Affichage des articles dont le libellé est gastronomie moléculaire. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est gastronomie moléculaire. Afficher tous les articles

lundi 5 février 2024

On peut faire du beurre à partir de la crème mais peut-on faire l'inverse ?

Un internaute m'interroge : 

On peut faire du beurre à partir de la crème, mais peut-on faire l'inverse, à savoir de la crème à partir du beurre ? 

Pour répondre à la question je crois que le mieux, c'est de partir du lait. 

Le lait est une émulsion,  à savoir que c'est de l'eau dans laquelle sont dispersées des gouttelettes de matière grasse. 

Cette matière grasse et celle dont on fera le beurre, et l'on sait qu'elle est entièrement solidifiée à des températures inférieures à moins de -10 °C et entièrement liquide à des températures supérieures à +50 °C.
Aux températures intermédiaires, il y a une partie de liquide et une partie de solide pour chacune des gouttelettes. 

Quand on laisse reposer le lait, les gouttelettes de matière grasse, de densité inférieure à celle de l'eau, montent progressivement vers la surface du lait, et cette couche enrichie en gouttelettes de matière grasse, mais qui est toujours une émulsion, est ce que l'on nomme la crème.
Dessous, il y a le lait écrémé, ce qui signifie qu'il contient encore un peu de matière grasse mais moins. 

 

Si l'on bat la crème en la refroidissant, ce qui constitue le "barattage", alors les gouttelettes de matière grasse finissent par se souder et faire une espèce d'échafaudage de matière grasse solide et liquide, qui emprisonne un peu d'eau, tandis que le reste de l'eau est exclu sous la forme de petit lait. Le produit obtenu par le barattage produit le beurre. 

Et le beurre et donc une sorte de gel, avec une structure solide qui comprend un peu de liquide. 

Et l'on comprend aussi que si l'on refroidit du beurre en dessous de -10 °C, l'eau qui subsiste congèle, tandis que la matière grasse liquide se solidifie entièrement, de sorte que le beurre est alors un solide complet.
Inversement, si on chauffe le beurre à plus de 50 °C environ, alors on obtient du beurre fondu c'est-à-dire un liquide à deux phases, une phase aqueuse dessous et une phase de beurre fond (on dit "huile") dessus. 

 

Abordons maintenant la question de savoir si l'on peut refaire de la crème à partir du beurre. 

Comment s'y prendrait-on ? Si l'on bat du beurre en ajoutant de l'eau, on réussit effectivement à introduire l'eau dans le beurre,  et ce dernier devient de plus en plus mou, parce qu'il comprend de plus en plus d'eau. 

Ajoutons sans tarder que cette pratique est évidemment autorisée à des fins culinaires, surtout quand l'eau a du goût comme quand c'est du café, du thé, du jus de fruits, et cetera,  mais que, pour les produits commercialisés, le beurre ne doit jamais contenir plus de 16 % d'eau selon la réglementation française.
Et cette limite est utile sans quoi des fabricants malhonnêtes vendraient du beurre plein d'eau, au prix du beurre et non au prix de l'eau. 


Mais revenons à notre  expérience qui consistait à ajouter de l'eau. On peut en mettre beaucoup, jusque 200 ou 300 % environ, mais à partir d'un moment, la matière se divise en espèces de gros grumeaux mous, et cela n'est pas de la crème ! Car la crème, c'est cette matière qui s'obtient par crémage du lait (voir la réglementation, et notamment, dans le Glossaire des métiers du goût  https://icmpg.hub.inrae.fr/travaux-en-francais/glossaire/lettre-b


Il y a une autre possibilité, qui consiste à fondre entièrement le beurre, doucement, à le "clarifier" comme il est dit en cuisine, et à décanter la matière grasse d'un côté et le petit lait de l'autre.
Si maintenant on ajoute la matière grasse en fouettant dans le petit lait, auquel on a ajouté de l'eau pour retrouver des proportions de la crème, ou du lait, alors on parvient, en s'y prenant comme quand on fait une mayonnaise, à émulsionner la matière grasse qui avait été décantée dans l'eau.
On obtient alors une sorte de reproduction de lait. Bien sûr, ce n'est pas du lait, car la structure n'est pas exactement la même, la taille et la répartition des gouttelettes de matière grasse diffèrent, par exemple... et la réglementation interdit de nommer cela du lait. 

Mais on obtient une émulsion avec les mêmes types d'ingrédients. Et si on laisse crêmer cette émulsion, alors on récupérera en surface une émulsion plus concentrée qui s'apparente à la crème... mais qui n'est pas la crème puisque cette dernière est définie  réglementairement.

 

Il y a d'autres solutions plus compliquées mais voici les principales idées que j'ai pour répondre à la question de notre ami.

mercredi 31 janvier 2024

Apprendre les sciences pour découvrir la gastronomie moléculaire et physique : réponse détaillée

Ce matin, une passionnante question, qui m'était arrivée déjà par le passé, et à laquelle j'avais jusque là mal  répondu... Mais nous avons maintenant en ligne des outils nouveaux  pour mieux répondre :

 

Bonjour Monsieur This,

Fervent lecteur de votre blog et vos articles, je me permets de vous écrire car j'aimerais acquérir les connaissances de base en physique et en chimie pour ensuite pouvoir étudier la gastronomie moléculaire de manière plus rigoureuse et exercer un regard critique sur ce que l'on peut lire dans les livres au sujet de la cuisine, du vin, du café, etc., comme vous le faites si bien.

Ainsi, quels conseils donneriez-vous pour orienter cet apprentissage en auto-didacte ? Faut-il s'astreindre à étudier les programmes scolaires ou existe-t-il d'autres manuels abordant ces matières sous un autre angle ? Est-il judicieux de se concentrer sur certaines branches spécifiques de ces disciplines pour mieux comprendre la gastronomie moléculaire ? Bien sûr, il ne s'agit pas de demander une méthode magique qui ne nécessiterait pas de travail, mais quelques conseils pour s'aiguiller dans ces matières qui peuvent effrayer les néophytes.

En espérant que je me sois exprimé clairement, je vous adresse mes sincères salutations.

 

Et voici ma réponse (provisoire : je cherche mieux) 


Bonjour et merci de votre message.
Sachant que mon blog est lu, il va maintenant falloir que je réfléchisse bien avant de poser des mots ;-)

Votre question est à la fois intéressante et difficile.

Si nous sommes bien d'accord que, quand vous dites "étudier la gastronomie moléculaire", vous pensez à la science nommée "gastronomie moléculaire (et physique"), sans la confondre avec la "cuisine moléculaire", alors il y a une question qui s'approche de celle que l'on pourrait poser pour les cours de physique ou de chimie au Collège ou au Lycée : on découvre les résultats des sciences, plutôt que les sciences, et c'est pour cette raison que l'introduction de l'histoire des sciences, il y a quelques années, a été si essentielle, à savoir que, à reproduire des études anciennes, et plus simples que celles d'aujourd'hui, l'on pouvait mettre les élèves dans une activité de recherche scientifique, de science en un mot.
Car la physique, la chimie, sont des sciences, donc des activités de production de la connaissance, et non des connaissances elles-mêmes.
Pour la gastronomie moléculaire, il en va de même, d'où la question : pensez-vous à apprendre la gastronomie moléculaire en tant que recherche scientifique, ou voulez-vous découvrir ses résultats ?


Pour la seconde option, je dois vous signaler que, précisément pour répondre à cette question, nous avons publié un énorme Handbook of Molecular Gastronomy (894 pages, 150 chapitres) qui visait non pas seulement des scientifiques, mais aussi des cuisiniers. 



