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samedi 2 mai 2020

Deux fois en deux jours : des consultations à propos de gélifications !


 Deux fois en deux jours : des consultations à propos de gélifications !


1. Depuis deux jours, l'intérêt pour les gélifications se fait entendre, et l'on me demande des "consultations" à ce propos. Quand je dis "on", ce sont des professionnels, qui veulent régler des questions techniques, telles que "Comment faire un gel avec un liquide dont je ne connais pas l'acidité ?" ou "Comment faire un gel qui tient à chaud ?", ou encore "Quelles sont les différentes sortes de gélatines végétales y a-t-il ?"...


2. Et cela me conduit -avant de répondre ici à tous, et non pas à ces deux personnes en particulier- à deux observations :
1. cette question des gélifiants est l'une de celles que j'agitais dès les années 1980 ! Ayant observé que l'on pouvait gélifier avec bien plus que le pied de veau, j'avais proposé à mes amis cuisiniers d'utiliser des gélifiants variés, pour des résultats très divers : il en va de l'avancement de l'art culinaire !
2. les échanges des derniers jours me donnent un argument, contre les quelques roquets qui n'ont pas compris qu'il y a lieu d'aboyer contre autre chose que la cuisine moléculaire, et qui, en conséquences, m'attaquent périodiquement (il y a même des imbéciles malhonnêtes qui écrivent que je serais un faux-nez de l'industrie chimique), à savoir que les "consultations" que j'ai données sans attendre étaient entièrement gratuites : d'une part, je suis agent de l'Etat, payé par le contribuable, de sorte que je me dois d'aider ce dernier, et notamment les petites entreprises (artisans) qui n'ont pas les moyens de se payer un service de recherche, et c'est bien ce que je fais.



Mais oublions les roquets, et levons le nez pour voir le bleu du ciel. Comment gélifier ? Nous allons voir que mille possibilités se présentent, avec beaucoup de simplicité.



3. Commençons par observer que gélifier un liquide, c'est lui donner une consistance "solide", qui ne coule pas (sans quoi on parle d'épaississement, et pas de gélification).
Les gélifiants sont des composés qui peuvent provenir :
- d'animaux
- de végétaux
- de micro-organismes
- de transformations moléculaires.


4. Les plus courants sont :
- pour les gélifiants animaux : la gélatine, mais aussi les protéines du lait, de l'oeuf, des viandes et des poissons ;
- pour les végétaux : diverses protéines végétales, mais aussi des "polysaccharides" tels que l'amylose et l'amylopectine de l'amidon, ou les pectines des fruits, par exemple, sans compter, pour les algues, les agar-agar, alginates, et certains carraghénanes, également
- pour les micro-organismes, également des polysaccharides, et l'on pensera notamment à la gomme xanthane, produite par une fermentation
- pour les gélifiants provenant de transformations moléculaires : la méthylcelluose, et ses cousins.


5. Mais pour les "cuisiniers " (je regroupe ici tous ceux qui préparent des aliments), c'est moins l'origine de ces produits qui importe que leurs caractéristiques fonctionnelles, et là, il est souvent utile de distinguer les gélifiants qui sont "thermoréversibles" et ceux qui ne le sont pas.
Par exemple, la gélatine est soluble à chaud, mais, à froid, elle fait prendre un liquide en une gelée qui fondra si on la réchauffe. Ce gel est thermoréversible, tout comme ceux qui sont obtenus par des pectines (pensons aux confitures)
En revanche, de la poudre de blanc d'oeuf ajoutée à un liquide (par exemple, un jus de betterave) et chauffée conduira à un gel analogue à du blanc d'oeuf dur, qui ne reliquéfiera pas ensuite, qu'on le chauffe ou qu'on le refroidisse : ce gel est irréversible.


 6 . Dans tous les cas, la règle d'utilisation est environ la même : on fera bien de commencer avec une proportion d'agent gélifiant de 5 pour cent en masse. Puis, si l'on juge le résultat trop "dur", on testera une dose deux fois inférieure, jusqu'à avoir le résultat voulu. Inversement, si le liquide ne prend pas, on pourra doubler la quantité.


