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mardi 3 octobre 2023

La question des mots, en science

Prenons un moment pour discuter de la relation entre les mots et les sciences. 

Pendant longtemps, j'ai dit, en substance, que l'on ne pouvait faire de bonne science qu'avec de bons mots, et que la pensée et le bon maniement des mots allaient de pair. 

Je le crois encore, même si j'ai mis de l'eau dans mon vin, non pas que j'admette que les mots puissent être approximatifs, mais surtout parce que je reconnais aujourd'hui que la science peut se faire sans mots : le grand Henri Poincaré, qui semble avoir été un exemple d'honnêteté, n'a-t-il pas dit que sa plus grande difficulté était de mettre des mots sur les idées mathématiques qui se formaient en lui, et non pas d'avoir ces idées ? 

Et puis, surtout, je m'en veux d'avoir répété sans esprit critique l'introduction du Traité élémentaire de Lavoisier. Lavoisier disait que la science, c'était les phénomènes, et que, pour étudier des phénomènes, il fallait les penser, et donc mettre des mots. Lavoisier concluait qu'il n'y avait pas de progrès de la science sans progrès de la nomenclature, et vice versa. 

J'étais ébloui par Lavoisier, notamment parce que Lavoisier citait Condillac, pour lequel Lavoisier et ses contemporains avaient la plus grande admiration. 

Mais je n'ai pas de véritable excuse, et je m'en veux, aujourd'hui, d'avoir si longtemps propagé l'idée de Lavoisier. 

Certes, des géants tels que Michael Faraday ont également insisté sur l'importance des mots : pour ses découvertes, Faraday ne cessa d'introduire de nouveaux mots : cathode, anode, cation, anion, ion... Plus près de nous, le chimiste Jean-Marie Lehn fut à l'origine de plusieurs grandes avancées intellectuelles, notamment quand il proposa de nomme «  chimie supramoléculaire » cette chimie qui se fonde sur des liaisons plus faibles que la liaison chimique classique, covalente.

mardi 11 avril 2023

J'ai (re)lu la Logique, de Condillac ?

 Pourquoi lit-on un livre ? 

Je propose la comparaison suivante : de même l'on accroche aux murs de son appartement des tableaux, qui sont une façon de se parler à soi-même, de s'entretenir d'idées exprimées par les toiles, de même on lit des livres afin de se meubler l'esprit, afin d'y loger des idées. 

Cela n'est donc pas anodin, et il faut peut-être dire plus qu'on ne le fait aujourd'hui que le choix de ses lectures est essentiel, non seulement en termes de temps passé, mais aussi en termes d'embellissement de l'esprit : il est vrai que la lecture d'une bande dessinée minable (on voit donc que je fais la distinction entre les différentes bandes dessinées, lesquelles ne sont pas toutes de la même qualité : répétons que, pour la plupart des tâches, tout est une question d'exécution, donc d'individu) empiète sur la lecture de Condillac, par exemple. 

Et il est vrai aussi que l'intérêt d'un livre se mesure aussi au nombre d'idées qu'il fait surgir. 

 

Cela étant posé, pourquoi lire Condillac ? 

 

Bien sûr, il s'agit d'un « grand auteur », il s'agit d'un de ces noms qui restent dans l'histoire... mais cela est bien insuffisant, car cela s'apparente à un argument d'autorité, ce genre de choses contre lesquelles je propose de résister. 

Alors, pourquoi lire Condillac ? Dans mon cas, je lis Condillac, parce que Lavoisier le citait. A plusieurs reprises, Lavoisier évoque Condillac afin de discuter la relation entre une langue analytique, une langue bien faite, et la pensée, et la chimie. L'idée essentielle de Lavoisier, qu'il attribue à Condillac, c'est que les phénomènes que la science quantitative explore sont manipulés, appréhendés, par des pensées, et que ces pensées correspondent à des mouvements. 

Longtemps, j'ai proposé de prendre cette idée à la lettre, concluant qu'il fallait une langue précise pour faire de la bonne science. Toutefois, Einstein et Poincaré, notamment, discutant l'origine des idées qu'ils avaient eues, ont tous deux dit qu'ils avaient des idées sans les mots, et que c'était donc un de leurs efforts que d'aller chercher des mots pour exprimer des idées qui étaient en eux. On ne peut évidemment balayer d'un revers de la main de telles déclarations ! 

 

La conclusion de cette affaire, c'est qu'il faut aller y voir de plus près... et, donc, lire Condillac. 

 

Aujourd'hui, je ne dirais plus les choses comme je les disais, mais je continue à soutenir, évidemment, que la langue que nous utilisons doit être d'une très grande précision. 

Dans la méthode scientifique, le calcul se déroule, mais, finalement, il y aura quand même son expression en langage naturel, l'affichage au monde, et à soi-même, des mécanismes des phénomènes que l'on aura explorés. 

Là, on retrouve Michael Faraday, qui introduisit des mots pour désigner des concepts nouveaux, par exemple « lignes de champ magnétique ». Ces mots s'ajoutent à ceux qui ont été introduits pour désigner des objets nouveaux : électrode, anode, cathode, ion... Des exemples récents ? Je vous invite à lire cet article merveilleux de Jean-Marie Lehn, paru en 2005, sur les dynamères. Le mot « dynamère » désigne des objets qui étaient dans les esprits, mais qui n'  « existaient » pas véritablement tant qu'ils n'avaient pas été nommés, et c'est un des mérites de cet article (un parmi bien d'autres) d'avoir introduit un mot que nous utilisons maintenant pour désigner des objets, pour échanger à leur propos, facilement 

 

La question des mots en science est passionnante, parce qu'il y a toujours l'hésitation entre l'introduction de mots creux de mots « pleins ». 

Un mot creux est un mot inutile, redondant, un mot qui n'aide pas la pensée. Un mot plein, c'est un mot qui conduit à bien identifier des objets, à les faire apparaître comme nouveaux du simple fait qu'ils ont été nommés. Des polymères dynamiques, ce n'est pas nouveau, au fond, mais des « dynamères », c'est-à-dire la même chose, cela devient une catégorie d'objets très clairement perçus, et sur laquelle nous pouvons travailler. 