Et, d'autre part, mes "cours de gastronomie moléculaire et physique" du Master international Food Innovation and Product Design sont en ligne  (ils mériteraient que je peaufine les documents, mais comme cela correspond à énorme travail un peu facultatif, je fais cela tranquillement... en privilégiant mes livres). Vous les trouverez ici, dans la pièce jointe et ici : https://seafile.agroparistech.fr/d/4e77fcbcaacc47788d28/
Mais il y a aussi tout mes livres ! 


Cela étant, la gastronomie moléculaire et physique étant une discipline scientifique, elle tient sur deux pieds :
- l'expérience
- le calcul

Pour le second, j'ai produit le livre ci dessous, afin d'enseigner à bien faire.
Pour l'expérience, il y a plein de choses, mais tout commence, dans la méthode scientifique, par l'établissement d'un phénomène, et c'est cela que nous faisons en public dans les séminaires de gastronomie moléculaire, dont les comptes rendus sont ici :

Cela dit, en revenant à vos questions, vous évoquez des "connaissances de base", et là, effectivement, les programmes scolaires de physique et chimie semblent s'imposer: il suffirait de prendre les manuels des classes successives, et de les lire méthodiquement les uns à la suite des autres, en n'oubliant pas les compétences mathématiques, notamment.

D'autres documents pour arriver à la même chose ? Je ne sais vraiment pas, mais, surtout, il y a lieu de penser  en :
- connaissances
- compétences.
Votre souci d'étudier la gastronomie moléculaire de manière plus rigoureuse est louable, mais c'est la "lecture critique" qui pose un problème difficile. En effet, dans nos cours de master, on voit souvent des étudiants proposer une "hypothèse"... dont on ne peut établir l'inanité ou la véracité que par le calcul.
Prenons l'exemple du gonflement des soufflés. Si l'on nous dit que les soufflés gonfleraient parce que les bulles d'air se dilatent à la chaleur, il y a une "théorie", qui, en l'occurrence, se réduit à une hypothèse, une proposition plausibles. Mais il faut utiliser l' "équation des gaz parfaits" pour calculer que, pour cette théorie, le gonflement serait limité à 30 %... ce qui est bien insuffisant pour expliquer le phénomène. Et, de fait, les soufflés gonflent bien plus parce que le vrai phénomène essentiel est l'évaporation de l'eau, ce que l'on calcule facilement par ailleurs.
Bref, en science, être critique, c'est être quantitatif.

Et il y a là tout un débat à propos de la vulgarisation vs science : dans un billet de mes blogs, j'ai expliqué que, produisant la revue Pour la Science, je m'étais fourvoyé pendant 20 ans en m'interdisant d'y faire figurer des équations, ou des formules pour la chimie. Aujourd'hui, je crois qu'il n'y a pas lieu d'être "démagogique", et qu'il vaut mieux aider nos amis à décoder équations ou formules. Sur des points particuliers, mais sans concession à cette rigueur que vous évoquez très justement.

Et je crois qu'il sera utile que je mette cet échange (anonymement) sur un blog : cela me donnera la possibilité de le relire, et peut-être d'améliorer encore ma réponse.
Mais, en tout cas, je suis à votre disposition pour des réponses complémentaires.

bien à cordialement

PS. En vous proposant d'ajouter votre email sur la liste de distribution des invitations aux séminaires de gastronomie moléculaire, ainsi que d'envoi des comptes rendus. A noter que les séminaires peuvent se suivre en visio. Si vous le souhaitez, donc, il suffit de faire la demande à icmg@agroparistech.fr (c'est gratuit)

 

samedi 28 octobre 2023

Du sucre avec de la farine


C'était une expérience que je faisais en public, lors de mes conférences, il y a une vingtaine d'années : si l'on verse une cuillerée de farine dans de l'eau bouillante, alors se forment des grumeaux. Si l'on s'y prend bien, on peut obtenir, par exemple, un gros grumeau de un ou deux centimètres de diamètre. Si on le sort à l'aide d'une cuiller, on peut le poser sur le plan de travail et le couper par le milieu : on voit alors un cœur de farine sèche, entourée d'une « coque » gélifiée, de farine « empesée ».

 

Répétons l'expérience, en mêlant une bonne proportion (environ un tiers) de sucre en poudre à la farine, avant de laisser tomber d'un coup le contenu d'une cuiller dans de l'eau bouillante : cette fois, aucun grumeau n'apparaît. Pourquoi ? 

 

Je faisais cette expérience pour expliquer ce qu'est la théorie de la percolation, dont le physicien français Pierre-Gilles de Gennes (1932-2007, prix Nobel de physique en 1991) fut un des pionniers. Pour comprendre la chose, commençons par examiner le percolateur du bistrot d'à côté : on tasse de la poudre de café dans le porte filtre, puis on envoie de l'eau sous pression. L'eau chemine entre les grains, dans le porte filtre... puis, soudain, une première goutte tombe dans la tasse : c'est le « seuil de percolation ». 

Modélisons cela avec un grillage que l'on relie en série à une pile et à une ampoule. Le courant passe, et la lampe est allumée. Puis imaginons un petit diable qui coupe des brins du grillage au hasard. Le courant continue de passer... Puis viendra un moment où l'ampoule s'éteindra, parce qu'il n'y aura plus de chemin conducteur continu, entre le haut et le bas du grillage. Ce sera le seuil de percolation. 

La même idée s'applique à la description des épidémies. Supposons un marin qui arrive en Bretagne avec une maladie, et supposons que la probabilité de contagion soit élevée : la maladie se propagera d'un bout à l'autre de la France. En revanche, avec une probabilité de contagion inférieure, on pourra éviter l'épidémie. Là encore, il y a un « seuil de percolation » (sous entendu : de la maladie dans le pays). 

 

On le voit, cette description est très générale, et Pierre-Gilles fut un de ceux qui calculèrent les caractéristiques de réseaux variés. Revenons à notre farine et à notre sucre : la gélification de la farine, la formation d'un gel, peut se décrire par la théorie de la percolation. Pour faire un grumeau, il faut que les grains voisins se lient. En revanche, si l'on a ajouté suffisamment de sucre, alors les grains voisins seront séparés par le sucre, et ils s'empèseront de façon isolée, ce qui fera une suspension de micro-grumeaux, comme un « velouté ». Et c'est ainsi que la chimie physique est une science merveilleuse !

dimanche 17 septembre 2023

Les bouillons : la viande dans l'eau froide ou dans l'eau chaude ?

 
Les livres de cuisine indiquent, depuis des siècles, que les bouillons de viande doivent toujours démarrer à l'eau froide, et jamais à l'eau chaude, sans quoi la viande, qui coagulerait en surface, ne laisserait par sortir autant le jus que si elle est plongé dans l'eau froide. 

Que penser cette prescription ? 

 

La première expérience à faire consiste à placer deux moitiés d'une même viande (pour simplifier, on fait des morceaux de même masse), l'une dans l'eau froide, et dans l'autre dans l'eau bouillante, puis on pèse à intervalles irréguliers. Analysons : s'il était vrai que la viande placée dans l'eau chaude laissait moins sortir les jus que dans l'eau froide, cela signifierait que la viande de chaude devrait avoir une masse supérieure à la viande dans l'eau froide. De fait, les mesures montrent des différences entre les viandes froides et dans l'eau chaude... mais les différences sont exactement l'inverse de celles qu'on attendait ! Dans l'eau chaude, la masse de la viande à l'eau froide est inférieure à la masse de la viande à l'eau chaude ; puis, après environ une heure et demie, les deux morceaux de viande ont la même masse au gramme près ! 

