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lundi 18 mars 2024

De la délicatesse des liaisons

Les sauces ne sont pas des jus, et elles sont plus "fluides" que des purées. Il s'agit de liquides qui ont une certaine "épaisseur", obtenue par une "liaison". 

Et il y a des liaisons variées : 

- à l'aide de farine ou d'amidon, comme dans les veloutés ;

- à l'aide d'œuf, comme dans les hollandaises, les béarnaises ou les crèmes anglaises ; 

- à l'aide de sang comme dans les civet ; 

- par émulsion comme dans les mayonnaise ; 

- par dispersion de particules solides, ce qui se nomme des suspensions, comme dans les purées étendues ou les velours (avec la carotte) et ainsi de suite.

Mais beaucoup de ces systèmes sont opaques ou translucides,  pas transparent,  et il y a des vertus à napper les pièces de l'assiette par une belle sauce limpide et transparente, ce qu'on n'obtiendra pas avec les systèmes précédents, même en passant un velouté au chinois. 

 

Comment nous y prendre ? 

 

Une clé est la dissolution de gélatine ou de molécules analogues dans un liquide clair. Partons d'un jus clairs, limpoides, réduisons-le et ajoutons lui beaucoup de gélatine : alors la sauce prend de l'épaisseur et garde une transparence parfaite. 

Évidemment, une telle sauce figera si sa température est inférieure à environ 30 degrés mais en tout cas, pour une sauce chaude , il n'y a pas de problème et on obtiendra un résultat tout à fait merveilleux.

mardi 5 mars 2024

Des enjeux, dites-vous ? Mais savez-vous bien ce que vous dites ?

Hier, dans des discussions de stratégie scientifique, mes interlocuteurs utilisaient le mot "enjeu" à toutes les sauces, et quand il ne s'agissait pas d'enjeux, il y avait des "défis" et des "challenges". 

J'ai eu la curiosité -malsaine, asociale, tout ce que vous voudrez- d'aller regarder dans un dictionnaire pour comprendre ce que mes amis disaient... et que je ne comprenais ... pas moins que les autres. 


Et voici :  

"Enjeu

Ce que l'on risque dans un jeu et qui doit, à la fin de la partie, revenir au gagnant.  

Ce que l'on peut gagner ou perdre dans n'importe quelle entreprise."

 Manifestement, la transition alimentaire qui semble s'imposer aujourd'hui ne relève pas de la première définition. Et la seconde définition non plus ne s'applique pas... puisque ce serait précisément la transition alimentaire qui serait l'entreprisse, et pas ce que l'on peut gagner ou perdre à cette transition. 

Donc mes amis disaient n'importe quoi ! 


Défi, maintenant ? 

"Action de provoquer quelqu’un à une lutte, à une compétition, à un jeu.

 Le fait de tenir tête à quelqu’un, de s’opposer à son pouvoir, de le braver. "

 Là encore, la transition alimentaire n'est pas l'action de provoquer quelqu'un, ni de tenir tête à quelqu'un. 

 

 

Je passe sur "challenge", qui est un anglicisme pour "défi", et je dois hélas conclure que mes amis disaient n'importe quoi. J'espère quand même qu'ils se comprenaient eux-mêmes ! 

dimanche 3 mars 2024

Quelques annonces

Tout récemment, des publications : 


1. L'article que je consacre à la confection de "filaments" végétaux, pour des reproductions de viande (les fibres musculaires). C'est dans la revue Pour la Science, et accessible ici : https://www.pourlascience.fr/sr/science-gastronomie/steaks-vegetaux-une-consistance-sur-le-fil-26151.php 

2. Des billets terminologiques, sur le site des Nouvelles gastronomiques : 

Hervé This, Les niocs, ce sont presque des gnocchis, Nouvelles Gastronomiques, https://nouvellesgastronomiques.com/les-niocs-ce-sont-presque-des-gnocchis/, 12 février 2024.

Hervé This, Rissoler, cela vient des rissoles, Nouvelles gastronomiques, https://nouvellesgastronomiques.com/rissoler-cela-vient-des-rissoles/, 28 février 2024.

 

3. Le compte rendu de notre dernier séminaire : https://icmpg.hub.inrae.fr/travaux-en-francais/seminaires/seminaires, avec notamment les résultats des expériences sur le massage du chocolat

 

4. Des changements dans le Glossaire des métiers du goût : https://icmpg.hub.inrae.fr/travaux-en-francais/glossaire 

Jamais de mesure sans estimation de l'incertitude.

Dans la catégorie des bonnes pratiques en science, il y a des données élémentaires, et l'une d'entre elles est qu'une mesure doit toujours être assortie d'une estimation de sa qualité. 

 

Pour expliquer la chose, je propose de considérer l'exemple d'une balance de précision, que l'on utilise pour peser un objet, par exemple un principe actif pour la réalisation d'un médicament. Dans un tel cas, on comprend qu'il est hors de question de se tromper sur la mesure, car ces produits sont extraordinairement actifs, de sorte que la vie des patients en dépend. Nous avons donc à peser correctement ce principe actif, et voilà pourquoi nous utilisons une balance de précision. Évidemment cette balance aura été contrôlée, car il serait dramatique d'utiliser une balance fausse. Contrôlée ? Cela signifie qu'un contrôleur sera venu avec un étalon, et qu'il aura comparé la masse connue de l'étalon avec la masse affichée par la balance. Cela se pratique en général une fois par an, car ces contrôles sont coûteux. 

De sorte que, puisque l'intervalle entre deux contrôles est très long et qu'il peut se passer mille choses pendant un an (la foudre qui dérègle la balance, un choc qui la fausse...), on aura intérêt à contrôler soi-même ses balances à intervalles bien plus cours (un jour, une semaine au maximum), notamment à l'aide d'étalons secondaires, que l'on aura préparé la façon suivante : on prend un objet inusable, par exemple un bout de métal ou de verre que l'on conserve précieusement dans un bocal, sur un coton ou sur un papier afin qu'il ne puisse pas s’abîmer, et, et on le confronte à l'étalon primaire, le jour où le technicien contrôleur vient contrôler les balances. Sur la boîte qui contiendra cet étalon secondaire, on note la masse déterminée, et chaque matin ou chaque semaine, on sort l'étalon secondaire, que l'on conserve à côté de la balance, et on le pèse, afin de s'assurer que la balance donne une valeur juste. Soit donc une balance dont on connaît la fiabilité. On peut maintenant peser le principe actif. Je n'indique pas ici les bonnes pratique de la pesée... mais je signale qu'elles existent, et que peser ne se résume pas à simplement peser. Bref, on place l'objet à peser sur la balance et l'on obtient une valeur. Le problème des balances de précision, c'est qu'elles sont ... des balances de précision, à savoir des instruments extrêmement sensibles à leur environnement. Il y a les courants d'air d'inévitables, il y a le bruit électrique dans les circuits électroniques de la balance quand il s'agit d'une balance électronique, il y a les vibrations... Bref, il y a mille raisons d'être certain que la valeur donnée par la balance sera inexacte, et cela est une donnée du monde, inévitable. D'ailleurs, la balance affiche un certain nombre de chiffres significatifs, et comme la valeur exacte que l'on cherche n'a aucune raison de tomber exactement sur un des barreaux de l'échelle (en mathématiques, on dirait que la probabilité que cela survienne est nulle), on comprend que, au mieux, la valeur affichée ne peut pas être connue avec une précision qui soit meilleure que l'écart entre deux indications (graduations) de la balance. Puisqu'il est inévitable que la valeur mesurée soit imprécise, la question est de savoir quelle est cette imprécision. Imaginons que l'on pèse trois fois le même objet sur la même balance et que l'on obtienne trois fois la même valeur. Alors on pourra considérer que l'écart entre les graduations de la balance est une estimation de l'incertitude que l'on a sur la valeur affichée. Mais avec les balances de précision, il en va généralement autrement, à savoir que trois mesures successives donnent trois valeurs légèrement différentes, auquel cas on calcule un écart type, c'est-à-dire une estimation de la répartition des valeurs que peut donner la balance. Mais cela est une autre histoire qu'il faudra raconter une autre fois. Revenons donc à l'essence de la question : quand nous pesons un objet, nous devons donner une valeur et une estimation de la précision avec laquelle on connaît cettte valeur. Cette règle est absolument générale, en sciences de la nature. 

