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dimanche 12 janvier 2020

Pourquoi bien mélanger les ingrédients d'une mêlée ?

Quand on fait des quenelles, des boudins blancs, des boulettes, des pâtés, par exemple, on doit d'abord préparer une mêlée, qui contient souvent de la chair (viande, poisson) broyée, parfois des oeufs, des aromates, des épices, des légumes (en dés, par exemple)... Et certains disent qu'il faut bien travailler la mêlée pour que "l'albumine soit libérée".

L'albumine ? Cela fait deux siècles que ce terme n'a plus cours en chimie avec l'acception qui est celle de nos amis, et il serait temps que le monde culinaire fasse sa transition ! C'est comme si on en était resté au "le plus lourd que l'air ne volera jamais" : deux siècles de retard, je vous dis !



 
Expliquons
Au 18e siècle, quand la chimie naquit de l'alchimie, cessant de croire que l'expérience était mal faite quand elle ne collait pas à la théorie et acceptant enfin que la théorie doive plutôt naître des expériences, les chimistes commencèrent à explorer les aliments, et c'est alors qu'apparut le terme d' "albumine", pour dénommer des "substances" qui putréfiaient avec une odeur d'ammoniac, qui "teintaient les sirops de violette", qui faisaient coaguler l'eau...
On trouva ces "albumines" dans les oeufs, les viandes, les poissons, bref, le règne animal.

Mais bientôt, des chimistes (notamment français) identifièrent de telles substances dans les plantes, et,  plus particulièrement, dans les légumineuses.
Rapidement, il apparut que l' "albumine"  au singulier n'existait pas, et l'on dut parler d'albumines, au pluriel.

Mais on n'était pas au bout des découvertes, car il apparut que certaines de ces substances pouvaient coaguler à la chaleur, et d'autres pas. Par exemple, le blanc d'oeuf coagule quand on le chauffe, mais la gélatine fond, au contraire. Ou les protéines du sérum du lait coagulent (formant la peau du lait) tandis que les caséines ne coagulent pas à la chaleur, mais avec de la présure ou en milieu acide.
Bref, il apparut qu'il fallait faire du ménage, et le termes de "protéines" fut introduit pour désigner toutes les protéines.
Le terme d'albumine fut alors réservé à une classe de petites protéines globulaires, solubles : il y a effectivement des albumines dans le blanc d'oeuf (mais pas seulement) et dans le sang (l'albumine sérique), mais les albumines forment une catégorie assez mineure de protéines.
Et c'est ainsi que, depuis environ un siècle, on n'a plus guère de raison de parler d'albumine, au singulier, sauf dans des cas particuliers, sous peine de dire n'importe quoi.


Dans les mêlées

Et dans les mêlées, quelles protéines assurent-elles la coagulation ?
Dans les mêlée sans oeuf, avec seulement de la chair, les protéines sont celles de la viande ou du poisson, à savoir du collagène (qui fait prendre à froid, pas à chaud) et, surtout, les deux sortes principales qui sont libérées lors du hachage des chairs  : les actines et les myosines. Ce sont elles qui font prendre en masse le terrines, les pâtés, etc.
Bien sûr, quand il y a du sang, l'ovalbumine sérique peut  contribuer à la coagulation ; mais si c'est important dans les boudins (noirs),  c'est négligeable dans les terrines ou les pâtés. Et bien sûr, quand il y a de l'oeuf, ses albumines aussi peuvent contribuer à la coagulation.

Les protéines peuvent s'attacher pour former un réseau où un liquide est piégé : c'est la formation d'un "tel", ce que  le monde culinaire nomme "coagulation"



Pourquoi bien mélanger les mêlées, au fait ? 

Parce que , surtout quand il n'y a pas d'oeuf, il faut obtenir un système avec une phase liquide (l'eau libérée de la chair par broyage) où les protéines (actine et myosine, surtout) soient dispersées le mieux possible, afin qu'à la coagulation, la masse se comporte comme du blanc d'oeuf, qu'elle coagule de façon homogène. Et puis, il faut aussi bien disperser la matière grasse : comme lors de la confection d'une mayonnaise, le travail mécanique dissocie les masses de graisse en petites masses qui font une consistance plus agréable. Sans compter que l'on peut vouloir une préparation bien lisse, ce que l'on obtient par le travail.
Bref, le travail se voit à divers signes, que l'on aura toujours la prudence d'interpréter à l'aide d'un microscope et d'une saine théorie chimique, au lieu de penser comme des ancêtres en retard de deux siècles. 
Et, très généralement, le monde culinaire aura raison d'éviter ce terme d'albumine qui fait aussi éculé que s'ils écrivaient à la plume d'oie ou s'éclairaient à la chandelle, et se transportaient à dos d'âne.

