais pas assez pour me permettre d'inventer."

Merveilleuse déclaration, qui me conduit aussitôt à inviter tous mes amis à lire ou à relire l'extraordinaire Thééthète de Platon (je n'en dis pas plus : ce qui ont lu le dialogue savent ce qu'il y a dedans, en substance, et les autres auront le plaisir de le découvrir). 

Repartons de l'observation : "En cuisine, je ne sais pas inventer". J'ai bien peur que cette déclaration ressemble à l'observation que je me faisais alors que je finissais mes études de chimie physique, et que je me disais : "Nos prédécesseurs ont découvert la relativité générale, la mécanique quantique... Que nous reste-t-il à faire ?
Dans un billet précédent, j'ai bien expliqué que chaque déclaration théorique peut être réfutée, de sorte que la science n'aura jamais de fin, et que les questions scientifiques fourmillent, de sorte que mon sentiment de fin d'études était tout à fait déplacé, et faisait surtout état de mon insuffisance épistémologique (mais, aussi, de celle de mes enseignants, puisque nous étions quasiment toute la promotion à partager mon sentiment).
Oui, si, étudiant, nous avons le sentiment de ne pas savoir "inventer", c'est bien que nos études ne nous ont pas donné le sentiment que, au contraire, nous avons tout en main pour le faire. Et voilà aussi pourquoi les TPE et le TIPE sont d'essentiels outils pédagogiques, qui doivent contribuer à éviter aux étudiants d'avoir ce sentiment. 

Bref,  en cuisine, comment inventer ? La question est vaste, et je propose de ne pas traiter la question de deux façons : 

- d'abord, en partant d'un lot d'ingrédients classiques

- ensuite, en partant des composés donnés aux concurrants du Concours de cuisine note à note. 



A partir d'ingrédients classique, nous pourrions nous donner de la viande de boeuf et des carottes. Qu'en faire ? De la viande de boeuf peut être divisée et servie crue (pas besoin de connaissances particulières pour savoir que les tartares existent) ou être cuite entière ou divisée. Cuite ? Elle peut être  bouillie, pochée, sautée, braisée, rôtie...
Tout dépend en réalité de quelle viande il s'agit : tendre (à griller, donc) ou dure (à braiser) ?
Pour les carottes, même question, mêmes réponses. Puis se pose la question de savoir si nous voulons cuire ensemble carottes et viande, ou si nous préférons les cuire séparément et les réunir ensuite. Les deux options sont possibles, mais on comprend que la cuisson simultanée est plus "paresseuse", ou "économe", selon le point de vue. Reste la question de savoir quels autres ingrédients ajouter... si nous en avons l'envie. Du  sel, poivre, bouquet garni ? Cela est presque un catéchisme, mais, au fond, pourquoi ?

Je propose plutôt de penser que tout est possible et que seul notre goût compte ! Le sel est effectivement utile, sensoriellement, parce qu'il interagit avec les autres récepteurs de la saveur, rehausse les sucrés (dans la carotte, il y a les trois sucres glucose, fructose, saccharose) et affaiblit les éventuelles amertumes, mais aussi parce qu'il conduit au relargage plus intense des composés odorants, de sorte que les plats prennent du "goût".
Le poivre ? Il a sa raison d'être, notamment parce qu'il stimule les récepteurs trigéminaux (les piquants, les frais), et le cuisinier alsacien dit bien que, pour un plat, il faut une partie de violence, trois parties de force, neuf parties de douceur.
Le poivre apporte de la violence, et l'on devra sans doute recourir à un brunissement des viandes ou des carottes pour faire de la force, si l'on n'ajoute pas d'autres ingrédients.
Mais au fait, pourquoi ne pas ajouter, ail, oignons, échalotes, poireaux, etc.? Aucune loi ne nous l'interdit.
D'ailleurs, aucune loi n'interdit d'ajouter du sucre dans le plat qui semble condamné à être salé... alors que nous pourrions faire un dessert. Oui, un dessert avec de la viande...

Pour "inventer", pour être créatif, on voit donc une règle : ne jamais supporter les règles, et les utiliser, même, pour les prendre à rebours. 

