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mardi 14 novembre 2023

La cuisine, statistiquement



Dans Mon histoire de cuisine, j'ai discuté la question de 14 commandements de la cuisine, ce que je nomme personnellement les bases de la technique culinaire. C'est un message d'espoir qu'il n'y ait que 14 phénomènes essentiels à considérer, contre bien plus si l'on reste au niveau culinaire.
Cependant, j'aurais également pu examiner les transformations culinaires en termes statistiques, et comprendre que nous mangeons essentiellement des tissus végétaux (fruits, légumes) ou animaux (oeufs, viandes, poissons).
Ainsi,  au-delà de préparations particulières telles que les sauces, il y a d'abord lieu de se préoccuper de ses cuissons-là.

Pourquoi la cuisson ? Parce que l'on assainit biologiquement et chimiquement, que l'on change  la consistance, que l'on augmente la bio-activité des nutriments et que l'on donne du goût.
Pour l'assainissement biologique, il faut considérer que les tissus animaux et végétaux sont contaminés à l'extérieur par des micro-organismes pathogènes, et à l'intérieur par les parasites. Un traitement thermique peut inactiver les deux types d'organismes nuisibles à notre santé.
D'autre part, le traitement thermique peut rendre comestibles certains ingrédients (pensons aux haricots) en dégradant  certains composés toxiques naturellement présents, telles les lectines (hématoagglutinantes).  
Pour la question de la consistance, il y a des cas où l'on veut l'augmenter, tel l'oeuf que l'on fait coaguler, et des cas où l'on veut le réduire, telles des tissus végétaux très durs. L'amollissement que provoque la cuisson  a pour effet une augmentation de la bioactivité des nutriments :  certains composés présents dans les tissus végétaux ou animaux sont peu assimilés quand ces tissus sont crus, mais ils  sont bien plus disponibles quand les tissus sont cuits. Par exemple, c'est le cas de composés tels que le bêta-carotène les carottes, par exemple, ou encore des sucres et des acides aminés. Il a été proposé que l'espèce humaine ait évolué par rapport aux grands singes parce que  le fait de manger des aliments cuits permettait de gagner du temps sur des mastications interminables.
Enfin la cuisson change le goût, et c'est un fait que nombre de mammifères préfèrent le goût des aliments cuits à celui des ingrédients crus.

La "cuisine", c'est ainsi d'abord la cuisson des tissus végétaux ou animaux. La cuisson ? Cela correspond à un traitement thermique, qui peut se faire de différentes façons : par conduction, par rayonnement, par des réactions avec des composés variés (sel, sucre, éthanol, acide, base).
Pour la conduction, elle peut se faire  par contact avec un solide chaud, un gaz chaud, un liquide chaud, qui peut être soit une solution aqueuse, soit une huile. Selon les procédés, on chauffe  une face seulement de l'aliment, comme dans les friture plate, ou au contraire plusieurs faces, comme pour dans un rôtissage ou dans une friture.  Et, dans tous les cas, l'effet est le même :
- pour les viandes : dissolution du tissu collagénique, coagulation des protéines des fibres musculaires, pertes éventuelles dans le milieu de cuisson
- pour les légumes : amollissement du tissu végétal par dégradation des pectines des parois végétales.

Voilà des "bases" simples et utiles ! 




vendredi 14 avril 2023

La cuisine abstraite

 Dans les courants culinaires que j'essaie de créer, il y en a un,  la cuisine abstraite, qui n'a pas encore trouvé son heure. 

De quoi s'agit-il ? On le comprend facilement si l'on en revient à la peinture abstraite. 

Dans le temps, les peintres étaient figuratifs : ils représentaient les objets, les personnages, les montagnes ; ils peignaient  les arbres, les fleuves, les animaux... Puis, progressivement, ils apprirent plus explicitement que par le passé à projeter dans leurs représentations des idées variées. Et,  dans les années 1910, il y eut  une révolution, à savoir qu'un génie nommé Kandinsky proposa de ne plus représenter, du moins représenter tel qu'on le verrait en ouvrant simplement les yeux, de faire sentir. Des points, des lignes, des plans, du blanc, du jaune, du rouge, du bleu... Formes et couleurs... Il s'agissait utiliser ces éléments pour donner à sentir, à penser, et ce fut le grand développement de la peinture abstraite. Et en cuisine ? 

 

Qu'est-ce qui  retient les artistes culinaires de faire de même ? Pour l'instant, on en est resté à des idées très archaïques, exprimée par le critique culinaire Curnonsky dans cette phrase célèbre et un peu bête : « les choses sont bonnes quand elles ont le goût de ce qu'elles sont. » 

C'est exactement l'opposé de la cuisine abstraite, c'est du figuratisme, et c'est une règle, c'est-à-dire l'opposé de l'idée de l'art.  Avec Curnonsky, la cuisine est assignée à rester un siècle derrière la peinture. Je propose que nous évoluions, que les jeunes cuisiniers se mettent au travail pour explorer cette cuisine abstraite. Ils devront avoir comme mission, comme idée,  de ne pas faire sentir la tomate, la courgette, l'agneau, la langoustine... 