7. La teneur en sucre du liquide ? Elle est principalement importante dans le cas des pectines, pour lesquelles une quantité de sucre d'environ 50 pour cent est nécessaire.
L'acidité du liquide ? Là, il y a des gélifiants, tel l'alginate de sodium, pour lesquels cette question est importante, et devra conduire à modifier l'acidité, par exemple avec de l'acide citrique pour acidifier (on ajoute bien du jus de citron pour faire prendre les confitures) ou du citrate de trisodium pour remonter le pH d'une liquide trop acide (ou du bicarbonate !).
La teneur en alcool : bien souvent, les gélifiants précipitent dans un alcool trop concentré, de sorte que, pour ce cas particulier, s'imposent des stratégies (simples) qui dépassent le cadre de ce billet.


8. Une réminiscence d'un passé pas si lointain : je me souviens m'être émerveillé, dans les années 1980, d'un plat préparé par un cuisinier, où se trouvait une gelée chaude. J'observe aujourd'hui que nous nous sommes habitués, car à l'époque, quand ne régnait que la gélatine du pied de veau, les gelées fondaient quand on les chauffait... sauf pour les gels faits de protéines animales telles que les actines et myosines des muscles animaux : d'ailleurs, quand on fait une terrine, ce sont ces protéines, et leur coagulation, que l'on met en oeuvre pour gélifier des liquides.
Et, en l'occurrence, dans les gels chauds qui m'avaient émerveillés, il y avait de l'oeuf pour faire tenir le gel : les protéines de l'oeuf sont du même type que celles des muscles.


9. J'observe aussi que, dans le lait, les protéines nommées caséines permettent de faire du fromage à partir du lait : il s'agit encore d'une gélification, mais elle est provoquée par une enzyme (dans la présure), et non pas par la température. Même question pour la coagulation du sang, par exemple.

Finalement, il y aurait trop à dire pour expliquer toutes les coagulations une à une, et notamment l'emploi de l'alginate de sodium et des sels de calcium pour produire des "degennes", à savoir ces caviars artificiels... mais cela a été déjà publié mille fois !


10. Non, il faut mieux terminer en observant que certains gels sont transparents et d'autres opaques, certains gels sont fondants (gélatine, confitures) et d'autres cassants, ou caoutchouteux. Aucun n'est mieux qu'un autre, pas plus qu'un sol n'est mieux qu'un do ou un fa, pas plus que le jaune ne serait mieux que le rouge ou le vert... Non, il y a seulement des ingrédients appropriés pour chaque cas bien identifié... et c'était d'ailleurs la teneur essentielle des consultations que j'ai données : dites-moi d'abord votre objectif, et c'est seulement, alors, que je pourrai répondre à votre question technique !









dimanche 2 juin 2019

La gélatine, sinon quoi ?

Dans un billet précédent, je discutais la question des gelées d'ananas (et d'autres fruits) qui se liquéfiaient. Cela me vaut une question :

Et si je veux faire une gelée sans gélatine ?

La question n'est pas neuve, mais je réponds quand même sans renvoyer à des billets anciens, dans l'espoir que je ferai maintenant quelque chose de mieux que naguère ou que jadis.

Bref, il s'agit de faire un gel. De quoi s'agit-il ? Selon l'International Union of Pure and Applied Chemistry, qui est l'organisme international de normalisation des termes scientifiques (surtout pour la chimie, la biochimie, un peu la physique), un gel est un système fait d'un liquide piégé dans un solide.

Comment faire ce "solide" ? Il faut un réseau continu, et, pour les gels de gélatine, ce sont des protéines obtenues par dissociation du tissu collagénique des animaux qui s'assemblent spontanément quand la température devient inférieure à 36 degrés environ.
Mais, dans les confitures, il y a les pectines, qui sont extraites des parois cellulaires lors de la cuisson des fruits ; elles ne s'assemblent toutefois qu'un milieu un peu acide, et en présence de beaucoup de sucres. Et cette fois, ces composés ne sont pas des protéines, mais des polysaccharides (des "sucres complexes"). J'ajoute qu'il y a des pectines variées.