Dépassons le cas particulier de la viande de boeuf et des carottes. Plus généralement, soit des ingrédients I1, I2... In ; qu'en faire ? Chaque ingrédient peut être divisé et transformé individuellement. Ce qui conduirait à des Ii,1, Ii,2... Ii,k, et donc à des assemblages de la forme I1,α, I2,β... In,ξ.
Les transformations ? Nous les avons évoquées. Les ingrédients ? Soit nous regardons ce que nous avons dans le réfrigérateur et le garde manger, soit nous allons au marché, et nous établissons une liste.  Ce n'est pas le choix qui manque, bien au contraire : c'est l'abondance, l'excès de choix. Il nous faut un critère pour choisir, et tout critère convient, entre le lancer de dé, ou l'analyse physiologique, ou l'analyse de modes...



Passons maintenant aux ingrédients de la cuisine note à note, en restant sur les ingrédients dont disposaient les concurrents du Troisième Concours international de cuisine note à note.
Il y avait des protéines, des polyphénols, de l'octénol. Les protéines ? Elles coagulent quand elles sont chauffées en présence d'eau, mais on sait que  leur pyrolyse conduit à des goûts puissants. Les polyphénols ? Ajoutés à de l'eau, on dirait un début de sauce au vin. L'octénol ? Un puissant goût de sous-bois, de champignons.
Je ne sais pas pourquoi, mais cela me fait penser à de la viande avec une sauce au vin et des champignons.
Par exemple, grillons quelques protéines pour  leur donner un goût de viande grillée. Puis ajoutons ces protéines pyrolysées à des protéines non transformées et à de l'eau, à  raison de 50  pour cent de chaque ingrédient, histoire de faire comme dans les viande. Faisons une galette épaisse que nous salons, poivrons, et cuisons pour faire coaguler.
Nous obtenons une  galette qui a la consistance d'une viande. Divisons en cubes, puis mettons ces cubes dans une "sauce" faite d'eau, de polyphénols, d'un peu d'octénol, de glucose et de saccharose (puisque les végétaux apportent toujours ces sucres), ajoutons des protéines dans la sauce, comme nous le ferions avec du jaune d'oeuf ou avec la gélatine d'un pied de veau, et cuisons en touillant, afin que la coagulation des protéines dissoutes épaissise la sauce. Ca y est, nous avons un plat. 



La morale de toute cette affaire ? C'est que n'importe qui peut arriver à cette proposition -et à mille autres- avec des connaissances élémentaires, à savoir que les protéines peuvent coaguler, que les végétaux apportent  des saccharides, disons des sucres, que les viandes sont faites d'autant de protéines que d'eau. Rien de difficile. 

Oui, ce qui manque, c'est donc  la méthode, et je propose que  cette méthode soit le "soliloque"... mais c'est là un point que je devrai évoquer plus tard, dans un autre billet. 







Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

mercredi 20 décembre 2017

Puis-je sourire (moquerie) ?

On se souvient qu'il faut de la parfaite bonté, bienveillance, gentillesse... mais, parfois, les prétentions sont ahurissantes. Surmontons nos (petites) indignations, donc, pour conserver un état d'esprit parfaitement positif... sauf quand nous pouvons profiter de la chose pour dire des choses justes et utiles.

En l'occurrence, je combe sur  le paragraphe suivant :

"Les découvertes, au sens où je l'entends, résultent des travaux de recherche fondamentaux correspondant aux efforts faits par les chercheurs pour comprendre le monde qui nous entoure. Les inventions techniques sont des dispositifs nouveaux qui fonctionnent, mais n'ont pas forcément trouvé une application  grand public. Les innovations technologiques correspondent à des inventions pouvant résulter de découvertes et qui ont tuvé leur marché et leurs applications grand public."
 

Pourquoi ce paragraphe est-il risible ?
D'abord, parce que le mot "découverte" n'a guère a être défini par notre homme, surtout si mal. La découverte est à la fois l'acte de découvrir et l'object découvert, mis à la connaissance.
Et la "découverte scientifique", dans la seconde acception, est le fruit de la "recherche scientifique", terminologie qui est quand même plus précise que "recherche fondamentale". D'ailleurs, à ce sujet, on observe que le paragraphe n'utilise pas cette expression, mais plutôt "travaux fondamentaux de recherche" (je réorganise pour mieux faire sentir la chose).