Ce qui compte, c'est la température atteinte au cœur de la viande, et non pas la façon dont on atteint cette température. Certes, nous n'avons pas considéré le goût, mais seulement la masse, et l'on pourrait imaginer que les bouillons soient différents. Toutefois, dans nos essais, nous n'avons pas vu différence de goût entre les deux bouillons, ce qui est ... troublant. 

Troublant : c'est le mot important, car il est vrai que la viande dans l'eau bouillante produit un bouillon bien plus trouble que dans l'eau froide. Or le monde culinaire veut des bouillons clairs. C'est peut-être là l'origine la précision culinaire.

vendredi 15 septembre 2023

Questions de farines dans des sablés

 

Est-il vrai que, dans un sablé, plus la proportion de  farine est importante, plus la pâte sera "dense ?
Et est-ce "mieux" d'utiliser une farine pauvre en gluten ?

Dans un sablé, il y a de la farine, de l'œuf, du beurre et du sucre. Il y a mille façons de faire une pâte à sablés, mais si l'on disperse la farine dans le beurre, alors on comprend qu'on puisse faire une forte proportion de beurre ou bien une forte proportion de farine.

Et s'il y a plus de farine, c'est qu'il y aura moins de beurre : la friabilité des sablés sera différente.

Mais quand on m'interroge sur la densité, alors je ne sais pas très bien ce que cela veut dire. En réalité, la densité c'est la masse par unité de volume et oui la farine est plus dense que le beurre puisque la matière grasse flotte dans l'eau  ; et la farine  est plus dense que l'eau, puisqu'elle tombe au fond de l'eau.

Mais je me doute bien que la question qui m'est posée sur la densité des biscuits avec beaucoup de farine n'a rien à voir avec cela et je ne sais pas répondre à la question parce que je pense qu'elle n'est pas bien posée.

Maintenant, il y a aussi la question du taux de gluten dans la farine et là c'est une autre question que celle de la densité, notion que j'ai toujours du mal à interpréter.

C'est plutôt une question de friabilité et, évidemment, plus il y a de gluten, plus la pâte "risque" d'être dure. Je dis "risque" parce que selon le procédé, on peut avoir une pâte dure ou non qu'il y ait beaucoup de gluten ou pas.

Bref, je revendique des questions très bien posées, très précise, pour être capable de répondre.

jeudi 14 septembre 2023

Ne pas confondre bicarbonate et poudres levantes

 Des pâtes plus moelleuses

Un correspondant m'interroge :

"la baking powder apporte plus de legerete avec une mache plus moelleuse dans une pate a biscuit depourvus d’acide" [sic]

Quand mes amis utilisent des mots anglais, j'ai toujours peur des confusions et lorsqu'un de mes correspondants me parle de baking powder alors qu'il m'a parlé précédemment de baking soda, je crains qu'il ne fasse une confusion entre les deux.

Le baking soda, je l'ai expliqué dans un autre billet, c'est du bicarbonate. et le bicarbonate se décompose effectivement dans l'eau chauffée, en libérant du dioxyde de carbone : faites donc l'expérience de mettre un peu de bicarbonate dans de l'eau que vous chauffez au four à micro-ondes, et vous verrez une forte effervescence.

En revanche,  le baking powder est ce que nous appelons en français des poudres levantes, et j'invite mon correspondant à utiliser des mots français pour bien faire la distinction : poudre levante dans un cas, bicarbonate dans l'autre.
Et les poudres levantes sont bien plus efficaces pour faire gonfler les pâtisseries.

Tout cela étant dit, les poudres levantes donnent-elles de la légèreté aux préparation pâtissières ? Evidemment oui : il suffit de comparer la même pâte à biscuit ou à gâteau avec ou sans poudre levante pour s'en apercevoir.

J'ajoute enfin que, pour les poudres levantes, tout est dans la poudre, les acides et les bases qui vont réagir, sans qu'il soit nécessaire que la pâte elle-même contienne des acides.

mercredi 13 septembre 2023

Pas de cautérisation pour les viandes sautées

 
De nombreux livres de cuisine indiquent que l'on doit saisir les viandes sautées afin de cautériser la chair, d'empêcher le jus de sortir. Que penser de cette prescription ? 

 

Faisons l'expérience de poser un steak dans une poêle très chaude, et observons : nous entendons du bruit, nous voyons des bulles à la base du steak, et nous voyons aussi une fumée s'élever.
Si nous mettons un verre froid dans la fumée, nous le voyons se couvrir de buée, ce qui montre que de l'eau s'évapore de la viande... ce qui est bien naturel, puisque l'on chauffe de la viande, laquelle est faite de 60 pour cent de protéines et de 40 pour cent d'eau. 

Disposant de cette première observation, nous pouvons maintenant comparer deux poêles où cuisent deux moitiés d'un même steak, l'une chauffée doucement et l'autre chauffée très fort.
Dans les deux cas, il y a de la fumée. Autrement dit, que l'on chauffe doucement ou énergiquement, de l'eau s'évapore ; autrement dit, si par hasard il y avait cautérisation, cette dernière ne préviendrait pas efficacement la sortie du jus ! D'ailleurs, prenons un steak sauté vivement et posons-le dans une assiette : rapidement, la viande surmonte une flaque de jus, preuve que la cautérisation ne prévient pas la sortie du jus. 

Pourquoi cette prescription, alors ? Parce que si l'on cuit lentement une viande, un thermocouple que l'on placera sous la viande, au contact de la poêle, montrera une température constante de 100° : c'est l'indication que le débit de sortie du jus de viande est supérieur à la vitesse l'évaporation du jus.
En revanche, si nous sautons très vivement la viande, nous pouvons observer que la température sous le steak argumente considérablement, atteignant 180, 200, 250°, signe qu'il n'y a plus d'eau liquide et que, contrairement au cas précédent, on n'est pas en train de faire bouillir la viande.
De ce fait, les réactions chimiques responsables de la formation de composés sapides, odorants, colorés ont lieu, et la surface de la viande prend un goût bien particulier. Comment rendre cela quantitatif ? Bien sur, il y a eu la mesure de la température sous la viande, mais pourrions-nous faire un modèle ? Nous pourrions vouloir calculer l'épaisseur de la croûte. A cette fin, il faudrait déterminer la puissance transmise à la viande, ce qui pourrait se faire en remplaçant la viande par une petite coupelle pleine d'eau. En mesurant la température de l'eau, on pourrait suivre l'échauffement, et déterminer la puissance de chauffage. Puis, de ce fait, on pourrait calculer l'épaisseur de la croûte formée. 

Et c'est alors le début d'une longue histoire, celle d'une exploration scientifique de la cuisson des viandes.

mardi 12 septembre 2023

Les gonflements en cuisine

Naguère les livres de cuisine indiquaient que c'était l'oeuf qui faisait « souffler ». Il aurait fait souffler les soufflés, les choux, les petits choux, les cannelés, les quiches, etc. 

 

Toutefois le physico-chimiste a de quoi s'étonner : pourquoi donc les œufs auraient-ils eu cette vertu soufflante ? 

 

Le blanc d'oeuf, c'est 90 pour cent d'eau et 10 pour cent de protéines. Si le blanc fait souffler, c'est soit en vertu de son eau, soit en vertu de ses protéines, soit en vertu d'une combinaison des deux. Pourtant l'expérience est simple : l'ajout de protéines à une préparation culinaire, ne produit pas de gonflement ; en revanche, avec de l'eau, la préparation gonfle... si elle est chauffée par le bas. En effet, l'eau qui s'évapore fait bien plus de volume de vapeur que le liquide initial (environ un gramme d'eau fait un litre de vapeur). 