Dans les années 1980, j'ai beaucoup milité pour que les cuisiniers puissent diversifier leurs "polymères" gélifiants, et c'est ainsi que j'ai proposé les agar-agar, gommes guar ou caroube, gomme xanthane, carraghénanes variés... comme je le détaille dans Mon histoire de cuisine.







Tout cela étant dit, il y faut quand même garder en tête que les gélifications "physiques" ne sont pas la totalité de l'histoire : on peut gélifier du lait avec des caséines, par exemple. Mais le blanc d'oeuf qui coagule subit en réalité une (thermo) gélification, par  des protéines du blanc d'oeuf. Idem pour la viande (et le poisson) qui cuit, et qui gélifie en raison de la de la viande avec les protéines que sont les actines et les myosines. Idem pour la peau du lait qui résulte de la coagulation des protéines sériques...

Mais comme je pressens que mon interlocuteur veut éviter les produits animaux, il faut aussi que je signale la possibilité de thermocoagulation par des protéines végétales : de pois, de lentilles, de soja, de chanvre... Il y a l'embarras du choix, de sorte que, pour donner une vision plus globale, je signale que les assemblages des réseaux des gels se font par des forces variées : pour les gels physiques, ce sont des forces faibles (van der Waals, liaisons hydrogène), et, pour des gels chimiques, ce sont des forces plus fortes (ponts disulfures, liaisons covalentes...)
L'image à bien avoir en tête est la suivante :



La question, c'est : quel est l'objectif ?

vendredi 21 septembre 2018

Gélatine et agents gélifiants ; pas de gélatine végétale !

Un ami chef me parle d'un problème qu'il rencontre alors qu'il produit des gelées… mais je comprends, en l'interrogeant, que son usage des mots le conduit à l'erreur technique : il utilise notamment le terme fautif de "gélatine végétale"… et, de ce fait, utilise comme de la gélatine un agent gélifiant qui n'est pas de la gélatine ; c'est comme vouloir émincer des échalotes en tenant un couteau par la lame.
Au fond, je fais un peu la fine bouche en critiquant mon ami, car la popularisation de l'expression "gélatine végétale" est une sorte de couronnement de mes travaux. En effet, de même que l'usage du gaz ne s'est imposé, en remplacement du charbon, quand on n'a plus eu besoin d'apposer sur les maisons l'indication « gaz à tous les étages »,  la cuisine moléculaire a gagné, puisqu'il y a partout, dans les cuisines, des siphons, de la basse température, et ces mêmes gélifiants, ou agents gélifiants, dont on m'accusait de vouloir empoisonner le monde avec. Ces derniers, notamment, sont vendus jusque dans les supermarchés ; ils sont si populaires que l'on en vient à les confondre avec la gélatine, qu'on les dénomme fautivement du nom de cette dernière, dont on oublie aussi qu'elle fut un jour moderne. Expliquons plus en détail.