Condillac ? Il fut important au siècle des Lumières par son analyse de la pensée, du langage, et c'était un philosophe qui séduisit bien des scientifiques. Sa Logique ? Elle est certes intéressante, mais son intérêt principal n'est-il pas en ce que nous ferons, après sa lecture ?

mercredi 5 avril 2023

La chimie moderne est l'œuvre de nombreuses personnes, mais le nom de Lavoisier est celui qui domine. Pourquoi ?

Alors que Lavoisier érigea  l'oxygène en un principe  essentiel, ce n'est pas lui qui découvrit cet élément, mais Joseph Priestley, l'homme à qui l'on doit également la découverte d'une multitude de gaz.

Priestley fut un pilier, avec Stephen Hales et quelques autres, de la chimie dite « pneumatique », la chimie des gaz. 

Lavoisier n'a donc pas découvert l'oxygène ; alors qu'a-t-il fait ? Bien des choses, mais la principale est, avant Dimitri Mendeleiev, d'avoir créé un système, un cadre pour  ranger les découvertes - trop nombreuses- qui avaient été faites depuis les débuts de la chimie. 

A l'époque, certains chimistes interprétaient les phénomènes à l'aide d'une idée fausse,  nommé le « phlogistique ». Le phlogistique aurait été d'une matière que le feu aurait communiquée aux métaux que l'on calcine. Toutefois, la notion conduisait à des masses négatives. 

Lavoisier fut celui qui fit le pas de considérer que, quand on chauffait de l'oxyde de mercure (une poudre rouge) et que  l'on obtenait du mercure métallique, de masse moindre puisque l'oxygène qui était fixé était éliminé, on avait plutôt le départ d'une matière que l'arrivée de phlogistique. 

Lavoisier  identifia la matière perdue à l'oxygène (je fais vite : pour ceux qui sont intéressés, voir les chapitres que j'ai co-signés avec mon vieil ami Georges Bram, dans le livre Quand la science dit « c'est bizarre », aux éditions du Pommier). 

Pourquoi Lavoisier arriva-t-il à cette idée ? Parce qu'il avait confiance dans la balance, et que, comme le montrent amplement ses travaux, il travaillait très précisément, avec des balances remarquablement précises : nos balances électroniques n'ont rien à envier aux siennes. 

Contrairement à ce qui est prétendu sans preuve, sans référence, Lavoisier n'a jamais dit « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme », ce qui est une vieille idée grecque... mais il a mis cet idée en application, constamment (et notamment quand il a montré que si de l'eau chauffée longuement prenait de la masse, c'est parce que le pot où elle était chauffée en avant perdu). 

Je ne fais pas ici une biographie de Lavoisier, mais je conclus en observant que, dans tous ses travaux, Lavoisier mit merveilleusement en oeuvre la méthode des sciences quantitatives : « tout nombrer », disait Francis Bacon ! Rendons des hommages appuyés à Lavoisier (aller à la découverte de son travail, c'est mieux que se débarrasser de l'hommage avec une statue sur laquelle les pigeons vont faire leurs crottes!). 

Au fait, savez-vous que son oeuvre est en ligne ? N'hésitons pas à passer un peu de temps sur http://www.lavoisier.cnrs.fr

samedi 19 septembre 2020

La notion d'éléments

science/études/cuisine/politique/Alsace/gratitude/émerveillement

 

 

1. On voit bien, en parlant "dans la rue", combien la chimie est chose inconnue, et les cours qui sont dispensés en collège ne parviennent pas à éclaircir pour tous les questions de molécule, composé, élément...
 

2. Il faut dire que les abus de langage abondent, et que même des "spécialistes" ne sont pas au clair avec la terminologie... au point que j'en ai vu récemment qui, pour éviter de faire la différence entre molécule et composé (qu'ils n'avaient peut-être pas comprise eux-mêmes), se réfugiaient dans le terme de "substance", quasi médiéval.

3. Je suis bien certain qu'il y a derrière ces confusions la non compréhension de l'idée de classe d'équivalence, de catégorie, la vieille question du nominalisme, et ainsi de suite. Oui, une molécule est... une molécule, un petit objet fait d'atomes, alors que le type de molécules est nommé composé. Et l'élément est également une catégorie : celle d'atomes tous identiques.

4. Arriver à cela  n'a pas été facile, et c'est surtout sur la notion d'éléments que je veux insister aujourd'hui.

5. Aristote avait ses quatre éléments, et, dans le long cheminement qui mène à la chimie, il y a mille "éléments" venu d'en bas : le soufre, le mercure, le "sel", la quintessence... Le plus souvent, il s'agit d'entités imaginées.

6. Avec Lavoisier (1789 , Traité élémentaire de chimie, Paris, Cuchet, XVI à XVII), c'est toute la perspective qui change, parce que, au lieu d'inventer n'importe quoi, on se fonde sur l'expérience :
"Je me contenterai donc de dire que, si, par le nom d'éléments, nous entendons désigner les molécules simples et indivisible qui composent les corps, il est probable que nous ne les connaissions pas ; que si au contraire nous attachons au nom d'éléments ou de principes des corps l'idée du dernier terme auquel  parvient l'analyse, toutes les substances que nous n'avons encore pu décomposer par aucun moyen, sont pour nous des éléments ; non pas que nous puissions assurer que ces corps que nous regardons comme simples ne soient pas eux-même composés de deux ou même d'un plus grand nombre de principes, mais puisque ces principes ne se séparent jamais, ou plutôt puisque nous n'avons aucun moyen de les séparer, il agissent à notre égard à la manière des corps simples, et nous ne devons les supposer composés qu'au moment où l'expérience et l'observation nous en aurons fourni la preuve."