Surtout, il y a cette distinction entre innovation technique et innovation technologique. Là, notre auteur dit le contraire de la langue, très illégitimement. Nous n'avons pas besoin de lui pour redéfinir les termes, même s'il appartient à une de nos académies. 
Une innovation est d'abord le fait d'innover, avant d'être le résultat de cette action, une chose nouvelle introduite. Bref, une innovation est une nouveauté, qu'elle ait ou non des applications dans un champ technique.
Pour la "technique", c'est le faire. Par exemple, la cuisine est une technique, ainsi que la plomberie, l'analyse chimique, la médecine, la confection de routes... Et "innovation technique" est  une expression un peu ambigüe pour signifier innovation de la technique. Par exemple, le siphon, en cuisine, est une innovation de la technique (culinaire), puisqu'il remplace le fouet.
Pour l'innovation technologique, c'est une innovation qui concerne le domaine de la technologie, donc du perfectionnement des techniques. Par exemple, quand un logiciel de conception des puces microélectroniques remplace le dessin des puces par des dessinateurs industriels dans des bureaux d'étude, c'est une innovation qui concerne la technologie, donc techonologique.
Bien sûr, on pourrait arguer que les dessinateurs industriels font un travail technique, de sorte que le logiciel serait une innovation technique. OK, passons alors au travail de l'ingénieur proprement dit : un logiciel qui lui permet de mieux connaître des flux de matière dans son usine facilite et transforme son travail. Innovation technologique.

Bref, les mots ont des sens qui ne nous appartiennent pas, et il faut beaucoup de stature pour avoir la moindre chance de bouleverser les mots... en supposant qu'il y ait un vrai besoin de le faire.
Mais, surtout, si l'on introduit des concepts nouveaux, pourquoi ne pas introduire des mots nouveaux ?

vendredi 21 juillet 2017

La clé de l'innovation alimentaire, pour la partie technique, c'est la physique et les sciences chimiques.

Innover du point de vue alimentaire ?

Les innovations que proposent l'industrie alimentaire sont parfois bien faibles, et ce ne sont souvent que des  variations de systèmes classiques, qui  s'apparentent en réalité à l'empirisme des cuisiniers.
D'ailleurs, les élèves ingénieurs ne sont  pas mieux placés que ces derniers, voire moins bien, car ils sont souvent bien ignorants ce qui s'est déjà fait. Car nos étudiants n'ont pas de connaissances spécifiques pour faire bien, et on n'oublie pas que certains cuisiniers sont des individus de talent, dont le savoir et l'intelligence dépassent parfois largement ceux de nos étudiants… qui n'ont donc que très peu à apporter.

Que  faut-il  à nos étudiants pour être capables pour dépasser l'empirisme, d'une part, et, d'autre part, pour avoir une compétence qui soit réellement supérieure à celle d'un cuisinier (d'un point de vue technique) ?
Dans notre master IPP, à AgroParisTech, nous avons notamment répondu avec une unité d'enseignement qui s'intitule « physico-chimie pour la structuration des aliments », et plus j'y pense, plus cela est légitime, car les aliments sont en réalité des assemblages physico-chimiques, de sorte que leur compréhension, leur construction, leur analyse, reposent sur des connaissances physiques et chimiques. Nous devons comprendre la constitution des composés qui entrent dans la composition des aliments, et nous devons aussi comprendre comment ces composés sont organisés.

La question des forces intermoléculaires est évidement essentielle, et l'on aurait toujours intérêt à se souvenir que ces forces se classent utilement par ordre d'énergie croissante. Les plus faibles sont les forces de van der Waals … qu'il faut donc connaître. Puis il y a les liaisons hydrogène… qu'il faut donc connaître. Puis il y a les ponts disulfure, qu'il faut aussi connaître, et qu'il faut notamment connaître parce qu'ils sont responsables de « coagulations »,  importantes pour la constitution des aliments. Il y a aussi les liaisons covalentes qu'il faut connaître, mais il faut surtout savoir entre quels composés ces liaisons covalentes peuvent s'établir et dans quelles conditions. Enfin il y a les liaisons électrostatiques, qu'il faut connaître aussi, et, là, une connaissance supplémentaire utile est la portée de telles liaisons, en plus de leur intensité.

