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mardi 12 décembre 2017

Arriver ? Pas de paroles ; du marbre !


Y arriver

Alors qu'un jeune collègue me dit vouloir « arriver », et qu'il se démène effectivement de façon sociale (relations…) pour obtenir un poste qu'il brigue, alors qu'une jeune collègue qui vise d'entrer dans une école d'ingénieur prépare un entretien, je ne peux m'empêcher de repenser au jeune Michael Faraday, qui était animé d'une passion pour la science, alors qu'il n'était encore qu'apprenti relieur, et fils d'un très pauvre forgeron, si pauvre même qu'il n'avait, à l'âge de onze ans, qu'un morceau de pain pour se nourrir certaines semaines.
Comment arriver jusqu'à ces temples du savoir dont rêvait Faraday ? Comment approcher ces savants qui frayaient avec la noblesse la plus élevée d'Angleterre quand on est si loin? Si l'on utilisait des terminologies un peu galvaudées, on parlerait de volonté d'ascension sociale, mais ce serait un peu inexact, puisque, dans le cas de Faraday au moins, il s'agit moins d'obtenir une position sociale que d'être enfin en position de faire un travail que l'on aime.

Nos jeunes amis doivent méditer les deux idées suivantes.

D'une part, mes amis qui travaillent dans le recrutement de personnel m'ont assez dit que, face à de nombreux candidats, il veulent avoir des preuves que les postulants ont déjà fait quelque chose de remarquable, d'extraordinaire (au sens de « qui n'est pas ordinaire »). Qu'importe que ce soit de la danse, de la collection de trains électriques, du piano, de la plomberie… Il faut avoir fait preuve d'une ténacité, d'un travail, d'une application qui ont inmanquablement conduit au succès. Et j'ai bien dit « preuve » : il ne s'agit pas simplement de prétendre que l'on connaît les trains, que l'on danse merveilleusement ; il faut en avoir des preuves concrètes, tels qu'un prix de conservatoire, une réalisation pratique de plomberie exceptionnelle qui s'apparente aux chefs d'oeuvres des compagnon… Pas une première étoile de ski ou une présentation de danse dans un centre culturel de village.

D'autre part, l'histoire de Faraday est éclairante. Alor qu'il était apprenti relieur, un client de la boutique de son patron avait appris que ce jeune homme refaisait les expériences de chimie décrites dans le livre de vulgarisation d'une certaine Madame Marcet. Car il est exact que Faraday, pendant ses temps libres, en plus d'une moralité extraordinaire (au point qu'il allait tous les mercredis soir, après son travail, à des réunions d'amélioration de l'esprit, ce qu'il pouvait prouver), refaisait les expériences de chimie, et c'est parce qu'il était littéralement extraordinaire (vous trouvez cela ordinaire, de refaire des expériences de chimie sur son temps libre ?) que cela s'est su et qu'un client de la libriarie lui a donné des entrées pour les conférences d'Humphry Davy, qui était, à l'époque, la coqueluche de Londres, faisant des conférences extrèmement courues, à la Royal Institution of London, dont il était le directeur.
Le jeune Faraday assista à la conférence, mais pas comme une oie que l'on gave : il prit des notes abondantes, puis de retour, il mit ses notes au propres, refit les expériences, en consignant par écrit les résultats dans un gros mémoire qu'il relia : du marbre, pas des paroles !
Quelque temps lpus tard, alors que s'achevait l'apprentissage de Faraday et que ce dernier se lamentait de devoir devenir imprimeur, le préparateur de Davy fut arrêté après un accident de laboratoire, et Davy chercha un remplaçant. Faraday était connu pour faire des expériences, de sorte que Davy le fit venir, et voyant le mémoire relié, il n'hésita pas à le prendre aussitôt avec lui.
Puis comme Faraday était très bon (ne s'était-il pas entraîné à l'être ?), il n'y eut plus qu'à lui trouver un poste permanent, et c'est ainsi que, de fil en aiguille, Faraday devint un des plus grands physico-chimistes de tous les temps.

Je ne suis pas Faraday moi-même, hélas, mais mon histoire est une autre démontration de ce que j'ai proposé ci desssus.
D'une part, j'ai été embauché dans l'édition scientifique alors que la profession dégraissait, touchée par une crise : mais il est vrai que j'avais fait une double formation scientifique et littéraire (concours, diplômes).
D'autre part, quand j'ai commencé la gastronomie moléculaire, je l'ai commencée seul, dans mon laboratoire personnel, à la maison, et c'est parce que mes travaux ont été connus dans le monde scientifique que l'on m'a demandé des les présenter dans des séminaires, et que tout s'est enchaîné. Je me souviens que, enfant, les professeurs me disaient « This, vous n'avez pas d'ambition ». Et c'était vrai : je n'ai jamais eu d'autre ambition que de faire ce qui m'amusait… et que je fais !

La morale est claire : il ne s'agit pas de vouloir ; il ne faut pas prétendre, mais il faut démontrer.
Si l'on brique un poste d'ingénieur, par exemple, mon consiel est invariable: au lieu d'être un postulant parmi des centaines pour un poste, je crois bien préférable de préparer un projet d'ingénieur (écrit, volumineux) pour le poste que l'on vise. Ce projet ne sera peut être jamais réalisé, mais je suis absolument certain que la personne qui le recevra ne pourra pas s'empêcher de considérer qu'il y a là une motivation supérieure à celle de tous les autres candidats, qui se présentent seulement avec un CV et une lettre de motivation convenue, et, dans certains cas, de lettres de recommandation qui ne valent en réalité qualiment rien. Je peux en témoigner : pour ce qui concerne les recrutements que je fais, je ne crois absolument pas aux lettres de recommandation provenant de collègues que je ne connais pas personnellement, et je sais décoder les lettres de recommandations de convenance.
De toute façon, aucune recommandation ne vaudra une démonstration. La question est donc d'être en mesure de démontrer que l'on fera très bien pour la position que l'on vise.
A ce mot « fera », je rappelle que certaines langues n'ont pas de futur, parce qu'il est bien impossible de savoir de quoi demain sera fait : il y a quelque décennies seulement, en France, on ne disait pas « j'irai demain au marché », mais « Si dieu le veut, je peux aller demain au marché ». D'autre part, je vous invite à lire le texte merveilleux que le jeune Mirabeau, le frère du vicomte, fit à propos des serments.

En attendant, il nous reste à nous appliquer pour devenir capable, pour avoir des compétences inédites, démontrables, qui serviront le projet que nous visons. Si nous visons un travail artistique, nous devons avoir des preuves que nous avons des compétences artistique. Si nous visons un travail scientifique, nous devons avoir des preuves que nous avons effectivement des compétences scientiifiques, expérimentales et calculatoires.