7. Et c'est par ce sain principe que l'on est arrivé à nos éléments actuels. Quel génie ! 




mercredi 16 septembre 2020

Lavoisier a fait mieux que ce que j'en disais

science/études/cuisine/politique/Alsace/gratitude/émerveillement



1. Je m'aperçois que je n'ai pas bien présenté l'importance des travaux de Lavoisier (Antoine Laurent de Lavoisier, 1743-1794), &, notamment, ses études de la calcination des métaux, avec laquelle il réfuta la théorie erronée du "phlogistique", & engendra la chimie moderne. 




2. J'avais bien expliqué,  dans plusieurs textes (notamment, mon livre La sagesse du chimiste), que, contrairement à la théorie du phlogistique, qui imaginait que les métaux calcinés dans l'air prennent du poids parce qu'il perdent une masse négative (!), Lavoisier avait compris que les métaux gagnent au contraire quelque chose, et que ce quelque chose venait de l'air (l'oxygène ; on dirait aujourd'hui le dioxygène). 



3. Dans mes textes, j'avais insisté sur le fait que les métaux prennent du poids lors de leur calcination dans l'oxygène, mais je m'aperçois que je n'ai pas assez dit qu'il y avait en réalité l'utilisation d'un bilan  :  Lavoisier avait  mis au point des ustensiles de chimie très extraordinaires, qui lui avaient permis de voir que l'air contenu dans la cloche de verre sous laquelle il opérait perdait du poids. Vous imaginez l'expérience : peser de l'air !

4. Autrement dit, le métal calciné pèse plus lourd parce qu'il absorbe une partie de l'air (le dioxygène, donc), au cours de la combustion.

5. Ces expériences eurent lieu en 1772 et l'on comprend que la balance en était un élément  essentiel. Il faut dire et redire, alors que nous avons des balances électroniques de précision, que les balances de nos prédécesseurs étaient tout à fait remarquables, et difficiles à dépasser, surtout quand nos prédécesseurs savaient bien les utiliser (connaissez-vous la méthode de la "double pesée"?).




6. Le génie de Lavoisier, c'est aussi d'avoir calciné les métaux à l'aide d'un "verre ardent",  c'est-à-dire en réalité d'une espèce de de loupe qui brûlait le métal à travers une cloche en verre enfermant le gaz que l'on pesait.

7. Et c'est ainsi que Lavoisier ruina à la théorie du phlogistique.

8. On comprend mieux aussi, avec tout cela, pourquoi Lavoisier alla beaucoup plus loin que Joseph Black, Henry Cavendish ou Joseph Priestley:  il ne s'agissait pas simplement de voir qu'il y avait de l'oxygène dans l'air, mais de comprendre que cet oxygène se combinait avec les métaux de façon chimique.

9. D'ailleurs en disant "combinait", je mets mes amis sur une fausse piste parce qu'il faut bien comprendre que la chimie n'est pas une simple agrégation de composé, une simple juxtaposition, mais un réarrangement de ces composés pour faire des composés nouveaux.

10. Et c'est ainsi que la chimie est merveilleuse !

mercredi 11 avril 2018

Je viens de retrouver cette citation admirable...

Le seul moyen de prévenir ces écarts, consiste à supprimer, ou au moins à simplifier, autant qu'il est possible, le raisonnement qui est de nous, & qui peut seul nous égarer, à  le mettre continuellement à l'epreuve de l'experience ; à ne conserver que les faits qui sont des verités données parla nature, & qui ne peuvent nous tromper ; à ne chercher la vérité que dans l'enchaînement des expériences & des observations, sur-tout dans l'ordre dans lequel elles sont présentées, de la même manière que les mathématiciens parviennent à la solution d'un problème par le simple arrangement des données, & en réduisant le raisonnement à des opérations si simples, à des jugemens si courts, qu'ils ne perdent jamais de vue l'évidence qui leur sert de guide.
Méthode de Nomenclature chimique,
A. L. LAVOISIER, 1787.

vendredi 6 avril 2018

Au premier ordre, Condillac

Enfin, je comprends que mes hésitations personnelles à propos de la "querelle de Lavoisier contre Poincaré" ne concerne qu'une partie réduite de mes amis ! Je me suis trompé de combat, et il faut promouvoir absolument l'usage d'une langue juste, et ne cesser de proposer ces trois liens :

http://atilf.atilf.fr/
http://www.cnrtl.fr/etymologie/aviser
http://www.projet-voltaire.fr/blog/


Mais je me vois bien incompréhensible, et j'explique, maintenant.
Naguère, émerveillé par les avancées intellectuelles d'Antoine Laurent de Lavoisier, j'avais partagé avec mes amis mon admiration pour ses idées exprimées dans un texte sur les oxydes, où il introduit le formalisme actuel de la chimie : c'est bien à lui que l'on doit les équations chimiques telles que "NaOH + HCl →NaCl + H2O".
Partant de ce texte, j'avais découvert le Traité élémentaire de chimie, que Lavoisier publié pour proposer un cadre cohérent à la chimie moderne qu'il avait fondée, en bannissant l'idée abracadabrante de "phlogistique" (en gros, une matière de masse négative) et en réformant la terminologie chimique, reléguant dans les oubliettes de l'histoire  des terminologies alchimiques qui manquaient de ce systématisme rationnel qui est la marque des sciences : fini les "sublimés corrosifs" ambigus, les "cristaux de Saturne", les "mercure précipité" ou "mercure sublimé", les écumes de Diane, les cornes de cerf... aussi variables qu'incertains.
Mais, surtout, Lavoisier était inspiré par l'abbé de Condillac, qui revendiquait une langue juste pour une pensée juste. Et c'est ainsi que, dans l'introduction de ce traité, il écrit :

"C’est en m’occupant de ce travail, que j’ai mieux senti que je ne l’avois, encore fait jusqu’alors, l’évidence des principes qui ont été posés par l’Abbé de Condillac dans sa logique, & dans quelques autres de ses ouvrages. Il y établit que nous ne pensons qu’avec le secours des mots ; que les langues sont de véritables méthodes analytiques ; que l’algèbre la plus simple, la plus exacte & la mieux adaptée à son objet de toutes les manières de s’énoncer, est à-la-fois une langue & une méthode [iij] analytique ; enfin que l’art de raisonner se réduit à une langue bien faite.  [...]  L'impossibilité d'isoler la nomenclature de la science, et la science de la nomenclature, tient à ce que toute science physique est nécessairement fondée sur trois choses : la série des faits qui constituent la science, les idées qui les rappellent, les mots qui les expriment (...) Comme ce sont les mots qui conservent les idées, et qui les transmettent, il en résulte qu'on ne peut perfectionner les langues sans perfectionner la science, ni la science sans le langage". 