Un peu d'histoire

Jusque dans les années 1970, on faisait les aspics ou les bavarois à partir de pieds de veau. Il fallait cuire longuement les pieds dans de l'eau chaude, puis filtrer, clarifier, etc. C'était un procédé bien long, qui suscita bientôt la création d'usines qui se mirent à extraire et vendre de la gélatine : en feuilles ou  en poudre.
La gélatine ? C'est la matière gélifiante du pied de veau et d'autres tissus animaux (peaux, tendons, cartilage… ; de porc, de veau, de poule…) , de sorte que l'on n'avait plus qu'à utiliser des feuilles ou de la poudre pour obtenir, en quelques secondes, le résultat qu'on mettait auparavant des heures à atteindre.
Puis, dans les années 1980, alors que des amis chefs me disaient encore que les gélées faites à la gélatine avaient un goût (mais j'ai des preuves que ce n'était pas vrai), j'ai vu qu'il existait de nombreux autres gélifiants, d'origine végétale ceux-là : carraghénanes, alginates, agar-agar, gommes de guar, de caroube, etc. Chacun a des caractéristiques techniques particulières : au choix, on pouvait faire des gels clairs, transparents, opaques, cassants, élastiques, mous...
Bref, il me semblait que le cuisinier pouvait trouver plus de notes sur son piano qu'il y  en a dans un triangle, et c'est ainsi que je me suis retrouvé un jour à aller proposer à une des principales associations de cuisiniers français d'utiliser ces produits. L'accueil fut amical, et la réponse fut  négative. J'étais naïf et désolé, car, alors que je n'avais rien à vendre, que je pensais aux progrès  de la profession, cette dernière me refusait mes propositions, se fermant à l'innovation, restant arquée sur une tradition dont on oublie qu'elle n'est en réalité qu'une synthèse des innovations du passé.
Ajoutons que ma proposition d'employer ces produits était une partie de ma volonté de rénover les techniques culinaires, ce que j'ai nommé "cuisine moléculaire". Oui, la cuisine moléculaire voulait seulement (OK, ce n'est pas rien) rénover les techniques culinaires, avec l'hypothèse supplémentaire que l'on fait mieux ce que l'on comprend !
Finalement, j'ai parfaitement réussi mon coup, et la cuisine moléculaire s'est merveilleusement développée, comme une application de cette discipline scientifique, branche de la physico-chimie, qu'est la gastronomie moléculaire (je répète qu'il y a une différence essentielle entre les deux : la science et la technique ne se confondent pas, et  il faut être bien aveugle  -volontairement ?- pour ne pas comprendre la différence).


Parlons de gélifiants d'origine végétale

Aujourd'hui, on parle donc de "gélatine végétale", et je devrais en être content, mais l’expression me choque parce qu'elle est fautive, et que cette erreur terminologique engendre  des déboires techniques.
Faisant l'hypothèse qu'un bon technicien mérite de comprendre les outils qu'il emploie, et que les noms de ces outils sont importants au même titre que leurs caractéristiques, je veux expliquer pourquoi il faut parler de gélifiant végétal, et non de gélatine végétale (une gélatine végétale, cela n'existe pas !).
La gélatine n'est pas végétale : c'est une matière extraite des tissus animaux,  faite de protéines de collagène, modifiées à  des degrés divers par la cuisson qui les extrait des tissus animaux.
La gélatine est un agent gélifiant, ce qui signifie qu'elle permet de faire gélifier des solutions aqueuses, afin d'obtenir ce que l'on nomme des gels. La gélatine est de nature protéique, animale, et elle a des caractéristiques particulières, que les cuisiniers connaissent  bien, et au nombre desquelles on compte sa capacité à fondre à une température voisine de celle de la bouche, ce qui permet d'obtenir des gels fondants, par conséquent.
Les autres gélifiants (ou agents gélifiants) ne sont pas tous des protéines. Par exemple, l'amidon, la fécule, faits de composés des catégories nommées amyloses et amylopectines, permettent de produire des gels que l'on nomme en l'occurrence des empois. Et, comme je le disais, il y a bien d'autres agents gélifiants que l'on peut extraire des plantes ou des algues. Souvent, ces composés sont des polysaccharides, de la même famille que l'amidon, et pas des protéines. Ce ne sont donc pas des gélatines. Et voilà pourquoi il est fautif de parler de protéines végétales.
De surcroît, il faut  que je signale que je viens de voir de ces sites qui vendent ces produits mal nommés : j'y ai vu qu'une des matières proposée sous ce nom fautif est en réalité faite de deux composés, et non pas d'un seul. Je n'ai rien à redire à ce mélange, surtout si cela donne des propriétés qu'un seul des deux composés n'aurait pas eu, mais il y a lieu d'être prudent et vigilant avec le commerce, qui est parfois déloyal, soit par ignorance soit par volonté : un mélange de composés n'est pas un gélifiant, mais un mélange de gélifiants. En l’occurrence, j'ai vu que les deux composés du mélangé à la désignation fautive étaient d'origine végétale, de sorte qu'on n'a pas à critiquer ce terme sauf à dire qu'il est un peu ambigu, car les produits sont plutôt "issus de végétaux", que "végétaux" eux-mêmes.