Pour toute expérience, pour toute mesure, nous devons afficher un résultat avec une estimation de sa qualité. Car, en réalité, on ne fait que très rarement des mesures pour des mesures, et l'on cherche surtout à comparer le résultat d'une mesure à un résultat d'une autre mesure ou bien à une valeur de référence. Par exemple, si l'on mesure la température dans un four, la mesure de la température sera généralement comparée à la valeur voulue de la température, ou à la température de consigne. La question très générale est donc de comparer. Commençons par le plus simple, c'est-à-dire la comparaison d'un résultat de mesure avec une valeur fixe. Par exemple, quand on fabrique des yaourt, si l'on affiche sur le pot une masse de 100 grammes, il est admis que la masse d'un yaourt particulier ne soit pas exactement égale à 100 grammes, mais qu'elle en diffère moins qu'une certaine quantité. Là, la question est simple, puisque l'écart doit être inférieur à la tolérance. Simple... en apparence, puisque la valeur mesurée n'est pas exactement connue ! Supposons que l'on ait mesuré 95 grammes avec une incertitude de 5 grammes. La masse exacte du yaourt pourrait être de 100 ou de 90 grammes. Si la tolérance est de 5 gramme, la masse de 100 grammes conviendrait, mais la masse de 90 grammes serait intolérable. 

Maintenant, si nous voulons savoir si deux objets ont la même masse, on sera conduit à peser chacun des objets et à obtenir deux valeurs, deux résultats de mesure assortis chacun d'une incertitude, et voilà pourquoi on enseigne dans les Grandes Ecoles d'ingénieurs et dans les université les calculs statistiques, qui permettent d'estimer si deux mesures sont ou non significativement différentes. Je ne vais pas faire dans un billet de blog la théorie de cette affaire, mais j'espère avoir indiqué correctement pourquoi, finalement, une mesure sans une estimation de l'incertitude sur cette mesure ne vaut rien. En particulier pour la comparaison de deux mesures, des statistiques nécessitent l'estimation de cette incertitude, laquelle donne une indication de la répartition des mesures que l'on pourrait faire d'un objet. Dans la vraie vie, dire que deux grandeurs sont différentes sous-entend toujours « significativement ». 

J'invite en conséquence tous les étudiants à se forger une espère de radar intellectuel qui les conduira à sursauter quand ils verront une valeur sans estimation de l'incertitude avec laquelle cette valeur est connue. Certes, parfois, dans des tables, dans des livres, dans des publications, on verra des données sans incertitudes. Si ces livres sont de bonne qualité, c'est que cette incertitude est exprimée par les chiffres qui sont affichés, et qui doivent donc tous être "significatifs". Un bon enseignement des sciences de la nature commence donc par une discussion de cette question : que sont des chiffres significatifs ? Que sont les règles d'affichage des données ? 

Ces règles ne sont pas absolument intuitives, et elle doivent donc être apprises... et retenues pendant toute la scolarité… et après ! Rien de tout cela n'est difficile, mais cela demande un peu de soin, d'attention, et un entraînement progressif qui conduit à bien internaliser des réflexes, en vue de bonnes pratiques scientifiques ou technologiques.

samedi 2 mars 2024

Dans la famille « les bonnes pratiques en sciences » je voudrais « les ajustements ».

 
Supposons que l'on ait obtenu une série de résultats de mesure. Il arrive fréquemment, en sciences de la nature, que l'on cherche à voir comment cette série varie. 

Un exemple ? On cherche à connaître la quantité d'eau dans une viande : on met la viande dans une étuve, et l'on pèse à différents temps bien choisis, après l'introduction initiale dans l'étuve, en vue de voir quand la masse ne bouge plus.
Ou bien, on mesure le diamètre d'un grand accélérateur de particules, et l'on voit une variation périodique, due aux marées terrestres, ce qui peut conduire à des modifications des collisions de particules. 

Bref, il est quasi permanent, en sciences de la nature de faire des séries de mesures et de chercher comment les résultats varient. Ce que l'on obtient, ce sont des valeurs, des résultats de mesure, et l'on est habilité à présenter ces valeurs sur un graphique où le numéro ordre, par exemple, est indiqué en abscisses, et les valeurs mesurées en ordonnées. Par exemple, on pourra graduer les abscisses en secondes, et afficher les masses de viande en cours de séchage. 

Comme on se souvient qu'un résultat de mesure ne vaut rien sans une estimation de l'incertitude avec laquelle le résultat est connu, on sera donc habilité -je devrais même dire que l'on aura l'obligation- d'assortir chaque point correspondant à une mesure d'une petite croix : la barre verticale de cette croix aura la taille de l'incertitude de mesure, et la barre latérale montrera l'incertitude sur le temps auquel la mesure a été faite, par exemple. 

L’expérience ne nous donne que cela, et il serait donc, en quelque sorte, malhonnête d'afficher plus que cela. Parfois, les points de mesure, avec les croix évoquées, sont petits, et pas visibles, de sorte que l'on voudrait les faire apparaître mieux. C'est louable : on se préoccupe du confort visuel de nos interlocuteurs. 

Comment faire ? Il y a de nombreuses façons, mais l'une d'entre elles consiste à relier les points par des segments de droite : il est convenu que ces segments ne soient pas des résultats de mesure, mais seulement des façons de mieux faire apparaître les points. 

D'autre part, quand on n'en est plus à l'affichage des résultats de mesure, mais à leur interprétation, on peut chercher à savoir si les résultats des mesures suivent des lois particulières : les masses de viande diminuent-elles régulièrement ? linéairement ? exponentiellement ? C'est là une autre question, qui mérite un autre affichage, et une autre étude. Pourquoi, par exemple, se demander si les variations sont linéaires ? Il faut pour cela avoir une raison de poser la question, car il y a un nombre infini de décroissances possibles, de sorte qu'il serait parfaitement arbitraire de tester une linéarité. 

Bien sûr on pourrait dire qu'une décroissance linéaire est la "plus simple possible", mais "simple" est un adjectif, dont l'usage est donc interdit dans un laboratoire de bon aloi : tout adjectif, tout adverbe doit être remplacé par la réponse à la question "combien ?". Autrement dit, on comprend qu'il y a là tout un chapitre scientifique à ouvrir avant d'afficher une courbe qui passera plus ou moins bien par les points expérimentaux. Inversement, ce serait une immense naïveté, et une faute, que d'afficher la seule courbe que l'on connaisse, à savoir une droite, ou une exponentielle décroissante, par exemple. 

Le « modèle », c'est-à-dire l'équation retenue pour l'ajustement, doit être physique, ou chimique, ou biologique, c'est-à-dire fondé sur les phénomènes explicitement déterminés, et, en tout cas, c'est une faute de débutant que d'"ajuster" des points avec une courbe qui n'a pas de justification théorique. C'est inutile, tout d'abord, mais aussi nuisible, car cela nous conduit sur une voie qui est illégitime : nous sommes tentés de penser que cette variation particulière a une validité, un socle, et nous sommes tentés d'utiliser la courbe d'ajustement pour prévoir des résultats de mesure qui n'ont pas été faites. Ou bien, si la courbe retenue ne passe pas par un des points de mesure, nous risquons de penser que ce point correspond à une valeur anormale... alors que c'est la courbe qui n'a pas de raison d'être. 

 

Bref, nous utiliserions à des fins de prévision des lois qui sont littéralement "insensées". Et l'on comprend que cela n'est pas souhaitable, formulation qui est évidemment une litote !

vendredi 1 mars 2024

Les classes préparatoires, c'est le bonheur !

Je m'aperçois que je n'ai pas fait état de l'immense bonheur qui était le mien (et de celui de beaucoup de mes camarades) quand j'étais en classe de "Math sup" et de "Math spé", ces classes de préparation aux concours des Grandes Ecoles d'ingénieurs ! 

 

Il est dit parfois -mais sans doute par des paresseux ou des insuffisants- que ces classes seraient (en bon français, je devrait écrire "sont", mais je ne résous pas à ne pas mettre un conditionnel, sans quoi le verbe m'arrache la plume) terribles, qu'elles seraient des bagnes, que l'on serait alors condamné à travailler sans relâche, pendant deux ou trois ans, pour finalement jouer son existence sur des concours très aléatoires...