Oui, il faut de bons mots pour de bonnes pensées, car les mots sont comme les outils de l'ébéniste : on ne fera pas du bon travail si l'on confond le marteau et le ciseau à bois ! D'ailleurs, c'est surtout sur le langage technique que l'on voit l'importance de la juste terminologie : si le marin confond la drisse avec l'écoute, le bateau chavire !
Et, évidemment, c'est avec cette idée que je ne cesse de consulter les dictionnaires, et notamment les bons dictionnaires sont j'ai donné les liens
Avec http://atilf.atilf.fr/, on comprend ce que signifient les mots ; la partie inférieure des entrée donne l'étymologie et l'histoire des termes, ce qui explique notamment pourquoi il n'y pas d'exacts synonymes en français.
Mais pour en savoir plus de ce point de vue, il faut consulter : http://www.cnrtl.fr/etymologie/aviser
Et comme nous devons nous présenter à nos amis sous nos plus beaux atours, il n'est pas inutile de consulter celui-ci, également  : http://www.projet-voltaire.fr/blog/

J'étais donc dans un sentiment très condilliacien, pendant longtemps, jusqu'à ce que tombe sur ce texte de Poincaré sur l'invention mathématique. Poincaré ? Henri, bien sûr ; le mathématicien. Par Raymond, le président du Conseil. Henri Poincaré fut un mathématicien extraordinaire, et il s'intéressa à l'épistomologie, et, aussi, à la production des connaissances mathématiques. Dans un de ses textes, il écrit que la difficulté, pour lui, n'était pas d'avoir des idées mathématiques nouvelles, mais de mettre des mots dessus pour pouvoir les partager avec sa communauté.
Oui, à l'opposé d'un Lavoisier, pour qui les idées scientifiques peuvent naître quasi mécaniquement, du maniement des mots, Poincaré voit dans le langage -qu'il veut d'ailleurs tout aussi précis- une fonction plus utilitaire.

Un jour, descendant faire mon cours de gastronomie moléculaire, je compris que Lavoisier était dans l'erreur... pour la production scientifique. Le maniement automatique des mots est "mortifère", et il faut de l'induction pour faire de la science neuve. Il faut "faire des sciences en artiste", aurait dit Poincaré (pour les mathématiques). Oui, il y a cette étape inductive, et non déductive, essentielle en production scientifique.
J'avais donc relégué Lavoisier dans un coin... Mais je me reprends : la fréquentation quotidienne de mes jeunes amis montre que la question essentielle n'est pas d'abord la production scientifique, mais son apprentissage. Et, pour apprendre, il faut les bons mots. Les idées de Poincaré viendront bien plus tard, et elles n'ont pas de place pour commencer.
Oui, les idées condillaciennes sont au premier ordre, et les variations de Poincaré n'arrivent qu'ensuite.


Il faut le dire avec force : 

ayons de bons mots pour bien penser  ! 









dimanche 1 avril 2018

Peser est un jeu


Dans nos expériences, nous devons souvent peser... et ceux qui connaissent l'histoire de la chimie savent combien cela est un acte scientifique important. Antoine Laurent de Lavoisier, par exemple, utilisa des balances extrèmement précises pour ses déterminations essentielles ; il ne cessa de faire des bilans de matière !





Après lui, les pesées sont devenues un art, parce que l'on chercha à minimiser les erreurs. Il y eut les améliorations techniques, les compensations, les doubles pesées... Au point que l'on parle sans exagération de "gravimétrie" comme d'une science de la pesée.

Bien au-delà des connaissances rudimentaires de nos jeunes amis qui n'ont que quelques années de rares travaux pratiques, et qui, face à des balances électroniques, ignorent tout de... tout en ce qui les concerne. Et ce n'est pas de leur faute, si la pesée s'apprend, car une bonne pesée est tout aussi difficile que par le passé... d'autant que l'on pèse bien autant avec sa tête, en réfléchissant, qu'avec ses mains.

Il faut penser à tout. A éviter des courants d'air qui fausseraient les mesures, que ces derniers viennent des pièces où l'on manipule, ou bien des hottes aspirantes sous lesquelles se trouvent les balances. A l'horizontalité des balances : on s'assure  que la balance est sur un support bien stable, sans vibration. A la suite de quoi on règle deux molettes qui sont à l'avant de la balance et au-dessous d'elle, afin qu'une bulle d'air dans un niveau vienne au centre de ce dernier, lequel est repéré par un cercle.

Quand la balance est ainsi stable, on l'allume, et on commence par la contrôler, ce qui signifie que l'on pèse un étalon afin de vérifier que la balance donne des indications cohérentes. Si c'est le cas, alors on peut procéder à la pesée, avec tare et répétition de la mesure.

Pour nombre d'étudiants qui sont gavés d'images de télévision où l'on voit des accélérateurs de particules géants, bourrés d'électronique, ces pesées semblent bien prosaïques, bien rudimentaires, et de ce fait bien en deça des fantasmes scientifiques qu'ils avaient, de sorte que ces pesées ne sont pas toujours aussi bien faites que l'importance de leurs résultats le réclame.

Faut-il brandir cette "importance" ? Ou bien, ne peut-on apprendre à "jouer avec les balances", c'est-à-dire à les utiliser au maximum de leurs possibilités ? Je ne sais pas, mais ce que je sais, c'est que nous devons redonner à la pesée toute l'aura qu'elle mérite, car "donnée mal acquise ne profite à personne" !

jeudi 16 février 2017

Pour un jeune ami que je ne connais pas

Ce matin, je reçois un message me disant "Si tu ne peux pas venir à la réception, un de tes fervents admirateurs va être très déçu, il espérait échanger avec toi ! Peut-être as tu un truc à la "Mélenchon" pour te dédoubler ?".

