Affichage des articles dont le libellé est généralisation. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est généralisation. Afficher tous les articles

mercredi 24 janvier 2024

Ne pas généraliser hâtivement, conseillait Michael Faraday... qui avait raison


En relisant des devoirs d'étudiants je trouve une expression intéressante : la "qualité générale des pâtes à choux",  et là,  je m'interroge sur cette "qualité", car tel chou croustillant plaira à untel alors que quelqu'un d'autre préférera un produit plus tendre. Cela pour la consistance, mais on pourrait en dire autant pour la couleur et je ne sais pas ce qu'est la "qualité générale", sauf peut-être l'appréciation que j'en ai et qui change selon les jours, selon les heures, selon le temps qu'il fait...
Je vois surtout que, de la même façon qu'une théorie est ou non scientifique selon qu'elle est ou non réfutable expérimentalement, certaines notions n'existent que si elles sont "mesurables". En l'occurrence, cette qualité générale est difficilement mesurable ou sans intérêt.
Imaginons que l'on fasse une mesure d'appréciation en proposant à des dégustateurs une échelle : certes, on obtiendrait un nombre, mais ce nombre est-il significatif ? L'obtiendrait-on par la même expérience sur les mêmes jurés à un autre moment  ? Et le groupe de juré est-il représentatif ? De quoi ?
Imaginons que ce groupe déclare aimer le vin rouge et que j'aime personnellement le vin blanc ; peut-on dire que le vin rouge est meilleur que le blanc ? Non,  on peut dire simplement que ce groupe de personnes là, ce groupe particulier préférait le vin rouge. D'ailleurs, le vin rouge est une notion bien vague, car il y a toute la différence possible en train vin rouge qui a connu beaucoup de soleil et un vin rouge qui n'en a pas connu, sans parler des différences de cépage, de conditions de culture, de récolte, de production du vin... et même de bouteilles...
Bref j'ai souri en voyant parler de qualité générale des petits choux.


vendredi 3 avril 2020

Peut-on déconfiner du confiné

Le question qui m'est adressée sur Twitter est ambigue, parce que c'est apparemment un fil qui ne concerne pas la congélation et la décongélation... ce qui serait une question pour laquelle je devrais refuser de répondre : la recongélation de produits congelés est un problème de microbiologie, champ où je suis incompétent. Pas complètement, parce que j'ai des notions sur le développement bactérien, mais quand même : cela s'apparente à la toxicologie ou à la nutrition, pour lesquelles j'ai fait une promesse publique de ne pas m'exprimer publiquement. Alors ?


Alors je dois signaler que la question est traitée dans Le Grand Livre de notre Alimentation, aux éditions Odile Jabob : dans ce livre, 25 spécialistes des meilleurs répondent aux questions de ce type. Et là, pas de problème, pour la microbiologie, par exemple, c'est mon confrère Jean-Christophe Augustin qui donne de sa voie compétente !



Alors on peut aussi partir de la question de la congélation/décongélation, pour revenir à la question confinement/déconfinement. En effet, à propos de congélation, il suffit de réfléchir un peu pour s'apercevoir que la question est trop large pour avoir une réponse unique. Par exemple, si nous congélons de l'huile, que nous la décongelons, nous pourrons parfaitement faire cela plusieurs fois sans risque. De même pour du vinaigre, du sucre, de l'alcool, etc.
C'est un peu comme ce précepte abandonné de manger dix et légumes par jour : cela ne veut rien dire ! Le précepte ne visait que ceux qui mangent exclusivement des frites, des pâtes ou du riez, et qui manquent de nutriments essentiels, telles les vitamines. D'ailleurs, le dix a été réduit à cinq... preuve que les messages diffusés sur l'alimentation (et je pense à ce Nutriscore que je trouve honteux de supporter nationalement) sont déplacés.
Bref, il y a des aliments, des circonstances, ou la recongélation d'un produit alimentaire décongelé n'est pas grave, et il n'y a pas besoin d'être microbiologiste pour le dire, ni d'avoir fait voeu de prise de parole exclusivement compétente pour ne pas le dire ;-).