 Il faut dire très énergiquement que cela n'est pas vrai, et je veux témoigner ici du fait que ces classes sont, au contraire, la possibilité d'un immense bonheur... pour ceux qui aiment les mathématiques, la physique, la chimie (pour les classes préparatoires correspondantes).
En effet, après des années d'études très généralistes, pendant lesquelles on doit se disperser entre le français, les langues vivantes, les sciences naturelles, les matières scientifiques, l'éducation physique, etc., on peut enfin se consacrer aux matières que l'on aime le plus, à savoir les matières scientifiques, et elles principalement ; on peut approfondir ces matières, en voir mieux les beautés. 

Je me souviens, tout particulièrement, de mon émerveillement quand j'ai eu à manipuler le théorème de Gauss, quand nous avons abordé la thermodynamique... Certes, j'avais déjà lu des livres tels que le Calcul différentiel et intégral de N. Piskounov, ou bien le tome de physique statistique des Cours de physique de Berkeley ; je faisais de la chimie organique depuis longtemps au Palais de la découverte (merveilleux Palais de la découverte !)... mais quand même, il y avait beaucoup de matières nouvelles. La topologie, la théorie des nombres, des notions plus fouillées d'algèbre linéaire... 

D'ailleurs, il faut dire que l'enseignement était dispensé par des professeurs remarquables, très attentifs, intéressés (je sais que le "niveau" et l'implication des enseignants n'a pas baissé : récemment, des élèves m'ont dit que leurs enseignants les invitaient à les consulter à tout moment)... Et puis, aussi, nous étions enfin réunis avec des camarades qui partageaient les mêmes goûts que nous. Nous pouvions nous émerveiller ensemble, nous faire découvrir mutuellement des livres, des calculs, des idées... 

C'est là que j'ai découvert les cours de physique de Feynman, mais aussi les cours de chimie organique de Marc Julia, lequel venait d'introduire en France une chimie organique raisonnée, qui ne soit pas "au lasso" (quand on voyait deux atomes d'hydrogène et un atome d'oxygène traîner, on les entourait et l'on déclarait qu'il y aurait une réaction de condensation... ce qui est idiot, évidemment). 

Etions-nous condamnés à travailler ? Non : je dirais plutôt que nous avions enfin la possibilité d'étudier les matières que nous aimions. Nous avions du bonheur constamment. Et, évidemment, si nous avions ainsi bien travaillé, il n'y avait pas de doute que nous serions reçus aux concours. 

Bien sûr, il y avait ceux qui avaient du mal... mais pourquoi étaient-ils là ? Que signifie "avoir du mal" ? Je crois qu'il en va dans ces matières intellectuelles comme dans le sport : si l'on n'aime pas courir, pourquoi faire de la course à pied ? Ou comme pour le jardinage : pourquoi jardiner si l'on n'a pas envie ? Et si quelqu'un n'aime pas les mathématiques, la physique, les sciences chimiques, pourquoi irait-il faire une école d'ingénieurs, qui le conduira à manipuler ces matières toutes sa vie ? Certes, il y a ceux qui veulent devenir "patron" et pour qui les matières scientifiques sont seulement un outil de sélection, mais est-ce bien raisonnable de s'infliger deux ans de calcul... pour "diriger" (on a vu dans d'autres billets ce que je pense de cette activité, et l'on se souvient que je cite souvent Frères Jean des Entommeures : "qui suis-je pour diriger autruy moi qui ne me gouverne pas moi-même ?"). Bref, disons aux élèves du Secondaire qu'il y a beaucoup de bonheur à avoir dans les classes de préparation aux Grandes Ecoles d'Ingénieur !

jeudi 29 février 2024

Pour comparer, il faut... comparer !

Ce matin je reçois d'étudiants une photographie des blancs d’œufs en neige qui auraient été additionnés d'un peu de vinaigre. 

Ces étudiants me signalent que le vinaigre fait beaucoup d'effet sur le foisonnement, mais quand je leur demande s'ils ont fait un contrôle, ils s'étonnent de la demande, ne la comprennent pas, même. Pourtant, n'est-il pas "naturel" de penser que pour voir une amélioration, il faut voir deux états : le blanc d'oeuf battu en neige sans vinaigre et le même blanc battus en neige avec du vinaigre ? 

 

Mon objectif n'est pas, ici, de me plaindre du niveau des étudiants qui ne cesserait de baisser, mais je suis intéressé de comprendre comment il est possible que des étudiants n'aient pas eu l'idée de comparer, quand ils font une comparaison. Ce sont des individus intelligents, intéressés (apparemment) par leur sujet, et je me demande si la question n'est pas de méthode... 

Ce qui est encourageant : l'enseignement des sciences est manifestement utile, même quand il est élémentaire ! A noter que la question que mes jeunes amis étudiait était très difficile, parce que les blancs d'oeufs sont tous différents et, que pour faire une expérience comparative correctement organisé, il faut "pooler" les blancs, c'est-à-dire les mélanger en les faisant passer à travers un tamis très fin, qui désagrégera le gel dont ils sont en réalité constitué ; ce tamis, ainsi que tous les récipients et ustensiles, devront être particulièrement propres, sans traces de composés tensioactifs qui pourraient changer le foisonnement. En pratique, il faudra tout traiter par avance, voire travailler dans une salle blanche. Bien sûr, pour fouetter, il faudra trouver un système qui fouette toujours de la même façon, donnant toujours la même énergie. Et ainsi de suite. 

Puis, quand on aura les résultats expérimentaux, il faudra faire des études statistiques poussées, si l'on regarde un microscope, car les bulles sont toutes différentes, de sorte que sont les populations de bulles qu'il faudra comparer. Si l'on compare des volumes, il faudra savoir que les mesures de volumes de mousse sont très incertains, ce qui conduira à répéter des expériences, car une seule expérience ne vaut rien.

 Et il faudra alors faire des études statistiques des résultats. Les statistiques ? Considérons une chaîne de production de yaourts, dans une usine. Si la chaîne est réglée pour produire des yaourts de 100 grammes, il est impossible théoriquement (et pratiquement) que tous les yaourts aient une masse de 100 grammes. Bien sûr, la plupart auront des masses proches de 100 grammes, mais une petite proportion aura une masse bien plus petite, ou bien plus grande. Pour savoir si, un jour donné, la production reste conforme, il faudra prendre des échantillons, calculer leur masse moyenne, et comparer cette moyenne à la valeur de consigne (100 grammes). En pratique, la moyenne ne sera jamais 100 grammes exactement, et la question est de savoir si l'écart est possible dans la limite des écarts "normaux", ou bien si la différence est trop grande, si la moyenne de l'ensemble des yaourt produit ce jour là s'écarte de la valeur de consigne. C'est tout cela qu'auraient dû faire nos jeunes amis... et je crois que l'exercice qui leur était demandé n'était pas inutile, puisqu'il leur a fait comprendre que les explorations expérimentales imposent de bien calculer. Merveilleuse théorie !

mercredi 28 février 2024

Le savant et son oeuvre

 
Beaucoup de nos amis n'ont des sciences qu'une connaissance très limitée, parce que, au collège ou au lycée, ils n'ont pas été toujours aussi attentifs qu'on supposait qu'ils le seraient. Les cours sont passés à côté d'eux, et, en réalité, ils n'ont pas connaissances des faits qui leur ont été exposés, alors qu'ils n'écoutaient pas complètement. 

Il y a donc lieu de reprendre la chose, en essayant de bien montrer pourquoi elle a de l'intérêt. 

Pour les biographies de scientifiques du passé, tout tient dans l'idée selon laquelle nous somme ce que nous faisons. Un déroulé chronologique de la vie des scientifiques du passé n'a guère d'intérêt, parce qu'il n'y a là aucune intelligence. Il devient bien plus intéressant de présenter les découvertes, mais pas des découvertes désincarnées car de nombreux jeunes amis qui veulent qu'on leur racontent des histoires l'histoire ne voient guère de charme dans cette affaire. 

Ce qui est plus intéressant, c'est de relier le travail à l'homme ou à la femme qui l'a fait. En conclusion les biographies des scientifiques du passé sont surtout l'occasion d'expliquer les travaux et les circonstances de ces derniers. Il faut très certainement montrer pourquoi il était alors difficile d'obtenir des résultats qui ont été produits. Cela fera grandir à nos yeux ceux qui furent les artisans des découvertes. 