Oui, j'ai un truc, mais pas un truc à la Mélanchon ; un truc à la Hervé This, et qui consiste précisément à discuter d'abord la question de l'admiration. Ce sera ma première façon d'interagir avec mon ami que je ne connais pas.

L'admiration, donc ? Le seul dictionnaire qui vaille, le Trésor de la langue française informatisé, nous dit : "Sentiment complexe d'étonnement, le plus souvent mêlé de plaisir exalté et d'approbation devant ce qui est estimé supérieurement beau, bon ou grand."
On voit que je ne mérite pas d'admirateur, ou, du moins, que mes éventuels admirateurs se trompent en m'estimant "supérieurement beau, bon ou grand". Ce n'est pas de la fausse modestie, mais du réalisme. Je me lamente de ne pas savoir assez bien calculer, de ne pas être assez méthodique, pas assez précis, trop hâtif, pas assez concentré... Jusqu'en classe de Mathématiques spéciales, les professeurs marquaient sur mon bulletin "Peut mieux faire". Oui, peut mieux faire.

Cette question de l'admiration ne se pose pas à moi pour la première fois : lors d'une mission à l'étranger, le doyen d'une grande université avait un discours élogieux, prononçant le mot "fierté". Fierté ? Je ne suis fier de rien, et j'ai seulement envie de faire beaucoup (ou, plutôt, je ne cesse de faire... car l'envie n'est rien sans la réalisation, n'est-ce pas ?). Car c'est l'étendue de mes insuffisances qui m'atterre. A l'époque, j'avais fait l'observation au doyen élogieux, et il m'avait répondu qu'il était important de montrer à la fois une personne et son travail, afin de montrer aux suivants qu'il était humain d'arriver à des réalisations qui paraissent notables.

Convaincant ? Pas sûr. Je préfère reprendre l'analyse de cette difficile question... avec mes propres "admirations".
Enfant, j'ai été ébloui par Antoine Laurent de Lavoisier. Mais ébloui au point que je suis tombé dans le panneau de quelques unes de ses erreurs ; et progressivement, j'ai découvert certaines de ses faiblesses humaines... au point qu'une analyse récente d'un de ses articles a été jugé "cruel" par des historiens des sciences (H. This, N3AF, https://www.academie-agriculture.fr/publications/les-academiciens-ecrivent/n3af/n3af-2016-8-methodological-advances-scientific).
Puis, plus tard, j'ai trouvé Michael Faraday très remarquable. Là, la personne humaine  était effectivement remarquable, parce que Faraday fut un autodidacte sauvé par quelques principes intellectuels à propager absolument.
J'ai la chance d'avoir ou d'avoir eu quelques amis merveilleux, ce que je nomme de "belles personnes"... Ce sont toutes des personnes qui sont passionnées de leur travail, qui ne se posent pas la question de la réputation, mais de l'action effectuée ou à effectuer. Ai-je pour elles de l'admiration ? Je ne crois pas : de l'amitié, certainement, et de la reconnaissance de faire ce que font de belles personnes, à savoir nous surprendre à chaque instant par des idées neuves.
Quelques peintres ? Je passe rapidement devant, car je suis un imbécile. Quelques musiciens remarquables ? Alors je préfère jouer de la musique, dans l'espoir d'une amélioration. Pas grande place pour l'admiration, chez moi ; pas le temps !

Cela étant, à quoi bon admirer ? On ne refera jamais l'histoire, et je préfère que mes amis occupent mieux leur temps qu'avec l'admiration : pourquoi n'utiliseraient-ils pas plutôt ce temps contemplatif pour faire grandir ou entretenir dans leur coeur des brasiers qui les conduiront à faire demain mieux qu'ils n'ont fait hier ? 
Certainement la fréquentation de certains permet d'en retirer quelque chose, et j'espère tendre à mes amis de la méthodologie. Si je peux être crédité de quelque chose, c'est peut-être seulement de cela : dans mes cours de Master, par exemple pour le Master Erasmus Mundus Plus "Food Innovation and Product Design" (https://tice.agroparistech.fr/coursenligne/main/document/document.php?cidReq=FIPDESMOLECULARGASTR&curdirpath=/docs%20HTHIS), je ne cesse de discuter la question de la méthode. Et toujours en améliorant (obsessionnellement?) ce qui a déjà été fait !

Bref, l'admiration m'est un sentiment d'autant plus étranger que je suis dans l'action, et pas dans la contemplation. Mais, surtout, à quoi bon ?
En revanche, je suis très soucieux d'avoir beaucoup d' "amis", c'est-à-dire de personnes qui partagent le goût de la connaissance, qui dénichent pour moi des pépites de connaissance, qui m'aident à grandir. J'espère vivement que  mon ami inconnu "échangera" librement avec moi : je réponds à tous les emails.

vendredi 31 août 2012

Lavoisier était un grand homme

Un nouveau podcast vient d'être déposé sur le site d'AgroParisTech, à
http://podcast.agroparistech.fr/users/gastronomiemoleculaire/weblog/7f668/Lavoisier_et_le_bouillon.html


Il considère un article écrit par Antoine Laurent de Lavoisier, qui avait étudié les bouillons de viande, et introduit la "méthode du zéro", que l'on attribue parfois à Ampère (fautivement, donc). 

L'article de Lavoisier sert : 
- à admirer les travaux d'un grand homme
- à mesurer combien la méthodologie scientifique a progressé depuis la Révolution : nous sommes des nains perchés sur les épaules de nains, et ainsi de suite, avec quelques nains qui sont des géants, ce qui faisait dire plus justement aux Grecs : "nous nous échelons les uns les autres"

Et c'est ainsi que la chimie est belle !

dimanche 16 mai 2010

Vive les "Matériels et Méthodes"

L'examen d'un article d'Antoine Laurent de Lavoisier consacré aux bouillons de viande est troublant, parce que les données sont "ajustées" : Lavoisier a mesuré la densité des bouillons de viande, et il a cherché une relation entre ces densités et la quantité de matière sèche dans les bouillons. Jusque là, rien de particulier.
Sauf que Lavoisier donne des densités avec six chiffres décimaux, qu'un calcul d'incertitudes bien fait montre hors d'atteinte par la méthode qu'il avait utilisée, et que le quotient des densités par les matières sèches montre une relation exacte, absolument exacte, entre les deux séries de données, ce qui n'est pas possible.