Surtout, des question comme celles-ci tombent sur le coup du quatrième précepte de Michael Faraday, relatif à la généralisation. Les préceptes de Faraday ? Cela fait bien longtemps que je n'en ai pas parlé, et il faudrait que je me répète un peu, afin que mes anciens amis qui les ont oubliés s'en souviennent, et que mes nouveaux amis les connaissent... mais se pose à moi une question nouvelle : comment redire sans bégayer quelque chose que j'ai déjà dit ? Là, c'est une réflexion passionnante à avoir, que j'avais d'ailleurs eue quand je faisais la revue Pour la Science : comment faire des articles nouveaux qui répètent des informations déjà publiées. Promis, je réfléchis.



Mais j'y reviens : la question du confinement/déconfinement, c'est en réalité la question des questions si générales qu'il ne faut surtout pas répondre. Et cela s'apparente à la conclusion de ma dernière rubrique, dans la revue Pour la Science : si mon ami préfère le vin blanc et moi le rouge, le rosé ne nous mettra pas d'accord. La généralisation ne vaut pas toujours, et les questions n'appellent pas toujours une seule réponse, mais plusieurs !

mercredi 5 février 2020

Ne pas tout confondre par ignorance ou par idéologie


Alors que le restaurant de Paul Bocuse vient de perdre sa troisième étoile, je vois un journaliste prendre la défense de ce restaurant et dire que là, enfin, on a de la vraie cuisine française et pas ces viandes standardisées cuites à basse température.
Je ne cherche pas ici à prendre parti pour ou contre la troisième étoile du restaurant où Paul Bocuse n'est plus, mais simplement de discuter cette idée selon laquelle le rôtissage ou d'autres cuissons de ce type (lesquelles ?) vaudraient mieux que la cuisson à basse température.

Et je tiens à signaler immédiatement que la critique faite aux cuissons basses température s'apparente en tous points au critiques que faisaient certains, au début du 20e siècle,  quand le gaz est arrivé à tous les étages et que l'on a cuit autrement que par du bois ou du charbon. D'ailleurs, ces critiques sont du même type que celles qui sont apparues quand on a introduit les mixers, avec lesquels on a fait des farces bien plus fines que par le passé, au tamis, en y passant des heures. Ou quand on a commencé à utiliser les feuilles de gélatine plutôt que le pied de veau. Ou encore quand on a produit des mousses au siphon, au lieu de passer de longs moments au fouet. Et ainsi de suite...
Dans tous ces cas, on ne peut s'empêcher de penser  à la crise des canuts à Lyon, ou aux Luddites, c'est-à-dire quand des techniques modernes ont mis des gens au chômage. Oui, dans chaque cas, il y a l'avènement de systèmes techniques modernes qui facilitent le travail, mais qui sont refusés pour des raisons en réalité idéologiques, politiques. Mon point de vue : si c'est le cas, disons le franchement, sans incriminer la technique pour ce qu'elle produit, mais pour ses conséquences.

Mais revenons à cette question de la basse température pour observer que les grands auteurs de cuisine du passé, en  France, n'avaient pas de mots assez élogieux pour le braisage, cette grande opération culinaire française classique, qui fait des viandes parfaitement tendres.
Le braisage se faisait dans une braisière, cendres dessus et dessous, et c'était en réalité de la cuisson à basse température,  sauf que l'on avait le plus grand mal à contrôler la cuisson et que l'on savait bien que le moindre coup de feu ruinait tout. Un coup de feu, cela signifie passer à plus haute température, et effectivement, c'est pour les éviter que la cuisson basse température a été introduite.




La cuisson  à basse température, il faut le répéter, c'est du braisage, et du braisage parfait en quelque sorte. 
De sorte que le journaliste dont il était question au début de ce billet n'a rien compris techniquement,  à moins qu'il ait tout mélangé volontairement, pour des raisons politiques ?
Dans toutes ces affaires,  il y a la question du mélange entre l'appréciation technique et l'idéologie. On comprend bien que certains individus puissent avoir peur de perdre une compétence unique, un savoir-faire, voire leur emploi. Cela est légitime, mais c'est une autre affaire que la question technique elle-même.
Bref, il y a soit un peu d'incompétence technique, sois un peu de malhonnêteté idéologique à faire la critique qui a été faite contre la cuisson à basse température.