Pour autant ces hommes et ces femmes ne sont pas sans défauts.
Le grand Louis Pasteur, par exemple, avait un caractère si raide qu'il souleva contre lui les élèves et les professeurs de l’École normale supérieure quand il y il était directeur des études.
Chaptal, qui eut une carrière politique, fit nommer son fils à une mairie pour faciliter l'implantation d'une usine d'acide sulfurique qu'il avait créée, et qui nuisait au voisinage.
Marcellin Berthelot, qui fut encensé de son vivant, n'est en réalité pas si grand qu'il le faisait penser, et c'est la raison pour laquelle je me refuse à l'honorer d'une de mes inventions. Une certaine histoire hagiographique a retenu de Berthelot la synthèse de l'éthylène, dans un œuf en verre contenant deux charbons entre lesquels on faisait passer un arc électrique, mais cette invention n'est pas de lui, de sorte qu'il est hors de question de lui attribuer un plat à base d'oeuf, par exemple. Dans ce cas précis, il faut dire que Berthelot était le chimiste du parti laïc, et qu'il fut donc soutenu par son parti, qui le plaça au Collège de France, et jusqu'au Panthéon. Pourtant, à la même époque, Pierre Duhem était du mauvais, puisqu'il était religieux, fut relégué à Bordeaux. Certes Duhem avait un caractère entier, mais son travail scientifique semble, avec le recul du temps, bien supérieure à celui de Berthelot. 

Pour en revenir à nos biographies, il y a donc l'homme ou la femme, d'une part, et la découverte d'autre part. Cela est quelque chose trop sérieux pour que tous puissent y trouver de la grâce. De surcroît, l'exposé des travaux du passé conduit immanquablement à des explications techniques, qui risquent donc d'être arides si l'on n'y prend garde. Il faudra donc y mettre un peu d'humour, de gentillesse, de poésie, afin d'acclimater ces matières ne qui ont rebuté une grande partie de la population. Mieux encore, on oubliera pas que les sciences ont été et sont encore un outil de sélection, ce qui revient à dire qu'ils sont l' analogue de la règle qui tape sur les doigts du cancre. Comment aimer la règle, après ces années de douleur ? Les cuisiniers ont aujourd'hui leur revanche : ce sont des stars, qui se produisent à la télévision, alors que les scientifiques restent dans le silence de leur laboratoire, à moins d'être lauréat du prix Nobel ou ministre. Le premier cas ne se rencontre qu'une fois par an ce qui fait peu pour des dizaines de milliers de scientifiques et le second impose souvent des contorsions politiques qui, de toute façon, conduisent à apprécier l'individu pour une action qui est extérieure à celle de la science.

mardi 27 février 2024

L'encre sympathique

 
Je suis certain que vous connaissez ce vieux truc d’espion qu'est l’encre sympathique : on écrit sur du papier au jus de citron, est-il recommandé, et l’on attend que le papier sèche. Le message devient invisible, dit-on. Et seule une personne avertie le mettra en évidence en passant oe papier au-dessus d’une flamme. 

 

Regardons y de plus près. 

Avant de chercher l’explication de ce truc chimique, assurons-nous des effets. Commençons par écrire et regardons le papier : désolé d’abattre l’idée reçue, mais on voit parfaitement le message, même sans chauffer. A moins que les papiers anciens n’aient pas eu la blancheur des papiers modernes ? Admettons. Mais pourquoi le jus de citron ? Celui ci contient de l'eau, de l’acide citrique, de l’acide ascorbique. Comparons les effets de ces deux derniers corps en écrivant sur une feuille avec chacun séparément. Dans les trois cas, ça brunit! Pourquoi ce brunissement ? Une réaction chimique avec le papier ? Pour en avoir le cœur net, écrivons sur de la porcelaine de blanche avec les solutions précédemment préparées : on obtient les mêmes réactions colorées ! Alors puisque nous doutons maintenant de tout, utilisons des produits trouvés au hasard dans la cuisine : écrivons sur la porcelaine ou sur le papier avec du vinaigre, du jus d’oignon, du jus de carottes... Chaque fois, la chaleur provoque un brunissement, et c’est probablement une décomposition thermique des composés organiques en solution qui semble à la base de l’effet.

lundi 26 février 2024

A propos de bonnes pratiques scientifiques : la question des publications.

L'activité scientifique conduit à des résultats qui doivent être publiés. Ce que l'on peut dire autrement : une idée dans un tiroir n'est pas une idée. 

La publication scientifique, c'est quelque chose de très délicat, et constitutif de la science. La question est notamment que les articles sont évalués par des rapporteurs, et que c'est ainsi que la communauté produit des résultats plus fiables que s'ils étaient émis par des individus isolés. Lors du processus de publication, l'évaluation par les rapporteurs permet, quand les rapporteurs sont intelligents et bien intentionnés, d'améliorer la qualité des textes publiés. 

Tout cela, c'est dans un monde idéal, où la science rendrait meilleurs ceux qui la pratiquent, comme le disait Michael Faraday, avec une certaine naïveté que je partage, mais on sait que le monde n'est pas exclusivement composé d'individus droits, pas plus dans le groupe des scientifiques qui veulent publier que dans le groupe des rapporteurs ou même des éditeurs. 

Par exemple, je me souviens d'une très grande revue scientifique internationale, l'une des deux plus grandes, qui m'avait demandé d'expertiser un manuscrit scientifique. Ce texte était mauvais, car des calculs complexes avaient été fondés sur des prémisses fausses, et j'avais donc donné un avis négatif sans hésitation. Je ne connaissais pas les auteurs, mais le travail proposé n'était pas de bonne qualité, ou, plus exactement, il était complètement nul, puisqu'il s'agissait de faire des calculs sur des phénomènes qui n'étaient pas avérés. Quelle ne fut pas ma surprise de voir le texte finalement publié ! 

Cela, c'est pour des éditeurs, qui prennent des décisions de publication sur la base de rapports des rapporteurs, mais on pourrait en dire autant des rapporteurs, et je me souvient notamment de plusieurs cas, pour moi comme pour des collègues, où les rapporteurs outrepassaient manifestement leur rôle, qui était d'évaluer la qualité du travail.
Parfois, c'est simplement que leur propre niveau scientifique n'est pas suffisant, car, comme les rapporteurs ne sont ni payés ni considérés pour le travail d'évaluation des articles, les éditeurs les trouvent difficilement et doivent se rabattre sur des jeunes scientifiques (des doctorants qui travaillaient avec moi ont même été sollicités, alors qu'ils n'avaient donc pas encore leur thèse, et que leur compétence n'était pas suffisante).
Parfois aussi, il y a des contingences : naguère, quand les revues étaient imprimées sur du papier, la place était limitée, et les éditeurs recommandaient aux rapporteurs de limiter le nombre de publications acceptées. Cette contrainte économique a heureusement disparu car elle découlait d'une intrusion anormale d'éditeurs privés dans le processus de production scientifique.

 Aujourd’hui, avec les publications en ligne, la question a disparu, même s'il demeure qu'un éditeur investit du temps et du travail dans les publications : il faut trouver les rapporteurs par exemple, assurer le suivi, faire la mise en forme et la mise en ligne ; c'est du travail de secrétariat qui coûte de l'argent, mais, pour ce billet, restons sur l'idée de publication en ligne où l'on peut diffuser facilement autant d'articles que l'on veut. Il y a donc l'auteur qui envoie un manuscrit, le secrétariat de rédaction qui transmet ce manuscrit à un éditeur lequel est chargé de trouver des rapporteurs pour un contribuer à l'amélioration du manuscrit avant publication, ou éventuellement au rejet du manuscrit si celui-ci n'est vraiment de qualité suffisante. Pour les auteurs, nous pourrons y revenir une autre fois, car la préparation d'un manuscrit est une question difficile, à propos de laquelle il y a trop à dire. 

Nous nous focalisons ici sur le processus d'évaluation. 

Dans la mesure où l'on sait que des équipes scientifiques du monde travaillent sur des sujets analogues, on sait aussi qu'il existe une concurrence, et qu'il faut donc veiller à ce que celle-ci ne se manifeste pas dans le processus d'évaluation quoi on arriverait à des injustices. 

C'est la raison pour laquelle nous devons militer absolument pour l'évaluation complètement, doublement, anonyme : le secrétariat de rédaction doit envoyer aux éditeurs les manuscrits sans le nom des auteurs, sans trace de l'origine des textes, et, évidemment, les rapporteurs ne doivent pas avoir non plus cette information qui pourrait fausser leur jugement soit en bien soit en mal. Parfois on est impressionné par une grande signature et, parfois aussi, à voir l'origine d'un article envoyé par un groupe inconnu dans une province reculée, on risque de conclure hâtivement à une qualité insuffisante du travail. 