Est-ce ratiociner exagérément ? Je ne le crois pas, car il en va d'abord de la loyauté, de l'honnêteté. D'autre part, la discussion  que nous faisons ici est en réalité une manière d'aider mes amis à choisir les outils dont ils feront usage. Il faut surtout dire que le mode d'emploi d'un gélifiant d'origine végétale, fait d'un ou de plusieurs composés, n'est pas du tout celui de la gélatine, et que l'on ferait une erreur en le mettant en œuvre de la même façon. Il y a un mode d'emploi, particulier, pas difficile, mais particulier.

Et c'est ainsi qu'avec des gélifiants variés, bien compris, bien utilisés, la cuisine sera encore plus belle !



mercredi 14 février 2018

Il n'y a pas de "gélatine végétale" (horreur), mais des gélifiants végétaux ou d'algues

 Ces temps-ci, on voit apparaître le terme fautif de "gélatine végétale". J'invite mes amis à ne pas l'utiliser, sous peine de paraître bien ignorants... et de se condamner à l'échec technique.
Au fond, je fais un peu la fine bouche, car la popularisation de cette expression "gélatine végétale" est une sorte de couronnement : c'est la preuve que la cuisine moléculaire a gagné, qu'elle est partout, ce qui est donc une explication suffisante pour expliquer qu'elle ne soit plus nulle part. De même, après que le gaz a été mis à tous les étages, on ne l'a plus signalé, parce que cela était devenu inutile. De même pour la cuisine moléculaire : il y a partout, dans les cuisines, des siphons, de la basse température, et les gélifiants dont on m'accusait de vouloir empoisonner le monde avec. Ces derniers, notamment, sont vendus jusque  dans les supermarchés ; ils sont si populaires que l'on en vient à les confondre avec la gélatine, qu'on les dénomme fautivement du nom de cette dernière, dont on oublie aussi qu'elle fut un jour moderne.
Tout cela est confus, je vais expliquer en détail.


Un peu d'histoire

Jusque dans les années 1970, on faisait les aspics ou les bavarois à l'aide de pieds de veau. Il fallait cuire longuement les pieds dans de l'eau chaude, puis filtrer, clarifier, etc. C'était un procédé bien long, qui suscita bientôt la création d'usines qui se mirent à extraire et vendre la gélatine : en feuilles, en poudre. La gélatine ? C'est en effet la matière gélifiante du pied de veau et d'autres tissus animaux, de sorte que l'on n'avait plus qu'à utiliser des feuilles ou de la poudre pour obtenir, en quelques secondes, le résultat qu'on mettait auparavant des heures à atteindre.
Puis, dans les années 1980, j'ai vu qu'il existait de nombreux autres gélifiants : caraguénanes, alginates, agar-agar, gommes de guar, de caroube, etc.,  et c'est ainsi que je me suis retrouvé un jour à aller proposer à une des principales associations de cuisiniers français d'utiliser ces produits. L'accueil fut amical, et la réponse fut  négative. J'étais naïf et désolé. Car, alors que je n'avais rien à vendre, que je pensais aux progrès  de la profession,  je voyais bien des intérêts à l'emploi de ces composés : au choix, on pouvait faire des gels clairs, transparents, opaques, cassants, élastiques, mous... Bref, il me semblait que le cuisinier pouvait trouver plus de notes sur son piano qu'il y  en a dans un triangle!
Ajoutons que ma proposition d'employer ces produits était une partie de ma volonté de rénover les techniques culinaires, ce que j'ai nommé "cuisine moléculaire". Oui, la cuisine moléculaire voulait seulement (OK, ce n'est pas rien) rénover les techniques culinaires, avec l'hypothèse supplémentaire que l'on fait mieux ce que l'on comprend !