Et c'est ainsi que l'on ne voit pas les soufflés gonfler si on les chauffe par le grill du four, par le dessus, alors qu'ils se développent considérablement si on pose le ramequin sur la « sole » du four, en bas. La vapeur formée au fond du ramequin pousse le soufflé vers le haut, et l'on voit le soufflé gonfler. Il y avait donc bien lieu de rénover l'enseignement culinaire, en balayant toutes les scories de son développement, dans les décennies précédentes. 

Ce fut la réforme du CAP, réforme qu'il faut poursuivre aujourd’hui, tant il est vrai que les idées fausses ne meurent jamais, mais que ceux qui les soutiennent finissent pas disparaître (partir en retraite, mourir, se désintéresser de le question). 

Progressivement, en nous fondant sur des expérience répétables, que les professeurs produiront devant leur élèves, on arrivera à des théories plus justes de la technique culinaire. 

 

La conclusion est qu'il semble bien essentiel de poursuivre les expériences, et d'encourager les enseignants à en faire avec leurs élèves, dans les établissements d'enseignements de la cuisine.

dimanche 10 septembre 2023

La cuisson du poisson

Mon goût quasi immodéré pour le poisson aurait dû depuis longtemps me faire aborder ce sujet. Pourtant, je ne sais pas vraiment pourquoi, je tourne toujours autour de la question des œufs, des légumes et des viandes, comme prototype d'explication de la cuisson. 

Du point de vue de la pédagogie, de l'explication, il est bon de situer l'étendue des variations entre le blanc d'oeuf et la viande. Le blanc d'oeuf, c'est le système le plus simple, puisqu'il est composé de 90 pour cent d'eau, de 10 pour cent de protéines, avec une structure réduite au minimum.
A l'opposé, la viande la plus dure est faite de fibres, à l'intérieur desquelles se trouve une matière analogue au blanc d'oeuf (pour l'explication, tout du moins), fibres dont l'enveloppe est un tissu collagénique, et qui sont réunies en faisceaux par du tissu collagénique.
Autrement dit, dans la viande, il y a deux composantes : du blanc d'oeuf et du tissu collagénique. 

Le poisson est intermédiaire, car c'est du tissu musculaire, comme la viande, mais la quantité de tissu collagénique est faible. Autrement dit, il y a une structure qui s'apparente à du blanc d'oeuf fibreux, ou, plus exactement, du blanc d'oeuf intégré dans des fibres. Lors de la cuisson du poisson, il y a donc la coagulation de l'intérieur des fibres, et la séparation de ces dernières, séparation facile puisque le tissu collagénique est en faible quantité.
En conséquence, la cuisson durcira le poisson, plutôt qu'elle ne l'attendrira dans le cas des viandes dures. Le durcissement sera dû à la coagulation de l'intérieur des fbires, et l'on comprend qu'on n'aura guère intérêt à beaucoup prolonger la cuisson... à cela près que les voies artistiques sont impénétrables. 

 

Contrairement aux viandes, la chair du poisson n'est pas bien rouge, mais il demeure vrai que la chair peut perdre sa transparence par le même type de mécanismes que dans la viande. La cuisson basse température pour le poisson ? Si l'on entend par « cuisson basse température » une cuisson à basse température de longue durée, généralement appliquée aux viandes en vue de dissoudre le collagène, ce procédé n'a guère d'intérêt. En revanche, si l'on entend la maîtrise de la température de cuisson appliquée à l'ensemble de la pièce en vue de commander une consistance particulière, alors les mêmes remarques que pour l'oeuf s'appliquent, et c'est ainsi que l'on envisagera des cuissons à 6X degrés, abréviation qui signifie 61, 62, 63, 64, etc. 

J'ai donc eu tort de négliger la cuisson du poisson, car, comme pour les œufs, une grande variété de résultats est accessible. Comme quoi il n'est pas bon de confondre communication et contenu. j''ai souvent utilisé l'oeuf comme support de communication, afin d'expliquer les transformations moléculaires qui survenaient lors du chauffage d'un mélange d'eau et de protéines, mais le contenu, c' est autre chose : il s'agit d'obtenir des résultats particuliers. 

Mea culpa, cet exemple me montre que je dois maintenant examiner plus en détail de nombreux sujets que j'ai négligés par le passé, et y mettre un peu d'intelligence, afin de partager avec mes amis des contenus qui en valent la peine.

mercredi 6 septembre 2023

Une "mousse tomate dattes" ?

 On m'interroge à propos d'une "mousse tomate datte". Comment produire un tel plat ?

En réalité, il y a d'innombrables façons d'y arriver, la première étant, par exemple, de cuire des tomates avec des dattes, de broyer le tout, d'ajouter des protéines (par exemple de la poudre de blancs d'œufs) et de fouetter : on obtient une mousse.

Une autre technique consisterait à commencer par broyer les tomates avec les dates, éventuellement en cuisant, de filtrer pour récupérer un liquide, d'ajouter des protéines d'œufs ou bien un œuf entier, de mettre le liquide dans un siphon et de produire la mousse... car par parenthèse je rappelle que les siphons produisent des mousses et non pas des émulsions.

Il y a aussi la possibilité de faire une mousse, de blanc d'oeuf, de meringue italienne, de crème fouettée, par exemple, et d'ajouter ensuite les tomates et les dates.
Bien sûr, dans cet ordre de choses, on peut aussi bien faire un sabayon par exemple  : bref il y a vraiment de très nombreuses façons de faire.

Car dans l'intitulé du plat, il y a seulement trois contraintes : avoir des tomates, qui en réalité sont constitués essentiellement d'eau, des dattes, qui sont un peu analogues, et des bulles de gaz, à savoir soit de l'air, soit du protoxyde d'azote (pour la majorité des cartouches de siphon)... soit du  dioxyde de carbone (une autre cartouche d'un type particulier) auquel cas on peut avoir un petit pétillant agréable.

Dans tous les cas, il y a lieu d'utiliser des molécules qui vont stabiliser les bulles : les protéines de l'œuf par exemple, mais pourquoi pas des protéines extraites de la viande, ou de végétaux, ou du lait ? Et puis il y a aussi d'autres agents foisonnants de la famille des additifs.

Bref il y a d'innombrables façons d'obtenir une "mousse tomate datte".

lundi 4 septembre 2023

La sauce kientzheim

Vous mangez du poisson, des asperges ? Ne manquez pas de les accompagner en avec une sauce « kientzheim », une excellente sauce kientzheim dirais-je si ce n'était un pléonasme, puisqu'une sauce kientzheim est par définition excellente ;-)

 

De quoi s'agit-t-il ? D'une sauce émulsionnée, comme une mayonnaise donc, mais où l'huile est remplacée par du beurre noisette. On pourrait croire qu'il ne s'agit de rien d'autre que d'une sauce hollandaise, sauf qu'une hollandaise n'est pas une émulsion, mais une suspension émulsionnée, le jaune d'oeuf étant coagulé lors de la cuisson (laquelle change le goût, de l'hydrogène sulfuré étant formé en petites quantités). De surcroît, le beurre utilisé pour une hollandaise n'est pas un beurre noisette, ce qui est un détail du point de vue physico-chimique, mais quelque chose d'essentiel du point de vue culinaire. 

La sauce kientzheim est finalement un système qui n'a jamais été proposé par le passé, de sorte qu'il s'agit bien d'une invention, pour laquelle il fallait un nom nouveau. Celui qui a été retenu est « sauce kientzheim », du nom d'un des plus beaux villages du monde dans le Haut-Rhin, en Alsace.

 

En pratique ? 