Toutefois, je ne propose pas de démolir ici Lavoisier, dont l'article en question révèle en réalité le génie, mais plutôt de considérer pourquoi des imbéciles comme nous sont en mesure, aujourd'hui, de discuter l'article : nous sommes des nains perchés sur les épaules des géants.

La lecture de l'article, essentiellement, montre que la science a considérablement progressé en réclamant de ceux qui la pratiquent une partie intitulée "Matériels et Méthodes", où tout est décrit : les matériels, leurs caractéristiques, les raisons du choix de ces matériels, les produits, les méthodes, les raisons du choix des produits et des méthodes... Tout!

N'est-ce pas une garantie que l'on n'a pas fait les choses au hasard, et, donc, que l'on a fait du mieux que l'on pouvait? L'exercice est parfois fastidieux, mais si les "rapporteurs" des publications sont des gens bienveillants (il faudra un billet à ce sujet), alors nous sommes poussés à faire bien, ce qui est quand même une grande satisfaction : la vertu est sa propre récompense!

Chérissons donc les "Matériels et Méthodes", comprenons que c'est un acquis de la science moderne... et généralisons : dans nos activités, ne pourrions-nous pas nous comporter selon cette idée? Nos comportements s'en trouveraient un peu rationalisés, et des choix arbitraires apparaîtraient mieux. Après tout, on a le droit de dire "j'aime".

samedi 27 mars 2010

La maison du grand père

Je m'aperçois que des textes pourtant utiles n'ont pas été suffisamment lus. En voici un exemple, que j'avais produit il y a quelque temps, et auquel je continue d'adhérer parfaitement.



Soyons clairs : mes divers textes sont une émanation de mon travail de « gastronomie moléculaire », laquelle est une étude scientifique de la cuisine. Discipline iconoclaste ? Certes, elle montre parfois que la cuisine est un mélange d’observations remarquables, d’interprétations souvent fautives et des gestes pas toujours utiles, mais elle cherche surtout la vérité. Si de grands cuisiniers du passé ont fait des erreurs, il peut sembler iconoclaste de le souligner, mais doit-on transmettre des erreurs ou la vérité ? Doit-on cacher les drames familiaux ou, au contraire, les reconnaître avec sincérité ?


Cette question s’accompagne d’autres interrogations que je vous propose d’examiner ici : avons-nous le droit de mettre en cause la tradition culinaire ? devons-nous respecter la tradition culinaire française ? pouvons-nous endosser la responsabilité de conduire la cuisine à évoluer ?

Des faits, tout d’abord : la gastronomie moléculaire est une discipline scientifique, c’est-à-dire une recherche ; ce n’est ni une méthode d’enseignement, ni une technique. La différence ? La technique, premièrement, c’est l’exécution de gestes ; l’enseignement, deuxièmement, est une transmission des connaissances ; la science, enfin, est une exploration du monde.
C’est ainsi que la cosmologie explore l’Univers (comment s’est-il formé ? comment évolue-t-il ?), que la géologie veut comprendre le Globe terrestre (a-t-il un noyau solide au coeur du plasma liquide qu’il a en son centre ?), que la botanique veut comprendre les plantes, la zoologie les animaux, la chimie les réactions chimiques, la physique les phénomènes physiques… A chaque science son objet d’étude, lequel est une partie du monde où nous vivons. Pour la gastronomie moléculaire, cette partie du monde est la cuisine (et, un peu, la dégustation). Partie importante, si l’on songe que chaque foyer, si petit qu’il soit, a toujours une cuisine ! Il fallait bien une science pour en explorer les mystères.

Science, ai-je dit : qu’est-ce que la science ? 

La science est cette activité qui observe les phénomènes et qui cherche à les comprendre. Pour la gastronomie moléculaire, il s’agit de chercher les mécanismes des transformations culinaires, lesquelles sont essentiellement de nature chimique, physique ou biologique.
La méthode d’étude que pratiquent les chercheurs est ce que l’on nomme la méthode expérimentale, qui procède de la façon suivante : partant d’un phénomène (les soufflés gonflent), on effectue des mesures pour caractériser le phénomène ; puis, sur la base de ces mesures, on cherche une théorie (on se demande si les soufflés gonflent parce que les bulles d’air des blancs en neige se dilatent) ; puis on cherche à réfuter la théorie, soit par le calcul, soit par des expériences (on calcule très facilement que, si les soufflés gonflaient en raison de la dilatation des bulles, le gonflement ne serait au maximum que de 20 pour cent) ; sur la base des réfutations effectuées, on change la théorie ou on l’affine (les soufflés gonflent surtout en raison de l’évaporation de l’eau), et on continue à chercher des réfutations.
On le voit, la science n’est jamais satisfaite d’elle-même, parce qu’elle sait que toute théorie est fausse, ou, du moins, que toute théorie ne décrit qu’imparfaitement les phénomènes. Et c’est parce qu’elle « tient le probable pour faux jusqu’à preuve du contraire » que la science évite le dogmatisme, le contentement de soi, l’aplomb de la certitude.