Non, il faut un double anonymat pour que le processus d'évaluation qui, on le répète, vise à améliorer la qualité des articles raisonnablement publiables puisse jouer pleinement et conduire à la publication d'articles de bonne qualité, utiles à l'ensemble de la communauté.

samedi 24 février 2024

Luttons contre le Ragnarok, en sciences de la nature comme ailleurs

 
 Le Ragnarok ? C’est ce moment terrible dont les géants nous menacent… mais il faut d’abord expliquer mieux toute cette affaire, avant d’expliquer le rapport avec le travail scientifique. Commençons avec les mythologies. 

Au fond, je ne suis pas certain d’aimer beaucoup les mythologies grecques, où les dieux vivent dans un palais doré sur l’Olympe, se chamaillant parce qu’ils sont oisifs. Je préfère de loin les mythologies alémaniques, dont il faut dire qu’elle sont nées en Alsace. 

Pour ces dernières, le récit mythologique est bien différent, à savoir que les dieux tels Wotan ou Freyja, etc. sont sans cesse menacées par les géants. C’est la raison pour laquelle ils vont chercher sur les champs de bataille des héros qu’ils ramènent au Valhalla, cette forteresse d’où les dieux et leurs soldats ne cessent de lutter contre les assauts des géants. Retour ligne automatique Ce que l’on doit redouter à tout instant, c’est que les géants ne submergent le monde des dieux et que ce soit la fin des temps : le Ragnarok. 

Pour cette mythologie, il n’y a donc pas d’état stationnaire merveilleux, béat, veule, idiot, mais plutôt un état de vigilance constante, de soins, d’attention, d’éveil... 

A cette description, on comprend évidemment ma préférence pour cette seconde mythologie. Et si l’on sait d’autre part que j’ai inscrit dans mon laboratoire que nous devons nous méfier du diable, qui est caché derrière tous les détails, d’expérimentation et de calcul, on comprend aussi pourquoi j’évoque le Ragnarok. Il faut lutter sans cesse contre le Ragnarok. Ce n’est pas grave, mais c’est une nécessité. Il n’y a pas à se défendre, mais à repousser sans cesse les assauts des géants, à repousser ces derniers plus loin. 

 

Luttons contre la pensée magique

Considérons maintenant la question de la pensée magique, cet état qui est dans tous les enfants, et que l’éducation doit contribuer à faire disparaître. La pensée magique commence avec l’enfant qui pleure et dont les cris font venir la mère. De là penser à ce que la pensée de la mère fait venir la mère, il n’y a qu’un pas, lequel est à la base de tous ces fantasmes de l’esprit sur la matière. Retour ligne automatique On aura beau penser que l’on peut tordre une cuiller par la pensée, on n’y parviendra pas. On aura beau penser à des préparations médicales qui guérissent tout, la panacée n’existera pas. Et ainsi de suite : je vous passe l’éventail complet de ces manifestations de la pensée magique ; il est infini, car fantasmatique. Retour ligne automatique L’enfant, donc, arrive dans nos communautés avec cette pensée magique qu’il faut déraciner, et c’est, je crois, un objet essentiel de l’éducation que de lutter contre elle. D’où l’importance de l’enseignement des sciences de la nature, qui montre les limites de la pensée, qui borde le réel. Le rapport avec le Ragnarok ? C’est que la lutte n’est jamais terminée. Ce n’est pas parce que nous aurons oeuvré pendant quelques années contre la pensée magique que nous l’aurons éradiquée pour toujours : chaque nouvelle tranche d’âge revient avec la pensée magique, et c’est donc année après année que nous devons lutter. 

Récemment, un ami d’un ministère déplorait que sa carrière n’avait pas eu le beaucoup d’effet sur la collectivité malgré des efforts importants, soutenus. Je l’ai rasséréné : en réalité, le monde aurait été bien plus mal qu’il n’est, s’il n’avait pas été aussi actif, et là encore, il y avait cette question du Ragnarok. Sans la diligence des fonctionnaires, la structure de nos collectivités irait à vau l’eau, et les efforts n’ont pas été vains : la preuve en est que le système fonctionne encore.

 

Et pour les sciences ?

Le mot « validation », que j’ai déjà évoqué, fait partie de la réponse. Pour produire des résultats de bonne qualité, il faut se préoccuper sans cesse de cette dernière ; il faut valider, il faut traquer les biais sans relâche, il ne faut jamais se satisfaire d’un résultat de mesures, il faut craindre l’erreur à chaque geste, à chaque calcul. L’erreur est tapie derrière chaque geste expérimental, chaque calcul. Même tourner un commutateur impose d’y penser puissamment, de crainte d’une erreur. Même l’emploi d’un simple thermomètre impose d’y avoir pensé, d’avoir imaginé que le thermomètre puisse être faux, ce qui nous aura conduit à des étalonnages… Et si le simple emploi d’un thermomètre impose ainsi un soin considérable, on imagine combien l’emploi de systèmes plus complexes doit s’accompagner de vérifications bien plus élaborées, bien plus poussées.

Pour le calcul, les jeunes étudiants qui font des mathématiques savent bien qu’une écriture brouillonne est source d’erreur : un g confondu avec un 9, et c’est la faute de calcul. C’est sans doute la raison pour laquelle le cahier de laboratoire du physicien Pierre Gilles de Gennes était si calligraphié : de la sorte, les possibilités d’erreur étaient réduites. 

Toutefois, avec cet exemple, on n’est qu’au tout début de la question, comme quand je considérais le thermomètre. Pour les calculs complexes, c’est comme pour les appareils d’analyse élaborés, à savoir que la complexité apporte avec elle bien plus de possibilités de se tromper, d’où les nécessaires validations, d’où le soin constant que nous devons apporter à nous assurer de nos travaux. On comprend alors qu’il n’est pas possible de publier vite des résultats scientifiques, car ceux-là ne s’obtiennent pas d’un claquement de doigt, et, au contraire, je crois que nous devons absolument considérer comme une faute la publication rapide de résultats. 

Je propose, en conséquence, que les institutions scientifiques abandonnent cette insistance qu’ils ont que les chercheurs publient beaucoup. Bien sûr, il ne faut pas laisser des idées dans des tiroirs, mais je ne crois pas bon de publier des idées insuffisamment validées, et, sans être complètement paradoxal, je propose que les institutions scientifique en viennent même à pénaliser les publications trop nombreuses de certains, car il n’est pas possible qu’elles soient de bonne qualité… sauf exception bien évidemment, car il y a des individus plus actifs que d’autres. 

 

On aura maintenant compris j’espère mon idée du Ragnarok. Pour toute activité humaine, et pour toute activité scientifique en particulier, nous ne devons pas craindre le Ragnanok, mais lutter pour qu’il ne survienne jamais. Et c’est ainsi que les sciences de la nature seront encore plus belles. Finalement, les mythologies alémaniques, disons alsaciennes, sont une invitation à faire mieux, à devenir pleinement humains.

mercredi 21 février 2024

Quelle température dans les aliments ?

Il y a des données techniques éclairantes, mais mal connues. Pourquoi ne pas les partager ? Leur prise en compte conduit à la fois à des techniques rénovées et à des changements utiles de mentalité. 

Examinons donc la question : quelle est la température dans les aliments ? 

 

Sans soutien théorique, on serait tenté de faire des expériences... bien inutiles ! De même que l'on aura raison de penser que "les calculs nous sauvent toujours", on sera avisé de croire que l'analyse théorique s'impose absolument avant toute expérimentation, même si l'on veut seulement être réfuté par l'expérience, dans un sain mouvement scientifique. 

Pour répondre à la question posée, il faut une donnée de base : tant que de l'eau est liquide à la pression atmosphérique, sa température est inférieure à 100 degrés. 

Et c'est ainsi que si l'on met une boule de pâte à pain dans un four à 250 degrés, certes la surface de la boule est rapidement portée à cette même température de 250 degrés, mais puisque l'intérieur contient de l'eau liquide, la température de l'intérieur est inférieure à 100 degrés. Après un moment, une croûte se forme : à l'extérieur de la croûte, la température est de 250 degrés, mais au niveau exact de l'intérieur de la croûte, la température n'est que de 100 degrés. Et cette croûte on n'a que quelques millimètres d'épaisseur après plusieurs dizaines de minutes. 