Finalement, j'ai parfaitement réussi mon coup, et la cuisine moléculaire s'est merveilleusement développée, comme une application de cette discipline scientifique, branche de la physico-chimie, qu'est la gastronomie moléculaire (je répète qu'il y a une différence essentielle entre les deux : la science et la technique ne se confondent pas, et  il faut être bien aveugle  -volontairement ?- pour ne pas comprendre la différence).


Parlons de gélifiants d'origine végétale

Aujourd'hui, on parle donc de "gélatine végétale", et je devrais en être content, mais l’expression me choque parce qu'elle est fautive, et que cette erreur terminologique engendre  des déboires techniques.
Faisant l'hypothèse qu'un bon technicien mérite de comprendre les outils qu'il emploie, et que les noms de ces outils sont importants au même titre que leurs caractéristiques, je veux expliquer pourquoi il faut parler de gélifiant végétal, et non de gélatine végétale (une gélatine végétale, cela n'existe pas !).
La gélatine n'est pas végétale : c'est une matière extraite des tissus animaux et faite d'une protéines collagène, modifiée à  des degrés divers par la cuisson qui l'extrait des tissus animaux.
La gélatine est agent gélifiant, ce qui signifie qu'elle permet de faire gélifier des solutions aqueuses, afin d'obtenir ce que l'on nomme des gels. La gélatine est de nature protéique, animale, et elle a des caractéristiques particulières, que les cuisiniers connaissent  bien, et au nombre desquelles on compte sa capacité à fondre à une température voisine de celle de la bouche, ce qui permet d'obtenir des gels fondants, par conséquent.
Les autres gélifiants (ou agents gélifiants) ne sont pas tous de nature protéique. Par exemple, l'amidon, la fécule, faits de molécules d'amylose et d'amylopectine, permettent de produire des gels que l'on nomme en l'occurrence des empois. Et, comme je le disais, il y a bien d'autres agents gélifiants que l'on peut extraire des plantes ou des algues. Souvent, ces composés sont des polysaccharides, de la même famille que l'amidon, et pas des protéines. Ce ne sont donc pas des gélatines. Et voilà pourquoi il est fautif de parler de protéines végétales.
De surcroît, il faut  que je signale que je viens de voir de ces sites qui vendent ces produits mal nommés : j'y ai vu qu'une des matières proposée sous ce nom fautif est en réalité faite de deux composés, et non pas d'un seul. Je n'ai rien à redire à ce mélange, surtout si cela donne des propriétés qu'un seul des deux composés n'aurait pas eu, mais il y a lieu d'être prudent et vigilant avec le commerce, qui est parfois déloyal, soit par ignorance soit par volonté : un mélange de composés n'est pas un gélifiant, mais un mélange de gélifiants. En l’occurrence, j'ai vu que les deux composés du mélangé à la désignation fautive étaient d'origine végétale, de sorte qu'on n'a pas à critiquer ce terme sauf à dire qu'il est un peu ambigu, car les produits sont plutôt "issus de végétaux", que "végétaux" eux-mêmes.

Est-ce ratiociner exagérément ? Je ne le crois pas, car il en va d'abord de la loyauté, de l'honnêteté. D'autre part, la discussion  que nous faisons ici est en réalité une manière d'aider mes amis à choisir les outils dont ils feront usage. Il faut surtout dire que le mode d'emploi d'un gélifiant d'origine végétale, fait d'un ou de plusieurs composés, n'est pas du tout celui de la gélatine, et que l'on ferait une erreur en le mettant en œuvre de la même façon.
Il y a un mode d'emploi, particulier, pas difficile, mais particulier.

Et c'est ainsi qu'avec des gélifiants variés, bien compris, bien utilisés, la cuisine sera encore plus belle !