J'ai esquissé à propos des liaisons covalentes une nouvelle discussion, qui est celle de la compréhension des possibilités de réaction. C'est la nature des composés, leur constitution atomique, qui détermine leur réactivité, de sorte que s'imposent absolument des cours de chimie organique pour nos étudiants ingénieurs.
Mais ce n'est pas suffisant, car la compréhension de la structure physico-chimique des aliments montre bien que la physique est largement à l’œuvre, aussi. Par exemple, la turgescence des cellules de racines de carotte est la clé de leur fermeté, quand ces ingrédients culinaires sont « frais ». Cette fois, il n'est pas question de chimie, mais de physique. De même, la clé de l'amollissement des tissus végétaux chauffés, par exemple des rondelles de carotte dans une casserole, découle également d'interactions physiques en plus des modifications chimiques.
A vrai dire l'échelle des énergies de liaison n'est pas segmentée, avec  d'un côté la physique pour les forces faibles et d'un autre côté les forces fortes pour la chimie. Non, c'est une échelle continue, où il est arbitraire de séparer les liaisons covalentes, à savoir la chimie pour faire simple. D'ailleurs, l'introduction de la chimie supramoléculaire fut exactement l'occasion de reconnaître qu'il y avait des édifices polymoléculaires qui s’apparentaient à la fois à ces édifices atomiques qu'on nomme molécules et à des systèmes plus labiles, tels des cristaux de sucre qui se dissolvent dans l'eau, et qui relèvent de la physique. En réalité, la chimie reconnaît bien que l'échelle des énergies est continue, et elle ne veut pas faire de distinction inutile qui gênerait le raisonnement de l'ingénieur quand il doit constuire des aliments.

Et la gastronomie moléculaire dans tout cela ? D'une part, il faut préciser que cette discipline scientifique n'est pas de la technologie ou de l'ingénierie, mais de la science, c'est-à-dire de la production de connaissances, et plus spécifiquement la recherche des mécanismes des phénomènes qui surviennent lors de la préparation des aliments. D'autre part, il faut signaler que la gastronomie moléculaire explore des phénomènes bien particuliers, et que, à ce titre, elle a toute sa place dans la formation d'étudiants ingénieurs, en cela qu'elle fait apparaître des informations qui seront utiles pour la construction des aliments. C'est bien parce que l'on analyse les phénomènes qui se produisent lors des phénomènes culinaires, de production des aliments, que l'on identifie des mécanismes que l'on peut ultérieurement mettre à l’œuvre lors de la constructions d'aliments par des méthodes qui ne sont plus empiriques.

Oui, la gastronomie moléculaire est une sous-partie de la science des aliments, et oui, elle nécessite des recherches de physique et de chimie. Mais on a plus de discernement, plus de clairvoyance, si l'on ne fait pas un grand sac et si, au contraire, on cherche plus spécifiquement de quelle partie il s'agit. L'ayant expliqué ailleurs, je n'y reviens pas, mais je conclus en répétant combien nos étudiants ont besoin d'une formation de physico-chimie !

samedi 13 août 2016

Comment faire d'un petit mal un grand bien ?


Dans les emails que chaque membre de notre Groupe de gastronomie moléculaire envoie à  tous les autres, chaque soir, pour faire état des travaux effectués pendant la journée, il y a un tableau qui comporte des lignes. Par exemple,  nous décrivons  nos travaux, scientifiques ou de communication, nous décrivons ce que nous avons fait d'un point de vue administratif, nous disons ce que nous avons appris (connaissances) et appris à faire (compétences) ; nous disons ce que nous avons donné aux autres : un coup de main, un calcul, la correction d'un texte.