En effet, l'évaporation de l'eau (de la croûte) consomme beaucoup d'énergie, de sorte que cette évaporation consomme de l'eau liquide, mais maintient la température à 100 degrés. L'analyse vaut pour l'augmentation de température dans une casserole : quand on commence à chauffer, l'énergie donnée par la source de chaleur passe à la casserole, qui la transmet en partie à l'eau : la température de l'eau augmente, en même temps que l'eau commence à s'évaporer davantage.
Puis vient un moment où la température atteint 100 °C, et alors l'eau bout ; toutefois l'évaporation de l'eau consomme tant d'énergie que le flux ne suffit pas à augmenter la température de l'eau, qui reste à 100 °C tant qu'il y a de l'eau liquide. 

 

Pour en revenir à la boule de pâte à pain, il faut se représenter qu'au début de la cuisson, la température est partout égale à la température ambiante, c'est-à-dire en pratique environ 20 degrés. Quand on enfourne la boule de pâte, la température à la surface augmente progressivement et il est vrai que de la chaleur s'introduit progressivement dans la boule de pâte. Mais, pendant un long moment, la température à coeur ne change pas et reste égale à 20 degrés. Quand la température atteint les 250 degrés à la surface et que la croûte se forme, il y a donc à partir de la surface de 250° pour la surface extérieure, 100° pour la surface intérieure de la croûte et une température qui diminue jusque non pas exactement 20° mais guère plus, et c'est ainsi que après des dizaines de minutes, la température à coeur augmente péniblement de 20 à 30, 40, 50, 60 et 70° et guère plus. 

Je n'ai pas mesuré la température à coeur d'une boule de pâte à pain, mais je l'ai fait pour des soufflés d'une dizaine de centimètres de diamètre. Pour ces derniers la température à cœur atteignait à peine 65° après 45 minutes de cuisson, ce qui correspond à un intérieur très moelleux, quasi liquide, un peu comme une omelette.

mardi 20 février 2024

Impressions à propos du Troisième Concours international de cuisine note à note


Le 8 juin 2015, s’est tenu à AgroParisTech la finale du Troisième Concours international de cuisine note à note, organisé par le Centre international de gastronomie moléculaire AgroParisTech-Inra. 

Une petite centaine de concurrents s'étaient inscrits au concours et 25 ont envoyé des recettes qui faisaient usage, conformément au règlement, de protéines (végétales ou laitières), de polyphénols et d’octénol en solution dans l’huile. Ces ingrédients avaient été fournis par les organisateurs aux concurrents qui avaient évidemment le droit d'utiliser bien d'autres produits. Les critères d’évaluation étaient bien sûr la conformité aux règles techniques, c'est-à-dire l'emploi des produits envoyés, et aussi l'intelligence des travaux proposés, intelligence technique, intelligence artistique, intelligence sociale, et encore : originalité, créativité... 

Certains concurrents ont fourni des travaux absolument extraordinaires, et le jury a eu le plus grand mal à les départager. Le jury ? Il y avait des chefs, à savoir Thierry Méchinaud, chef du Balzac, le vaisseau amiral de Pierre Gagnaire, et Nicolas Fontaine, chef du Gaya de Pierre Gagnaire. Puis il y avait les représentants des partenaires, ces sociétés qui ont fourni des ingrédients aux concurrents, à savoir la société Ingredia, qui avait fourni des protéines laitières sériques (des protéines coagulantes), la société Louis François qui a remis des lots aux gagnants, le Groupe d’étude et de promotion des protéines végétales (GEPV), qui a fourni des protéines de pois texturé, les éditions Belin qui ont remis des lots aux gagnants, et une société qui n’a pas voulu apparaître, mais qui a fourni l’octénol et a remis d’extraordinaires cadeaux aux gagnants. Enfin le jury comprenait les trois organisateurs : Odile Renaudin du site Enfance et nutrition, Yolanda Rigault et Hervé This. Une présélection avait été faite, et l’on avait retenu dix préparations, qui ont fait l’objet d’une exposition publique pendant cet après midi de finale. 

Certains concurrents étaient venus de loin : par exemple Tara Elliott représentait le groupe qui avait travaillé au Dublin Institute of Technology, en Irlande. Pour l’évaluation, chaque membre du jury est invité, séparément, à noter les divers candidats, et c’est la somme des notes qui a désigné le gagnant, à savoir Dao Nguyen, et son mari Pasquale, de Genève ; puis Olivier Herr et Elham Tehrani, et, enfin, Frédéric Clarembeau, de Belgique. Cette finale à été l’occasion de voir que, progressivement, les cuisiniers se familiarisent avec la cuisine note à note, au point de fournir des recettes élaborées, qui peuvent maintenant être diffusées très largement, ce qui constitue une base utile pour tous ceux qui souhaitent se lancer dans cette nouvelle forme de cuisine. Selon les commentaires de Thierry Méchinaud, ces ingrédients doivent être appris, c’est-à-dire qu’il faut les tester comme on testerait d’autres ingrédients plus classiques, afin de déterminer la bonne façon de les mettre en oeuvre. 

La finale à été l’occasion de montrer repas effectué par Pierre Ganaire lors de la visite de journalistes du New York Times, à partir de composés isolés tels le 1-cis-hexèn-3-ol, le gaïacol ou la piperine. Pierre Gagnaire a produit des plats en utilisant des ingrédients de toutes provenances. Les goûts étaient d’inouïe nouveauté, et, surtout, les plats préparés n'auraient pu exister sans les composés qui en ont constitué l'épine dorsale. Décidément, cette troisième édition du Concours international de cuisine note à note aura été un moment très important dans le développement de la cuisine, tant il est vrai qu'une nouvelle forme de cuisine apparaît maintenant, et s'établit plus fermement, jour après jour. 

Récepteurs et métabolisme

 
Ce matin, au cours d'une conférence, alors que j'évoquais la découverte récente de récepteurs des ions calcium dans la bouche, un des auditeurs m'a demandé si ces récepteurs étaient chez tous les individus ; il pensait à une distribution géographique, avec certaines populations qui auraient eu le récepteur du calcium, et d'autres qui ne l'auraient pas eues. 

La découverte des récepteurs gustatifs du calcium est si récente que l'on ne sait pas répondre à sa question pour l'instant, mais on peut raisonnablement supposer que ces récepteurs sont chez tous les êtres humains, car nous avons tous besoin de calcium pour construire nos os ; cela est une caractéristique constitutive de l'être humain, quelle que soit son origine génétique, géographique, culturelle, etc. 

Il en va différemment du métabolisme du lactose, par exemple. Le lactose est un sucre (pas le sucre habituel, qui, lui, est le saccharose) présent dans le lait et que les adultes humains ne métabolisaient plus (on verra plus loin pourquoi je mets la chose au passé). C'est un sucre, ce qui signifie qu'il contient beaucoup d'énergie sous forme chimique, potentiellement utilisable par l'organisme. Toutefois, il y a plus de 6000 ans, les adultes humains ne métabolisaient généralement pas le calcium, et c'est sans doute la raison pour laquelle notre espèce en est venue à consommer des produits laitiers fermentés, notamment par les bactéries lactiques qui, partant du lactose, produisent de l'acide lactique, lequel a l'avantage supplémentaire d'acidifier les milieux et de prévenir sa contamination par des micro-organismes qui ne supportent pas l'acidité. Il y a très longtemps, l'être humain n'avait pas de besoin biologique de métaboliser le lactose après l'adolescence, et c'est le développement de l'agriculture et de l'élevage qui ont conduit à la disponibilité de lait.
On a découvert, il y a peu, que, sans doute au nord de l'Europe, une mutation génétique est apparue dans l'espèce humaine, donnant aux individus qui avaient cette mutation la possibilité de métaboliser le lactose. Etre capable de métaboliser aussi bien le lactose que l'acide lactique est un avantage biologique, et le gène du métabolisme du lactose s'est rapidement répandu en Europe. On voit que c'est là une capacité nouvelle, qui n'est pas constitutive de l'être humain, qui pourrait vivre sans métaboliser le lactose à l'âge adulte. 

Ces deux exemples ne sont que des exemples, mais je trouve qu'ils montrent bien comment la biologie de l'évolution permet de mieux comprendre les caractéristiques « alimentaires » de l'espèce humaine. Je sais qu'il faut éviter d'utiliser la biologie de l'évolution pour justifier des faits, mais j'espère ne pas avoir été trop téléologique dans ma description. 

