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dimanche 6 septembre 2015

Les « fous scientiques », les imposteurs, les erreurs

Il y a parfois des prétentions pseudo scientifiques vraiment ahurissantes. Par exemple, un ami vient de m'interroger à propos d'un site internet où est exposée une méthode prétendue miraculeuse pour améliorer la croissance et l'état de bon développement des plantes. Evidemment cette méthode est vendue très cher : son auteur, parfaitement inconnu des milieux agronomiques, propose des formations, des diagnostics, des remèdes... Qu'en penser ? Et que penser, plus généralement, des propositions qui heurtent le bon sens rationnel ?

Le remède miracle doit toujours nous rendre soupçonneux, car la panacée n’existe pas (sans quoi les individus qui la possèdent seraient immortels). De surcroît,  l'histoire de humanité a largement montré que des individus malhonnêtes ont toujours profité du désarroi des autres pour gagner de l'argent, malhonnêtement donc : cela allait du sorcier, auquel on confiait le soin de faire tomber la pluie, aux rebouteux variés et autres diseurs de bonne aventure.
Or un agriculteur, un vigneron, est quelqu'un d'exposé aux  intempéries, aux vicissitudes du climat, aux attaques des micro-organismes, champignons ou moisissures, et, quand il voit le fruit de son travail menacé ou ruiné, il s'interroge, évidemment, sur des moyens d'éviter la catastrophe. Des malhonnêtes cherchent à profiter de ce désarroi.
Le cas qui m'était soumis récemment est intéressant, puisque le site en question évoquait  des concepts scientifiques modernes inconnus (sauf le nom) de la majorité des agriculteurs. Or quand un  concept très spécialisé est évoqué, nous sommes démunis pour juger du discours qui nous est proposé, de sorte que nous sommes exposés à la fraude éventuelle.
Ici, les concepts étaient (en apparence seulement, comme on va le voir) ceux  de la mécanique quantique, ce qui n'est pas enseigné couramment dans les écoles d'agronomie : à beau mentir qui vient de loin). Et c'est pourquoi  j'ai pris un long moment pour aller  examiner les prétentions qui  m'étaient soumises.
Le site évoquait donc la mécanique quantique, que je connais puisque je l'enseigne en master de physico-chimie, et il commençait par indiquer que la physique moderne avait découvert la « dualité onde-corpuscule ». Jusque  là, je n'ai pas trop à redire, bien qu'une telle phrase soit « datée »  d'au moins d'un demi siècle et qu'elle traîne un peu partout, de sorte qu'il n'a pas dû  être difficile de faire un copier-coller. Ajoutons qu'un professeur de mécanique quantique, dans une université, pourrait prononcer une telle expression, mais il serait sans doute plus précis, puisque l'on comprend bien, aujourd'hui, que l'aspect sous lequel nous apparaissent les objets matériels (moléculaires, atomiques, sub-atomiques) sont déterminées par l'expérience que l'on fait sur lesdits objets : l'expression est datée d'au  moins un siècle. Observons aussi que si « dualité onde-corpuscule » impressionne quelques clients potentiels crédule, l'expression me rend méfiant : je propose depuis longtemps, à mon entourage et à moi-même, d'être circonspect quand on prononce devant nous des mots de plus de trois syllabes.
Puis le site nous explique que, puisque les molécules sont des ondes selon la mécanique quantique (je répète que la phrase, dite ainsi, est fautive), il y a une fréquence de ces ondes : tel l'espacement entre les rides à la surface de l'eau. Je choisis volontairement cet exemple des rides (il n'est pas dans le site, lequel ne donne aucune explication ; ben tiens !), car il y a une différence entre la longueur d'onde, qui est un espacement spatial, et la fréquence, qui correspond à un espacement temporel. Entre les deux, il y a la vitesse de propagation, et ce n'est  pas rien, mais il y a bien plus, comme on va le voir maintenant.
Bref, notre site nous dit que puisqu'il y a une possibilité d'associer une fréquence à  un objet matériel, on peut agir sur l'objet avec des fréquences. Jusque-là, pas de problème, sauf que  les phénomènes ondulatoires sont de nature très diverses, entre  la propagation du son dans l'air, qui correspond à une onde de pression, qui nécessite donc de l'air pour se propager (et il y a au  Palais de la découverte une expérience amusante où le son s'éteint quand fait le vide dans une cloche) et une onde électromagnétique, qui se propage même dans le vide. Ou encore, imaginons un groupe de personnes qui se donnent la main, et qui s'inclinent l'une après l'autre : une onde d'inclinaison se propagerait... mais émettre une lumière de longueur d'onde proportionnelle à la longueur d'onde de l'onde d'inclinaison permettrait-il d'agir sru  l'inclinaison ? Non, bien sûr... d'autant que pour une proportion, il faut une constante de proportionnalité : ici, laquelle ?