Mais la ligne la plus essentielle de ce tableau est intitulée "symptôme"  : nous décrivons ce qui a coincé. Cette ligne est essentielle, parce que l'analyse de ce qui a coincé est la possibilité de progresser. C'est parce que nous nous heurtons à un obstacle, si nous apprenons à le contourner, à l'escalader, que nous aurons des chances de progresser. Si nous identifions qu'une connaissance nous manquait, nous l'obtenons.  S'il nous manque une compétence, nous pouvons avoir l'objectif de l'acquérir.
Chaque fois, il y a ce mouvement très positif d'arriver à un état meilleur que l'état précédent. Il y avait un un petit mal, et nous en avons fait un bien. Tant qu'à faire, pourquoi pas un grand bien ?

Un bon exemple d'un tel mouvement eut lieu un jour, avant un banquet que je devais commenter, et où une sauce avait raté : la sauce était grumeleuse, impossible à servir...
Ce jour-là, j'ai eu l'idée d'analyser la question : la sauce était ratée ? Que cela signifiait-il ? Qu'il y avait un sédiment et un liquide clair. Clair ? Après tout,  les cuisiniers cherchent toujours à clarifier les bouillons, de sorte que cette clarification était un avantage. Nous pouvions donc produire un liquide clair à partir de cette sauce grumelée.
Effectivement la décantation de la  la sauce ratée conduisit à une sorte de purée, qui avait beaucoup de goût, et qui fut servie, et à un liquide parfaitement clair, qui avait le goût de la sauce visée.
Finalement ce petit mal de la sauce ratée a conduit non seulement à une sauce d'une limpidité absolue, qui fut servie dans un verre de cognac, mais aussi à me faire comprendre que nous aurions sans doute intérêt à toujours faire d'un petit mal un grand bien. A nous d'analyser le ratage, pour parvenir à ce grand bien. Ce n'est pas un grand bien obtenu par déduction, mais par induction, de sorte que si nous y avons pensé beaucoup, nous saurons faire preuve de créativité.
Là, j'entends nombres d'amis qui avouent leur insuffisance dans ce domaine : créativité, innovation... Toutefois j'ai fait un livre entier (Cours de gastronomie moléculaire N°1) pour expliquer comment la créativité n'est pas un don du ciel, mais plutôt la mise en œuvre active d'une méthode systématique que j'ai  détaillée dans ce livre. La méthode est systématique, donc infaillible. Elle ne demande qu'une chose : du travail... ce qui est donc merveilleux, au moins pour les individus  que j'estime le plus : ceux qui n'hésitent jamais à se retrousser les manches. Je ne doute pas que le travail leur donnera  la créativité, après un peu d'exercice, de sorte que, presque à coup sûr, ils sauront faire d'un petit mal un grand bien.

jeudi 18 juillet 2013

Vive la technologie, surtout quand elle est bien enseignée.


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Dans un précédent billet, je me suis efforcé de bien distinguer la technique, la technologie et les sciences quantitatives.
La technique, c'est le « faire ». Le cuisinier, par exemple, fait un geste technique, il produit des plats, objets matériels. Toutefois la matérialité n'est pas l'apanage de la technique, car un programmeur fait également des gestes techniques, tout comme un médecin (ce n'est pas moi qui le dis, mais le grand Claude Bernard : le médecin doit soigner, produire des soins, malgré les prétentions).
Le technologie ? Il suffit d'examiner les mots : techne, faire, et logos signifie « étude », « connaissance »... La technologie utilise le savoir, les connaissances, pour améliorer les techniques. Là encore la définition n'est pas de moi : c'est celle qui a été retenue pour la classe « Technologie et société » de l'Académie royale des sciences, des arts et des lettres de Belgique.
Enfin, la science quantitative ? Cette fois il s'agit de production de connaissances : comme on l'a vu plusieurs, on recherche les mécanismes font des phénomènes par une méthode nous avons eu l'occasion de décrire font soigneusement.

Comment enseigner la technologie ?
Prenons un exemple : la recherche de gelée claire au goût de vin rouge. Si l'on prend un vin tannique et et si on lui ajoute de la gélatine, un trouble apparaît ; la gelée qui prend n'est pas claire. Comment éviter ce désagrément ? Dans un tel cas, la connaissance des phénomènes qui ont eu lieu donne plusieurs pistes. Notamment les polyphénols des vins rouges, et plus spécifiquement les polyphénols de la classe des tanins, ont la propriété de se lier aux protéines. C'est cela qui est à l'origine du trouble : les agrégats deviennent si gros qu'ils perturbent la propagation de la lumière.
Autrement dit, puisqu'on ne peut pas changer le vin, on pourrait changer l'agent gélifiant : au lieu d'utiliser de la gélatine, qui est une protéine, on pourrait utiliser divers polysaccharides : agar-agar,alginate...