La téléologie ? C'était la faute de Pangloss, ce philosophe mis en scène par Voltaire dans sa nouvelle intitulée Candide et qui proposait que Dieu nous ait équipé d'un nez pour que nous puissions porter des lunettes. C'est évidemment une naïveté terrible, mais je l'évoque, car une certaine vulgarisation de la biologie de l'évolution conduit à des discours analogues. 

Terminons plus positivement en reconnaissant que les études scientifiques, qu'elles soient de physiologie sensorielle ou de sciences nutritionnelles, conduisent à plus d'intelligence, et apprenons seulement à ne pas confondre la vulgarisation avec la science.

lundi 19 février 2024

Température de cuisson des financiers et des gâteaux

Une question : 

Lors d'un de mes cours en pâtisserie nous devions réaliser des financiers et autres cakes lorsqu'un de mes apprentis me posa une "colle" : quelle est la température à laquelle le cake est il cuit ? Je lui demandais pourquoi il cherchait une température précise, il me répondit que c'était pour limiter l'évaporation de l'eau et donc d'optimiser le moelleux. D'où mes questions : quelle est la température idéale pour la cuisson à coeur d'un cake, peut on cuire un cake façon "basse température" ? Est il préférable de cuire un cake : 40 minutes à 175 ° ou à 140 pendant 1 heures par exemple ? Après cuisson quel est l'attitude la mieux adaptée: mettre le cake sur grille (sorte de ressuage) mais perte d'eau, ou mettre directement les cake en cellule de refroidissement afin de limiter l'évaporation ?

 

 Je propose la réponse suivante : 

 

Un cake, c'est : 

- de l'oeuf 

- de la farine 

- du beurre 

- du sucre. 

Le sucre, tout d'abord, reste stable environ jusqu'à 140 degrés, après quoi il caramélise. 

Le beurre, ensuite, finit de fondre vers 55 degrés, et, ensuite, ses protéines peuvent se dégrader, quand la température augmente considérablement (pensons au beurre noisette). 

La farine est faite de grains d'amidon, qui évoluent quand ils sont chauffés en présence d'eau. D'abord, de l'eau est absorbée entre les espaces amorphes des grains, ce qui conduit à un gonflement. Puis l'eau entre dans les zones où l'amylopectine est concentrée. Les molécules d'amylose passent alors en solution ; la fraction cristalline diminue jusqu'à ce que les grains perdent leur biréfringence en lumière polarisée. Enfin les molécules d'amylose sont relâchées dans l'eau environnante. Au total, selon la nature des amidons, la température de gélatinisation est comprise entre 55 et 85 degrés, ce qui signifie, en pratique, que la température de 85 degrés est la température maximale à considérer, du point de vue qui nous intéresse. 

Pour l'oeuf, enfin, il y a des températures de coagulation différentes, entre 61 et 100 degrés : plus la température est élevée, plus la coagulation est "ferme" (parce que le nombre de protéines qui ont coagulé est alors maximum). 

De ce fait, on pourrait considérer qu'une température de 85 degrés serait parfaite pour conserver du moelleux... mais la petite croûte de surface ? Et puis, si l'on veut limiter l'évaporation de l'eau, pourquoi ne pas ajouter de l'eau avant la cuisson, pour que l'évaporation en laisse autant que l'on veut ? En tout cas, il faut effectivement considérer les temps : dans ce qui précède, j'ai considéré que les températures indiquées étaient les températures à coeur... et l'on pourrait imaginer de cuire plusieurs heures à 85 degrés (par exemple), avec un coup de chalumeau (pas de flamme qui dépose des benzopyrènes cancérogènes : privilégiez un pistolet décape peinture) pour faire la croûte brune (quelques réactions de Maillard, mais surtout de la pyrolyse et de la caramélisation, sans compter les diverses oxydations, déshydratation intramoléculaires, hydrolyses...) et croustillante.

dimanche 18 février 2024

Comment être un bon convive ?

Jean-Anthelme Brillat-Savarin préconisait de parler sans prétention et d'écouter avec complaisance. Est-ce suffisant pour être un bon convive ? La question est difficile, et cela vaut la peine d'analyser la question. 

Pensons que, dans les dîners, il y a notre personne, et nous dans la collectivité. Pour être heureux, nous devons être heureux personnellement, et nous devons être heureux ensemble. 

Etre heureux personnellement ? Il y a cette phrase merveilleuse, terrible mais juste, selon laquelle un égoïste est quelqu'un qui ne pense pas à moi. Oui, celui qui prend le sot-l'y-laisse de la volaille sans me l'offrir, celui qui prend la cerise sur le gâteau au mépris des autres, dont moi-même, n'est pas un bon convive... 

A contrario, il faut donc que je comprenne que, si je tiens à un repas réussi, où les autres soient aussi heureux que moi, je ne dois pas prendre le sot-l'y-laisse, ni la cerise sur le gâteau. D'ailleurs, si chacun est comme moi, on offrira les belles parties à chacun, qui le refusera, tour à tour, de sorte que chacun aura été "honoré", en sera heureux individuellement. Mieux, ainsi, on aura donné au groupe l'occasion de choisir, pour une raison particulière qui pourra être discutée, et mettra en valeur un membre du groupe, qui en aura reconnaissance à tout le groupe, donc à chacun. 

Ce qui vaut pour la nourriture vaut pour la conversation, et l'on sait combien les autres sont heureux que l'on s'intéresse à eux, qu'on les questionne sur eux, sur leur santé, leur bien-être... ce qui conduit à penser que, comme pour le sot-l'y-laisse, on en arrive à une situation où chacun renvoie vers l'autre la question de parler de lui. Si d'aventure un convive ne la renvoyait pas, il nous serait reconnaissant de nous être enquis de lui, et nous aurions le bonheur de l'avoir rendu heureux. Et si nous sommes en mesure ou en devoir de répondre, ne pourrions-nous penser que se plaindre, être négatif, c'est poser du repoussant sur la table ? A contrario, proposer un sujet positif, c'est illuminer le coeur des autres. 

Oui, l'optimisme n'est pas une tournure d'esprit, mais une politesse, et le pessimisme est une impolitesse. Et si tous repoussent la possibilité de parler d'eux ? Alors on parlera d'autre chose que de soi, et ce sera encore mieux. Ne pourrait-on parler de ce qui est beau, de ce qui est émouvant, de ce qui est bon, de ce qui contribue à la bonne marche du monde ? Ne gagnerions-nous pas à partager avec nos commensaux nos émerveillements ? 

Ce qui est clair, c'est que la commensalité est une attention de toutes les secondes. Elle se prépare, elle se déguste, elle se savoure. Récemment, j'ai croisé dans la rue un de mes amis, Etienne Guyon, qui marchait en lisant. Que lisait-il ? Un poème. Pourquoi ? Parce qu'il prévoyait une marche avec des amis, et qu'il voulait apporter à la discussion un objet précieux, tout comme on apporte un mets quand on va retrouver des amis pour un pique-nique. Quelle belle idée !

Le parallèle entre le règne animal et le règne végétal peut-il nous aider à cuisiner ?



 Les ressemblances -et les différences- physico-chimiques des règnes animal et végétal sont fascinantes, surtout quand on se souvient qu'elles résultent de la longue évolution qui a conduit à ces deux règnes du vivant. 

Les ressemblances ? Dans le sang, par exemple, nous avons des pigments nommés hémoglobine, dont le centre est un groupe « hème ».
Pour les végétaux, de même, les chlorophylles sont des pigments dont le coeur est un noyau tétrapyrrolique, tout à fait apparenté au groupe hème. 

La ressemblance étant établie, les différences peuvent s'étudier, et notamment le fait que l'atome de fer des animaux corresponde à l'atome de magnésium des végétaux. Pourquoi l'un ? Pourquoi l'autre ? En tout cas, ils conduisent tous les deux à l'apparition d'une couleur brune, quand les tissus des deux sortes sont cuits ! 