 

Partons d'un jaune d’œuf, poivrons-le fortement, salons un peu, et ajoutons le jus d'un citron. 

Par ailleurs préparons un beurre noisette en chauffant du beurre dans une casserole jusqu'à ce qu'apparaissent une belle odeur et une belle couleur. Attention : le beurre ne doit pas charbonner. 

Laissons ce beurre noisette refroidir un peu, jusqu'à ce que l'on puisse toucher le flan nu de la casserole, c'est-à-dire que la température soit inférieure à 60 °C, le beurre restant liquide. 

Puis ajoutons ce beurre noisette liquide au mélange d'oeuf et de citron, en fouettant, comme pour une mayonnaise. Progressivement, la sauce épaissit comme une mayonnaise, et l'on obtient la sauce kientzheim. 

 

Evidemment iil n'est pas interdit de l'agrémenter de câpres, par exemple. Finalement, dans ce cas particulier, le gastronome Jean-Anthelme Brillat-Savarin avait bien raison de dire que la découverte d'un mets nouveau fait plus pour le bonheur que la découverte d'une étoile... sauf qu'il ne s'agit pas ici d'une découverte, mais d'une invention. 

 

Peu importe : il y a quand même beaucoup de bonheur gourmand à la clé !

jeudi 31 août 2023

Que le contribuable se rassure

 Ce matin, alors que je faisais visiter notre laboratoire à des visiteurs, je me suis souvenu d'une visite que j'avais faite un jour, dans un autre laboratoire : il me semblait vide, et j'avais l'impression qu'il y avait une pléthore de matériel inutilisé, qui coûtait cher à l'Etat. 

Erreur... mais erreur qu'il faut corriger. 

Tout d'abord, il serait dangereux que des chimistes travaillent de façon confinée : un coude qui cogne un produit dangereux, et il peut y avoir un accident. Une concentration en solvant trop importante, et tout le monde tombe malade. Il faut de l'espace. 

D'autre part, l'exercice de la science demande des instruments, petits ou gros, qui vont du simple thermocouple (un thermomètre amélioré) au cyclotron. 

Bien à sûr, chacun ne peut avoir un cyclotron à soi, mais c'est un cas particulier. Pour des équipements tels que les chromatographes, on est vite toute la journée sur un appareil, ce qui signifie qu'une équipe de 20 personnes doit avoir environ une vingtaine de ces équipements, sous peine de ne pouvoir travailler. Divisons par deux, et le compte reste bon. 

Bref, il faut du matériel et de l'espace... sans que nous ne gaspillions l'argent de l'Etat !

samedi 26 août 2023

Plus sur la densité des sirops

 
Alors que je présentais la découverte que j'avais faite il y a quelques décennies déjà, pour bien doser les sirops où l'on conserve les fruits : https://hervethis.blogspot.com/2023/08/des-fruits-au-sirop.html

un pâtissier m'écrit :

Cher Monsieur THIS
A qui le dites-vous ?
Je me bagarre en vain , les enseignants et nos apprenants sont encore au degrés baumé
Ils n’imaginent même pas se passer du pèse sirop…
Aucune notion de « densité » n’est enseigné aux CAP pâtisserie cuisine confiserie… c’est quand même grave….en France…
Excellente journée


Il est exact que mon texte était concis, et j'avais donné la "recette" sans expliquer le phénomène que j'avais utilisé pour la mettre en œuvre. Mon correspondant  me demande d'expliquer le phénomène.

L'idée est la suivante : quand on verse dans un récipient deux liquide de densités différentes, alors le liquide le plus dense va au fond du récipient et  le liquide le moins dense surnage.
C'est le cas de l'huile et de l'eau par exemple.

Ce qui vaut pour deux liquides vaut aussi pour un liquide et un solide : un solide plus dense qu'un liquide tombe au fond du liquide alors qu'un solide moins dense flotte à la surface.
Par exemple une pierre tombe dans un saladier plein d'eau, alors qu'un morceau de bois va flotter.

Il s'agit là de densité et non de poids, ce que je suis obligé d'expliquer régulièrement aux étudiants qui me font l'honneur de vouloir apprendre à mes côtés.
Oui le poids et la densité sont deux choses différentes. Lourd, léger sont des adjectifs qui se rapportent au poids. Mais, pour la densité, il faut dire plus dense, moins dense.

Par exemple, lequel est le plus lourd : un kilogramme de plumes ou un kilogramme de plomb ? Si vous mettez un kilogramme de plumes d'un côté d'une balance à plateau et un kilogramme de plomb de l'autre, vous verrez la balance s'équilibrer parfaitement.
De même pour un litre d'eau et un cube métallique d'un kilogramme, car un litre d'eau pèse un kilogramme, comme le cube métallique. Pour autant, si vous mettez le cube métallique de un kilogramme dans l'eau vous le verrez arriver au fond.

Regardons si nous avons bien compris. Qu'est-ce qui est plus lourd : vos clés ou l'océan Atlantique ? Là, il y a un piège où tombent régulièrement ceux qui ne pensent pas assez aux mots et qui n'ont pas compris que "lourd" est une question de poids, pas de densité.
Et la réponse à la question est que si vous  lâchez vos clés au-dessus de l'océan Atlantique, vous les verrez évidemment tomber au fond de l'océan, car le métal des clés est plus dense que l'eau de l'océan.
Pourtant, les clés sont évidemment moins lourdes que l'océan, comme on le voit en posant les clés à gauche d'un plateau de balance et l'océan tout entier à droite  : évidemment  la balance penche du côté de l'océan.
Il faut donc dire que les clés sont plus denses que l'océan mais que l'océan est plus lourd que les clés. Ou encore que les clés sont plus légères que l'océan, et que l'océan est moins dense que les clés.  

Finalement, on voit bien qu'il y a une différence entre la lourdeur (le poids) et la densité, c'est-à-dire la capacité de tomber ou de flotter.


Passons maintenant aux sirops de sucre.

Les sirops de sucre se font en dissolvant du sucre dans de l'eau, à concurrence d'environ 950 grammes de sucre pour un litre (un kilogramme) d'eau.
Les sirops sont plus denses que l'eau et plus il y a de sucre dissoute dans l'eau plus le sirop est dense.
Un sirop épais, avec beaucoup de sucre dissous, est très dense, et un sirop léger, avec peu de sucre,  est moins dense.
Il y a même une expérience qui consiste à verser un sirop épais dans un récipient, puis  à ajouter doucement de l'eau par-dessus (par exemple, en la versant sur le dos d'une cuiller retournée)  : on voit alors l'eau flotter au-dessus du sirop, surtout si l'on a pris la précaution de colorer le sirop ou de colorer l'eau.
Et c'est ainsi que l'on peut parfaitement maîtriser le nombre de couches dans un cocktail.


Mais revenons maintenant à nos fruits au sirop.

Un fruit, c'est comme de l'eau avec du sucre : on sait bien que les fruits sont sucrés, n'est-ce pas ? Bien sûr, il y a le  noyau mais simplifions la question en l'oubliant.
Si vous mettez un fruit -qui est donc sucré- dans de l'eau pure, vous le verrez tomber au fond de l'eau, puisque sa densité est celle d'une sorte de sirop.
Mais si vous mettez un fruit dans un sirop très épais, qui a une concentration en sucre supérieure à la concentration en sucre du fruit, alors vous verrez le fruit flotter.