Tout cela est donc parfaitement arbitraire, et comme le site en question fait de même, on doit penser que c'est du grand n'importe quoi... ce dont on se doutait.  Pour en terminer sur ce point, selon les ondes, il y a une différence considérable, et la ressemblance entre les diverses ondes n'est qu' élémentaire, concernant l'ondularité du phénomène.
Le site, lui franchit allègrement le pas,  et prétend que faire entendre des sons de fréquence appropriée aux plantes permet d'activer des molécules particulières, de les faire synthétiser (je passe sur les détails qui sont donnés) et donc de stimuler leurs défenses, de stimuler leur croissance, etc.
Je vous épargne une série d'autres observations qui montrent à l'évidence que le sujet de la mécanique quantique n'est pas maitrisé par  les auteurs du site en question, pas plus  que la biologie moléculaire, qui constitue le second gros morceau de l'affaire. N'empêche que ce site prétend avoir des clients,  pour lesquels il prétend évidemment avoir obtenu des résultats spectaculaires. Tout cela doit nous faire immédiatement penser à Cyrano de Bergerac, le vrai, qui vécut au  17e siècle, qui disait que chaque fois qu'on lui avait parlé de sorciers qui avaient de bons résultats,  c'était à plus de 400 lieues de là ! Les prétentions de panacées sont de ce type, jamais vérifiables ou jamais vérifiées, et l'histoire des sciences montre que chaque fois que l'Académie des sciences pris la peine de tester les prétentions des charlatans, on a vérifié que l'or n'était que de la pacotille. C'était donc du temps perdu !
Se pose finalement la question essentielle, pour toutes les affaires de ce type : quand une prétention ahurissante est-elle du charlatanisme ?  quand une découverte  scientifique extraordinaire est-elle vraiment une découverte scientifique extraordinaire ?
La question est difficile et, dans le temps,  je proposais de "tenir le probable pour faux jusqu'à preuve du contraire",  que ce soit en science, ou en médecine ou en agronomie, etc. Si j'ai changé pour une formulation plus positive, l'idée me semble conserver son intérêt, notamment ici. Ajoutons que ce n'est pas à nous qui recevons l'information d'une action prétendument merveilleuse d'aller prouver qu'elle est justifiée ou non, mais c'est plutôt à ceux qui évoquent la chose d'établir la véracité de leurs dires.
En sciences, il a le mot essentiel de « validation », insuffisamment enseigné, et qui fonde la bonne science. Les validations sont bien difficiles,  au point que, ces dernières années, plusieurs découvertes faites par des scientifiques  raisonnables ont été finalement  réfutées, alors que la communauté se penchait avec bienveillance sur les possibilités de leurs découvertes. Au CERN, à Genève, on a cru voir une propagation plus rapide que la vitesse de la lumière, et la communauté s'est émue jusqu'à ce que, finalement, on s'aperçoive que les calculs étaient erronés, et que la vitesse de la lumière restait la vitesse limite ; de même, il y a plusieurs années, la fusion froide (pourtant décrite complaisamment par des journalistes médiocres d'un grand quotidien national) en est restée aux annonces (on me signale en commentaire que la chose aurait été confirmée, de sorte qu'il faut  voir très prudemment) ; la prétendue  mémoire de l'eau, aussi, a fait perdre beaucoup de temps (là, aucun doute), et ainsi de suite. Pour autant, il y a devant nous des découvertes extraordinaires qui nous attendent, et il nous faut donc bien séparer le bon grain de l'ivraie.
Je ne règle donc pas la question posée, mais je propose de ne  jamais accepter d'idées qui n'aient pas été testée, non pas par ceux qui  soutiennent des choses ahurissantes et qui nous disent ce qu'ils veulent bien nous dire, mais par des instances indépendantes, qui n'ont pas d'intérêt financier dans la mise en œuvre de ces propositions. En médecine,  la question se pose souvent, car les rapports entre le corps et l'esprit sont compliqués, et  l'effet placebo existe, sans que son mécanisme soit encore connu (il y a donc lieu d'explorer ce mécanisme, mais cela est difficile, car l'être humain n'est pas un  cobaye ; il faudra également apprendre à connaître les limites de cet effet, car il semble n'être que probabiliste contrairement à l'action d'un antibiotique sur des micro-organismes).
Je termine en signalant que j'ai encore, sous mon bureau, une caisse pleine de propositions délirantes qui m'ont été envoyées au fil des décennies : des théories du tout, de prétendues démonstrations du théorème de Fermat, de prétendues explications de l'attraction des corps célestes à l'aide de particules qui n'ont jamais été détectées, par des individus isolés, qui n'ont aucun moyen de le faire, des  théories entièrement imaginées, et qui s'apparentent à du délire…
Bref on cause beaucoup au café du commerce, mais ce ce n'est pas là que se construit le savoir,  et nous perdons notre temps à  considérer les élucubrations des désoeuvrés avec plus qu'un oeil désolé... ou furieux, quand des prétentions  malhonnêtes veulent gruger nos amis. 

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