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mercredi 1 mai 2019

A propos du goût des bouillons

Ce matin, des questions à propos de  bouillon : un bouillon de viande ayant été préparé, l'internaute qui nous intéresse veut maintenant lui donner du goût. Et voici ses questions :

1. l'eau froide et l'eau chaude extraient-elles des composés aromatiques différents ou extraient-elles les mêmes composés, mais dans des quantités différentes ?
 

 2. certains composés aromatiques doivent-ils être extraits dans de l'eau froide alors que d'autres doivent l'être dans de l'eau chaude ? Si oui, y a-t-il des "familles" de composés aromatiques qui "préfèrent" l'eau froide, alors que d'autres "préfèrent" l'eau chaude?
 

3. y a-t-il des composés aromatiques qui sont plus à même de diffuser dans l'huile que dans l'eau ?
 

4. dans le cas d'une infusion d'anis badiane à froid, par exemple, y a-t-il un temps au bout duquel la diffusion s'arrête ?



 Je réponds successivement : 
 

 1. l'eau froide et l'eau chaude extraient-elles des composés aromatiques différents ou extraient-elles les mêmes composés, mais dans des quantités différentes ?

C'est une question difficile, parce que des conditions très différentes se rencontrent, en pratique. Mais immédiatement, la question me fait penser à un Atelier expérimental du goût, qui avait été proposé il y a quelques années. Le lien est ici :
http://www2.agroparistech.fr/IMG/pdf/GOUT__fiches_corrigees_.pdf
Cela étant, pour comprendre la question et les réponses éventuelles, pour cette question comme pour les questions suivantes, il faut d'abord une précision : on nomme "aromatique" deux types d'objets :
 - ceux qui ont le même type de nature chimique que le  benzène, je vais essayer de ne pas utiliser cette acception dans les réponses qui suivent
 - ceux qui se rapportent aux aromates. Tous les composés du thym sont donc aromatiques, qu'ils soient odorants ou sapides, par exemple. Et cette seconde acception doit mettre en garde notre ami internaute, parce que je crains qu'il ne parle de "composé aromatique" en pensant à des composés odorants. Ici, je fais donc personnellement la différence entre un composé odorant, et un composé odorant aromatique, par exemple.

Ce qui me conduit à rappeler que le goût est dû à :
- de la consistance
- de la saveur
 - de l'odeur (les molécules odorantes sont celles qui, passant de l'aliment dans l'air de la bouche lors de la mastication, remontent vers le nez par des fosses "rétronasales" (à l'arrière de la bouche) et viennent stimuler des récepteurs olfactifs du nez
- des sensations trigéminales (piquants, frais...) par des composés ayant des récepteurs sur le nerf trijumeau (dans le nez et la bouche)
- des ions calcium
- des acides gras insaturés à longue chaîne (on parle d'oléogustation)

Tout cela étant dit, une matière végétale (par exemple du poivre) libère à la fois des composés odorants, des composés sapides, des composés à action trigéminale : le poivre a une saveur, une odeur, un piquant particulier (et d'ailleurs une certaine fraîcheur, également).
Ces sensations sont donc dues à des composés variés,  et les composés sont plus ou moins solubles dans l'eau (du bouillon)... ou dans l'huile qui surnage quasi nécessairement.

Oui, pour y arriver, l'eau chaude et l'eau froide extraient des quantités différentes de composés, et des composés différents... mais tout dépend aussi de la pratique, comme l'ont montré mes expériences sur le bouillon et le poivre, en 1987 si je me souviens bien.
J'étais parti de la précision culinaire selon laquelle le poivre devait être mis dans un bouillon moins de huit minutes avant la fin de la cuisson. Pour la tester, j'avais fait un bouillon de volaille, que j'avais divisé en deux parties égales. Dans une partie, j'avais mis du poivre noir, et j'avais fait bouillir pendant 20 minutes. Dans l'autre moitié, j'avais fait bouillir sans poivre pendant 14 minutes, et j'avais ajouté le poivre (la même quantité) avant de poursuivre l'ébullition 6 minutes de plus. La différence était flagrante : dans le bouillon où le poivre avait été mis pendant six minutes seulement, on avait une fraîcheur piquante, un peu mentholée, agréable ; en revanche, dans l'autre bouillon, on avait un piquant plus lourd, avec une sensation intermédiaire entre amertume et astringence, comme pour un thé trop infusé.
Pourquoi ce résultat ? Je suppose que les composés frais et légers avaient été extraits les premiers, avant des composés de type tanins, plus difficile à décrocher des matières végétales. Or ces composés légers, odorants, sont souvent peu solubles dans l'eau, et ils avaient peut-être été évaporés. D'ailleurs, c'est une règle que s'il y a une odeur au dessus d'une casserole, c'est que des composés odorants sont évaporés.

Finalement, l'eau chaude et l'eau froide extraient-ils des composés différents ? Oui, mais les conditions opératoires font tout, parce que l'équilibre n'est que rarement atteint, en cuisine.

Encore une information importante à avoir : des composés odorants qui seraient en proportions différentes pourraient faire des odeurs aussi différentes que le camembert et la framboise !


 2. certains composés aromatiques doivent-ils être extraits dans de l'eau froide alors que d'autres doivent l'être dans de l'eau chaude ? Si oui, y a-t-il des "familles" de composés aromatiques qui "préfèrent" l'eau froide, alors que d'autres "préfèrent" l'eau chaude ?