La moralité de cette affaire est claire : la connaissance des résultats scientifiques permet l'action.

De ce fait, de jeunes ingénieurs doivent être formés à la connaissance des résultats scientifiques. Ils doivent apprendre à chercher des résultats... mais la masse de connaissances où ils devront fouiller est immense. Il faudra donc qu'ils apprennent à sélectionner les connaissances qui répondront aux questions qu'ils se posent. Puis viendra l'étape d'utilisation de ces connaissances, le retour à la technique, le « transfert technologique ».

Au total, de jeunes ingénieurs semblent avoir besoin d'au moins quatre compétences essentielles : d'abord ils doivent apprendre à vivre en société, dans cette société particulière qu'est le monde industriel, lequel n'est pas déconnecté du monde général. Dans cette partie de leur éducation, il devrait y avoir de l'éthique, mais aussi le maniement du langage, c'est-à-dire -soyons simples- de l'orthographe, de la grammaire, de la rhétorique, de la logique. Pas grand-chose de neuf depuis Aristote ou Condillac ! D'ailleurs, je n'ai considéré ici que la langue française, mais il y aurait lieu d'apprendre une plusieurs langues étrangères. Plus généralement, regroupons toutes ces matières indispensables sous le nom d'humanités. À côté, il doit y faut un enseignement qui permette de sélectionner des résultats utiles... ce qui suppose qu'il y aura eu un enseignement qui conduit à comprendre les résultats des sciences quantitatives. Enfin, il faut un enseignement du transfert technologique, le travail qui consiste à passer du résultat scientifique à l'application.

Cette vision a des corollaires, et, notamment, elle montre qu'il ne faut pas transformer les ingénieurs en scientifiques. Les ingénieurs n'ont pas à passer leur temps à chercher les mécanisme des phénomènes. Même s'ils sont de remarquables ingénieurs de recherche, leur objectif est technologique. Même si, au cours de leur des travaux technologiques, des innovations surviennent, utiles à l'exercice de la science, les ingénieurs ne semblent pas devoir faire de sciences quantitatives pour autant. Par exemple, au Centre IBM de Zürich, il y a quelques années, M. Rohrer et M. Binnig avaient mis au point un microscope à effet tunnel. Il ne s'agissait pas d'aller explorer les phénomènes, mais bien de mettre au point un microscope. La science a largement fait usage de ces outils, comme Galilée fit usage de la lunette, récemment intentée. Plus généralement, la science utilise très fréquemment les innovations, les nouveaux moyens d'observation, mais la science a ses objectifs et ses méthodes, et la technologie en à d'autres.

Vive la technologie !

samedi 4 mai 2013

Des précisions utiles pour de futurs professionnels

La pédagogie doit-elle se fonder sur la répétition ? C'est parce qu'on le dit que j'en doute : salutaire réaction. Au lieu d'ânonner, ne doit-on pas plutôt tourner autour du noeud de l'incompréhension, jusqu'à le débusquer ? Oui, il y a l'exposé des faits, préalable au jugement, mais si les faits avaient une organisation rationnelle, ils seraient sans doute plus "admissibles"...
Tout cela me vient, parce que je reçois le message suivant :

"Bonsoir, élève ingénieur, je suis intéressée depuis quelques années par l'étroite relation existant entre les sciences et la cuisine. Je me pose notamment des questions sur une éventuelle carrière dans ce domaine.
J'aurais dès lors aimé vous rencontrer afin d'en apprendre un peu plus sur vos sujets actuels de recherche. Si cela vous convenait, j'apprécierais de plus beaucoup de passer une semaine dans votre laboratoire cet été (pour travailler par exemple sur un sujet que j'aurais pu par ailleurs travailler un peu en amont afin de rentabiliser le temps passé en laboratoire).
En attente de votre réponse, je vous prie de croire en ma respectueuse considération."