A bas les idoles


La cuisine, au moins pour sa composante technique (j’ai suffisamment crié que la cuisine, c’est de l’amour, de l’art et de la technique), est étudiée par la gastronomie moléculaire de deux façons, parce que les recettes, transmises par écrit ou oralement, ont deux aspects : la recette donne une définition (un pot-au-feu, dans le principe, s’obtient par chauffage de viande dans l’eau), d’une part, et des « précisions », d’autre part (ce que je nommais naguère des dictons, tours de main, pratiques, on dit…). Du coup, la gastronomie moléculaire doit comprendre les définitions, et tester les précisions.
Ces études conduisent évidemment à réfuter les grands auteurs du passé : Marin, Carême, Escoffier, Nignon, Gouffé… La science serait-elle alors iconoclaste ? Oui, d’une certaines façon : les faits sont les faits, et les erreurs, même proférées par les plus grands des cuisiniers du passé, sont des erreurs. Est-ce pour autant que nous cesserons d’admirer les grands du passé ? Certainement pas ! L’illustre chimiste Antoine-Laurent de Lavoisier, le père de la chimie moderne, a cru que tous les acides contenaient de l’oxygène, et l’on sait aujourd’hui que ce n’est pas vrai (l’acide chlorhydrique, par exemple, ne contient que de l’hydrogène et du chlore) ; pour autant, les chimistes ne cesseront pas d’admirer Lavoisier, individu à la pensée remarquablement lucide, claire, intelligente, qui ne s’est trompé (dans quelques cas), que parce qu’il défrichait un pays broussailleux. N’importe qui, sans la carte du pays chimique que nous a légué Lavoisier, se serait sans doute trompé bien plus que lui, et bien d’autres, à son époque, n’ont pas obtenu les résultats qui lui sont dus.
J’en reviens à la gastronomie moléculaire : ce n’est pas parce qu’elle remet en question des idées du passé, qu’elle montre des erreurs, qu’elle est une entreprise de « déconstruction ». Au contraire : c’est une entreprise de rénovation, telle qu’il y aurait dû en avoir depuis longtemps !

Rénovation d’un héritage


Du coup, la question est posée : si nous apprenons à faire des soufflés plus gonflés que par le passé, des mayonnaises avec des goûts différents, des mousses plus légères, des gnocchis mieux cuits, des mousses au chocolat sans œuf, et ainsi de suite, nous risquons de modifier la cuisine française. Est-ce bien raisonnable ?

Je vous propose de considérer que la cuisine française, la grande cuisine française que nous envient tant d’autres états, est comme la maison de nos aïeux. C’est une superbe bâtisse… dépourvue du confort moderne. Pas de salle de bain, des toilettes au fond du jardin, un antique poêle à bois... Devons-nous conserver la maison en l’état, même si les autres nous l’envient ?
Il serait irresponsable de vendre la maison : nous la regretterions tout le reste de notre vie. La démolir, aussi, serait une façon de perdre toute l’intelligence qui s’y trouve : par exemple, ces murs épais, en pierre, nous protègent mieux du froid en hiver et de la chaleur en été que des parpaings doublés d’amiante. Nous devons conserver la maison, mais nous devons l’aménager, pour y vivre mieux que n’y vivaient nos aïeux (en raison du manque d’hygiène et de mille autres raisons, leur espérance de vie était bien inférieure à la nôtre, leur vin plus souvent piqué, leurs fruits fréquemment tavelés, leurs œufs moins frais…).
J’arrive donc à la grande question : que pouvons-nous transformer sans le regretter plus tard ? La question s’impose avec urgence, car, si nous ne la considérons pas, nous risquons de faire des modifications regrettables. En revanche, nous ne devons pas remettre à un futur trop éloigné les travaux, sans quoi elle s’effondrera.

Retour en cuisine


Chacun a compris où je voulais en venir. Les cuisiniers créateurs (les « cuisiniers artistes ») ne m’ont pas attendu pour changer la cuisine française, et même les « cuisiniers artisans » y sont allés de leurs changements : personne ne pratique plus les crèmes anglaises comme Auguste Escoffier, parce que le nombre de jaunes d’œufs au litre leur semble excessif. Bref, nous avons tous «bidouillé » la maison des aïeux sans cherché à en avoir une idée d’ensemble.

N’est-il pas temps de poser la question : que pouvons-nous transformer ? que devons-nous conserver ?
Poser ces questions systématiquement, institutionnellement, c’est la seule façon de transformer en connaissance de cause. Connaissance de cause : c’est ainsi que la cuisine est belle !

La maison du grand père

Je m'aperçois que des textes pourtant utiles n'ont pas été suffisamment lus. En voici un exemple, que j'avais produit il y a quelque temps, et auquel je continue d'adhérer parfaitement.

Soyons clairs : mes divers textes sont une émanation de mon travail de « gastronomie moléculaire », laquelle est une étude scientifique de la cuisine. Discipline iconoclaste ? Certes, elle montre parfois que la cuisine est un mélange d’observations remarquables, d’interprétations souvent fautives et des gestes pas toujours utiles, mais elle cherche surtout la vérité. Si de grands cuisiniers du passé ont fait des erreurs, il peut sembler iconoclaste de le souligner, mais doit-on transmettre des erreurs ou la vérité ? Doit-on cacher les drames familiaux ou, au contraire, les reconnaître avec sincérité ?
Cette question s’accompagne d’autres interrogations que je vous propose d’examiner ici : avons-nous le droit de mettre en cause la tradition culinaire ? devons-nous respecter la tradition culinaire française ? pouvons-nous endosser la responsabilité de conduire la cuisine à évoluer ?

Des faits, tout d’abord : la gastronomie moléculaire est une discipline scientifique, c’est-à-dire une recherche ; ce n’est ni une méthode d’enseignement, ni une technique. La différence ? La technique, premièrement, c’ est l’exécution de gestes ; l’enseignement, deuxièmement, est une transmission des connaissances ; la science, enfin, est une exploration du monde.
C’est ainsi que la cosmologie explore l’Univers (comment s’est-il formé ? comment évolue-t-il ?), que la géologie veut comprendre le Globe terrestre (a-t-il un noyau solide au coeur du plasma liquide qu’il a en son centre ?) , que la botanique veut comprendre les plantes, la zoologie les animaux, la chimie les réactions chimiques, la physique les phénomènes physiques… A chaque science son objet d’étude, lequel est une partie du monde où nous vivons. Pour la gastronomie moléculaire, cette partie du monde est la cuisine (et, un peu, la dégustation). Partie importante, si l’on songe que chaque foyer, si petit qu’il soit, a toujours une cuisine ! Il fallait bien une science pour en explorer les mystères.