Ici, il y a le "doivent" qui me heurte. Disons plus justement que certains composés sont très solubles dans l'eau (les polyphénols, classe à laquelle appartiennent les tanins, mais aussi de nombreux colorants rouges à bleu des fruits. Et que d'autres composés, tel le méthylchavicol, qui sont très peu solubles dans l'eau, mais beaucoup dans l'huile, ou dans l'alcool.
Mais il faut tenir d'un autre phénomène, à savoir que les seuils de perception diffèrent beaucoup selon les composés. Ainsi, certains composés sont très odorants quand ils sont en très faibles concentrations, alors que d'autres le sont quand ils sont plus abondants. Et là, pas de règle théorique : il faut être empirique. Certes, les composés de type alcool ou aldéhydes seront plus solubles dans l'eau que d'autres de type terpènes... mais à quoi bon le savoir, en pratique, sachant que les produits végétaux apportent des composés odorants par centaines, tous différents ?


 3. y a-t-il des composés aromatiques qui sont plus à même de diffuser dans l'huile que dans l'eau ?

Ici, il y a la "diffusion", où mon interlocuteur n'a peut-être pas la même idée que les physico-chimistes. La diffusion, c'est ce phénomène par lequel les molécules migrent dans un milieu. Mais, ici, peu importe, et je crois que mon ami internaute pense plutôt à de l'extraction qu'à de la diffusion. Y a-t-il des composés odorants qui s'extrairaient plus dans l'huile que dans l'eau ? Oui  les composés odorants "hydrophobes" passeront plus facilement dans l'huile que dans l'eau, et, inversement, les composés hydrophiles passeront plus dans l'eau que dans l'huile... à condition qu'ils soient extraits : rappelons-nous l'expérience du  poivre et du bouillon.

Bref, finalement, je crains qu'il n'y ait pas de possibilité de prévision théorique très utile. Certes, savoir tout ce que j'ai dit plus haut n'est pas inutile, mais comment prévoir le résultat que vous obtiendrez en macérant du thé dans de l'eau froide ? Je crains que ce ne soit bien difficile, car il y a "loin de la coupe aux lèvres", de la matière au bouillon. Pour récupérer des composés, il faut les détacher de leur matrice végétale, leur permettre des migrer vers le bouillon, leur permettre d'y séjourner.


4. dans le cas d'une infusion d'anis badiane à froid, par exemple, y a-t-il un temps au bout duquel la diffusion s'arrête ?

Oui, pour tous les composés, il y a une phase d'extraction rapide, puis une saturation quand un équilibre est atteint.
Par exemple, pour l'extraction à partir de café, il faut une heure et demie dans l'eau bouillante, pour extraire tous les composés sapides.


J'y pense : dans les phénomènes utiles à connaître, encore deux deux idées :
 - il y a une différence entre macération, à froid, infusion comme pour le thé, ou décoction comme le poivre qui bouillait
- attention aux "entraînements à la vapeur d'eau", qui font partir les composés odorants et autres, pour peu qu'ils aient une certaine volatilité : c'est ainsi que l'on récupère des composés odorants des végétaux dans l'industrie des parfums (voir mon livre Mon histoire de cuisine, où je donne des détails".



samedi 23 décembre 2017

Qu'est-ce qu'un arôme ?




Arôme ? Le mot est employé à tort et à travers, et même la réglementation a tout faux.


Le mot « arôme », en bon français, désigne l'odeur d'un aromate, d'une plante aromatique. Mieux, étymologiquement, c'est une odeur agréable.

Il y a quelques décennies, quand des technologues de l'industrie des parfums ont appris à isoler des composés odorants, ils ont produit des mélanges de tels composés, avec lesquels l'industrie alimentaire (principalement) a appris à donner du goût à ses produits.
Quel nom donner à ces mélanges de composés ? L'industrie et les institutions d'état ont décidé d'utiliser le mot « arôme », confondant une odeur et un produit qui peut la donner.
C'était une grave erreur, voire une faute, parce que le public a bien compris que le gauchissement des mots s'assortissait d'une tromperie. Dans un yaourt « aromatisé à la fraise », il n'y a pas de fraise, et l'on n'aurait jamais dû la réglementation accepter ces dérives terminologiques.


Car quand un mot est dévoyé, tout part à vau-l’eau. C'est ainsi que l'on s'est mis à parler de l'arôme d'une viande, ou d'un vin, alors qu'il y avait le mot « odeur », ou le mot « bouquet », pour le vin.
Certains scientifiques se sont mis, très idiosyncratiquement, à désigner par « arôme » l'odeur rétronasale, dues aux molécules odorantes qui remontent par l'arrière de la bouche, dans le canal qui la relie au nez (ce que l'on perçoit quand on boit la tasse).
Ce sont pourtant les molécules odorantes que l'on sent quand on approche l'aliment sous le nez. Certes, on les sent différemment, parce que la mastication les libère davantage, et parce que les aliments sont chauffés par la bouche, ce qui augmente la libération des composés odorants, mais ce sont les mêmes composés.

Raison pour laquelle je propose plus justement de parler d'odeur, quand on sent par le nez, et d'odeur rétronasale, quand on sent par l'arrière du nez.


C'est tout simple, n'est-ce pas ? Alors réservons le mot « arôme » aux odeurs de plantes aromatiques, des aromates !


















Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)