Et, donc, pour avoir une densité du sirop exactement égale à celle du fruit, il suffit de mettre le fruit dans un sirop très épais (et l'on voit alors le fruit flotter), puis d'ajouter de l'eau progressivement, ce qui réduit lentement la densité du sirop.
Et quand la densité du sirop est égale à celle du fruit, alors le fruit commence à s'enfoncer et là on ferme les bocaux et on les stocke.

vendredi 25 août 2023

La gastronomie moléculaire, c'est quoi ?


J'avais annoncé que je parlerais ici de gastronomie moléculaire. Mais c'est quoi ? 

La gastronomie moléculaire n'est pas toute la science des aliments, et elle n'est pas non plus une technologie des aliments. C'est une discipline scientifique, au sens des sciences de la nature, avec un objet très spécifique, raison pour laquelle cette discipline a été introduite sous un nom spécifique (cela ne m'amuse guère de produire des mots creux!) : il s'agit d'explorer les phénomènes qui surviennent lors des transformations « culinaires », celles qui font passer des ingrédients aux aliments.

Aux aliments, ou aux mets ? Hier encore, discutant avec des collègues, j'ai vu combien le mot « aliment » est source d'incertitude, et comment ces hésitations rejaillissent sur la définition de la gastronomie moléculaire.

En réalité, l’ambiguïté tient au deux mots : « science » et « aliment ». Pour le mot « science », j'en ai tant parlé ici que je propose de ne pas me répéter aujourd'hui, et de renvoyer vers d'autres billets. Pour le mot aliment, ce qui est terrible, c'est qu'il n'est pas utilisable sans précaution, en raison des sens fautifs que tous y mettent. En français, l'aliment, c'est ce que l'on mange. 

Et cela a des conséquences, notamment le fait que les tissus végétaux ou animaux produits par l'agriculture ou l'élevage sont rarement des aliments : de ce fait, on ne mange pas des carottes crues, mais des carottes en salade, qui ont déjà été transformées par la découpe et l'immersion dans la sauce. On ne mange pas de poulet, mais du  poulet rôti, ou sauté... 

En réalité, donc, l'aliment est véritablement le mets.

 

Pourtant, les scientifiques et les technologues qui s’intéressent à l'aliment n'ont pas souvent cette idée juste, et je suis souvent obligé, pour me faire comprendre, d'utiliser le mots « mets » plutôt que le mot juste, qui est « aliment ». 

Souvent, il faut que je dise que la gastronomie moléculaire est la science qui explore les phénomènes qui surviennent lors de la préparation des mets. Cela n'est pas très grave, et je parviens à m'adapter, mais mon purisme terminologique est heurté.

 

Cela étant dit, revenons à la définition : la gastronomie moléculaire est la science qui explore les phénomènes qui surviennent lors de la préparation des mets.
Une deuxième question se pose : où commence et où finit la gastronomie moléculaire, dans la chaîne qui s'étend de l'exploration des ingrédients jusqu'à l'exploration de l'acte de digérer et de métaboliser ? Par exemple, il y a plusieurs années, nous avions fait des expériences pour savoir si le sel posé sur une tache de vin, sur une nappe en coton, permettait de mieux détacher cette tache. Est-ce une exploration de gastronomie moléculaire ?
Ce qui est clair, c'est que ce type d'explorations n'a guère été considéré, par le passé, et que c'est bien dommage, car il y a des phénomènes intéressants à explorer ; en outre, on voit ici une relation évidente entre la préparation des mets et leur consommation, de sorte que l'on est tenté d'étendre le champ de la gastronomie moléculaire jusqu'à la consommation des mets. En revanche, il y a alors le risque de trop étendre le champ, et de déborder, ce qui nuirait à la clarté du propos. On affaiblirait la définition que l'on veut claire.

Supposons que nous en restions donc à une définition stricte de la préparation des mets. Une analyse déjà ancienne a déjà montré que l'activité culinaire – et, là, nous sommes au centre du champ disciplinaire- a trois composantes technique, artistique, sociale. Je ne ré-explique pas cette analyse (voir le livre La cuisine, c'est de l'amour, de l'art, de la technique, Editions O. Jacob), mais je propose d'en examiner les conséquences. 

Pour la composante technique, pas de souci particulier. Pour la composante artistique ou sociale, là s'introduit la difficulté, car l'art s'adresse au spectateur, et le social est par définition la relation entre individus, ici le cuisinier et le mangeur, de sorte que la question de la consommation revient sur le tapis. Il faudra donc être prudent dans les explorations de ces deux dernières composantes.

Pour l'instant, la gastronomie moléculaire s'est focalisée sur de la chimie physique des transformations culinaires, ou plutôt sur les phénomènes qui surviennent lors de ces transformations. Peu de difficultés, mais il serait prudent, lors de discussions un peu stratégiques, d'en rester là... mais comment éviter d'être remuant quand on est passionné ?

vendredi 18 août 2023

Un don ? Non, du travail



Un correspondant aimable m'écrit à propos de mon blog :

"La vulgarisation est un don pour celui qui l'exerce et un cadeau pour l'humanité".

C'est gentil à lui... mais je m'inscris en faux pour une partie : la vulgarisation n'est pas un don, mais du travail... et plus on devient bon scientifique, plus elle devient difficile, parce que l'on se souvient moins de ses propres difficultés.

Les dons ? Connais pas

Commençons par cette affaire de "don"... qui  me rappelle un ami, qui, récemment, m'a dit que, pour écrire, j'avais des "facilités".
Non, non, et non. Tout ce que j'écris me prend beaucoup de temps. Pour mes livres, par exemple, il me faut de nombreuses années avant que je sois prêt à lâcher un manuscrit à un éditeur. Et quand j'écris "nombreuses", c'est entre cinq et quinze.
Pour des textes plus courts, le fait que j'en fasse beaucoup n'est pas un signe de facilité ou de don, mais un temps passé très long... que personne ne voit. Je rumine, j'écris, j'y pense, je corrige, je rature, je réécris, je mets tout à la poubelle avant de recommencer, et c'est au bout d'un très long chemin.

Cela, c'est simplement pour les mots, qui sont écrits. Mais, avant les mots, il y a le choix des explications que l'on donne, et, là, c'est bien plus difficile (si l'on veut faire bien).
Plus difficile, parce que l'enjeu est de bien cibler les explications, de donner toutes les prémisses, toutes les "bases" qui sont nécessaires pour que nos interlocuteurs comprennent.
Et puis, il y a le choix du type de "chemin explicatif". Il semble logique d'aller du connu vers l'inconnu, mais une telle déclaration est simpliste, parce que :
- parfois, des approximations sont indispensables : lesquelles sont-elles supportables ?
- les sciences de la nature sont caractérisées par l'emploi du quantitatif, qui évite les discours inventés ; comment expliquer sans les équations qui fondent la science ?
- il peut y avoir plusieurs chemin, du connu vers l'inconnu : lequel choisir et pourquoi ?
 Bref, la vulgarisation, c'est avant tout du travail ! Et la "capacité" de la faire, voire de la faire bien, relève d'un long apprentissage, d'une pratique attentive, d'un travail acharné.

dimanche 13 août 2023

Comment faire une gelée d'ananas ?

 
Comment faire une gelée d'ananas ? 

La question se pose à tous ceux qui veulent varier la nature des fruits dans les bavarois ou les aspics. Bien sûr, on peut mettre des pommes, des poires, des fraises, des abricots... Mais puisque l'ananas est un des grands fruits dont nous disposons, on en vient rapidement à vouloir faire une gelée d'ananas... et là, patatras ! Quand on met du jus d'ananas frais (bien plus intéressant que du jus chauffé) avec de la gélatine, la gelée ne prend pas, qu'elle soit ou non mêlée de crème fouettée, de sucre... Par hasard, les cuisiniers ont observé que la gelée prend si le jus a été chauffé, mais alors le goût est bien différent, et la fraîcheur de l'ananas est perdue. 