1. Les relations entre science et cuisine ? Stricto sensu, il n'y en a pas : la cuisine produit des mets, et les "sciences quantitatives" cherchent les mécanismes des phénomènes.
MAIS : il est vrai que la cuisine peut utiliser des résultats des sciences, via la technologie, et il est vrai que la cuisine est pleine de phénomènes, que les sciences quantitatives peuvent explorer... d'où la "gastronomie moléculaire", laquelle, au fond, espère faire des "découvertes" (comme la relativité, la mécanique quantique, etc.) en cherchant les mécanismes de ces phénomènes.

2. Une carrière dans ce domaine ? Lequel ? A la lumière de ce j'écris plus haut, il faut choisir :
- technicien : c'est de la cuisine
- artiste : c'est de la cuisine
- technologue, ou ingénieur : c'est vers quoi je pousse les gens de talent, parce qu'il en va à la fois de l'intérêt national, et aussi de l'intérêt du public ; des ingénieurs de qualité dans l'industrie alimentaire, ce sont à la fois des produits innovants, des produits de qualité, et une industrie alimentaire française qui a ses chances à l'export, sans compter la réputation du pays.
- scientifique : les sciences quantitatives sont des sciences quantitatives, et la cuisine n'est vraiment qu'accessoire

3. Vous rencontrer : très volontiers.
3'. Passer une semaine au laboratoire cet été : une semaine, c'est court pour un travail de physico-chimie... mais tout est possible : le laboratoire est ouvert à toutes les personnes droites, intéressées, désirant travailler (quel beau mot). Il y a quelques règles, mais le but est (pour moi, en tout cas), de contribuer à ce que chaque personne du groupe apprenne autant qu'il peut.

4. Des sujets : une étudiante de l'ENS s'étant étonné que notre site n'affichait pas les thèmes de recherche, j'ai fait cela (pas à jour, parce que trop d'idées, hélas) : http://www.agroparistech.fr/Les-travaux-du-Groupe.html


Bref, parlons-en...

jeudi 6 octobre 2011

Les trophées de l'innovation Louis Pasteur 2012

Je suis heureux de vous annoncer le lancement des Trophées de
l'Innovation Louis Pasteur 2012.

Les dates retenues sont :

- 12 mars 2012 pour la date limite de réception des dossiers de
candidature
- 15 mai 2012 pour la remise des prix

"pour la septième année consécutive, l'ISBA (Institut des Sciences, des
Biotechnologies et de l'Agroalimentaire de Franche-Comté) fédérant les
2 ENIL (Ecole Nationale d’Industrie Laitière) de Poligny et de
Mamirolle, organise les Trophées de l'Innovation Louis Pasteur.

Cet évènement s'inscrit dans le cadre du pôle régional Franc-Comtois
de la fondation nationale "Science et Culture Alimentaires".
Il permet de sensibiliser de nombreux étudiants, à l'échelle nationale,
aux problématiques de l'innovation dans les métiers de l'agroalimentaire
et à la prise en compte de la dimension nutritionnelle des produits
développés, garante d’une offre alimentaire française de qualité.

Il est parrainé par Hervé This et est organisé en partenariat avec
l'Académie des Sciences, la Maison Louis Pasteur (Arbois) et l'INRA.
Le Conseil Régional de Franche-Comté ainsi que la Direction Régionale
de l’Alimentation, de l’Agriculture et de la Forêt (via le Programme
Régional de l’Alimentation) apportent leur soutien financier à cette
initiative.

Après le succès de la 6ème édition dont la remise des prix avait été
effectuée dans les locaux du Conseil Régional de Franche-Comté à
Besançon et les nombreux retours positifs reçus (industriels, monde
scientifique, étudiants, formateurs,...), il est déjà temps de penser
à l'édition 2012 ! "

Cordialement


Alexandre DUTHEIL
Chargé de Mission Agroalimentaire 
Animateur du Réseau Régional de Recherche en Agroalimentaire et
Environnement (R32AE)

ENIL - 25620 Mamirolle
ENILBIO - Rue de Versailles - 39801 Poligny
Tél : 03 81 55 92 00 - Fax : 03 81 55 92 17
Portable : 06 33 79 49 74
E.mail : alexandre.dutheil@educagri.fr