D'autant que « la » cuisson à basse température n'existe pas : il y a mille cuissons à basse température, et les résultats sont tous différents. De même, la fraise n'existe pas :  il y a mille fraises différentes, aux goûts tous différents.
À propos de la cuisson basse température, on est donc dans une généralisation hâtive et déplacée,  et je retrouve une fois de plus, pour des raisons qu'il faut bien élucider, la vraie la grande querelle entre Aristote et Platon. Le Beau n'existe pas : il y a des beaux. Le Bon, idem. La Fraise, la Bonne Cuisson... Tout cela, c'est du fantasme, et le monde est bien plus beau que s'il y avait une voie unique.


Il y a mille belles cuissons, et c'est en le reconnaissant que nous ferons grandir l'Art culinaire.




mardi 14 mai 2019

Les terrines

Les terrines ? Cela fait longtemps que je voulais faire ce billet, qui devrait éclairer des pratiques, en montrant comment la généralisation est mère de l'invention.

Commençons par considérer un morceau de viande ou de poisson cru. C'est un assemblage de "fibres musculaires", à savoir des "tuyaux" de diamètre microscopique, assemblés en faisceaux. Chaque tuyau est donc composé d'une enveloppe, et d'un contenu.




L'enveloppe : il s'agit d'un "tissu" (pensons à un mouchoir ou à une feuille de papier) fait de fibres, qui sont du "collagène", à savoir des protéines qui s'arrangent en triples hélices, ces triples hélices se disposant les unes à côté des autres. Ces protéines ne font pas coaguler à la chaleur... mais quand on cuit longtemps, on défait le tissu collagénique, et on libère ces protéines... qui, au refroidissement, peuvent faire gélifier une solution aqueuse (un bouillon, par exemple), puisque le tissu collagénique défait engendre la "gélatine".
L'intérieur : il y a essentiellement de l'eau et des protéines, dont notamment deux sortes, qui sont nommées "actines" et "myosines". Celles-ci peuvent coaguler à la chaleur, comme pour les protéines du blanc d'oeuf. 

Broyons maintenant cette chair : le broyage, quand il est soigneux, libère l'eau et les protéines, formant une "pâte". Puis, si nous chauffons cette pâte, on observe la coagulation, parce qu'il y a des protéines coagulantes. Et la masse coagulée est ce que l'on nomme un "gel", puisque, par définition, un tel système est un liquide piégé dans un solide : n'oublions pas que la viande est faite de 75 pour cent d'eau !
Et si l'on avait ajouté de la matière grasse avant la cuisson ? Tant que la quantité est raisonnable, la matière grasse est piégée dans le gel, tout comme l'eau, mais dispersée sous la forme de gouttelettes.
Et si l'on avait ajouté de la mie de pain trempée dans du lait ? La mie de pain est faite d'amidon et de protéines, de sorte que ces molécules seraient venues dans le gel.
Et si l'on avait ajouté de la crème ? La crème est une émulsion, faite d'eau, de protéines et de matière grasse : tout se serait dispersé dans la pâte initiale, et aurait été piégée dans la masse coagulée. Et de la crème fouettée  ? Des bulles se seraient ajoutées, formant une pâte foisonnée.
Et si l'on avait ajouté un alcool (un bon Armagnac, par exemple) ? Il serait venu se dissoudre dans l'eau de la  pâte. 
Et si l'on avait ajouté un blanc d’œuf battu en neige ? Comme pour la crème fouettée, cela aurait fait foisonner la pâte, en ajoutant des protéines qui auraient contribué à la coagulation.
Et si l'on avait ajouté des morceaux plus durs : noisettes, pistaches, etc. ? Elles se seraient dispersé dans la pâte, donnant du croquant à la masse coagulée.
Et si...

On le voit : les possibilités sont innombrables, et l'on peut régler à volonté la consistance finale.
Mais... au fait, pourquoi le nom de terrine ? Ce nom n'est juste que si l'on cuit dans un récipient en terre, nommé terrine. Si l'on avait cuit dans un linge nommé mousseline, on aurait obtenu une mousseline. Si l'on avait poché de petites masses, on auraient obtenu des quenelles. Si l'on avait cuire de  petites boules, on aurait obtenu des boulettes. Si l'on avait frit, on aurait eu des croquettes. Si l'on avait...

Tout est possible, toutes les formes sont possibles, tous les assaisonnements sont possibles.
Mais l'idée de base est simple : de l'eau avec des protéines appropriées peut coaguler à la chaleur !








PS. J'avais oublié : cela fait partie des "commandements" que j'indique dans "Mon histoire de cuisine"