D'où la question  : comment faire une gelée d'ananas ? Cette question a traversé les décennies, les siècles, et elle n'a pas eu de solution, parce que la technique n'était pas à même de lui en donner. Comment en aurait-elle eu ? 

C'est à ce stade de blocage que les sciences de la nature s'imposent absolument, pour une saine technologie. Les sciences ont montré que certains végétaux contiennent des enzymes nommées collagénases, ou protéases, qui dégradent les protéines. Or la gélatine qui structure classiquement les gelées est précisément une protéine, de sorte que les enzymes dégradent les protéines qui devraient gélifier. 

La science a identifié que les enzymes sont inactivées par la chaleur : c 'est un fait que les protéases chauffées perdent leur capacité catalytique, et cela explique pourquoi on peut réaliser des gelées d'ananas à partir des jus d'ananas chauffé 

Comment faire des gelées à partir de jus non chauffé ? L'application de hautes pression est une première solution, car ces pressions dénaturent les protéines, et notamment les enzymes. 

Mais analysons, si les protéases attaquent les protéines gélifiantes, pourquoi ne pas remplacer les protéines gélifiantes par d'autres composés qui ne seraient pas sensibles aux protéases ? L'exploration du monde a conduit à l'identification de bien d'autres polymères gélifiants que les protéines  : alginates, carraguénanes... 

De ce fait, on parvient très bien à faire gélifier à partir de ces composés non classiques, non traditionnels pour le monde occidental. La conclusion est claire : de l'innovation est possible quand les sciences quantitatives, les sciences de la nature, sont utilisées.

mardi 8 août 2023

Avec la gastronomie moléculaire, de la recherche scientifique pour tous

 
Avec la gastronomie moléculaire, il y a de la place pour des recherches variées, du presque appliqué, jusqu'au plus fondamental. 

Commençons par rappeler la définition de la gastronomie moléculaire  : il s'agit d'explorer les phénomènes qui ont lieu lors des transformations culinaires. Par exemple, on passe d'un morceau de tissu musculaire de boeuf et l'on en fait un steak en le faisant sauter ou griller ; par exemple, on chauffe un mélange de jaunes d'oeufs, de sucre et de lait, et la préparation épaissit, formant une sauce qui a pour nom "crème anglaise". 

La gastronomie moléculaire explore donc les phénomènes. Par exemple, dans le premier cas, le brunissement superficiel de la viande ; par exemple, l'apparition d'une fumée blanche au-dessus de la viande chauffée ; par exemple, l'apparition d'une odeur agréable. Dans le second cas, il y a l'épaississement de la solution initiale, tout d'abord ; mais il y a aussi la disparition éventuelle des bulles d'air qui ont été initialement introduites lors de la préparation du ruban (pour faire une crème anglaise, en effet, on commence par fouetter des jaunes d'oeufs avec du sucre en poudre jusqu'à un éclaircissement du jaune de la préparation, un aspect bien lisse, coulant, que l'on nomme le ruban). 

Parfois, les phénomènes explorés ne sont guère compliqués... Ou plutôt, les phénomènes sont les phénomènes, et c'est notre décision, ou nos possibilités, qui nous conduisent à les explorer en surface ou en profondeur. Considérons par exemple la fumée blanche qui s'élève au-dessus d'un steak que l'on saute. A un niveau élémentaire, il s'agit bien d'eau qui est évaporée, de vapeur d'eau qui s'élève en raison de sa densité inférieure à celle de l'air, et la formation de gouttelettes d'eau liquide, quand la vapeur se recondense, dans l'air froid. Cela, c'est une description immédiate, élémentaire, mais qui peut être poursuivie bien plus en détail. Ainsi, comment l'eau s'évapore-t-elle ? Initialement, elle se trouve sous forme liquide dans la viande, mais la chimie physique sait bien que l'ébullition est un phénomène complexe, que la formation de bulles de vapeur dans un liquide reste difficile à décrire par la thermodynamique. 

L'observation est très générale : pour les phénomènes, il y a du superficiel et du plus profond. Non que le plus profond soit accessoire, mais qu'il soit surtout de plus en plus difficile. On peut évidemment toujours donner une description rapide, mais les sciences de la nature ont ceci d'extraordinaire qu'elles ne s'en satisfont pas, et qu'elles creusent, et creusent à l'infini... 

Et c'est ainsi que j'en reviens à ma déclaration initiale : pour les phénomènes qui surviennent lors des transformations culinaires, il y a des exploration immédiates, très nécessaires, et des explorations plus fondamentales. 

On peut commencer par chercher si ce qui a été dit est vrai, et ce sont les tests des précisions culinaires, que chacun peut faire s'il est équipé et rigoureux : est-il vrai que du jaune d'oeuf empêche les blancs de monter en neige ? est-il vrai que les os dans un bouillon lui enlèvent du goût ? est-il vrai que les blancs de volaille sont plus tendres quand on attend un peu, après la fin de la cuisson, avant de les découper ? est-il vrai que... 

D'autre part, on peut se limiter à chercher la raison de la fumée blanche au dessus d'un steak, et il s'agit déjà de recherche scientifique au sens littéral du terme, même si  cette exploration reste simple. Et l'on peut aussi aller jusqu'aux profondeurs des mécanismes intimes de la formation de la vapeur à partir d'un tissu musculaire que l'on chauffe, et l'on a quelque chose de bien plus fondamental. 

Il y en a pour tous les goûts en matière de recherche scientifique, avec la gastronomie moléculaire, et c'est d'ailleurs contenu en germe dans la définition de l'activité scientifique, qui comprend  : l'identification des phénomènes, leur quantification, la réunion des données en lois synthétiques, la recherche de théories compatibles avec ces lois, la recherche de prévisions expérimentales vues comme conséquence des théories, les tests expérimentaux de ces conséquences. A chaque étape, une possibilité de travail de recherche scientifique. 

 

Et l'on ne saurait terminer un tel billet sans évoquer la question de l'enseignement : puisque tant de mécanismes restent inexplorés, la cuisine ayant longtemps été considérée comme trop prosaïque, il y a de la placer  pour des chercheurs débutants que seraient des étudiants peu avancés en science. Il y a des myriades de phénomènes inexplorés : n'hésitez pas !

vendredi 4 août 2023

Des questions de daube.

 
C'est de la daube. » Le mot « daube » est souvent utilisé pour désigner de mauvais produits, alors que la cuisson à l'étouffée peut devenir une extraordinaire opération culinaire, à condition d'être bien comprise. 

 

Comme souvent, c'est le pire qui est éclairant : ici, le pire consiste à mettre de la viande et de l'eau dans un récipient fermé et à chauffer très fort, et peu de temps. Avec cette manière, on obtient une viande bouillie et dure, un liquide bien triste, bref un désastre.

Analysons : on comprend d'abord que le liquide ajouté ne doit certainement pas être de l'eau pure, et, d'ailleurs, dans le passé, il s'agissait plutôt de vin rouge. Evidemment, il y a vin et vin... mais c'est une question de goût, souvent, et ne voulant pas empiéter sur vos choix esthétiques, je vous laisse décider lequel vous utiliserez. Cela dit, le vin n'est pas suffisant, et il vaut mieux lui ajouter nombre d'ingrédients qui corseront l'affaire, tels l'ail, le laurier... 