Partant d'ingrédients classiques ou  modernes, ils devront susciter des sensations en évitant de donner des goûts reconnaissables. 

 

A ma connaissance, Pierre Gagnaire est le seul qui ait pratiqué cet art,  avec des recettes d'ailleurs étonnantes de simplicité, ce qui tendrait à prouver que la cuisine abstraite n'est pas difficile. 

Là pourtant, je me reprends, car l'utilisation d'ingrédients classiques pour faire de la cuisine abstraite, s'apparente à la marche sur un chemin de crête aussi étroit qu'une lame de rasoir (j'exagère). 

Considérons par exemple un plat abstrait qui mêlerait  de la rhubarbe et des langoustines ; un peu trop de rhubarbe, et l'on sent la rhubarbe, mais un peu trop de langoustines et l'on sent la langoustine. 

Je n'ai pas théorisé la cuisine abstraite, mais il me semble que l'ajout d'un troisième ingrédient au moins s'impose, afin de créer une autre dimension, telle celle qui fut employée par le graveur néerlandais Maurits Escher, ou  par les musiciens Shepard et Risset. 

 

Mais je m'arrête, car nous voulions analyser plus en détail la cuisine abstraite, il faudrait bien plus qu'un billet de blog. Pour ceux qui sont intéressés, je signale un chapitre de mon livre Mon histoire de cuisine à propos de « l'exploration de la cuisine ».

 


 

samedi 3 février 2018

Allons-y pour quelques questions

Les élèves des classes de Première doivent faire des "travaux personnels encadrés", et très nombreux sont ceux qui s'intéressent à la gastronomie moléculaire, ou à la cuisine moléculaire, ou encore à la cuisine note à note (pas assez).

 J'ai déjà discuté la différence entre les trois champs, en observant une fois de plus que la gastronomie n'est pas une cuisine d'ordre supérieur, et je déplore que certains élèves s'intéressent encore à la cuisne moléculaire, alors qu'elle est bien dépassée par la cuisine note à note.

Le plus souvent, j'oriente les élèves vers les parties "questions et réponses"  et "questions and answers" de mon site https://sites.google.com/site/travauxdehervethis/, puisqu'il y a des milliers de réponses à des questions, mais, parfois, survient une question qui n'a pas sa réponse dans le site, et que je discute ici. Par exemple :

Quelle est l'importance de nos sens dans notre alimentation ?

La question permet de rappeler cette idée de Theodosius Dhobzansky : tout ce qui se rapporte à du vivant doit s'interpréter en termes de biologie de l'évolution.
Et c'est la raison pour laquelle les travaux de Claude Marcel Hladik et de ses  collègues du Muséum national d'histoire naturelle sont si passionnants : nos amis et collègues étudient comment mangent les singes... et découvrent notamment que les primates ont coévolué avec les plantes, ces dernières offrant des fruits sucrés (les sucres sont de l'énergie) en échange de la dispersion des graines, noyaux, etc. Mais pour reconnaitre l'énergie, ne faut-il pas des yeux qui voient les couleurs, un nez qui voit, une bouche qui perçoit la saveur, par exemple ?
Sans compter -ce sont des travaux d'autres collègues, nutritionnistes ou physiologistes, cette fois- que la perception des goûts permet d'anticiper la digestion de composés particulièrement importants pour notre organisme (le calcium, les graisses, les acides aminés...), en même temps qu'il signale au cerveau quand il faudra s'arrêter de manger.  Mais comment répondre mieux à nos jeunes amis ? En les renvoyant à mon livre "Mon histoire de cuisine" (Editions Belin), sans quoi je serais ici en train de le réécrire.




Qu'est ce que la cuisine moléculaire va changer dans notre perception des aliments ?

Drôle de question, car la cuisine moléculaire est une technique culinaire rénovée. En gros, au lieu de battre au fouet, on utilise un siphon ; au lieu d'utiliser une sorbetière, on utilise de l'azote liquide ; au lieu de perdre son temps à dégraisser les bouillons à la cuiller, on utilise une ampoule à décanter ; au lieu d'avoir des braisages secs et durs, on valorise des viandes par de la cuisson à basse température...
Les recettes sont les mêmes que par le passé, avec la cuisine moléculaire... et rien de nos aliments ne change profondément... contrairement à la cuisine note à note... mais je ne discute pas ici cette dernière, puisque nos amis ne posent pas la question.

La société actuelle est-elle prête à ce type de changement ?

Non seulement elle est prête... mais les siphons sont en vente dans les supermarchés, les fours ont maintenant des fonctions basse température... et les cuisiniers confondent tant la gélatine avec les gélifiants que j'avais introduits (agar-agar, alginate, etc.) qu'ils en viennent à parler de "gélatine végétale"... ce qui n'est pas possible, puisque la gélatine est extraite des animaux. Ils veulent dire "gélifiant".

Bref, la révolution de la cuisine moléculaire est faite, et il faut absolument passer à la suite : la cuisine note à note.