vendredi 22 décembre 2017

On ne doit plus parler d'albumine, mais éventuellement d'albumineS

Albumine ? On entend des cuisiniers dire qu' « elle coagule », dans diverses circonstances, telles que pâtés, terrine, quenelles, viandes cuites à basse température, poisson braisé… (je donne une liste de ce que j'ai très rapidement trouvé sur internet).

Pourtant, il faut dire, redire, enseigner que l'albumine n'existe pas ; qu'elle n'existe pas plus que n'existe « la chlorophylle ».


Pour comprendre, il faut reprendre les choses historiquement.

Tout a commencé avec les pharmaciens (qui ont développé les sciences chimiques, avec les chimistes) : au dix-huitième siècle, ils avaient observé que les viandes, les poissons ou les oeufs se distinguaient des végétaux, parce qu'ils putréfiaient, avec une odeur ammoniaquée, bien différente de celle des végétaux qui pourrissent.
Plus précisément, ils observèrent la formation d'ammoniaque, qui faisait changer de couleur le « sirop de violette », cet ancêtre des « papiers pH » que l'on utilise pour mesurer l'acidité, et qui ne sont en réalité que des bandes de papier imbibées de composés tels ceux qui donnent la couleur aux fruits et aux fleurs.

Bref, nos chimistes se mirent à tester des tas de produits, et ils découvrirent que le blanc d'oeuf était le prototype de ces matières animales coagulantes, d'où le nom d'albumen, pour le blanc d'oeuf, et d' « albumine », pour la partie du blanc d'oeuf qui était responsable à la fois de la coagulation et du changement de couleur.


Puis, au tout début du dix-neuvième siècle, le pharmacien Antoine François de Fourcroy découvrit de l' « albumine » dans les végétaux : dans les lentilles et d'autres légumineuses riches en ce que nous nommons aujourd'hui des protéines, il y a des « substances » qui coagulent à la chaleur, qui putréfient en libérant de l'ammoniac, et qui teintent le sirop de violette.

Puis vint l'analyse chimique et la chimie moderne, qui permirent notamment de reconnaître dans la gélatine la même composition chimique que dans l'albumine… alors que la gélatine ne coagule pas à la chaleur.
Et, d'autre part, on découvrit des « substances » qui contenaient aussi de l'azote, putréfiaient en teintant le sirop de violette, mais qui ne coagulaient pas.


Bref, progressivement, les sciences de la chimie comprirent que certains composés seulement entraient dans une catégorie qui fut nommée « protéines » au début du vingtième siècle.

 Les molécules de toutes les protéines sont principalement faites de chaînes dont les maillons sont des résidus d'acides aminés.
La gélatine, par exemple, est une forme dégradée (par la cuisson) de la protéine nommée « collagène », qui se trouve dans les tissus animaux ; comme on le sait bien, elle ne coagule pas.
Le lait contient des « caséines », à côté d'autres protéines ; certaines caséines coagulent… quand on acidifie ou qu'on ajoute de la présure.
Les viandes sont des tissus musculaires, dont la contraction est assurée par deux sortes de protéines, nommées « actines » et « myosines », qui coagulent, et le sang contient une protéine qui coagule également (d'où le boudin).
L'oeuf, enfin, contient une vingtaine de sortes de protéines différentes, et l'ovalbumine, dans le blanc, n'est que l'une d'entre elles (qui coagule, comme on le sait). Elle est l'homologue, bien que différente, de la protéine du sang nommée albumine sérique.


Très généralement, la catégorie est albumines est très vaste, puisqu'elle désigne aujourd'hui des protéines solubles dans l'eau, qui coagulent à la chaleur. Cela n'a plus aucun sens de parler de « l'albumine », et il faut, selon les cas, parler soit des protéines, soit des albumines… mais je doute que la seconde dénomination soit très utile, en cuisine. Parlons donc plutôt des protéines, et laissons l'albumine aux historiens ou aux scientifiques.











Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)