Le cas du liquide étant considéré, passons à la viande : si c'est une viande un peu dure, à braiser, il faudra la braiser, en quelque sorte. Même si la cuisson à l'étouffée n'est pas exactement un braisage, il y a lieu de reprendre les mêmes idées, à savoir que la cuisson à basse température (entre 60 et 100 degrés) permet l'attendrissement de la viande quand la cuisson est prolongée, parce que, alors, le tissu collagénique qui fait les viandes dures se désagrège, libérant des acides aminés sapides, qui donnent beaucoup de saveurs au plat. 

Autrement dit, il faudra cuire non pas la viande complètement immergée dans le liquide mais juste les pieds dans l'eau, et cuire longuement, à basse température. 

Reste la question du « pot » que l'on utilise pour cette cuisson. Les cuisiniers savent bien que la réduction donne souvent de bons résultats, en termes gustatifs, parce que, alors, les concentrations en composés sapides et odorants, notamment, sont augmentées. Or, dans un récipient parfaitement hermétique, la réduction n'aurait pas lieu. En revanche, dans un pot en terre pas très bien fermé, il y aura juste la bonne réduction, correspondant à une cuisson très longue. Et c'est ainsi que l'on récupérera une sauce courte, avec beaucoup de goût. 

Comment faire si la sauce est trop longue en fin de cuisson ? Pas de drame : versons la sauce dans une autre casserole et terminons la réduction sur feu vif. D'ailleurs, il y aurait lieu de poursuivre les expériences pour savoir si les réductions à feu vif ou à feu lent donnent des résultats différents : malgré des annotations de certains cuisiniers, tel Jules Gouffé, les résultats à ce jour manquent de certitude. 

Un mot pour terminer au cas où vous utiliseriez de l'eau pour votre daube, plutôt que du vin rouge. Des expériences sur l'influence de la qualité de l'eau sur la confection du bouillon de viande ont montré que les résultats étaient gustativement différents. Autrement dit, quand on parle d'eau, et puisque cette eau n'est jamais pure, mais chargée de sels minéraux sapides, il vaut mieux bien la choisir.

mercredi 2 août 2023

"Recherche culinaire"...


Aujourd'hui,  un correspondant me signale vouloir faire de la "recherche culinaire". 

 

Très bien, mais de quoi s'agit-il ? 

 

J'ai proposé d'analyser les faits culinaires en distinguant trois composantes : une composante technique, une composante artistique, une composante sociale. 

De ce fait, la recherche culinaire peut être une recherche technique : par exemple, chercher les conditions de meilleur gonflement d'un soufflé ; explorer des conditions de rôtissage d'une volaille en vue d'obtenir une couleur jugée désirable... A ce stade, une première question s'impose : qui paiera cette recherche ? Dans la pratique, les cuisiniers professionnels me signalent manquer de temps au point de ne pas pouvoir explorer les techniques... d'où l'intérêt du séminaire de gastronomie moléculaire, payé par l'Etat, donc les contribuables, qui fait ces études pour eux, et, mieux, qui montre la rigueur nécessaire en vue d'obtenir des résultats fiables... mais on pourrait imaginer une société de conseil qui vende de telles études, l'Etat ayant fait sa mission en créant le mouvement. 

D'autre part, une recherche culinaire peut être artistique : là, n'est-ce pas le travail de tous les cuisiniers, au quotidien ? N'est-ce pas leur compétence, de faire "bon" ? Peut-on imaginer un "conseil en art culinaire" ? Pourquoi pas... Et faut-il habiller cette activité sous le nom de recherche culinaire ? C'est précis, mais peut-être  un peu pléonastique ; à réfléchir... 

Enfin il y a la composante du lien social, car il faut répéter qu'un plat n'est bon que s'il est communiqué dans des conditions humaines, sociales, bien précises. Là  aussi, il y a une recherche culinaire à  faire. Une recherche passionnante... et que tous les cuisiniers font empiriquement. Mais, évidement on peut aussi imaginer de la consultance. 

 

Derrière tout cela, on a vu que j'ai éludé la discussion du mot "recherche", qui est terrible parce que connoté, et souvent vaguement confondu avec la "recherche scientifique" ; j'ajoute d'ailleurs que le mot "science," dont je fais ici un adjectif, est également ambigu, en ce qu'il confond les sciences de la nature, et les sciences humaines et sociales... ou les autres savoirs. Il y a une recherche en science de la nature, à  propos de la cuisine, et elle se nomme "gastronomie moléculaire". 

Là , l'objectif est de chercher les mécanismes des phénomènes, et non pas de cuisiner, de sorte que mon interlocuteur serait bien déçu de faire cette activité qui l'éloignerait des  casseroles, dont son fantasme personnel veut le rapprocher. 

Entre la science de la nature et la technique, il y a la technologie, le travail de l'ingénieur, et il est bon de rappeler que la technologie n'est pas la technique, et que, de ce fait, mon interlocuteur ne cuisinera pas, au sens de donner à  manger aux autres, puisqu'il devra chercher des améliorations soit techniques, soit artistiques, soit sociales. 

En écrivant cela, je vois notamment la question de la technologie artistique, qui est très intéressante ; je vois aussi que la technologie passe probablement par la production d'aliments, puisqu'il est vrai qu'il faudra comparer des aliments améliorés à  des aliments de référence. Bref, il y a du travail à faire, et du travail passionnant. 

Toutefois la question que je pose, après avoir essayé de faire un peu d'ordre dans toute cette affaire est la suivante  :  de quoi me parle-t-on,  et qui le paiera ?

dimanche 30 juillet 2023

La connaissance par la lorgnette de la gourmandise : le bouillon de carottes

Cette fois, je voudrais évoquer la confection d'un bouillon de carottes. 

Un bouillon de carotte, cela semble un peu simplet ? Je maintiens qu'aucune préparation culinaire n'est à exclure, si la technique, l'art, la science du lien social ont été bien employés. Pour un simple bouillon de carottes, comme pour toutes les autres préparations, il peut y avoir le pire et le meilleur. Le pire, c'est le résultat que l'on obtient ainsi : on prend une casserole, on met de l'eau, et l'on ajoute des rondelles de carottes (le pire du pire, ce serait si les carottes n'avaient même pas été lavées ni épuchées, mais je nous envisagerons quand même pas cette possibilité). Puis on cuit... 

 

Comment faire mieux ? 

 

Les travaux effectués dans les séminaires de gastronomie moléculaire ont montré que l'empirisme culinaire a identifié une saine pratique, quand il a préconisé de  faire d'abord revenir des rondelles de carottes dans un peu de matière grasse, de les faire « suer ». À quoi bon ? Lors de cette cuisson préalable, les carottes libèrent sans doute une partie de leurs sucres, à savoir D-glucose, D-fructose, saccharose. 

Comme la température est élevée, puisque se suage se fait en l'absence d'eau, ces sucres caramélisent sans doute un peu. D'où peut-être le changement de couleur observé. 

D'autre part, mettant notre nez au-dessus la casserole, nous sentons une odeur, preuve que des composés odorants sont libérés. Or puisque nous cuisons dans la matière grasse, ces composés odorant peuvent s'y dissoudre. D'ailleurs, s'il vous goûtez le beurre où les carottes ont été suées, vous verrez un goût puissant. 

A ce stade, on ajoute de l'eau, et cette matière grasse s'émulsionne. Elle s'émulsionne de façon invisible, certes, mais elle s'émulsionne, et vous verrez, en buvant le bouillon de carotte, que ce dernier a beaucoup de longueur en bouche. Pas étonnant : il y avait tous les composés odorants dans la matière grasse émulsionné, et qui, au cours de la dégustation, viennent stimuler les récepteurs sensoriels. 

 

Et c'est ainsi qu'un bouillon de carottes , un simple d'une carotte, peut être une préparation extraordinaire.