Science, ai-je dit : qu’est-ce que la science ? La science est cette activité qui observe les phénomènes et qui cherche à les comprendre. Pour la gastronomie moléculaire, il s’agit de chercher les mécanismes des transformations culinaires, lesquelles sont essentiellement de nature chimique, physique ou biologique. La méthode d’étude que pratiquent les chercheurs est ce que l’on nomme la méthode expérimentale, qui procède de la façon suivante : partant d’un phénomène (les soufflés gonflent), on effectue des mesures pour caractériser le phénomène ; puis, sur la base de ces mesures, on cherche une théorie (on se demande si les soufflés gonflent parce que les bulles d’air des blancs en neige se dilatent) ; puis on cherche à réfuter la théorie, soit par le calcul, soit par des expériences (on calcule très facilement que, si les soufflés gonflaient en raison de la dilatation des bulles, le gonflement ne serait au maximum que de 20 pour cent) ; sur la base des réfutations effectuées, on change la théorie ou on l’affine (les soufflés gonflent surtout en raison de l’évaporation de l’eau), et on continue à chercher des réfutations.
On le voit, la science n’est jamais satisfaite d’elle-même, parce qu’elle sait que toute théorie est fausse, ou, du moins, que toute théorie ne décrit qu’imparfaitement les phénomènes. Et c’est parce qu’elle « tient le probable pour faux jusqu’à preuve du contraire » que la science évite le dogmatisme, le contentement de soi, l’aplomb de la certitude.

A bas les idoles


La cuisine, au moins pour sa composante technique (j’ai suffisamment crié que la cuisine, c’est de l’amour, de l’art et de la technique), est étudiée par la gastronomie moléculaire de deux façons, parce que les recettes, transmises par écrit ou oralement, ont deux aspects : la recette donne une définition (un pot-au-feu, dans le principe, s’obtient par chauffage de viande dans l’eau), d’une part, et des « précisions », d’autre part (ce que je nommais naguère des dictons, tours de main, pratiques, on dit…). Du coup, la gastronomie moléculaire doit comprendre les définitions, et tester les précisions.
Ces études conduisent évidemment à réfuter les grands auteurs du passé : Marin, Carême, Escoffier, Nignon, Gouffé… La science serait-elle alors iconoclaste ? Oui, d’une certaines façon : les faits sont les faits, et les erreurs, même proférées par les plus grands des cuisiniers du passé, sont des erreurs. Est-ce pour autant que nous cesserons d’admirer les grands du passé ? Certainement pas ! L’illustre chimiste Antoine-Laurent de Lavoisier, le père de la chimie moderne, a cru que tous les acides contenaient de l’oxygène, et l’on sait aujourd’hui que ce n’est pas vrai (l’acide chlorhydrique, par exemple, ne contient que de l’hydrogène et du chlore) ; pour autant, les chimistes ne cesseront pas d’admirer Lavoisier, individu à la pensée remarquablement lucide, claire, intelligente, qui ne s’est trompé (dans quelques cas), que parce qu’il défrichait un pays broussailleux. N’importe qui, sans la carte du pays chimique que nous a légué Lavoisier, se serait sans doute trompé bien plus que lui, et bien d’autres, à son époque, n’ont pas obtenu les résultats qui lui sont dus.
J’en reviens à la gastronomie moléculaire : ce n’est pas parce qu’elle remet en question des idées du passé, qu’elle montre des erreurs, qu’elle est une entreprise de « déconstruction ». Au contraire : c’est une entreprise de rénovation, telle qu’il y aurait dû en avoir depuis longtemps !

Rénovation d’un héritage


Du coup, la question est posée : si nous apprenons à faire des soufflés plus gonflés que par le passé, des mayonnaises avec des goûts différents, des mousses plus légères, des gnocchis mieux cuits, des mousses au chocolat sans œuf, et ainsi de suite, nous risquons de modifier la cuisine française. Est-ce bien raisonnable ?
Je vous propose de considérer que la cuisine française, la grande cuisine française que nous envient tant d’autres états, est comme la maison de nos aïeux. C’est une superbe bâtisse… dépourvue du confort moderne. Pas de salle de bain, des toilettes au fond du jardin, un antique poêle à bois... Devons-nous conserver la maison en l’état, même si les autres nous l’envient ?
Il serait irresponsable de vendre la maison : nous la regretterions tout le reste de notre vie. La démolir, aussi, serait une façon de perdre toute l’intelligence qui s’y trouve : par exemple, ces murs épais, en pierre, nous protègent mieux du froid en hiver et de la chaleur en été que des parpaings doublés d’amiante. Nous devons conserver la maison, mais nous devons l’aménager, pour y vivre mieux que n’y vivaient nos aïeux (en raison du manque d’hygiène et de mille autres raisons, leur espérance de vie était bien inférieure à la nôtre, leur vin plus souvent piqué, leurs fruits fréquemment tavelés, leurs œufs moins frais…).
J’arrive donc à la grande question : que pouvons-nous transformer sans le regretter plus tard ? La question s’impose avec urgence, car, si nous ne la considérons pas, nous risquons de faire des modifications regrettables. En revanche, nous ne devons pas remettre à un futur trop éloigné les travaux, sans quoi elle s’effondrera.

Retour en cuisine


Chacun a compris où je voulais en venir. Les cuisiniers créateurs (les « cuisiniers artistes ») ne m’ont pas attendu pour changer la cuisine française, et même les « cuisiniers artisans » y sont allés de leurs changements : personne ne pratique plus les crèmes anglaises comme Auguste Escoffier, parce que le nombre de jaunes d’œufs au litre leur semble excessif. Bref, nous avons tous «bidouillé » la maison des aïeux sans cherché à en avoir une idée d’ensemble.
N’est-il pas temps de poser la question : que pouvons-nous transformer ? que devons-nous conserver ?
Poser ces questions systématiquement, institutionnellement, c’est la seule façon de transformer en connaissance de cause. Connaissance de cause : c’est ainsi que la cuisine est belle !