Autre exemple : celui du matériau qui entoure les cellules vivantes. Pour les animaux, c'est le tissu collagénique qui, comme son nom l'indique, est fait d'une protéine nommée collagène. Pour les végétaux, la membrane est entourée par la paroi cellulaire, laquelle est faite de molécules de celluloses et de pectines. Quoi de commun ? La cuisine rapproche les deux tissus, de ce point de vue, car la cuisson des végétaux, tout comme celle des viandes, conduit à un attendrissage.
Dans le premier cas, les pectines sont dégradées par une réaction nommée « bêta élimination », qui n'est en réalité qu'une hydrolyse, et, dans le second cas, ce sont les protéines qui sont dissociées, également par une hydrolyse. D'ailleurs, cette cuisson conduit à des gels dans les deux cas… quand on s'y prend bien. Lors de la cuisson d'une confiture, si l'on extrait les pectines sans trop les dégrader, elles forment ensuite les gelées ou les confitures.
Pour la cuisson des viandes, aussi, on obtient des protéines (qui prennent alors le nom de gélatines), qui, si l'on s'y prend bien, forment un gel, au refroidissement. Dans les deux cas, la cuisson prolongée ne permet plus la formation du gel, parce que la dégradation des « polymères » que sont les pectines ou la gélatine a été excessive. La cuisine peut-elle gagner à poursuivre le parallèle ?

samedi 17 février 2024

Les bases : quelles bases ?

La cuisine n'est pas épargnée par les débats sur sa pratique, son évolution, son enseignement. 

Evidemment, il y a un lien important entre les trois champs. L'enseignement, notamment, doit former des jeunes cuisiniers qui ne soient pas "à la traîne" des établissements où ils vont travailler. Et l'ensemble doit évoluer, parce que la "nouveauté" est toujours un avantage concurrentiel. 

Autrement dit, l'enseignement doit être constamment réformé, parce que la technique évolue. Et comme l'éventail des possibilités est immenses, on ne peut pas tout enseigner, et il faut choisir. Que choisir ? 

Souvent, on me parle des « bases » de la cuisine, et l'on me dit qu'il faut que les jeunes aient des « bases ». Pourquoi pas, mais quelles sont ces bases ? Le rôtissage, sur le feu (ou, plus exactement, à côté) est-il une base ? Le fait que ce mode de cuisson ait quasiment disparu des cuisines a conduit à en supprimer l'enseignement, pour le remplacer, judicieusement je crois, par un enseignement de la "cuisson", en général. On est passé à la technologie, plutôt qu'à la technique. 

Cela dit, j'observe que certains cuisiniers rôtissent. La proportion de ces cuisiniers est minime, de sorte que nous sommes conduits à conclure que le "référentiel" (ce qui est exigible à l'examen) se fonde sur la fréquence des opérations. Et c'est notamment ce type de raisonnement qui a conduit à supprimer l'enseignement des opérations non pas périmées (le fait qu'elles existent montre que l’obsolescence n'est qu'en termes de fréquence, pas en terme de technique proprement dite). 

Autrement dit, c'est en termes de fréquences, d'une part, mais aussi de volonté de conserver un patrimoine, d'autre part, que nous devons réformer l'enseignement de la cuisine. De sorte que, selon cette ligne de raisonnement, nous devrions panacher un enseignement des techniques modernes et des techniques anciennes. 

La confection de quenelles est ancienne et patrimoniale : gardons-en l'enseignement... surtout qu'elles peuvent être faites par un robot. L'utilisation des siphons est moderne (et fréquente) : introduisons-la. Certains professionnels font observer que le siphon est une fioriture, et qu'un bon fouet à l'ancienne permet de s'en tirer, en toutes circonstances. Oui, mais on pourrait également dire que quatre fourchettes permettent de remplacer un fouet. Ou encore, on me dit que l'emploi de l'alginate de sodium est secondaire, et que la confection de gels de gélatine à partir du pied de veau permet de s'en tirer... à quoi je réponds qu'il est plus facile de trouver dans les commerce de la gélatine et de l'alginate de sodium que du pied de veau. Et que l'alginate se trouve, avec l'agar-agar, dans toutes les cuisines. On me dit que les appareils pour cuire à basse température ne sont pas partout... à quoi je réponds qu'il suffit d'une cocotte et d'un four bien réglable pour cuire à basse température. De toute façon, ce type d'argument ne tient pas : oui, de même, on pourrait dire que l'ordinateur ne s'impose pas à l'école, puisque, en cas de panne d'électricité, un crayon fait l'affaire. Certes, mais l'expérience prouve que nous avons tous des ordinateurs. 

Enfin, pensons à la cuisine en terme de ces fameuses "bases". Si l'on met de côté la cuisine note à note, qui reste très novatrice, il est exact que nous mangeons surtout des tissus animaux et végétaux traités thermiquement. C'est une base. D'autre part, il y a des sauces (salées ou sucrées : le sucre est l'élément différenciant essentiel), qui sont toutes fondées sur les mousses, les émulsions, les gels, les suspensions... Ce sont donc des bases. Plus exactement, les diverses sauces ne sont pas des bases, et ce sont les systèmes physico-chimiques que sont mousses, émulsions, gels, suspensions... qui sont des bases. Ne devrions-nous pas les enseigner en priorité ?

vendredi 16 février 2024

Affaires de bobos ?

 
Depuis quelque temps, une certaine presse fait frémir le bourgeois à l'idée qu'il puisse manger des insectes. Rarement un sujet aussi anecdotique n'a attiré tant de presse... avec aussi peu de raison. 

La consommation d’insectes connaît un certain engouement (encore très modeste…) dans les régions du monde où on découvre cette source alimentaire. Mais si les insectes sont vantés pour leur richesse en protéines et en vitamines, l’Agence nationale française de sécurité sanitaire de l’alimentation (Anses) a émis son premier avis sur le sujet : elle appelle à la vigilance, après avoir dressé un état de lieux des connaissances scientifiques sur les risques sanitaires liés à l’entomophagie (consommation d’insectes), ainsi que sur l’élevage et la production de ces animaux pour l’alimentation. 

L’Anses souligne notamment les dangers associés aux substances chimiques (comme les venins), physiques (les dards, les rostres), aux allergènes, parasites, virus et autres, peu explorés mais possiblement présents dans ces aliments. 

En attendant la mise en place de normes spécifiques et d’un encadrement adapté, l’Anses recommande la prudence aux consommateurs, en particulier ceux présentant des prédispositions aux allergies. Elle rappelle ainsi que certains insectes partagent avec les mollusques, les crustacés et les acariens, des substances allergisantes auxquelles de nombreuses personnes sont sensibles. 

Bref, il est quand même étonnant qu'un certain public soit si chatouilleux à propos de composés phytosanitaires, et si audacieux à propos de bestioles que je ne trouve pas spécifiquement ragoûtantes. Les derniers grillons que j'ai consommés, en provenance du Mexique, étaient... salés, parce que, frits, on y avait ajouté du sel.

mercredi 14 février 2024

Pour enseigner, pensons stratégie didactique

Hier, j'ai été invité à rapporter un manuscrit soumis à une revue scientifique, et plus exactement un texte didactique, présentant une méthode générale statistique. 

Au-delà de toutes les imperfections du manuscrit, qui étaient d'ailleurs nombreuses puisque j'en ai relevé presque une par ligne du texte, il y avait une faute didactique essentielle à savoir que l'auteur donnait d'abord une idée générale incompréhensible, puisqu'elle était à la fois générale, abstraite, et que l'on ignorait tout de son application particulière, et ensuite seulement, il prenait un exemple seulement à moitié pratique, à moitié concret, de sorte que l'on n'avait pas vraiment idée de ce dont il s'agissait.


Mais supposons que les exemples donnés aient été  mieux explicités, je crois de toute façon que les auteurs faisaient une erreur en les donnant après la loi générale,  parce que l'idée générale incompréhensible mettait les lecteurs dans la désagrable position de ne pas comprendre. Bien sûr, si l'exemple avait été bon, les lecteurs auraient pu ensuite éventuellement se raccrocher aux branches mais pourquoi au fond les mettre dans un état de déséquilibre et d'incompréhension ?
 

À l'inverse, si l'auteur avait commencé par un exemple pratique, simple et concret, alors les lecteurs auraient bien compris ce dont il s'agissait. Et s'il avait ensuite donné l'idée générale, les lecteurs ayant bien compris auraient interprété correctement l'idée générale donnée,  de sorte que je conclus que la seconde méthode est certainement meilleure que la méthode utilisée par les auteurs. 

 

Je m'étonne que des enseignants en soient encore à devoir découvrir ce genre de phénomènes, et je plains leurs élèves de tout mon cœur.